« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 25 novembre 2023

V comme Vie et mort

Le XVIIIème siècle à Conques est marqué par la misère, alternant des périodes relativement viables et de graves disettes, entre aléas climatiques, épidémies et guerres royales. 


Une enquête datée de 1771 indique que les deux tiers des familles sont accablées d’impôts et « la plupart passent la moitié de leur temps sans pain, 20 familles manquent de presque tout et le reste des deux tiers auraient grand besoin de secours ». La paroisse compte environ une centaine de mendiants.
En 1780 il n’y a plus qu’un seul faubourg, une partie des boutiques ne se retrouvent plus. Le sol est jugé mauvais et « le meilleur ne peut être que médiocre ». L’allivrement (= fixation du taux d'un impôt)
est tellement excessif, que beaucoup de propriétaires ont abandonnés leurs fonds commerciaux. La production la plus avantageuse est la vigne. Le mauvais état des chemins (jugés « affreux ») empêche le déploiement du commerce. Par manque de prairies il n’y a pas de grands bestiaux. 60% de la population ne mangent « du pain que les dimanches. Le reste de la semaine ils ne se nourrissent que de châtaignes. Encore  n’en ont-ils pas en suffisante quantité. Encore les leur arrache-t-on des mains pour payer l’impôt. Telle est la misère du pays ». 

 

Mendiant comptant sa recette, AG Decamps © Louvre

 

Dans la décennie étudiée à Conques, je compte presque autant de naissances que de décès (340 pour 345).

La moyenne est de près de 31 naissances par an, avec un minimum en 1780 (18 naissances) et un maximum en 1788 (40).

Nombre de naissances par années

 

Concernant les décès, ils sont supérieurs aux naissances lors de 4 années (1780, 1785, 1787 et 1790) ; mais très inférieurs en 1781 par exemple (14 décès pour 25 naissances).

 

La misère régnante ne semble donc pas avoir des répercutions très nettes, notamment au niveau des décès. Il faut toutefois relativiser l’enquête de 1771 : ton et expressions sont caractéristiques d’une époque et on ne les emploierait plus aujourd’hui. S’il est sûr que les temps étaient difficiles, on a vu qu’il y a un éventail variés de métiers dans la ville (voir à la lettre K de ce ChallengeAZ : voir ici). Et comme on vient de le voir, la balance ne penche pas dramatiquement du côté des décès.

 

Au niveau national la mortalité féminine n’est que très légèrement supérieure à la mortalité masculine (3%) en raison des dangers de l’accouchement. Il faut supposer que les dangers encourus par les hommes (à l’armée ou dans l’exercice de leur profession) compensent celui de la maternité.

 

A Conques, je ne compte que deux femmes susceptibles d’êtres décédée des suites de couches : 

  • peut-être Anne Desmon décédée en 1784 cinq mois après la naissance de son dernier enfant ; ce qui la classe quelque peu hors délais (qui est de 42 jours pour être considéré comme suites de couches) à 24 ans.
  • et plus sûrement Jeanne Banide, ma sosa 131, décédée la même année dix jours après la naissance de mon ancêtre Catherine à l'âge de 33 ans.
 

Sépulture Jeanne Banide, 1784 © AD12

"jeanne banide epouse de jean chivaillé charpentier agée d'environ trente deux ans mourut le 22 may 1784 et fut inhumée le lendemain par nous curé soussigné en presence de jean chivaillé son mari et d'antoine costes de conques qui requis de signer ont dit ne savoir"

 

Toujours au niveau national l’espérance de vie est inférieure à 30 ans, avant la Révolution. Si je compte la moyenne d’âge au décès à Conques je trouve 58 ans en prenant en compte la population âgée de plus de 10 ans ; ce chiffre tombe à 30 ans si je compte la totalité de la population. La mortalité infantile (décès d'enfants âgés de moins d'un an) est alors très importante. Toutefois elle est inférieure à Conques par rapport à la moyenne nationale : 180 p. 1000 au lieu de 280 p. 1000.

