Sur les pas de Cécile
Donc après l’armée Augustin, le mari de Cécile, est employé de commerce chez son (très vite) futur beau-père (voir la lettre B de ce ChallengeAZ pour ceux qui ne suivent pas). Rien ne nous dit qu’il n’aimait pas son beau-père (chez qui il vivait) ni son travail. Et rien ne nous dit le contraire. Toujours est-il que deux ans après son mariage, Augustin se fait grive (gendarme en d’autres termes). Mon hypothèse à moi c’est que c’était quand même un gars qui avait la bougeotte et voir du pays ça ne le rebutait manifestement pas. J’en veux pour preuve son engagement volontaire à l’armée (voir la lettre K : attendez un peu ça va venir) et ses multiples déménagements (lettre D : ça vous pouvez y revenir de suite, c’est déjà publié). OK nécessité fait loi (il faut nourrir sa famille), mais quand même.
Donc Augustin s’engage dans la gendarmerie. Comme papa. Et oui son père, Pierre Jean, était lui aussi gendarme. Originaire de Conques (Aveyron), il a été nommé direct en Corse, qui n’est pas précisément la porte à côté.
Augustin, lui est nommé « gendarme à pied à la compagnie de Maine et Loire » (c’est moins loin vu qu’il habite à Angers) en février 1877. Je l’imagine le képi vissé sur la tête, l’uniforme impeccable, la moustache frétillante. Les critères d’admission pour un gendarme, à l'époque, c'était pas la rigolade : 1. d’être âgé de 25 ans à 45 ans ; 2. de savoir lire et écrire correctement ; 3. d’être ou d’avoir été militaire 4. d’être porteur d’un certificat de bonnes mœurs, de bravoure, de soumission exacte à la discipline militaire et d’attachement à la République ; 5. d’être au moins de la taille de 1 mètre 69 centimètres.
Je jubile au passage de savoir que mes ancêtres avaient de bonnes mœurs.
C'était pas écrit noir sur blanc qu’il fallait du pèze pour être admis, mais sans un rond, t’avais beau te pointer, t’avais qu’à te rhabiller : le nouveau condé ne pouvait pas être totalement à la ramasse, puisqu’il était tenu de s’équiper à ses frais. Il y avait bien des aides et des avances, mais fallait quand même pouvoir aligner entre 150 et 1 000 francs, selon l’époque et selon l’arme où tu entrais. Pas donné, hein ! Au milieu du XIXème siècle, l’hirondelle touchait environ 1 000 francs par an tout net (pendant qu'un ouvrier agricole se faisait rarement 400 francs). OK, ça vaut le coup, à condition d’avoir pu raquer pour t’offrir le harnais de grive.
Augustin prête serment devant le tribunal de première instance d’Angers le 12 mars 1877. Ça serait cool de retrouver ça un jour. Note pour plus tard.
Sa première affectation est à Beaufort en Vallée, à un peu plus de 30 km à l’Ouest d’Angers. Pendant son service à Beaufort, il reçoit une citation à l’ordre du jour : « Verdie, maréchal des logis, Page, Chiappini, Astié et Godu, gendarmes, à Beaufort (Maine-et-Loire). Le 2 juin, mis à l'ordre de la légion pour avoir fait preuve de beaucoup de courage et d'un grand sang-froid en sachant s'emparer sans accident d'un fou furieux qui, armé d'un couteau et après avoir tué ou blessé grièvement six personnes, causait une panique générale dans l'hôpital où il était en traitement et menaçait quiconque l'approcherait. » C’était un petit peu chaud quand même. Quand t’étais cité à l’ordre du jour, t’avais droit à un papier officiel, lu devant la troupe, mais rien de clinquant sur l’uniforme, hein, juste de la paperasse pour ton dossier, histoire de gonfler l’ego. Adieu les rêves de breloque au revers !
Deux ans plus tard on le retrouve à la Possonière, à une cinquantaine de kilomètres à l’Est.
Bon, la loi et l’ordre il en a sans doute vite ras la casquette (le képi pour être précis), ou bien ça ne nourrit pas assez son homme, puisqu’il démissionne dès 1880 (« congédié par acceptation de démission » au mois d'octobre). Il se retire à Angers où il devient employé de fabrique (ça c’est d’après l’acte de décès d’une de ses filles, merci la paperasse qui te balance les vérités en douce). Un autre genre de bataille, mais une bataille quand même, sans doute pour un salaire de misère. Ça me turlupine mais manque de bol je ne sais pas de quelle fabrique il s’agit. En tout cas, ça dure pas longtemps.
L’année suivante (1882) changement de cap : il revient dans le giron de la sécurité, mais cette fois en tant que garde particulier d’une compagnie minière, à 500 km d’Angers, à Aubin (dans le bassin minier de Decazeville). C’est sans doute papa qui lui a trouvé ce job, car il y était lui-même garde mine. Le boulot ? Surveiller les puits, empêcher les chapardages de charbon — parce qu’il faut dire qu’à l’époque, les familles crevaient la dalle, alors piquer un peu de charbon pour se chauffer, c’était tentant. Les mineurs, eux, avaient leur part, mais les paysans d’à côté, ben, y grattaient ce qu’ils pouvaient dans les tas de rebuts.
