« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 22 juillet 2022

#52Ancestors - 29 - Benoît Astié

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 29 : Votre généalogie côté insolite

 

En 1910, alors que les Parisien se remettent de la crue centennale, dans la banlieue le mal rôde !

L’affaire est rendue publique par un article du 17 novembre 1910 paru dans le Petit Parisien. Il est intitulé « la caverne des huit voleurs ». A Ivry depuis plusieurs jours ce n’est « que déprédations et larcins ». Leurs auteurs étaient recherchés, en vain. Quand enfin une descente de police « dans une cabane » s’élevant « non loin du fort d’Ivry, dans un terrain vague » fit main basse sur les truands. « Ils étaient huit ».

« Ces garnements », venus d’horizons divers, réunis par le goût du crime, s’y étaient « construit un repaire ». Pour cela, ils n’avaient pas hésité à dévaliser « les entrepôts de bois – emportant madriers et planches » et ériger, « en quelques jours », leur cabane.

Immédiatement ces brigands furent envoyés au dépôt. 


« Ce sont :

  • René Fabreguette, dessinateur, sans domicile,
  • Charles Lisseau, domicilié place Bernard Palissy, à Ivry,
  • Jacques Favier,
  • Alexandre Ungeman, maçon
  • Georges Royer, couvreur, tous deux habitant avenue des écoles à Vitry,
  • Benoît Astier, maçon, rue Raspail, à Ivry,
  • Gustave Aveline, 25 rue Parmentier, également à Ivry,

Le plus âgé de ces malfaiteurs a vingt ans et le plus jeune dix sept. »

Article paru dans Le Petit Parisien du 17 novembre 1910, puis La Lanterne du 19 et Le Parisien du 24.

On notera que la presse ne cite que 7 des ces « 8 voleurs ».

 

Oups ! Benoît Astier ?!

Son nom est orthographié Astier et non Astié, mais c’est bien tonton Benoît !

Et c’est ainsi que j’ai découvert que mon tonton était un brigand. Enfin, quand je dis tonton c’était en fait le petit frère de mon arrière-grand-père.

Tonton Benoît était donc un brigand. Un vaurien. Un gredin.

 

Fils d’Augustin et Cécile Rols, Benoît est né en 1892. Son père, journalier, passa sa vie à chercher un emploi suffisant pour nourrir les siens. C’est ainsi qu’il quitta son Anjou natal pour se rendre (à pieds, dit la légende familiale) en région parisienne. Après avoir trouvé du travail et un domicile, rue Raspail, à Ivry, il fit venir toute sa famille. Benoît, lui, devint garçon maçon. Il était de taille moyenne (1,62 m), avait les cheveux châtains foncés, les yeux marron, le nez rectiligne, le visage ovale. Il savait juste lire et écrire. Au moment des faits il avait 18 ans.

 

Et, de toute évidence, il avait de mauvaises fréquentations. J’ai pu retracer les parcours de ces « malfaiteurs » :

  • René Fabreguette, le dessinateur sans domicile, était âgé de 20 ans. C’est le plus âgé de la bande. Né à Neuilly s/Seine, il était plus précisément « dessinateur en affiches ». Mesurant 1,73 m, il se distinguait par une cicatrice à la joue gauche, sans doute un souvenir de son passé tumultueux. En effet en mai 1910 il avait déjà été condamné par le tribunal de la Seine à 4 mois de prison. Il n’a pas perdu de temps : sorti en septembre, à nouveau condamné en décembre !
  • Charles Lisseau, le second gangster, étaient deux ans plus jeune. Né lui aussi en banlieue parisienne, à Saint-Ouen, au Nord de Paris. Il était journalier. Lui aussi avait une cicatrice, à la gorge, mais elle serait d’origine médicale, trace d’une ancienne opération.
  • Jacques Favier était originaire de Seine et Marne. Âgé au moment des faits de 13 ans seulement (donc plus jeune que ce qu’indiquait la presse). Plutôt grand (1,79 m), il était garagiste.
  • Alexandre Ungeman était maçon. Il demeurait avenue des écoles à Vitry. C’est le seul que je n’ai pas retrouvé : sans doute son patronyme a subi quelques dommages lors de son passage dans la presse…
  • Georges Royer, couvreur, habitait lui aussi avenue des écoles à Ivry. Il avait 16 ans*.
  • Gustave Aveline s’appelait en fait Gustave Edeline. Originaire d’Ivry, il était journalier, avait 19 ans.

 

Comment se sont-ils rencontrés ? Ils sont de la même génération, habitent des villes voisines. Plusieurs d’entre eux sont du bâtiment (maçons, couvreur, journaliers) : peut-être se sont-ils connus sur un chantier ?

 

Et qu’en est-il de l’affaire des 8 voleurs ? Je n’ai pas trouvé trace d’un procès, mais plusieurs de nos vauriens ont été condamnés en décembre 1910 :

  • René Fabreguettes a eu 3 mois pour vol et vagabondage.
  • Charles Lisseau a été condamné à la même date à 3 mois avec sursis pour « vol, vol de récolte et vagabondage ». Récidiviste, il est à nouveau condamné pour vol à 4 mois de prison ferme en janvier 1913.
  • Jacques Favier, malgré de brillants états de service à l’armée, n’a pas perdu ses mauvaises habitudes de jeunesse : en 1957 il est condamné par le tribunal de la Seine à 15 000 francs d’amende pour vol (peine aggravée par ses deux condamnations antérieures : je n’ai pas de détails sur celles-ci, mais peut-être que l’affaire de 1910 en fait partie).
  • Gustave Edeline a été condamné à 3 mois de prison pour vol.

Ces peines sont sans doute la suite de notre affaire.

 

L’édition du 23 novembre 1910 du Petit Parisien revient sur l’affaire :

« Le jeune Benoît Astié, compromis dernièrement dans l’affaire que nous avons racontée sous le titre "la caverne des huit voleurs" n’a pas été envoyé au dépôt. Sa culpabilité en la circonstance n’ayant pas été démontrée, il a été remis en liberté par M. Carré, ainsi que trois autres des individus arrêtés. »

 

Tonton Benoit n’est donc pas passé par la case prison et n’a pas été condamné en décembre 1910. Cependant, lors de son intégration dans l’armée, en 1913, il fut envoyé dans un Bataillon d’Afrique, histoire de le mater. Les « bat d’af » recevaient les civils ayant un casier judiciaire non vierge ou recyclaient les militaires condamnés à des peines correctionnelles.

 

Mais ni l’histoire des « huit voleurs » en 1910, ni son affectation « disciplinaire » à l’armée n’ont assagi le tonton brigand, comme son casier le prouve :

  • Condamnation le 23 juin 1911 par le tribunal de la Seine à deux mois de prison pour vol.
  • Condamné par le conseil de guerre de Tunis le 11 août 1914, coupable d'abandon de poste étant de garde, à un mois de prison.
  • Condamné à nouveau le 4 février 1916 par le conseil de guerre de Tunis à un mois de prison, coupable d'avoir volontairement porté des coups et blessures sur la personne du chasseur Vasse.

 Tonton Benoît était un brigand !

Il reste cependant - aussi - un brave soldat, ayant obtenu la médaille coloniale avec agrafe "Tunisie" en 1917. Blessé une première fois en 1915, il est finalement tué sur le champ de bataille le 5 avril 1918 à Cantigny (Somme) – Mort pour la France. Sa sépulture est à la nécropole nationale de Montdidier.

 

 

* Si c’est bien lui : un léger doute subsiste.

 

 

 

vendredi 15 juillet 2022

#52Ancestors - 28 - Marie Louise Jay

Article disponible en podcast !


 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 28 : Des personnages hauts en couleur ? Marquants ?


