« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 15 mars 2024

L'épicerie de la rue de la Roë

Article disponible en podcast !


 

Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction. 

Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
 

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.

 

Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :

  • Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier,  au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
  • Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
  • Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
  • Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
  • Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !

Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.

 

Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.

 

Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers (avec une loupe ajoutée par mes soins)
Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers
(avec une loupe ajoutée par mes soins)


Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.

 

L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).

 

Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers
Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers

Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).

Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.

Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).

Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.

 

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica

 

Existe aussi en version enfantine :

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
 

Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).

Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.

Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).

 

Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).

 

Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.

Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !

 

L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).

Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.

 

Les cartes postales de l’époque nous donnent une  idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.

 

Carte postale ancienne Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
 

Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.

 

D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.

 

Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !

 

Article "une fillette sauvagement assassinée" Ami du peuple, 1933 © Gallica
Ami du peuple, 1933 © Gallica

 

En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne. 

Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.

 

Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?

 

 

 

* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).

** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.

 

vendredi 16 février 2024

Droit de banc

La veille de Noël 1759 plusieurs notables de la paroisse de Villevêque (49) s’assemblent dans la maison presbytérale, « en présence et avec le consentement de René Riffault prêtre curé dudit Villevêque et de Me Nepveu, notaire royal à Angers et Baugé résidant à Villevêque ». Ils sont là afin d’enregistrer officiellement une vente un peu particulière. Parmi les protagonistes principaux on compte :
  •  Jacques Collin, Maître tisserand, est né en 1713 à Corzé (paroisse voisine), installé à Villevêque après son mariage en 1738 (il est apparenté à ma famille par sa mère, Françoise Rattier : je descends de plusieurs oncles, tantes et cousins de cette famille très « implexée » ; et de la famille de son épouse dont les ascendants sont juchés bien haut dans mon arbre).
  •  Symphorien Lysambard, Marchand fermier dont la fille vient d’épouser le neveu de Jacques Collin, est issu d’une vieille famille de Villevêque. S’il ne sait pas signer, il tient un rôle non négligeable dans la paroisse : il est le marguillier de la fabrique. 
La fabrique d’une paroisse est composée d’un groupe de clercs et de laïcs qui gèrent tout ce qui appartient à l’église, depuis les luminaires jusqu’aux fonds affectés à son entretien. En général, c'est à l'issue de la messe, le dimanche, que les habitants se réunissent en assemblée pour y discuter de toutes les questions matérielles de la paroisse et administrer ses affaires. Tout homme possédant quelques biens (c'est-à-dire ceux qui sont imposables, les propriétaires) fait partie de cette assemblée. Les procureurs de fabrique, ou marguilliers (ils sont deux) sont élus par cette assemblée pour un an afin d'appliquer les décisions prises par elle et agir au nom de la collectivité. Les fabriciens (membres de la fabrique) pouvaient avoir un siège réservé dans l'église.
  •  Laurent Vaugoyau est aussi un marchand fermier, alors âgé de 40 ans, demeurant au lieu de la Métairie aux Clercs en ladite paroisse. Lui aussi est issu d’une vieille famille de la paroisse (et un de mes lointains cousins). Il est l’acheteur dans cette affaire.

Sont présents également, les témoins :

  • Maitre Mathurin René Chauvigné et Christophe Davy prêtres et chapelains de la paroisse,
  • le sieur Vincent Gillet marchand fermier, parrain de la fille de Laurent Vaugoyau,
  • le sieur Gabriel Rataud sieur Du Plais maitre chirurgien,
  • Mathurin Allaire maréchal ferrant,
  • Urbain Peltier marchand.

 

Bref, cette noble assemblée est présente pour concéder et accorder audit Vaugoyau, « sous le bon plaisir de Mr le curé dudit lieux, un emplacement de bancelle en ladite église »

 

Banc d'église © Ministère de la culture
© Ministère de la culture

La bancelle est un type de banc, étroit et long. En effet, autrefois il n’y avait que peu de siège dans les églises et ceux-ci étaient très étroitement réglementés. Le droit de banc est un droit honorifique qui permet à ceux qui en jouissent, généralement les seigneurs, d'avoir des places réservées dans une église, une chapelle ou une abbaye, à un emplacement privilégié (au premier rang de la nef ou souvent dans le chœur même).

