« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 18 juin 2014

#Challenge AZ : P comme préservez vos photos !

Mes photos les plus anciennes datent de 1871, soit une soixantaine d’années après le début des premières recherches sur la photographie par Niepce et une quarantaine d’années après l’invention « officielle » de la photographie (1839).

Photographe ambulant, © BM Lyon

Elle représente la famille Rols : Alexandre Rols, Marie-Anne Puissant son épouse et Élisabeth, leur fille aînée (alors âgée de trois ans). C'est un portrait fait en atelier. La famille est assise, devant une toile tendue (elle ne semble pas peinte). Le temps de pause est alors encore relativement long : près d'une minute. C'est sans doute pourquoi ils sont assis. Le plus souvent, un repose-tête était habilement dissimulé afin d'aider à tenir la pause. Chacun des deux parents tient fermement les bras de la petite fille afin qu'elle ne bouge pas et que le cliché soit net (cf. article Toile et balustrade sur ce blog). Ce cliché a sans doute été pris à Angers car le couple y habite, au moins depuis 1868.

Sur un certain nombre de clichés anciens faits en ateliers, on retrouve les accessoires classiques comme la toile peinte en arrière-plan, les fauteuils à accoudoirs ou fausses balustres qui sont un prétexte pour s’appuyer et tenir la pause sans bouger. Amusez-vous à les repérer !

Ces clichés anciens ouvrent une fenêtre sur époque très lointaine de la nôtre : cette époque où l'image était encore peu répandue. Cette époque où l'on se faisait beau pour figurer sur le cliché. Cette époque où on allait se faire photographier dans les ateliers ou, au contraire, les photographes ambulants venaient jusqu'à vous. Cette époque où les photos étaient aussi un vecteur d'information avec les clichés illustrant des événements, grands et petits (mariages, inondations, grandes expositions, fêtes locales... ). Cette époque où les clichés étaient édités en carte postale.

Les photos anciennes, c'est un moyen unique de mettre un visage sur ce qui n'était auparavant qu'une liasse d'archives ou une accumulation de dates. Soudain, ils sont là. Palpables. Presque réels. En l'absence d'information complémentaire, c'est aussi une façon d'en savoir plus sur la vie de nos ancêtres : la façon dont ils étaient habillés, les lieux où ils ont vécu, etc . . .

Parfois, on a la chance d'avoir l'histoire qui s'est transmise avec la photo. Je pense à ce portrait de Marcelle Assumel Lurdin, ma grand-mère, réalisé chez un photographe en 1934, qui la représente de trois quart dos. Cette photo fit, paraît-il, beaucoup parler car le haut du dos est dénudé : ô scandale !

Mais parfois les photos restent muettes : qui donc est ce moustachu à côté de Papy ? Et ce petit, là à gauche ? Silence. Alors, on ne le dira jamais assez : faites attention à vos photos anciennes. Si vous en avez, prenez en soin. Et, pendant qu'il est encore temps, interrogez vos anciens pour identifier les personnes en présence, les lieux, les événements photographiés. Car avoir une photo ancienne, c'est bien, savoir ce qu'elles racontent, c'est mieux.

Aujourd'hui nous pouvons prendre des dizaines de photos par jour (pour les plus addicts), presque sans y penser. Bien sûr, ce ne sont pas tous des chefs d’œuvre, mais elles reflètent notre vie quotidienne . . . Comme nos photos anciennes finalement.

Mais pensez à vos AAPE (arrière-arrière-petits-enfants), lorsqu'ils feront leur généalogie : classez et identifiez vos photos pour qu'ils ne galèrent pas comme nous aujourd'hui !

mardi 17 juin 2014

#ChallengeAZ : O comme où faut-il signer ?

Sur les 3 724 actes (naissances, mariages et décès) dont nous disposons à ce jour, 269 signatures ont été identifiées. Quelques actes portent d'autres signatures mais on ne sait pas à qui les attribuer : au marié ou au père du mariés, lorsqu'ils portent le même prénom, par exemple. 

