« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 8 novembre 2025

H comme hélas vient la mort

Sur les pas de Cécile 


    Cécile a été entourée par la mort, cette vieille roublarde qui l’a suivie à distance, les mains dans les poches, l’air de rien. Elle s’est incrustée sans toquer dans la vie de Cécile, comme une cousine indésirable. Elle est venue quand elle a voulu, et elle est repartie sans se retourner. C’est une histoire bien triste, une litanie de départs qui vous donnerait le cafard même sous les tropiques.  


Enterrement © Création personnelle d'après Bing 

 

    Si elle n’a probablement pas connu ses grands-parents paternels, restés en Aveyron, elle a sans doute connu ceux de la branche maternelle. Elle était adolescente lorsqu'ils ont claqué leur bilan. Peut-être a-t-elle assisté à leurs obsèques, qui ont eu lieu à Candé (à une quarantaine de kilomètres d’Angers). Un petit voyage pour un dernier adieu, dans une charrette qui sentait la sciure et la tristesse.

    Elle a 21 ans quand son père prend un billet aller simple, direct, sans escale, vers l'inconnu. Un voyage pour lequel il n’a pas eu le temps de faire ses valises. Ça dû être plutôt brutal, vu qu’il n’avait de 47 ans. Cécile était déjà mariée et vivait alors à la gendarmerie de la Possonière avec son mari, à une vingtaine de kilomètres d’Angers. A-t-elle pu assister à son enterrement (elle était enceinte de 6 mois de son 3ème enfant) ? Mystère et boule de gomme. Les routes étaient longues, les ventres ronds, les charrettes cahoteuses.

    Sa mère plie son parapluie en 1909 à Angers. Mais Cécile habite alors en région parisienne : elle ne fait probablement pas le déplacement pour les funérailles vu qu’elle donne procuration pour l’inventaire après décès.

 

    Mais si la mort des générations précédentes reste normale (bien que douloureuse), c’est celle des descendants qui est plus tragique. Or Cécile a perdu de nombreux gosses.

    4 sont décédés en bas âge : Ernest n’a vécu que 9 semaines, Thérèse et Marie 17 mois, Alexandre 5 ans. Deux de ces enfants sont décédés à 12 jours d’intervalle, autant dire que l’année 1881 a dû être vachement difficile pour Cécile. Un coup de poignard en plein cœur, deux fois de suite. Ça, c'est le genre de truc qui te marque une femme à vie.

    Faisons ici un rapide point scientifique : faut savoir que pendant des plombes, les maladies et les fièvres, ça faisaient un carnage chez les marmots. À peine sortis du berceau qu’ils passaient l’arme à gauche, les pauvres chéris. Évidemment les prières ou les recettes à base de jaune d’œuf prescrites par les guérisseurs c'était pas la panacée. Appeler un toubib, c’était rarissime — et souvent trop tard : quand il débarquait, le mioche avait déjà tiré sa révérence. Dans les années 1860, le taux de mortalité infantile en France est de 22 % (avec diverses disparités régionales). Un gosse sur cinq qui calanchait avant de souffler sa première bougie, ça calme, non ? À partir de 1870, on commence à piger deux-trois trucs : les accouchements se font à l’hosto, on se nettoie les mains, on stérilise l’bazar, on vaccine les loupiots et on surveille les nourrices d’un peu plus près. Bref, c'est le progrès ! Et ça améliore vachement les conditions de (sur)vie des nouveau-nés. A la veille de la Première Guerre mondiale la mortalité infantile est tombée à 11 % à peu près. Pas parfait, mais c’est toujours ça de pris. Hélas la Faucheuse restait une invitée régulière dans les foyers.

    Ces morts répétées de nourrissons, les gens ne les voyaient pas comme nous. Un môme qui partait trop tôt, c’était triste, ouais, mais c’était dans l’ordre des choses. Faut dire qu'à l'époque, l’individu était moins valorisé que de nos jours : sa survie personnelle comptait moins que celle de la famille, la lignée. On se doutait qu’il y en aurait toujours un pour reprendre la relève. Dans la tête des anciens, la vie, c’était comme une chaîne qui doit perpétuer l’espèce : chacun son tour, un maillon après l’autre. Tu nais, tu bosses, tu donnes la vie, pis un jour, tu tires ta révérence pour que les suivants prennent ta place. On n’existe que si on a vécu assez longtemps pour donner la vie à son tour. Chaque morpion qui naît est destiné à remplacer un de ses grands-parents déjà âgé, ou sur le point de caner. C’est pour ça que le fatalisme accompagne les familles et la société, qui voient chaque année calancher des dizaines de milliers de nourrissons. C’était pas la fin du monde — juste la vie qui continuait, comme d’hab. Voilà, le point scientifique c’est fini.

 

    Mais les épreuves ne sont pas terminées pour Cécile : son mari clamse en mai 1914. Elle 56 berges et se retrouve probablement à la rue, vu qu’en août elle s’est déjà fait la malle.

    Et en août, c’est aussi le début la Première Guerre Mondiale. Vous me voyez venir, avec mes gros sabots ? Le grand bordel, la boucherie, le carnage. Ses fils qui avaient fait leurs temps militaires sont rappelés à l’activité. Ceux qui avaient été ajournés sont finalement acceptés. Et ceux qui n’avaient pas encore été appelés l’ont été plus vite que prévu. Bref, les 6 fils encore vivants de Cécile ont tous été sur les champs de bataille de 14/18. Et devinez quoi ? C’était chaud pour leurs fesses. Spoiler : trois n’en sont pas revenus. Pour savoir comment ça s’est (mal) passé pour eux, rendez-vous aux lettres W et X de ce ChallengeAZ. Préparez vos mouchoirs, ça va chialer dans les chaumières.

    Petit tour de piste de qui est là et qui est pas là après la Première Guerre Mondiale (je donne que les premiers prénoms, sinon on va pas s’en sortir) :

    Cécile est veuve de son mari Augustin ; Alexandre, Marie, Élie, Ernest, Thérèse, Benoît et Alexandre sont claqués. Restent Louis, Marie, François et Augustin (le fils, qui s’appelle comme son père tant qu’à faire, histoire de semer la confusion).

    Bref, c’est pas super rigolo pour Cécile de perdre tant d’enfants. Et c’est pas parce que c’était courant à l’époque que ça rend la chose plus fastoche. La douleur, elle, ne se mesure pas à l'aune des statistiques.

    Et la mort n’en n’a pas fini avec Cécile : à la génération suivante, elle perd de 11 de ses petits-enfants. Elle a elle-même déclaré le décès de deux d’entre eux. J’espère que dans la balance, la douleur a pesé moins que les souvenirs heureux gravés dans le cœur des vivants.

    Trop triste, j’vous disais. Une vie entière à enterrer les siens, c'est pas une vie, c'est un chemin de croix.

 

 

 

2 commentaires:

  1. J'ai du mal à croire au fatalisme à vrai dire. Je n'imagine pas qu'un parent puisse traverser ça sans être dévasté...

    RépondreSupprimer
  2. D'où l importance de la religion à l'époque...Dieu l'a donné Dieu la repris, nous ne sommes rien...tel était l'état d'esprit ou du moins ce quon répétait à l'infini

    RépondreSupprimer