Aucun canon ne défend expressément aux laïcs d’avoir des bancs dans les églises, mais c’en était l’usage très ancien. Puis cette discipline s’est relâchée pour permettre l’entrée du chœur (on ne pouvait alors y entrer que pour recevoir la Sainte Communion), d’abord accordée aux rois, princes puis patrons et fondateurs d’églises (en général le seigneur du lieu). Une fois l’entrée du chœur permise aux patrons, ils se firent attribuer le droit d’y avoir un banc.

 

L’usage des bancs s’est ensuite généralisé, accordé à trois sortes de personnes :

- le patron ou fondateur d’une église : celui qui a fondé, doté ou bâti une église (droit de banc à droite dans le chœur). Ils ont la prééminence sur les tous les autres.

- les seigneurs haut justicier (à gauche dans le chœur).

- les particuliers et paroissiens (dans la nef) : quiconque veut avoir un banc dans une église doit se procurer un titre, concession faite par le marguillier (ou le conseil de fabrique) qui se fait avec l’avis du curé en échange d’une rétribution en faveur de la fabrique. Rétributions qui doivent être destinées aux réparations de la nef, entretien du pavé ou vitrage. L’usage est de faire passer trois criées, ou publications, et il est libre à chacun de former une opposition. La concession accordée est toujours révocable, personnelle, non transmissible et non vendable. La plupart du temps, les veuves et héritiers sont préférés, après le décès du concessionnaire, à tous autres demandeurs, mais le transfert n’est pas automatique. De même, le droit de banc ne « suit » pas le paroissien s’il change de domicile : il faut alors reprendre une nouvelle concession.

Les bancs sont partiellement et progressivement remplacés par les chaises apportées par chaque particulier. Mais cette pratique a entraîné une lutte pour obtenir les meilleures places, si bien qu'a été mis en place le bail des bancs et chaises (géré par les fabriques qui s’assurent ainsi une bonne partie de leurs ressources financières). Cette coutume se codifie au milieu du XVIIIe siècle et se généralise tant et si bien qu’au XIXe siècle c’est devenu un bien de consommation commun. Finalement le mobilier a été mis progressivement à disposition gratuitement. Mais l'usage pour les notables de la paroisse d'être propriétaire dans les premiers rangs de leurs chaises avec prie-Dieu, sur lesquels ils font graver leurs noms sur des plaques de métal (souvent en cuivre, parfois émaillées) vissées au dossier des chaises, perdure jusqu’au concile Vatican II (dans les années 1960).

 

Le banc concédé à Laurent Vaugoyau pouvait « contenir trois personnes » et était situé « derrière le banc immédiatement appartenant au seigneur Rouillon* au lieu et place de celui du sieur Jean Toupelin ancien notaire royal », le précédent concessionnaire.

Ledit Laurent Vaugoyau « a la charge […] de faire placer ladite bancelle à ses frais ».

Ledit Vaugoyau accepte cette concession tant pour lui que pour ses hoirs (héritiers) et ayants causes (alors que le droit n’est normalement pas transmissible, comme on l’a vu plus haut). Il achète ladite concession « au procureur alors en charge de ladite fabrique [pour] la somme de trente sols [par] an » (l’équivalent de 16,91 €). Le premier payement devant se faire immédiatement et ainsi « d’année en année ». Mais « au cas que ledit Vaugoyau ou ses hoirs et ayants cause ne payent pas exactement chaque année, ladite somme de trente sols il sera loisible au procureur alors en charge de disposer dudit emplacement au profit de ladite fabrique » et de le concéder à autrui.

Le document ne précise pas les raisons qui autorisent Laurent Vaugoyau à acquérir ce droit de banc. Était-il fabricien ? En tout cas il était suffisamment fortuné pour y prétendre.