Détail d'acte de mariage, AD79

Cela représente 7,22 %. Parmi elles, 50 sont des signatures féminines (soit 18,58 % des 269 signatures).

Bien sûr, nous aujourd'hui nous apposons nos signatures sur toutes sortes de documents, et sans même y penser, puisque l’illettrisme est devenu relativement rare dans nos sociétés modernes (7 % de la population française en 2013 tout de même). Mais pour nos ancêtres, il en allait tout autrement.

C'est l’ordonnance de Fontainebleau, en 1554, puis l’ordonnance civile d’avril 1667, qui vont rendre obligatoire l’apposition d’une marque autographe du nom propre d’abord sur les actes notariés, puis sur les actes des registres paroissiaux. Dès lors, c’est une nouvelle conception de l’individu et de son identité qui s’affirme : la reconnaissance d’un être singulier, unique, parfaitement identifiable.

La plus ancienne signature date de 1605 : François Legarré, signe l’acte de naissance de sa fille. Il habite Clefs (Maine et Loire). Il n’y a pas de mention de métier : on ne sait pas quelle profession il exerçait.

Par ailleurs, mon plus lointain ancêtre éponyme, Antoine Astié, signe son acte de mariage à Conques (Aveyron, en 1671), comme évoqué lors du premier article de ce challenge : A comme Astié).

Ces signatures sont toujours agréables à découvrir car elles rendent moins impersonnels les actes d'état civils : on a alors l'impression de rencontrer "vraiment" nos ancêtres. De plus, cela montre, ou plutôt laisse deviner, leur degré d'instruction : sait écrire, ou pas, manie facilement la plume, ou pas.

Ainsi certaines signatures sont tremblotantes (Goret Pierre en 1704 ou Baud Jean Marie en 1813), et on devine que la plume n’est pas un objet usuel chez quelques uns de nos ancêtres.

Dibon Pierre, signe son acte de mariage à Villevêque (Maine et Loire) en 1659 : il écrit son nom en majuscule d’imprimerie et inverse le N (И) comme le font parfois les enfants qui apprennent tout juste à écrire. Apportons d'ailleurs ici une nuance : celui qui signe ne sait pas forcément lire et écrire : il peut avoir simplement appris à écrire son nom et le reproduire, sans plus (en particulier lorsque l'écriture est malhabile).

Les illettrés signent aussi ! Plus rarement, il est vrai. Dans ma généalogie, seuls les curés de La Coulonche et La Sauvagère (Basse Normandie) font en effet apposer une marque à ceux qui ne savent pas écrire. Le curé note alors, à côté d’une croix : « la marque deladitte anne guibé » (acte de mariage, 1768).

Certains ancêtres signent un acte (par exemple le mariage), mais pas les suivants (par exemple les naissances de ses enfants), sans que l'on puisse l'expliquer. De même, on pourrait penser que lorsque le père signe, ses enfants le feront aussi; ce qui n'est pas toujours le cas : ce n'est pas parce qu'il est sensibilisé lui-même à l'écriture et l'instruction qu'il voudra (ou pourra) transmettre cela à ses enfants.

On ne signe pas forcément son nom exact (sans même parler de l'orthographe des patronymes qui évoluent) : Borrat-Michaud Joseph signe ses actes « Michaud Joseph ». Chaillou Cécile, épouse de Puissant Noël, signe « Cécille Chaious femme Puissant ». 

Aucun de mes aïeux n'accompagne, ou ne remplace, sa signature d'un signe distinctif, comme on peut en voir parfois (clé, ciseaux, encre de marine... ).

La signature de Guespin René, en 1653, est la plus alambiquée et décorée de fioritures; mais il est sergent royal et il a, lui, l’habitude de l’écrit de part sa fonction (on le voit d’ailleurs témoin dans de nombreux actes au fil des registres).


lundi 16 juin 2014

#ChallengeAZ : N comme noyés et/ou morts

La cause de la mort n’est pas toujours mentionnée dans les actes de décès. Toutefois le rédacteur de l’acte lève le voile sur ces circonstances malheureuses... et parfois même cocasses (pour apprécier ces mentions, voir l'article paru en mai à ce sujet sur ce blog). 

