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Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction.
Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.
Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :
- Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier, au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
- Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
- Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
- Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
- Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !
Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.
Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.
(avec une loupe ajoutée par mes soins)
Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.
L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).
Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).
Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.
Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).
Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.
Existe aussi en version enfantine :
Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).
Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.
Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).
Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).
Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.
Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !
L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).
Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.
Les cartes postales de l’époque nous donnent une idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.
Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.
D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.
Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !
En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne.
Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.
Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?
* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).
** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.