Il a vécu jusqu'en 1786. A-t-il conservé son droit de banc jusqu'à sa mort ? L'histoire ne le dit pas. Il a été inhumé dans le cimetière, non dans l'église. Ce droit réservé, à l'origine, au haut clergé, fut ensuite accordé aux nobles et fondateurs, puis aux paroissiens, bienfaiteurs de l'église - selon un procédé bien similaire à celui du droit de banc. En 1776 il est interdit pour des questions de salubrité, mais l'édit royal mettra assez longtemps à être correctement appliqué. En tout cas, si Laurent Vaugoyau n'a pas pu être inhumé dans l'église de Villevêque, au moins aura-t-il pu s'y assoir...

 

* Rouillon : Ancien fief et seigneurie avec manoir noble, relevant de l’évêque d'Angers, seigneur baron de Villevêque.

 

mercredi 7 février 2024

#Généathème : mémo archives

Tu n’es jamais allé faire des recherches généalogiques aux archives car elles t’intimident un peu ? Pas de panique ! Voici un court mémo pour t’expliquer comment on fait et te donner envie d’y aller (si ce n’était pas le cas). Selon les départements (ou municipalités) il peut y avoir quelques variantes à la marge, mais dans les grandes lignes le fonctionnement est identique partout. 

 

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse au premier plan, les inventaires © coll. personnelle

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse
au premier plan, les inventaires © coll. personnelle


D’abord l’inscription : c’est gratuit, il suffit d’une pièce d’identité. C’est le/la président(e) de salle (celui/celle qui est derrière le comptoir) qui l'enregistre. Tous les ans il faudra la renouveler, tout aussi simplement.

Tu t’installe à une table (ou bien c’est le président qui te désigne une place, selon l'usage local). Chaque place a un numéro : il te servira pour obtenir les documents.

Ensuite tu déposes une demande de cote (soit par papier soit sur un terminal informatique, ça dépend des départements) : tu indiques ton numéro de carte, celui de la place et la cote. Une cote = un document. Un document ça peut être un registre, une liasse de notaire, un plan, etc…. Chaque document est classé selon une série (exemple : la série E regroupe les actes concernant les familles, les notaires, l'état civil), éventuellement un numéro de sous série qui le précède (exemple 3 E pour les archives notariales) et un numéro d'article qui l’identifie (exemple 407, qui désigne un notaire et une date particulière). Le tout forme la cote (exemple : 3 E 407). Cette façon de classer les documents est appelé le cadre de classement.

En général, les archives fonctionnent par levée : la levée c’est quand le magasinier récupère toutes les demandes. Ensuite il va dans le magasin, cherche le carton ou le registre qui correspond. Puis il redescend en salle de lecture et là tu peux avoir accès à ton document. La levée peut avoir lieu toute les demi-heures ou 45 min ou… là aussi ça dépend des départements.

Donc, après la levée il faut attendre un peu que le magasinier ait tout récupéré et soit redescendu. Ensuite, soit tu viens chercher ton document, soit on l’apporte à la place ; là aussi ça dépend des dépôts d’archives.

Tu peux enfin consulter ton document.

Dans la plupart des archives, tu peux demander plusieurs cotes à chaque levée (ex : maximum 5 documents par levée) mais on ne te laisse regarder les documents sur ta table que un par un.

 

Cas n°1 : tu ne connais pas tes cotes à l’avance

Quand tu arrives en salle, il te faut regarder les inventaires. Ce sont de gros classeurs (ou un ordinateur) qui contiennent toutes les cotes (c'est-à-dire tous les documents conservés aux archives). En général on les repère assez facilement parce que l’ensemble prend du volume ; sinon le président de salle t’indiquera leur emplacement. Disons que tu cherches une liste de tirage au sort militaire : c’est la sous série 1R. Il y a plusieurs bureaux (par exemple un par canton). Tu identifie le canton qui t’intéresse et la date (dans ce cas : année de naissance de l’ancêtre + 20). Cela te donne les chiffres de fin de la cote : par exemple 128. La cote complète est donc 1R128. Il ne te reste plus qu’à reporter le numéro de la cote sur ta demande de document.