A l'occasion de cette vingt-huitième semaine du challenge #52Ancestors dont le thème est "des personnages marquants de votre généalogie", je ressors le portrait de Marie-Louise Jay, co-fondatrice des grands magasins "La Samaritaine".  

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Marie-Louise Jay se trouve un peu loin dans mon arbre : il faut remonter 12 générations pour nous trouver un ancêtre commun. Cependant elle est bien de la famille de mon arrière-arrière-grand-mère, née Jay. Cette famille est depuis la nuit des temps originaire de Samoëns (Haute-Savoie). Marie-Louise y est née le premier juillet 1838. Son père, Aimé, est maçon (une spécialité locale) et sa mère « campagnarde ». Elle est la huitième de neuf enfants. Comme nombre de Savoyards, elle quitte le domicile familial pour la capitale afin de chercher du travail. Elle est assez jeune, 15 ans semble-t-il, mais elle est accompagnée d'une tante et d'un cousin. Elle est embauchée comme vendeuse à La Nouvelle Héloïse, une boutique de lingerie féminine avant d’intégrer le personnel du Bon Marché. Rapidement elle grimpera les échelons et y deviendra première vendeuse au rayon confection. 

 

Marie-Louise Jay, 1903 © Wikipedia, Siren-Com
Marie-Louise Jay, 1903 © Wikipedia, Siren-Com 

En 1856, elle fait la connaissance d’Ernest Cognacq, un provincial lui aussi (il est originaire de l’Ile de Ré) monté à la capital pour faire fortune. Après avoir exercé divers métiers de vendeur pour un patron ou pour son propre compte, Ernest Cognacq était devenu calicot (un vendeur de nouveautés pour la clientèle féminine) dans une petite boutique sur le pont Neuf appelée « corbeille ». C’est alors qu'il s'entendit avec le propriétaire d'un petit café qu'il fréquentait rue de la Monnaie pour louer, à partir du 21 mars 1870, sa salle annexe peu utilisée et en faire un petit commerce de nouveautés : c’est la naissance de son échoppe « À la Samaritaine ». Le premier avril suivant la boutique s'agrandissait déjà. 

Le nom de la Samaritaine provient de la fontaine qui se trouvait à cet endroit. En effet, sur le Pont Neuf se situait une pompe à eau dont l’existence remontait à Henri IV. Cette pompe était décorée d'une représentation de l’épisode évoquant la rencontre de Jésus et de la Samaritaine au Puits de Jacob. Le tout était surmonté d'une horloge, puis plus tard d'un carillon. Elle a été détruite en 1813. 

Marie-Louise et Ernest se marient, le 18 janvier 1872 à la mairie du Vème arrondissement. Mais Marie-Louise ne se contente pas d’être une bonne épouse et tenir le ménage pendant qu’Ernest fait fructifier les affaires : elle a aussi le titre de directrice et propriétaire du magasin. Tous deux sont dotés de la bosse du commerce, d'un indéniable don d'anticipation et d'un véritable sens de l'entreprise. La petite boutique des débuts se transforme ainsi petit à petit en véritable empire, constitué de plusieurs magasins, répartis en quatre îlots voisins. 

En effet, entre 1852 et 1870, les halles de Paris se sont modernisées avec la construction des dix pavillons de Baltard. Le couple profite de l'achèvement de ces travaux et de l'attractivité de plus en plus évidente du quartier pour agrandir et moderniser leur entreprise. Le premier magasin en 1883, puis le deuxième en 1903 sont aménagés dans un style contemporain, de type Art nouveau. À l’apogée de son rayonnement commercial, la Samaritaine se compose d’un ensemble de quatre magasins-îlots, situés entre le quai du Louvre et la rue de Rivoli. Initiées en 1883, l’installation, la construction et la reconstruction de ces édifices hétérogènes sur les bords de la Seine s’étalent sur une cinquantaine d’années. 

En matière d’architecture le couple Cognacq-Jay se révèle novateur : à partir de 1885 Ernest Cognacq fait appel à l’architecte Frantz Jourdain pour l'aménagement, l'agrandissement et la transformation des nouveaux magasins. Associés avec Marie-Louise, ils conçoivent dans les années 1903-1904, un plan directeur pour encadrer le réaménagement et l’extension des surfaces regroupées, ainsi que la colonisation des îlots voisins. Une architecture de métal et de verre à la mise en œuvre rapide se substitue de proche en proche à la construction traditionnelle. La couverture des cours au moyen de verrières et la propagation des planchers de verre permettent une colonisation des nouvelles parcelles. Le magasin y gagne en volume et en luminosité, phénomène très remarquable jusqu’à la généralisation de l’éclairage électrique. La longévité des planchers de verre jusque dans les années 1980 atteste de l’étonnante performance technique du procédé, assuré par Saint-Gobain. La Samaritaine s’enrichit ensuite de deux grands halls rectangulaires à escalier monumental qui n’ont pas leur égal dans tout Paris. Éclairé d’une immense verrière commune, cet atrium double très dessiné deviendra l’espace intérieur identitaire de l’ensemble des quatre magasins. Les proportions de cette cathédrale du commerce participent de l’exaltation d’une marchandise foisonnante et tentatrice. C’est l’invention d’une mise en scène novatrice, où la clientèle est invitée à parader : désormais on va au grand magasin autant pour voir que pour être vu. 

Plan des 4 magasins de la Samaritaine © amc-archi.com
Plan des 4 magasins © amc-archi.com 

Marie-Louise Jay et Ernest Cognacq font partie de ces grands entrepreneurs commerciaux du XIXème qui révolutionnent le mode de consommation. Comme Marguerite et Antoine Boucicaut qui ont développé « Au Bon marché » (lire ou relire Au bonheur des Dames de Zola qui s’inspire de leur histoire pour s’imprégner de cette véritable révolution commerciale), les Cognacq-Jay comme on les appelle - car ils sont indissociables l’un de l’autre - savent que pour réussir il convient d'innover et d'offrir aux clients une nouvelle conception du commerce. Ils structurent leurs magasins en rayons autonomes, placé sous l'autorité d'un véritable responsable. Ils inaugurent une politique de faibles marges et développent la vente à crédit aux mêmes prix que les achats au comptant - ce qui ne se faisait pas ailleurs. S'inspirant des pratiques commerciales des Boucicaut, ils instaurent des périodes de promotion pour certains produits : deux fois par an, à l'automne et à la fin de l'hiver, ils organisent ainsi une vente d'articles nouveaux. Les prix sont fixes, et clairement affichés : on ne vend plus « à la tête du client ». C’est la révolution dans les rayons ! En revanche, plus question de négocier, de marchander, de discuter des remises : les prix sont les mêmes pour tous. Cependant les clientes pourront essayer les vêtements et, si elles le souhaitent, échanger la marchandise défectueuse. 

Ils développent également la vente par correspondance et la livraison à domicile : des catalogues sont édités afin que les clientes puissent faire leurs choix puis, à partir d'un entrepôt situé quai des Célestins, ils envoient les commandes grâce au chemin de fer et au bateau au départ de Marseille pour l'outre-mer. 

Catalogue A la Samaritaine, 1920 © tresorsdugrenier.canalblog.com
Catalogue A la Samaritaine, 1920 © tresorsdugrenier.canalblog.com 

Le couple confectionne méticuleusement un fichier de clients pour leur expédier un catalogue des produits de La Samaritaine. Les adresses sont collectées au fur et à mesure des gros achats opérés dans leurs magasins. Ils installent également un grand atelier de confection de vêtements pour hommes, où travaillent près de 500 ouvrières, afin de produire à coûts moins élevé. La politique de Marie-Louise et Ernest consiste à ne pas fermer complètement les magasins le dimanche afin que les familles qui se promènent ou déambulent dans le centre de Paris puissent y faire des achats. 