Loire © V. Brosseau

Mais concentrons-nous aujourd’hui sur le cas particulier des noyés. Deux de mes ancêtres sont mort noyés :
  • Gibert Pierre André est décédé par noyade en 1834 à La Chapelle sur Crécy (77) : "il a été noyé dans le Morin par accident au pont de Coude et n'a été retiré qu'hier". A noter, l'acte de mariage de son fils donne comme date de décès le 11 décembre 1833, mais l'acte de décès est daté du 22 avril 1834 : a-t-il disparu en décembre et retrouvé seulement en avril (ce que sous-entendrait la mention « n’a été retiré qu’hier ») ?
  • Pochet Jean Denis est décédé par noyade en 1792 à Guérard (77). Le rédacteur de l'acte de décès précise qu'il est autorisé à donner une sépulture ecclésiastique à la dépouille retrouvée le lendemain de sa noyade.
La proximité des cours d'eau ont toujours été un facteur de risque (quoique les populations riveraines soient en général plus averties, et prudentes, que les autres sur ce point).

"Les malheurs qui arrivent en se baignant ne sont que trop fréquents, surtout dans les villes où la jeunesse trop hardie s'expose aux dangers les plus grands ( ... ). Plusieurs personnes se sont imaginé qu'on mourrait dans l'eau, par le trop de boisson qu'on avalait; mais ce sentiment est totalement détruit par l’expérience, qui prouve, qu'après avoir ouvert les noyés, on ne trouve point d'eau dans leur estomac. Ce n'est donc que la suppression totale de la respiration, jointe au froid subit et à la peur, qui est la cause de la mort prompte et inévitable de ceux qui se noient ( ... )." - d'où l'expression "mort de peur" sans doute.

Selon ce "Dictionnaire portatif de santé" ( * ), il fallait porter une attention particulière aux noyés et je ne résiste pas à vous donner quelques recettes qui y sont inscrites (pour des commodités de lecture, j'ai retranscrit ces passages avec une graphie moderne) - et quelques réflexions personnelles aussi :

"Aussitôt que l'on tire quelqu'un de l'eau, la première précaution qu'on doit prendre, c'est de le transporter sur le champ dans un lieu chaud, de l'étendre sur une couverture en double, - j'aime le luxe de détail dans ce genre d'ouvrage - de l'approcher du feu pourvu qu'il ne soit pas trop fort, de lui faire des frictions sur le corps avec des flanelles et des serviettes chaudes, de lui faire respirer de la fumée de tabac, - oh  oui ! méfiez-vous, je pense que la recette a changé aujourd'hui et que les fumigations de tabac ne sont plus le premier remède préconisé par la faculté - et de lui donner des lavements avec la décoctions de cette plante, de lui mettre également sous le nez de l'eau de Luce, de l'esprit volatil, de sel d'Angleterre ou de corne-de-cerf; de le placer ensuite dans un lit bien bassiné et d'y exciter par degrés une chaleur plus forte ( ... ).

Si le noyé donne quelques signes de vie, - s'il ne s'est pas étouffé dans le tabac et les sels - il faut augmenter les frictions ( ... ) et lui faire prendre ensuite un bon verre de vin avec de la cannelle et du sucre, en continuant toujours de le tenir chaudement.
- vin et tabac : voilà les recettes miracles pour rester en bonne santé !