 

Cas n°2 : tu connais tes cotes avant de venir

Tu as fait un repérage sur le site internet des archives et tu as trouvé les inventaires (nommés "inventaires" mais peut-être aussi "états des fonds" ou "répertoires"). Ils sont organisés de la même façon qu’en salle, donc tu as identifié la série et la date qui t’intéresse. Tu as fait une liste des cotes que tu souhaites chercher. En arrivant aux archives, il te suffit de les indiquer sur tes demandes.

 

Cas n°3 : tu sais ce que tu cherches

Tu as trouvé ta cote (avant de venir ou sur place). Une fois que tu as récupéré ton document tu peux photographier la page qui t’intéresse (ou noter les infos sur un papier, chacun sa méthode) et passer au suivant. Ça va assez vite, finalement.

 

Cas n°4 : tu pars à l’aveugle

Par exemple, tu as beaucoup d’ancêtres dans un village. Il y a donc un maximum de chance pour que tu les trouve chez le notaire du coin (nos ancêtres passaient leur vie dans les études notariales, pour toutes sortes de raisons). Donc, tu repères la cote du notaire selon son lieu de domicile, la fourchette d’années où tes ancêtres ont vécu. Tu vas recevoir une liasse de notaire. Une liasse, c’est un tas d’actes (en général non reliés). Selon le mode de classement, la liasse peut contenir plusieurs années d’actes notariés ou juste quelques mois, ça dépend du volume : s’il y a peu d’actes, la liasse peut faire plusieurs années, et inversement. Disons que tu reçois l'année 1747 : tu peux alors passer en revue tous les actes voir si le nom de tes ancêtres apparaît (la plupart du temps le notaire a noté le nom des protagonistes et le type d’acte dans la marge, ça permet de les identifier plus aisément). La rechercher est plus longue que dans le cas précédent, mais cela laisse la place à la surprise. On y ait souvent de belles découvertes (inattendues, forcément).

 

En bref, c’est pas si compliqué que ça les archives, c’est juste une question d’habitude et si tu es perdu(e), le/la président(e) de salle est là pour d’aiguiller.

Si tu as l’occasion, je te conseille vraiment d’y aller. On y fait des découvertes très intéressantes et originales (puisque ces documents ne sont pas en ligne).

 

Mais qu’est-ce qu’on peut y trouver, aux archives ? Je dirais tout ce qui n’est pas en ligne ! Pour ma part, j’ai été chercher les fiches militaires de mes ancêtres avant les années 1860 (assez peu publiées en ligne pour cette période). C’est ainsi que j’ai découvert par hasard l’insoumission de Louis.

Je suis une grande adepte des actes notariés qui détaillent les vies de nos aïeux, leurs possessions (voir ici par exemple) ou la vie de leur paroisse (comme l’achat d’un droit de banc dans l’église) ; mais aussi les successions ou le cadastre pour retracer les possessions ancestrales.

En effet, le cadastre est un document réalisé à la base pour payer les impôts. Il est composé de deux éléments : les plans (qui peuvent être en ligne) et les états des sections (qui le sont moins souvent). Les plans c’est joli, mais ça ne te dit pas qui est propriétaire de quelle parcelle. C’est l’état des sections qui détaille le propriétaire, la nature de la parcelle (bois, pré, maison) et, pour les bâtiments, s’il y a plusieurs portes/fenêtres (car les impôts se payaient sur les ouvertures). Si tu veux savoir quelles terres/maisons avaient tes ancêtres, tu dois passer obligatoirement par les états des sections (qui sont, à mon avis, presque plus importants que les plans). Or bien souvent ils ne sont pas en ligne. Avec les plans seuls tu ne peux rien faire. Voir ici quelques exemples d’usage du cadastre en généalogie.

 

Pour finir, je n’ai qu’un seul conseil à te donner : va aux archives et fais-toi plaisir !