Les Cognacq-Jay ne sont cependant pas de bons samaritains (sans mauvais jeu de mot) : si des ristournes importantes, de l'ordre de 15 %, sont peuvent être accordées aux employés de La Samaritaine, ce n’est pas sans arrière-pensée mais pour qu'ils achètent sur place ce dont ils ont besoin et n’aillent pas à la concurrence. Tout employé à La Samaritaine a droit à quinze jours de congé par an. Par contre les Cognacq-Jay exigent beaucoup de leurs employés : un parfait professionnalisme et une tenue impeccable sont indispensables. Un carnet est remis à chaque employé, précisant ses obligations. Ainsi, il est obligatoire pour les hommes le port "de vêtements de nuance foncée; pas de cols mous ni de chemises de couleur. Les chaussures sont noires". Le personnel féminin doit revêtir des lainages discrets ; le noir et le blanc sont les seules couleurs admises. Un corps d’inspecteurs est recruté pour surveiller les étalages, mais aussi les employés ! Ils doivent veiller à la politesse du personnel à l'égard des clients et à leur tenue : "Pas de mains dans les poches ni de jambes croisées". Les Cognacq-Jay imposent en effet à leurs vendeurs une courtoisie sans faille. Ils sont persuadés que si les clients sont bien reçus, s'ils sont satisfaits de l'accueil, ils reviendront à La Samaritaine. "Quand un des rayons sous sa surveillance est encombré, l'inspecteur ne doit pas hésiter à prélever du personnel dans les rayons où il y a peu de clientes pour les faire débiter ou faire des ventes dans ceux où il y a foule. Une prime est accordée pour chaque débit", indique le règlement. Les instructions précisent aussi à chaque vendeur qu'il "ne doit sous aucun prétexte" quitter une cliente avant de "s'assurer qu'un autre employé s'occupe d'elle". La discipline est sévère, les écarts ne sont guère tolérés. Pendant le travail, les employés ne doivent pas bavarder entre eux, si ce n'est pour les nécessités du service. Naturellement, les absences sans motif ou répétées ne sont pas acceptées. Il n'est pas bon, dans ces conditions, de contester l'organisation ou les méthodes, ni de critiquer la discipline. Lorsqu'un salarié affiche trop ouvertement une appartenance syndicale, il est vite repéré et, s'il persiste, tout est mis en œuvre pour qu'il quitte l'entreprise. 

Marie-Louise et Ernest règnent, dirigent, ordonnent, veillent et surveillent en permanence. Pour eux, la vie, c'est d'abord et presque exclusivement le travail. Pendant que l'un prend son repas, l'autre assure une présence visible de tous. La Samaritaine est leur revanche sur la vie et sur leurs débuts difficiles ; c'est l'enfant qu'ils n'ont pu avoir, car leur mariage est resté infécond, sur lequel ils veillent jalousement et sans partage, attentifs à sa croissance. Marie-Louise est, de ce point de vue, l’égale de son époux. 

 Les Cognacq-Jay, devenus riches, vivent dans un hôtel particulier avenue du Bois-de-Boulogne. Mais cette réussite, ils entendent la partager avec leur personnel. En effet, s’ils peuvent se montrer durs et intransigeants, ils savent aussi être reconnaissants du travail effectué. À l'instar des Boucicaut, ils instituent l'intéressement aux bénéfices. En plus de leur salaire, les employés reçoivent un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé dans leur rayon. C’est ainsi que 65 % des bénéfices sont redistribués chaque année. Les Cognacq-Jay cèdent la moitié du capital aux salariés et l'autre moitié à la Fondation qu'ils créent en 1916 pour financer de nombreuses œuvres sociales et caritatives. Cette Fondation a pour mission de faire fonctionner une maternité, une maison de retraite, un "pouponnat" prenant en charge 40 enfants d'employés jusqu'à l'âge de cinq ans, un orphelinat pour 50 enfants, une maison de repos et de cure en montagne, des colonies de vacances à la mer et à la montagne pour les enfants du personnel, un musée, etc... Des allocations sont accordées aux familles dont l'un des parents travaille à La Samaritaine; elles varient en fonction du nombre d'enfants à charge. Des indemnités de maladie sont versées aux employés non assurés. Le prix Cognacq-Jay a été créé grâce à un don de 20 000 francs or donné à l'Institut de France, destiné aux familles nombreuses. 

 

Deux créateurs, une œuvre © encheres.parisencheres.com
Deux créateurs, une œuvre © encheres.parisencheres.com 

Marie-Louise n’a pas oublié son village natal de Samoëns : elle a apporté son aide à différentes actions (restauration de l’église par exemple) et a fondé la Jaÿsinia en 1906, jardin botanique alpin ouvert au public, classé jardin remarquable de France qui se visite encore aujourd’hui et permet d’admirer plus de 5 000 espèces végétales issues des différentes zones montagneuses des cinq continents. 

En 1920, pour ses actions d’œuvres de bienfaisance, Marie-Louise est nommée Chevalier de la Légion d’honneur. Elle reçoit la prestigieuse médaille grâce au rapport rendu par le Ministre de l’Hygiène, l’Assistance et la Prévoyance sociale… et en dépit d’une lettre calomnieuse signée d’un bon commerçant de la rue de la Monnaie ! Le motif d’attribution de la distinction sont les dotations attribuées aux familles nombreuses, la fondation Cognacq-Jay pour l’entretien d’œuvres existantes et la création d’œuvres nouvelles. 

On notera que son époux a été élevé au grade de chevalier de la légion d’honneur dès 1898, officier en 1903 et commandeur en 1922; lui aussi pour ses œuvres de bienfaisance. 

Alors que La Samaritaine prospère près du pont Neuf, les Cognacq-Jay visent à toucher une nouvelle clientèle, plus aisée : ils font construire dans un autre quartier de Paris un nouveau magasin inauguré en octobre 1917, boulevard des Capucines. Obéissant à un nouveau concept, La Samaritaine de luxe, est faite pour attirer une clientèle plus fortunée ou étrangère et populariser le luxe. 

Marie-Louise s’éteint dans son hôtel particulier du Bois de Boulogne, le 27 décembre 1925. C'est ainsi que disparaît une pionnière du commerce moderne. Son mari la rejoindra le 21 février 1928. 

À leur mort, le couple laisse une entreprise florissante de quelque 8 000 employés et de 48 000 m², la plus importante en terme de surface de vente. 

 

Sources : Wikipédia (dont M. Germain : Personnages illustres de Haute-Savoie), base Léonore, amc-archi.com

 

vendredi 8 juillet 2022

#52Ancestors - 27 - Jehan des Pradels

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 27 : Collatéraux

 

Aujourd’hui il est question d’une bénédiction.

Extrait registre paroissiaux de Conques 1649 © AD12

Le 29 Juillet 1649 a esté bénite la grande cloche
du chappittre par moy Jehan pradelz prestre et recteur
de Conques avec permission de Mr de patris
vicaire general de monseigneur de Perefixe
evesque de Rodez

 

Posons un peu le cadre. Nous sommes en 1649, au milieu de l’époque moderne, sous le règne de Louis XIV. Récemment monté sur le trône, nous sommes encore sous la régence de sa mère Anne d’Autriche.

Conques se situe en Rouergue (actuel département de l’Aveyron). Développée autour de son abbatiale, la ville est une importante destination de pèlerinage. On y vénère les reliques de Sainte Foy. C’est aussi une étape majeure sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle.