Le lendemain, s'il survient de la fièvre, on pratiquera une saignée. ( ... )
Et voici une autre méthode que l'on peut mettre en usage, pour sauver les noyés : il faut faire également le transporter, le plutôt qu'on peut, dans un endroit chaud, et faire, dans la chambre, un lit de cendre de genêt ou de sarment, sur lequel on le couchera, en enveloppant totalement leur corps de cendre, par-dessus laquelle on mettra des fers chauds, pour tâcher d'échauffer la cendre; et on laissera le noyé, de cette façon, jusqu'à ce qu'il donne quelques signes de vie; après quoi on le traitera comme ci-dessus.
L'ouvrage n'indique pas quelles sont les vertus et le pouvoir de la cendre pour faire renaître à la vie les pseudo-noyés.

Au reste, on ne doit tenter ces remèdes, que lorsqu'on est sûr que les noyés n'ont pas resté longtemps dans l'eau : tel est l'espace, depuis cinq ou six minutes, jusqu'à un quart d'heure. Quand ils sont livides, qu'ils ont le ventre gonflé, il est à propos de ne tenter aucun remède, parce qu'il serait inutile : ( ... ) il est impossible de sauver les pauvres malheureux qui ont été noyés. 

La suite ne doit être lue que si vous avez le cœur bien accroché.
Il ne faut pas non plus précipiter l'enterrement des noyés; et on doit se conduire dans ce cas, comme nous avons conseillé de le faire dans les morts subites, c'est-à-dire qu'il est important d'attendre des marques de putréfactions, et, en attendant, garder le cadavre, et employer tous les moyens que nous venons d'indiquer, et ceux dont il a été fait mention à l'article "mort subite".

Pourquoi la putréfaction ? Reportons-nous audit article :
Mort subite : il n'y a rien de plus certain que la mort; mais les signes de la mort sont incertains. Il faut donc, quand un personne passe, en peu d'instants, de la vie à la mort, ( ... ) être sur ses gardes, et mettre en œuvre tous les moyens imaginables, pour savoir si elle est réellement morte, ( ... ); car quel reproche n'a-t-on pas à se faire, si on a laissé enterrer comme mort quelqu'un qu'on trouvera, par la suite, dans son cercueil, débarrassé de son suaire, et avec les marques qui démontrent qu'il a vécu dans son tombeau ?
- tu m'étonnes ! -

Il ne faut donc pas se hâter de quitter un malade ( ... ) à la première nouvelle qu'on donne de sa mort, et cela doit être surtout observé pour les personnes qui meurent en peu de moment, et sans cause manifeste. On doit, dans ces cas, faire venir le médecin, malgré le proverbe; - j'ignore de quel proverbe il s'agit : si quelqu'un le connaît, qu'il n'hésite pas à le laisser en commentaire - et alors il fera garder le malade dans le lit, le fera frotter, chauffer : on appliquera des linges chauds; on pourra lui irriter le nez avec un crin ou un chalumeau
- gloups ! -

Suivent plusieurs actions à entreprendre pour s'assurer du décès de la personne, dont la suivante : la fumée de tabac, introduite dans l'anus, a réveillé le mouvement des intestins, et la machine a été remise en action plusieurs fois par ce moyen; peut-être même pourrait-on insinuer l'air dans la poitrine, par d'autres moyens.
- oui, il faudrait peut-être y penser... -

Si le sujet reste tranquille à tous ces remèdes, qu'il ne donne aucune marque de sentiment, il ne faudra pas, pour cela, se hâter de l'enterrer; on pourra ensuite tenter l'application d'un fer chaud à la plante de pieds, ou sur la poitrine, vers la pointe du cœur ( ... ); et il ne sera enfin enterré que quand il donnera des marques de putréfaction, seul signe certain d'une mort certaine, signe qu'il faut attendre dans les morts subites, si l'on ne veut pas avoir à se reprocher d'avoir enterré vivantes des personnes qu'on croyait mortes."

Ce dictionnaire date de 1777. On ne regrettera jamais les progrès de la médecine, n'est-ce pas ?


( * ) Ce Dictionnaire portatif de la santé est consultable en ligne, sur le site de Gallica : si vous êtes malade, à lire ici (articles Mort subite p132/605 et Noyés p144/605).