« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 13 mars 2015

#Généathème : capsule temporelle

Dans mon grenier virtuel (cf. précédent article du blog), j'ai aussi trouvé un vieux coffre dans lequel il y a :
  • un plat d'étain.
  • une chemise.
  • un paire de pinces.
  • un drap.
  • un fer de pelle.
  • une clé.
  • une petite pièce de cuir soyeuse et un cuir fort.
  • une petite bourse de peau contenant une pièce.
  • deux pièces de bois et quelques petits outils.
  • trois cartons de différentes tailles portant des dessins paysagés. 
Dessin n°1
  • quelques clous.
  • un fragment de papier à demi effacé et taché, trace d'un partage rédigé devant notaire.
  • une paire de souliers.
  • un couteau dont la gravure du manche se devine à peine.
  • et une lettre, qui a malheureusement pris l'eau et dont le contenu s'est effacé

J'ai donc décidé de mener l'enquête sur le propriétaire de cette boîte mystérieuse.

Dans le coffre on distingue quatre séries d'objets : du linge, des papiers, des objets usuels et des outils.
  • Du linge :
Une chemise, une pièce de drap (souvent appelé "linceul" dans les inventaires de Haute-Savoie), une paire de souliers. Ces vêtements et linge sont assez anonymes et ne révèlent rien, à première vue, du propriétaire du coffre.
Les pièces de cuir sont plus singulières. Elle ne semblent pas former de vêtement terminé : était-ce des chutes ou des éléments d'un habit non façonné encore ?
  • Des papiers :
La lettre, sans doute laissée par le propriétaire du coffre, ne m'apprendra rien car l'eau a effacé le texte. Peut-être était-ce une dédicace ? Un papier officiel ? Je ne le saurai jamais.

Le papier déchiré est un fragment de partage, acte rédigé devant notaire. Le nom a disparu sous une tache. Le lieu n'est pas précisé (ou en tout cas pas visible). La date que l'on remarque en haut à gauche est à demi effacée mais commence par mille sept cent; ce qui nous place au XVIIIème siècle.
Dessin n°2

Des trois cartons dessinés, deux restent assez mystérieux à première vue, si ce n'est que ce sont des paysages de montagne avec l'un une église dans un village ("dessins n°2") et l'autre une chapelle dans la nature ("dessin n°3"). Le troisième, en revanche, me met sur une piste ("dessin n°1") : au premier plan on distingue un village et sur le ciel se détache une montagne pointue. On retrouve d'ailleurs sa silhouette sur le dessin n°2. Nombre de mes ancêtres ont vécu sous son ombre protectrice : reconnaissable entre toutes, cette montagne est le Criou, qui surplombe la ville de Samoëns en Haute-Savoie.

Je sais donc désormais que le propriétaire du coffre a vécu à Samoëns au XVIIIème siècle.
  • Des objets usuels :
La clé a perdu sa serrure (j'ai vérifié : ce n'est pas celle du coffre), mais on trouve souvent, dans les inventaires ou contrats de mariage, des meubles fermant à clé. Si le meuble a été perdu, cette clé est sans doute le dernier témoin de ce mobilier traditionnel.
Le plat d'étain, lui, est beaucoup moins courant, signe d'un certain niveau de vie, quand on trouve plus couramment de la vaisselle de terre, voire de bois.
La présence du couteau n'est pas étonnante. C'était souvent un ustensile personnel, que l'on emmenait avec soi. D'ailleurs, généralement on n'en trouve pas dans les inventaires car il n'est pas impersonnel comme le sont les cuillères [ 1 ]. Souvent personnalisé : il n'était pas rare qu'il soit gravé d'un motif ou du nom du propriétaire. Ici, on le devine, mais trop effacé sous l'usage quotidien, l'inscription n'est plus lisible.
La pièce contenue dans la petite bourse de cuir se révèle être, après enquête, un "quart de patagon" : le patagon est une monnaie d'argent que l'on retrouve dans les royaumes espagnols (donc frappée jusque dans les Flandres ou la Franche-Comté). Elle vaut environ trois livres tournois.
La pelle est un objet assez courant dans les inventaires. Celle-ci a perdu son manche de bois et n'a conservé que sa palette de fer.


Dessin n°3
  • Des outils :
Ce sont les outils qui nous donnent la clé du mystère : une paire de pinces, des clous, des petits outils (sorte de canifs et petits marteaux) et surtout les pièces de bois. Ce sont des structures articulées ayant la forme d'un pied, destinées à être placées dans une chaussure pour en élargir une partie ou parfaire sa forme.
Ces outils sont caractéristiques du métier de cordonnier.
D'où la présence de souliers et de différentes pièces de cuir, que j'avais prises pour des vêtements tout à fait communs, au premier abord, mais nettement plus significatifs dans une malle de cordonnier.

Nous recherchons donc un cordonnier ayant vécu à Samoëns au XVIIIème siècle.


A partir de ce moment, aucun problème pour résoudre l'enquête : une simple requête dans mon logiciel de généalogie avec le métier, le lieu et la date.

Seuls deux cordonniers ressortent dans les résultats : un père et son fils. Jean Moccand (1662/1742) et son fils Jean Michel (1701/1755). D'après les actes notariés en ma possession les concernant (inventaires, testaments, contrats de mariage, etc...), le coffre a sans doute appartenu au père. En effet, Jean a bien réalisé un partage en 1727. De plus, ces objets se retrouvent dans un inventaire réalisé par lui et son épouse, en 1737 en vue d'un futur héritage [ 2 ]. Ces objets ont donc été réunis du vivant du père ou par son fils.

Dans quel but ? Nous ne le saurons jamais. Mais grâce à ce coffre, le souvenir de Jean et de Jean Michel est parvenu jusqu'à nous...


[ 1 ] Rappelons que la fourchette, introduite par Catherine de Médicis ou Henri III (selon les légendes), met du temps à se populariser dans les foyer les plus humbles. Sa diffusion massive ne se fait véritablement qu'à partir du XVIIIème siècle.
[ 2 ] Ou tout au moins la plupart de ces objets figurent dans l'inventaire : quelques uns ont été ajoutés pour les besoins de l'enquête !

3 commentaires:

  1. Félicitations pour cette enquête très originale et très bien racontée qui nous mène du coffre à son propriétaire !

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  2. J'aime beaucoup cette façon romanesque d'aborder la généalogie, sans négliger la rigueur de l'enquête. Bravo !

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  3. Détective efficace et bonne conteuse pour saluer ces cordonnier de Samoëns

    Fanny-Nésida

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