La ville a été construite par les moines. Elle était cernée de remparts, percés de portes fortifiées et flanqués de tours. Compte tenu du relief accidenté, la ville était constituée d’un réseau de ruelles étroites. Le commerce s’est développé autour de la halle médiévale. Hors les murs de la ville, se déployait l'unique faubourg où se concentraient les activités artisanales (moulins, tanneries) et les échoppes (drapiers, tailleurs, cordonniers). La communauté d'habitants s'est développée peu à peu, rassemblant marchands et artisans. Au XIVème siècle, la ville comptait environ 3 000 habitants, ce qui en faisait l’une des principales villes du Rouergue. Les laïcs se sont affranchis lentement de l'autorité religieuse en élisant tous les ans quatre consuls pour les représenter.

L’abbatiale des XI et XIIème siècles est une église typique de pèlerinage. Elle est restée célèbre, notamment, pour son tympan sculpté représentant une parousie (l'histoire du Salut et le Jugement dernier), son trésor dont la pièce maîtresse est la statue reliquaire de Sainte Foy et, plus récemment, ses vitraux modernes de Pierre Soulage. L’abbaye est d’abord placée sous les ordres bénédictins, avant d’être placée sous la responsabilité des chanoines séculiers de Saint Augustin au XVIème siècle. La nouvelle communauté bénéficie de moyens substantiels. Elle constitue une clientèle de choix pour les marchands et artisans conquois. Beaucoup de ces chanoines, d'ailleurs, désertent le monastère pour s'installer dans de belles demeures dans la cité. La ville connaît alors une période de prospérité. Mais les troubles liés aux guerres de religion (incendie) sont suivi d’épidémies (peste), de mauvaises récoltes et de famines. Conques se releva très mal de cette succession de calamités. La Révolution qui impose la dissolution de la communauté religieuse et la fermeture du monastère, marque la fin de la prospérité de la ville.

 

En 1649, période qui nous intéresse, les chanoines sont installés dans l’abbatiale depuis près d’un siècle. L’incendie allumé par les protestants en 1568 est un lointain souvenir. Mais la période reste précaire, émaillée de vagues de peste, comme en 1628, et de mauvaises récoltes.

Jehan des Pradels est prêtre et recteur de Conques. Le recteur est un prêtre desservant une église ni paroissiale, ni capitulaire, ni conventuelle.

C’est aussi un collatéral de ma famille : il est le frère d’Antoinette des Pradels, ma sosa n°2073 (ancêtre à la XIIème génération). Je n’en sais pas beaucoup plus sur lui : les registres paroissiaux de Conques sont lacunaires avant 1646 et 1668 pour Saint-Marcel, la paroisse voisine d’où il est vraisemblablement originaire (je ne sais donc pas quand il est né). Il meurt en 1675. Il a une très jolie signature.

Signature Jehan des Pradels 1646 © AD12

Il a donc béni la grande cloche « du chapitre ». Ledit chapitre désigne la communauté des chanoines. La différence entre des moines et des chanoines est que les premiers vivent retirés du monde dans leur abbaye, les seconds restent en contact avec le monde.

Pour cette bénédiction il a eu l’autorisation du vicaire général, c'est-à-dire le collaborateur immédiat de l’évêque, auquel celui-ci peut déléguer certains pouvoirs. Le nom du vicaire général est François Pons de Patris. Chanoine sacristain de l’église cathédrale de Rodez, il fut aussi conseiller du roi et magistrat de la sénéchaussée de Rodez. Désigné vicaire général du diocèse, il administra le territoire pendant la longue absence de l’évêque de Péréfixe, chargé de l’éducation du roi Louis XIV. Il décède en 1659.

En effet, l’évêque Hardoin de Péréfixe de Beaumont (cité par Jehan des Pradels sous le nom de « monseigneur de Perefixe ») a été appelé à Paris en 1644 pour devenir précepteur de Louis XIV. Il sera nommé ensuite évêque de Rodez en 1648 puis archevêque de Paris en 1662. Il est connu pour son intransigeance (il fut ainsi l’auteur de l’interdiction du Tartuffe de Molière dès le lendemain de sa première représentation publique).

Un entrefilet dans les registre paroissiaux et c'est un voile qui se soulève sur un personnage de ma généalogie...



 

jeudi 30 juin 2022

#52Ancestors - 26 - Jacques Gabard

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 26 : Quels sont les noms présents dans votre généalogie ? Quelles sont les origines de votre généalogie ? 

 

Voici une infographie pour explorer les patronymes de ma généalogie : 

vendredi 24 juin 2022

#52Ancestors - 25 - Julienne Jegar

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 25 : Branche cassée

 

Si j’imprime un arbre circulaire de dix générations, mon côté paternel est entièrement rempli (merci les archives en ligne de  l’Aveyron et du Maine et Loire particulièrement bien fournies et faciles à utiliser !). Du côté de ma mère, ça se gâte un peu : une fille-mère en génération 6 fait une large entaille dans l’éventail. Tout à fait à droite, ce sont les branches Vendée/Deux-Sèvres : les destructions révolutionnaires y ont laissé une douzaine de cicatrices, en particulier à partir des générations 9 et 10. Dans les Côtes d’Armor, je ne compte qu’une seule branche rompue.


Arbre Astié 10 générations


En 1751 Allain Cadoux épouse Julienne Jegar à Loudéac. La famille d’Allain m’est bien connue : fratrie, parents, grands-parents. Mais du côté de Julienne, c’est le silence complet. Lors de son mariage, qui n’est pas filiatif, il n’y a pas de témoin appartenant à sa famille.

Lors de la naissance de leurs 5 enfants, il n’y a qu’un seul membre de la famille qui est nommé parmi les parrains et marraines, et c’est un frère d’Allain Cadoux. Trois de ces enfants sont décédés en bas âge et à nouveau le seul témoin affilié au couple appartient à la parentèle du père.

 

Les deux époux sont dits de la paroisse de Loudéac.

L’acte de décès de Julienne donne une naissance vers de 1723. Si on tente notre chance à l’aveugle, il existe deux Julienne nées à Loudéac qui pourraient correspondre :

  • Une née en 1730, mais en la suivant on s’aperçoit qu’elle épouse un Gilles Collet en 1758.
  • Une née en 1713 ; mais notre Julienne a des enfants jusqu’en 1763, ce qui la ferait âgée de 50 ans lors de sa dernière grossesse.

 

Ou bien était-elle originaire d’ailleurs mais arrivée récemment dans la paroisse ?

En élargissant le cercle des recherches* on trouve une autre Julienne née en 1729 à Trévé, dont la marraine est une Lativier. Or Lativier est un des patronymes qui apparaissent parmi les parrains des enfants Cadoux/Jegar. C’est une bonne piste… hélas elle en épouse un autre !

 

A tout hasard, j’ai exploré la famille de la Julienne née en 1713 (parents, fratrie de 6 autres frères/sœurs), mais à nouveau aucun lien ne se détache. Pas d’avantage du côté de la famille du marié, Alain Cadoux. J'ai testé aussi les variantes du nom : Jegar/Jegart/Jegard/Gegar/Gegart/Gegard, mais rien de nouveau.

 

Sur Geneanet, très peu de personnes ont travaillé les mêmes familles : 2 pour notre couple et 3 pour la famille du marié (moi comprise).

 

Bref, je n’ai pas d’information sur les ascendants de Julienne Jegar, décédée « d’une maladie de langueur », fin de branche de mon arbre (enfin, une branche).

© Pixabay


 

* Merci encore à l’excellent site Genearmor qui facilite les recherches.

 

 

vendredi 17 juin 2022

#52Ancestors - 24 - François Robin

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 24 : Un nom un peut trop commun (cas d’homonymie)

 

Je compte 7 branches portant le nom de Robin dans mon arbre, soit 67 individus. Ce n’est pas énorme, mais c’est déjà beaucoup. Et surtout, les Robin couvrent toutes les branches de mon arbre, tant maternelle que paternelle : Ain, Côtes d’Armor, Maine et Loire, Vendée. Partout ils sont présents, de 1576 à 1840. Parmi eux je compte 8 François ou 4 Joseph.