Bon, parlons un peu du bassin minier : Go ! La ville et le nom de Decazeville sont récents : avant, c’était qu’un ramassis de hameaux, dont le plus gros s’appelait La Salle. C’est que ça sentait encore la cambrousse à plein nez. Déjà au XVème siècle, les proprios du coin grattaient les « charbonnières », des petites mines creusées dans la colline. Leurs domestiques s’y mettaient l’hiver, histoire de ne pas se geler les miches. Au XVIIème siècle, ça commence à s’organiser la mine en France. On étaye les galeries, on descend plus profond, on devient sérieux : le charbon, c’est le nouveau trésor du pays. Et v’là qu’arrive le duc Decazes (1780-1860). Un malin celui-là, ministre sous la Restauration, qui avait mis les pognes sur des mines et découvert la sidérurgie en Angleterre. Il rachète des concessions, fonde en 1826 les « Houillères et Fonderies de l’Aveyron », et bing ! en 1834, tout le bazar (les mines et les baraques autour) devient une commune, baptisée Decazeville, du nom du bonhomme, évidemment. ça devient rapidement la plus grosse usine sidérurgique de France : en 1850, 18 hauts fourneaux crachent leurs fumées dans tout le bassin. Mais ce coin de l’Aveyron reste assez paumé. Les gars du cru, la plupart, c’était des manœuvres agricoles. Le métal, la mine, tout ça, ça les bottait pas des masses. C'était au mieux une activité secondaires, mais y passer sa vie la-dedans, ça non merci. Résultat, fallait faire venir des ouvriers d’ailleurs, payés plus cher, sinon ça tournait pas. Augustin a dû profiter de cette aubaine. Un bon plan pour un gars qui cherchait du boulot et de quoi faire vivre sa tribu.
En 1888 Augustin (et sa famille forcément, tout le monde suit) revient à Angers. Il devient journalier au gaz (autrement dit allumeur de réverbères). Je l’imagine assez facilement, chaque soir, au crépuscule, parcourir un itinéraire spécifique pour allumer les réverbères à gaz, avec sa longue perche munie d'une mèche enflammée pour atteindre les lanternes. Puis, au lever du jour, refaire l’itinéraire en sens inverse pour les éteindre. Un de ces gagne-pain qui, avec l'avènement de l'électricité à la fin du XIXème siècle, a progressivement disparu. Un boulot un peu poétique, une sorte de ballet nocturne dans les rues sombres.
Après ça, ça semble être la dégringolade : Augustin enchaîne les boulots, jamais plus d’un ou deux ans à la même place. Pas de sécurité, juste la promesse d'une journée de taf, d'un peu de fric pour bouffer le soir et remettre ça le lendemain. Il prend ce qui vient, sans rechigner, parce que le ventre ne ment pas et que les gamins attendent au foyer. La vie, c'était ça : une lutte constante, une course à l'emploi, une succession de petits boulots pour survivre.
Hélas les métiers qu’exerce Augustin pendant cette période, c'est un peu comme un brouillard épais : ils sont plus flous qu'une photo prise avec des moufles. Employé (où, bon sang de bois ?), journalier (dans quoi, nom d'une pipe ?). La seule indication que j’ai c’est en 1901 : il est journalier dans la manufacture de Max Richard, une filature mécanique de chanvre d’Angers. Pas besoin de gamberger longtemps pour deviner que ça me contrarie fort de ne pas en savoir plus sur les boulots de ce brave Augustin. C'est comme avoir la recette du ragoût sans savoir quels légumes y mettre !
Derrière cette errance, je sens pointer la pauvreté, comme une maladie insidieuse qui te tombe dessus sans prévenir et qui te cloue au sol. C'est le ventre serré par la faim, le loyer qui pèse comme une enclume, la dignité qui fout le camp à chaque fin de mois. C'est une vie d'adaptation, de débrouille. Il galère, mais Augustin se bat tous les jours, pour un repas, un toit, un peu de chaleur humaine. Une vraie vie de chien, quoi, mais avec la rage de vaincre.
J’en veux pour preuve sa décision de partir pour la région parisienne, à pinces selon la légende familiale, afin de trouver du travail, puisque l’horizon semble bouché à Angers. Et ça, c'est pas une mince affaire ! Pourquoi à pied ? Il n’avait sans doute pas les moyens de se payer un billet de train, le pauvre. Il faut alors une dizaine de jours pour rejoindre Paname. Plutôt courageux comme démarche, je trouve. Ça, c'est un homme qui ne recule devant rien pour faire bouillir la marmite ! Il se fixe d’abord à Ivry, ce coin de banlieue où de grandes usines drainent une main d’œuvre nombreuse : les automobiles Panhard et Levassor, les forges Lemoine, l'usine SKF de roulements à billes, les tuileries Muller, la Compagnie générale des lampes à incandescences, et j'en passe. Un nid à boulots, mais des boulots de force. Il y sera journalier. Il travaille sans doute dans l’une d’elles, là où y a besoin d’un mec qui ferme sa gueule et qui soulève plus que ce qu’il peut. Et ça, y en a toujours. Il termine sa vie à Paris, dans le 13ème (arrondissement qui jouxte Ivry), toujours journalier, juste avant la Grande Guerre, en juin 1914. Il avait 62 ans.

Le genre de parcours tellement chaotique qu'il n'est pas facile à suivre et à décoder pour nous descendants... Un homme courageux en tout cas, ça ne fait pas de doute.
RépondreSupprimerDe boulots en job divers ... Une vie pas simple contée d'un ton alerte
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