 

Le patronyme Robin est dans le top 50 des noms les plus portés en France. « C'est un diminutif de Robert porté dans toute la France, mais surtout en Vendée. Très fréquent [sic]. Robert est un nom de personne d'origine germanique, Hrodberht (hrod = gloire + berht = brillant)* ».

 

Si je cherche Robin François sur Gallica, les résultats donnent 838 documents consultables en ligne ! Sur Geneanet cela peut conduire à 11 864 résultats « juste » dans la bibliothèque. Bref, des recherches un peu compliquées.

 

Je prends ici l’exemple de François Robin, ayant vécu aux Epesses (85), mon ancêtre à la XIème génération (sosa n°1976). Il a épousé Marie Jeanneau vers 1707. Je le connais surtout par ses enfants car les registres paroissiaux des Epesses ne commencent qu’en 1737.

Le couple a 4 enfants, probablement entre 1708 et 1719 (si on se fie aux dates données dans leurs actes de décès) :

  • Perrine
  • Jacquette
  • Alexandre Pierre
  • Marie Anne

 

François est dit décédé à partir de 1740 (mariages de ses filles ou acte notarié concernant sa veuve). Il est peut-être même décédé avant 1737 car dans les premiers registres paroissiaux disponibles, son décès n’apparait pas entre 1737 et 1740. Son épouse, Marie Janneau, décède en 1750.

Par ailleurs Alexandre est facilement identifiable car il signe d’un joli « A. Robin ».

 

Mais François Robin n’est pas le seul François Robin dans la famille car son petit fils se nomme aussi François Robin.

En effet Alexandre a eu un fils qu’il a prénommé François. Et l’histoire ne s’arrête pas là : François Robin, petit-fils, a épousé Marie Jeanneau ! Il y a donc homonymie parfaite entre le couple des grands-parents et celui du petit-fils.


Alors là, je peux vous dire qu’on a perdu une grande partie des généalogistes de Geneanet ! De nombreux arbres en ligne mélangent les deux couples. Perrine, Jacquette et Marie-Anne se retrouvent les filles de François petit-fils. Et ça ne gêne pas leurs auteurs de désigner Alexandre né vers 1712 père de François qui se marie vers 1705 : précoce le fiston ! Pour d’autres Alexandre se retrouve le grand-père d’Alexandre. Et pour ceux qui ont compris qu’il y avait deux Marie Jeanneau, mais comme on se recopie sans rien vérifier, Marie Jeanneau la grand-mère se retrouve à décéder le 29 août 1750 exactement comme Marie Jeanneau l’épouse du petit-fils.

 

Bon, vous l’aurez peut-être compris, cela m’exaspère de trouver de tels résultats en ligne, de voir des généalogies qui se copient en dépit du bon sens, défiant la logique la plus élémentaire. Alors qu’une simple vérification sur des registres (qui sont en ligne) permet d’infirmer ces inepties.

 

Ainsi pour commencer Marie Jeanneau (« la Jeune » si l’on peut dire) est décédée en 1821 tandis que « l’Aînée » est bien décédée en 1750. Si elle a bien épousé un François Robin, elle l’a fait en 1785 (date pourtant largement partagée et facile à trouver). De là, il est aisé de voir que leurs enfants naissent entre 1786 et 1792 (et non pas entre 1708 et 1719). De la même manière en examinant un peu les actes concernant Perrine, Jacquette et Marie Anne on se rend vite compte qu’Alexandre est bien leur frère et non leur grand-père :

  • Quand on le voit nommé curateur des enfants de Perrine, il est dit « oncle ».
  • Quand il est témoin au décès de sa sœur Marie Anne, il est dit « frère ».

 

Alors d’accord, si deux individus homonymes sont assez courants au sein d’une même famille, il est plus rare de trouver deux couples homonymes. Mais cela n’empêche pas de faire un minimum de vérifications. Bon, ça demande un tout petit plus d'effort, mais au moins on dispose d'informations justes (et nettement plus logiques !).

 

 

 

* Étymologie fournie par Jean Tosti

 

 

vendredi 10 juin 2022

#52Ancestors - 23 - Les frères Jeanvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 23 : Quelles erreurs avez-vous commises ?

 

Quand j’ai commencé ma généalogie, je ne m’intéressais qu’aux lignées directes. Peut-être était-ce parce que l’arbre de mon grand-père qui a été le déclencheur de mes recherches ne comportait que les ancêtres directs. Ou peut-être était-ce parce qu’ainsi j’avais l’impression d’avoir un arbre « pur », c'est-à-dire ne comportant que les ancêtres ayant un lien direct avec moi.

 

Mais avec l’expérience, je me suis rendue compte que c’était une erreur. Parce qu’en ne recherchant pas les frères et sœurs, par exemple, ou les unions multiples, c’est se priver de tout un environnement familial.

 

Ainsi je me rappelle un jour, il n’y a pas si longtemps, où je faisais des recherches autour d’un ancêtre – son nom m’échappe, alors que ce qui va suivre est resté gravé dans ma mémoire – il était seul, ses parents étaient décédés. Je m’aperçu que je n’avais pas exploré sa famille : je lui ai trouvé plusieurs frères et sœurs vivants, des proches, un tuteur choisi parmi eux. Et soudain mon regard changeait : mon ancêtre n’était plus seul. J’en ai ressenti une grande joie (bien que le pauvre homme fût mort depuis plusieurs siècles).

 

Mais plus bien souvent encore explorer les proches m’a permis de débloquer une situation. Ainsi avec les Jeanvion, famille de Lalleyriat (01) ayant vécu à la fin du XVIIème siècle.

J’avais d’un côté un Jean (Sosa 1312) et de l’autre un Claude (Sosa 1382). Lalleyriat étant un petit village, il y avait des chances pour qu’ils appartiennent à la même famille. Mais rien en l’état ne permettait de le prouver.

Alors j’ai réexaminé les actes paroissiaux. J’ai recherché tous les enfants de Jean et ceux de Claude. La tâche de fut pas aisée, les registres étant partiellement lacunaires. Si Claude a eu une descendance  relativement abondante (6 enfants et un certain nombre de petits-enfants), je n’ai trouvé qu’un fils de Jean, mon ancêtre Joseph. Alors j’ai examiné la génération suivante : naissances, mariages, décès… J’y ai traqué la moindre allusion familiale. Un oncle témoin ? Une cousine marraine ?

  • Claude est plusieurs fois dit l’Aîné. A son décès en 1704 sont présents Jean et Claude le Cadet. C’est ainsi que je (re)découvre un autre frère potentiel.
  • Bartholomière Jeanvion, fille de Claude, est la marraine de Barthélémière Alhumbert sa nièce née en 1721 et Claude Jeanvion, petit-fils de Jean, né en 1718.
  • Joseph Jeanvion, fils de Jean, est le parrain de Joseph Alhumbert, petit-fils de Claude né en 1709.
  • Au baptême du fils de Claude la Cadet sont témoins… Jean et Claude (probablement l’Aîné).
  • Aimé (ou Esmé – c’est le même prénom) Jeanvion est le parrain d’Esmé Jeanvion fils de Claude l’Aîné. Mais Aimé/Esmé est aussi le témoin au mariage de Claudine Jeanvion.

Et ainsi de suite (je vous épargne une longue liste fastidieuse). Les fils sont ténus, mais ils sont là. Claude et Jean sont frères.

Famille Jeanvion


Bref, en relisant les actes (souvent une information nous échappe, surtout quand les actes ont été trouvés il y a longtemps et que les méthodes de travail n’étaient pas les mêmes) et en explorant ceux que je n’avais pas examinés autrefois je suis parvenue à modifier totalement l’environnement familial des Jeanvion. De deux hommes isolés, j’ai fait une famille, complété la fratrie, bouleversé le paysage.

 

 

vendredi 3 juin 2022

#52Ancestors - 22 - Guilliot Nicolas

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 22 : Y-a-t-il des informations conflictuelles dans votre généalogie ?

 

Quand Nicolas Guilliot se remarie, il ne pensait sûrement pas affoler tous les compteurs, depuis mon logiciel de généalogie jusqu'au site de Geneanet !

Né en 1690 à Samoëns (74) il se marie une première fois avec mon ancêtre Jeanne Antoinette Vuagnat en 1716. Ensemble ils auront 3 garçons et 3 filles (dans cet ordre). Mais Jeanne décède en septembre 1756. Nicolas décide donc de se remarier. C’est chose faite 4 mois plus tard, avec Josephte Aimée Excoffier. C’est une jeunette : elle lui donne 4 enfants supplémentaires :

  • François Marie né en 1757 – il décède 5 ans plus tard
  • Pierre Antoine né en 1759 – il décède 6 mois plus tard
  • Pierre Antoine né 1762 – enfant survivant
  • Clauda Françoise née en 1764 – enfant  survivant

 

Et c’est là que ça cloche. Ding, ding, ding ! ferait mon logiciel de généalogie s’il pouvait parler. Mais comme il ne peut pas, il voit rouge à la place, et c’est déjà pas mal.


Sur la fiche de Nicolas, un avertisseur !

Sur la fiche de Josephte, un avertisseur !

Sur la fiche de Pierre Antoine, un avertisseur !

Sur la fiche de Clauda Françoise, un avertisseur !

 

Et, Geneanet, site sur lequel j’ai mis mon arbre en ligne, détecte lui aussi une anomalie.

 

Pourquoi tout cet affolement ? Si vous avez été attentif à la lecture de ce billet, vous avez sûrement remarqué que Nicolas est né en 1690 : il a donc enfanté ses deux derniers enfants à l’âge de 72 et 73 ans (l'enfant né en janvier, Nicolas fêtera son 74ème anniversaire en mai) !

 

Bien trop âgé, dit Geneanet !

 

Je me lance alors dans une vaste opération de vérification des sources.

 

Concernant la première union, je dispose :

  • du contrat de mariage, le 15 janvier 1716, passé devant Me Duboin, notaire à Cluses. Il y est dit « honneste nicolas fils de feu françois guilliot ». D’après mes investigations, son père se prénommait bien François et il est décédé en 1695.
  • de l’acte de mariage, daté du 21 janvier 1716,  « Nicolas a feu François Guilliot ».

Bon, la mère n’est pas mentionnée, mais ce n’est pas l’usage ici.

Naissent donc 6 enfants, entre 1717 et 1730. Les actes de naissance sont en latin, mais ne laissent pas de doute sur l’identité des parents.

Lorsque Jeanne Antoinette décède en 1756, elle est dite « fille de feu Nicolas Vuagnat et femme de Nicolas Guilliot ». Elle avait 62 ans. Nicolas 66.

 

Vient la seconde union :

  • Le contrat de mariage du 12 janvier 1757, passé devant Me Duc, notaire à Cluses, l’identifie comme « Nicolas fils de feu françois Guilliot ». L’identité de la future épousée ne fait pas de doute : elle est clairement mentionnée (fille de « feu joseph excoffier et de l’anne barbe famel ses père et mere »). Il n’est pas fait mention d’un premier lit ou d’enfants de ce premier lit, mais ce n’est pas rédhibitoire (ce n’est pas vraiment leur place).
  • L’acte de mariage est plus bavard : « Nicolas fils de feu françois Guilliot et de feu Bernardine Riondel veuf de la Jeanne anthoine Vuagnat ». Son identité ne fait plus de doute.

Naissent donc 4 enfants, entre 1757 et 1764. Les actes de naissance sont cette fois en français, et l’identité des parents n’est pas à remettre en cause. La mère a de 31 à 37 ans.


D’autres documents jalonnent la vie de Nicolas : recensement en 1745, testament de 1767, inventaire après décès de 1767. Dans le testament il y est fait mention de « la claudaz françoise guilliot sa chere fille née de ladite josephte aimée excoffier sa derniere femme ». C’est sa dernière fille, qui est née en 1764 – celle qui affole les compteurs. Par ailleurs, Nicolas prévoit une éventuelle grossesse de son épouse : « Si son épouse se trouvait enceinte et accoucher d'une, ou plusieurs, enfants posthumes femelles, le legs à sa fille serait alors divisible ». Une nouvelle paternité n’a pas l’air de l’effrayer…

Les enfants du premier lit ne sont pas oubliés et reçoivent chacun leur part.

Enfin, « son cher fils » Pierre Antoine – celui né en 1762 qui affole les compteurs  - est nommé héritier universel et devra veiller au respect de ses dernières volontés et aux droits de ses héritiers vivants déjà nommés mais aussi « le posthume ou les posthumes males dont sadite femme pourroit être enceinte et accoucher ».

 

Donc non seulement Nicolas a eu des enfants jusqu’à l’âge de 72 et 73 ans, mais il prévoyait (éventuellement) d’en avoir d’autres… !

 

 

 

vendredi 27 mai 2022

#52Ancestors - 21 - Pierre Gabard

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 21 : Votre ancêtre dans la presse/les annuaires

 

Pour cette semaine, je triche un peu car ce n’est pas vraiment dans la presse/annuaire que j’ai trouvé mon ancêtre, mais dans les délibérations du Conseil Général des Deux-Sèvres (mais à ma décharge j’avais coché la case Presse lors de ma recherche dans Gallica…).

Donc j’ai trouvé Pierre Gabard dans deux délibérations, en 1877 et 1880, qui concernent un jury d’expropriation.

 

Lors de la séance du 27 décembre 1877 sont à l’ordre du jour une translation de chef-lieu de commune, des foires, un nouveau tableau des poids et mesure, etc… Et le rapport de M. de Beauregard sur le jury d’expropriation.

 

Délibération du CG Deux-Sèvres © Gallica


« En prévision des expropriations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution de nouvelles lignes de chemins de fer projetées, la liste du jury d'expropriation a été portée […] à 72 jurés par arrondissement.

Votre troisième Commission vous propose […] de donner votre approbation à la liste ci-jointe ». Et parmi l’arrondissement de Bressuire figure « Pierre Gabard, propriétaire à Saint-Amand »

 

Pierre Gabard est mon ancêtre à la VIème génération (sosa 56). La famille exploite la métairie de La Gidalière depuis trois générations (et encore deux autres après lui). Il y est né en 1818.

 

Le jury d’expropriation est un jury spécial, en fonctionnement de 1841 à 1936, composé de propriétaires et chargé de fixer le montant de l'indemnité versée aux propriétaires touchés par l'expropriation, en cas de désaccord de celui-ci avec l'offre de l'administration.

 

La notion d’expropriation est liée à celle de la propriété. Lorsque l’État entre prend la construction d’un pont, une route, une forteresse, etc… il devient prioritaire : la propriété individuelle est abandonnée au profit de l’intérêt général. Afin de ne pas voir ses projets réduits en cendres par la volonté de quelques propriétaires récalcitrants qui ne veulent pas perdre leurs biens, l’État peut se prévaloir de la notion d’utilité publique. C’est un acte né  d’une volonté unilatérale de la part de la puissance publique. Grâce à cela, l’État obtient le transfert de propriété. Heureusement pour les propriétaires ce sacrifice n’est pas sans contrepartie : ils reçoivent une indemnité (article 545 du code civil). C’est ce que l’on appelle l’expropriation pour cause d’utilité publique.

La première réglementation sur l’expropriation date de 1810, sous Napoléon. Avant cela il suffisait qu’un seigneur décide pour qu’il soit obéi. Lors de la Révolution, la propriété est reconnue comme un droit, mais aucune loi ne protège conte l’arbitraire de l’administration. Napoléon préconise l’intervention d’un juge dans la procédure d’expropriation. Cette loi est complétée par celle de 1833 qui met en place un jury d’expropriation. Ce jury est composé de propriétaires payant l’impôt. Cette loi restera en application jusqu’en 1935, date à laquelle est à nouveau amendée.

Le cas particulier des chemins de fer est précisé dans une loi datant de 1841 : des compagnies concessionnaires de travaux publics visant à construire les voies ferrées, jugées d’intérêt public, sont dotées du droit d’exproprier. C’est un rare privilège accordé au privé par le public, mais qu’il faut nuancer car dans ce cas la propriété est transférée au public, via le privé (le privé ne conserve pas le droit de propriété). Cette loi vise à faciliter la réalisation des travaux. Cela concerne les voies, mais aussi les gares, les ponts ferroviaires, les passages à niveau.

 

Le Conseil général forme, annuellement, la liste du jury pour chaque arrondissement. C’est le document qui a été trouvé concernant Pierre Gabard. Les personnes désignées doivent être de nationalité française, figurer sur la liste des électeurs, avoir leur domicile réel dans l’arrondissement où sont situés les biens qu’il s’agit d’exproprier. La liste doit être composée de 36 personnes au minimum et 72 au maximum. Les personnes portées sur la liste doivent être désignées de manière à ce qu’on ne puisse les confondre avec des homonymes. Ne peuvent être désignés les propriétaires, locataires ou créanciers ayant un rapport avec les biens à exproprier. La liste est ensuite transmise au Préfet et Sous-Préfet qui ont autorité pour convoquer le jury et les expropriés concernés. Les jurés sont alors choisis parmi la liste : 12 d’entre eux sont retenus pour constituer le jury d’expropriation (les 12 premiers de la liste s’il n’existe aucun empêchement ou dispense, puis en suivant si nécessaire). Le jury fixe les indemnités proposées aux expropriés.

 

Les deux séances du Conseil général des Deux-Sèvres que j’ai retrouvées proposent une liste de 72 jurés – ce qui est, comme on l'a vu, le nombre maximum qui peut être soumis. Les deux délibérations nous précisent que ce grand nombre est nécessaire à cause de la construction du nouveau chemin de fer.

 

De quelles lignes s’agit-il ? Le rapport ne le précise pas. On est alors en plein essor du chemin de fer, la modernisation de l’État sous Napoléon III étant une priorité. La ligne Cholet/Niort a été mise en service en 1868, concédée à la Compagnie Paris Orléans en 1883. La ligne Chartres/Bordeaux est en pleine construction. Le tronçon Montreuil-Bellay/Niort a été déclaré d’utilité publique en 1879 (via Thouars et Parthenay).

Pour renforcer le maillage ferroviaire à l'intérieur du département, le Conseil général a étudié un plan de construction de lignes à voie normale (écartement des rails de 1,4 m), mais le projet était trop coûteux. Il a donc mis en œuvre le réseau des Tramways des Deux-Sèvres (TDS), un réseau de chemins de fer secondaire à voie métrique (écartement de 1 m seulement), moins onéreux.

La ligne Bressuire/Montreuil-Bellay a été ouverte en 1897 (pour le tronçon Bressuire Argenton-Château) et prolongée en 1899 (Argenton-Château Montreuil-Bellay). Elle faisait 62 kilomètres de long dans sa totalité. Elle était desservie par un tramway à vapeur. Elle a été fermée en 1939, la TDS cessant son activité au début des années 1940.

Chemin de fer Nord Deux-Sèvres (détail) © www.ruedupetittrain.free.fr

 

Mon ancêtre étant en 25ème position en 1877 et 30ème en 1880, il avait peu de chance de siéger dans le jury puisque n’étaient retenus que les 12 premiers (et quelques suivants si certains étaient récusés). Mais ces documents m’apprennent toutefois qu’il était propriétaire (désignation en 1877) – ça je m’en doutais – et adjoint de Saint-Amand (en 1880) – ça je l’ignorais ! De nouvelles recherches en perspective...

 

 

vendredi 20 mai 2022

#52Ancestors - 20 - Jeanne Françoise Denarie

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 20 : Habillement

 

 

Tout comme les aliments et boissons de la semaine dernière, c’est un document notarié qui nous donne des informations sur l’habillement.

 

Lorsque Jeanne Françoise Denarie se marie avec Joseph Anthoine, en 1731 à Morillon (74), il lui est promis un certain nombre de vêtements dans son contrat de mariage. Elle appartient au milieu des notables de la ville. Ses parents lui promettent plusieurs centaines de livres (on parle d’argent ici, hein, pas de lecture !), des animaux, du linge de maison et des vêtements qu’on fait venir de loin.

 

  • En premier lieu, « un habit neuf de sarge de l'ondre noir ». La sarge, ou serge, est une étoffe présentant de fines côtes obliques, mince et légère, généralement de laine (mais peut aussi être en soie). Quant à « l’ondre », je me suis demandé ce que cela signifiait, jusqu’au moment…  où je l’ai prononcé à haute voix. L’ondre… Londres. Ce vêtement noir vient donc d’Angleterre ! Il a parcouru plus de 1 000 km.

Est-ce à cela que ressemblait la robe de Londres ?

  • « Un autre habit presque neuf en façon de l'ondre de coulleur bleue ». Un deuxième vêtement vient de Londres, de couleur bleue cette fois. On remarquera le « presque neuf » caractérisant l’état de l’habit. A-t-il été déjà porté par d’autres ? Par la future qui l’aurait eu par anticipation ?

 

  • « Un autre habit de sarge de [… ?] tout neuf ». Un mot n’a pas pu être déchiffré, sans doute était-ce la provenance de l’habit.

 

  • « Un autre habit moittie usé deux corps bas un de droguet et l'autre de sarge de l'ondre avec leurs manches de rattines presque neufs ». Encore un vêtement « moitié usé ». Cet habit est composé de deux parties (« deux corps »). Le corps bas, la jupe, est double : l’une est en droguet, une étoffe grossière, de peu de prix, de laine ou généralement de serge, moitié fil et moitié laine, formant une sorte de drap mince. On peu parfois y faire entrer aussi de la soie (droguet satiné), de l'or ou de l'argent - et n'a plus rien à voir avec le mauvais droguet. La deuxième est en sarge. Le tout a été fabriqué à Londres. La partie haute est caractérisée par ses manches de ratine, qui est une étoffe de laine ou drap croisé dont le poil est tiré en dehors par cardage et frisé de manière à former comme de petits grains. C'est un tissu épais et chaud, servant à la confection des vêtements d'hiver.

 

  • « Une camisolle de sarge de vallence presque neuf ». La camisole est un vêtement court ou long et à manches, qui se portait sur la chemise. Cette fois, sa provenance est Valence à l’Ouest du massif du Vercors (aujourd’hui dans le département de la Drôme), à 280 km de Morillon.

 

  • « Une [reliure étroite] usée de toisle drapt neuve ». Le vêtement suivant n’a pas été identifié à cause d’une reliure trop étroite.

 

  • « Deux cotillons de toisle drapt, un neuf et l'autre le [reliure étroite] tier usé ». Viennent ensuite deux cotillons, qui sont des jupes de dessous (jupons). Ils sont en drap, étoffe résistante de laine (pure ou mêlée à d'autres matières) dont les fibres sont feutrées (foulage) et le tissu est lainé. L’un est neuf, l’autre usé au tiers ( ?)

 

  • « Une dousaine de chemise scavoir huit neuves et les autres quattre d'indienne presque neufs et les autres huit presque neuf ». Bon, je ne comprends pas trop le calcul du lot suivant : 8 + 4 + 8 = 12 (sic). Ceci dit mis à part, ces chemises sont neuves ou presque neuves. Quatre sont d’indienne, une toile de coton peinte ou imprimée à décor de fleurs, feuillages et oiseaux provenant à l'origine des Indes, puis fabriquée en Europe.

 

Aucune chaussure n’est mentionnée.

 

Le futur marié donne à sa promise « un habit droguet dangleterre pour marque d’amour et d’amitié qu’il a pour ladite Jeanne Françoise Denarie » [ce qui confirme l’hypothèse de la provenance anglaise de ces vêtements].

 

Au total, la future mariée reçoit plus d’une vingtaine de pièces de vêtements, dont certains viennent de très loin.

 

Selon Saor alba, association écossaise, « la Grande-Bretagne demeurait plutôt puritaine dans ses mœurs et cela se voyait sur les vêtements. Rares étaient les robes à motif, les Anglaises préféraient les teintes unies et une faible présence de passementeries. » Mais est-ce à dire que la robe de l’ondre obéissait à ces caractéristiques de sobriété ? Hélas, difficile de répondre. Le contrat de mariage est assez détaillé… mais pas encore assez ! Il ne nous permet pas de savoir clairement à quoi ressemblaient ces tenues.

 


vendredi 13 mai 2022

#52Ancestors - 19 - Geraud Turlan

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 19 : Aliments & Boissons

 

Geraud Turlan est paysan à Entraygues (12) en 1687. Comme pour le laboureur (voir l’article de la semaine dernière), le paysan recouvre des réalités bien différentes selon les régions et les époques. Difficile, parfois, d’apprécier la réalité de sa vie à partir de ce simple mot. D’ailleurs, Geraud est aussi parfois qualifié de laboureur (en 1702).

Je ne sais pas si Geraud était propriétaire ou non de ses terres, mais sa famille demeure au village de Mejanasserre depuis plusieurs générations, tous dits paysans. 

Je pense que la famille était plutôt aisée, au vue des donations faites dans les contrats de mariage et testaments (plusieurs centaines de livres par enfants). De plus, ils fréquentent des notables (maître tourneur, docteurs en théologie, marchand, maître chirurgien, bourgeois). Le père de Geraud apparaît comme donateur dans le rôle des aumônes pour deux quarts de seigle. En 1724 il est lui-même dit marchand.

 

Dans ces documents, on y apprend ce que mangeaient (en partie) les membres de la famille. En effet, dans son testament de 1721 Géraud prévoie une « pension viagère » à son épouse, Hélix Soulié, si elle lui survit. Elle devra être, sa vie durant, logée dans sa maison, habillée « selon sa condition » et nourrie. Hélas, si d’aventure une mésentente survenait avec les héritiers du défunt, le testateur prévoit une pension pour sa veuve. Celle-ci est assez bien détaillée et nous donne une idée de son alimentation ordinaire.

 

La pension prévoit d’abord « trois setiers de blé seigle ». Le setier est une mesure de capacité pour les grains. Mais il y avait un grand nombre de setiers différents en usage en Aveyron (sans parler du reste du royaume). A Entraygues le setier valait environ 70 litres (d’après l’édition de 1841 du Tableaux de conversion en mesures métriques des anciens poids et mesures du département de l’Aveyron), ou un peu plus de 5 boisseaux, soit un total de 210 kilos annuels.

Le « blé seigle » désigne le seigle, par opposition au « blé froment » par exemple, le meilleur blé pour la production de la farine (les termes de blé ou froment peuvent être utilisés indifféremment), ou le « blé meteil » qui est un mélange de blé et de seigle. Le seigle donne une farine plus foncée que le blé, au goût plus prononcé et aux rendements moindre, mais il est plus rustique plus, résistant au froid, plus précoce et surtout mieux adapté aux terres froides. Bref, c’est le blé des terrains pauvres et des climats rudes.

 

Geraud donne ensuite à son épouse « quatre setiers de châtaigne, trois sèches et un vert ». La châtaigne est une production majeure en Rouergue, en parallèle du seigle, avoine et prés. On estime d’un tiers des surfaces est occupé par les châtaigneraies. Cela en fait un arbre essentiel pour les ressources de la région. « La châtaigne est vue comme une ressource nutritive de base : 2 kg de châtaignes fournissent 4 000 calories, soit davantage qu’une terre labourée en céréales. Pour couvrir la consommation d’une famille de 4/5 personnes pendant 7 mois, 2 hectares de châtaignes suffisent. »* Et la châtaigne nourrit aussi les animaux. Cette culture est l’une des seules plantes qui permet raisonnablement la mise en valeur des terres froides pour y produire des subsistances (E. Le Roy Ladurie).

En Limousin, autre grande terre de châtaignes, elles ont longtemps été la base de l’alimentation en remplaçant souvent le pain. On les mange en plats sucrés ou salés : châtaignes simplement bouillies, grillées, blanchies ou bien en crème de marrons, gâteaux de châtaignes, farci de volaille, boudin aux châtaignes, soupe aux marrons… et même en liqueur. Un dicton disait : « La châtaigne c’est le pain du pauvre, le dessert du riche et le bonbon de l’enfant. »

On remarque que Geraud donne davantage de châtaignes que de seigle. 

 


Est donné ensuite « un quart huille ». Étant donné le lieu où l’on se trouve, c’est forcément de l’huile de noix. Quant au « quart », ne s’agit-il pas de la « quarte », soit environ 17,5 litres (mesure d’Entraygues) ?

 

Il prévoit aussi « quinze livres de lard salé », soit environ 7 kg.

 

Vient ensuite « un ledier de sel ». Le sel (ici nommé) et le lard salé (vu précédemment) indiquent non seulement que c’était une denrée utilisée dans ces hautes terres mais qu’elle était précieuse puisqu’on prend la peine de la nommer dans des documents aussi importants que les testaments ou contrats de mariage. Quant au « ledier », il s’agit peut-être de la mesure appelée «  ladière » ou « liadère » qui vaut 1/6ème de setier, soit une douzaine de kilos. Rappelons que cette denrée n’était pas utilisée seulement en accompagnement comme aujourd’hui, mais aussi en moyen de conservation.

 

Enfin, le testament prévoit « quatre setiers de demy vin et deux setiers de bon vin ». Le demy vin est vin de pressurage, c'est-à-dire un jus résultant du pressurage du marc (restes solide de la vendange) donnant un vin plutôt ordinaire, moins coloré et moins fruité. Le total est d’un peu plus de 450 litres.

 

Le testament prévoit aussi l’habillement et la literie, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. On pourra néanmoins noter que Geraud permet à son épouse « la faculté de prendre du jardinage et du bois pour son chauffage ». Je ne sais pas à quoi correspond le « jardinage » : potager peut-être ?

 

Pour l’anecdote, ce passage du testament est la copie conforme du testament de son père (prénommé aussi Geraud, bien sûr), rédigé 28 ans plus tôt, dans une autre étude notariale. Mon hypothèse est qu’il a conservé le testament de son père et lorsqu’est venu le temps de rédiger le sien propre il a suggéré au notaire de reprendre ce passage mot à mot. E t trois ans plus tard, il reprend le même thème dans le contrat de mariage de son fils Joseph pour assurer la subsistance de la mère du futur, Hélix Soulié. Dans ce document il existe quelques différences minimes, comme la précision de la nature de l’huile, qui est bien de l’huile de noix.


Et voilà Hélix bien protégée et sa survie assurée !

 

* Y. Truel : La châtaigne, une denrée oubliée dans les rentes seigneuriales et les dîmes ecclésistiques du Haut-Ségélé quercynois (Persée)