 

On notera qu’il n’y a aucune référence à la Révolution dans les registres de Conques. Il n'y a pas même une rupture dans les registres : la transition de fait en douceur en 1792. Jusqu'au 26 septembre les actes sont rédigés par le curé et les suivants à partir du 6 octobre par l'officier municipal. Là-bas le temps s’écoule comme si l’extérieur n’existait pas…

 

 

 

vendredi 24 novembre 2023

10e bloganniversaire

Cela fait dix ans aujourd’hui que j’ai ouvert ce blog. Et un peu plus du double que je fais de la généalogie. 

 

Dessin de la généalogiste et de son chat


Je me souviens, en avril il y a dix ans, j’étais alitée, souffrant d’un mal idiopathique (c'est-à-dire qui n’a pas de cause connue). Il faudra 6 ans de plus pour qu’enfin soit posé le diagnostique de fibromyalgie (douleurs chroniques, fatigues, céphalées). En attendant, je  surfais sur internet quand je suis tombée sur la première édition du ChallengeAZ (à cette époque il avait lieu au printemps). Cela m’a vraiment donné envie d’y participer. Mais l’édition était déjà en cours : trop tard pour 2013.

Néanmoins l’idée ne m’a pas quittée. Elle a mûrie doucement pendant l’été. Le temps de créer un blog avant tout. Et pour cela d’abord trouver un nom : j’ai dressé une liste de vocables associés à la généalogie (foyer, mémorial, archive, souche, vieil, récit, ancêtres, etc…). J’ai choisi « Murmures d’ancêtres ». J’aimais bien cette idée que mes aïeux me transmettaient leurs histoires à bas bruit, un fil ténu comme un murmure, qu'on ne peut entendre que si l’on y prête attention, si on le recherche.

Ensuite il a fallu se renseigner sur un hébergeur, la solution qui m’était le mieux adaptée. Puis adopter un template et une identité visuelle (au début mon blog était marron foncé, comme le tronc d'un vieil arbre, écrit en blanc, puis il est devenu vert, comme les feuillages d’un arbre, avant d’adopter les couleurs actuelles en 2020).

Petit à petit, je me suis aussi auto-formée au codage informatique : par exemple je voulais une ligne d’onglets ouvrant sur les différentes pages ; ce que mon template ne proposait pas. Qu’à cela ne tienne ! j’ai cherché sur internet une solution qui me convenait et hop ! (je dis « hop », mais ça a été un peu plus compliqué que cela en fait…).

Et en novembre j’étais prête ! Le 24 je publiais mon premier article intitulé Portrait, un article tout simple, suivi d’une Généalogie animée.

Je remercie à la fois la généalogie et le blog qui me permettent souvent de m’évader, de penser à autre chose, lorsque la douleur me tient dans ses griffes.


Au cours de cette décennie, je vous ai transmis ce que m’ont murmuré mes ancêtres. Ils sont actuellement 12 827 à m’accompagner. 32 générations d’hommes et de femmes qui m’ont précédés, depuis les environs de l’An Mil (merci la branche noble !) jusqu’à nos jours.

Des nobles et des petites gens. Des fratries nombreuses, très nombreuses, comme Pierre Le Masson et Louise Brichet, qui ont eu 17 enfants, nés entre 1733 et 1755 (soit en 22 ans), record de ma généalogie pour une seule union. Mais aussi des filles-mères de génération en génération, une probable centenaire, une mariée bien trop jeune et un père bien âgé. Des proches ou des personnes totalement oubliées de la mémoire familiale.


J’ai vu de belles signatures : nombreuses, anciennes, avec des fioritures, hésitantes...

Signatures des ancêtres


J’ai découvert des pratiques qui paraissent bien étonnantes aujourd’hui, comme ce prénom Jean donné à 6 générations de la même famille, les Pochet (fratrie et prénoms composés compris soit 10 individus) – sans compter les Jeanne. Je me suis armée du Bescherelle de la généalogie pour ne pas être prise au dépourvu.

Entre les lignes, j’ai décelé de tristes histoires. J’ai eu affaire à de véritables bêtes féroces. Mais aussi de belles émotions.


J’ai participé à des défis mensuels, annuels, alphabétiques (le défi du ChallengeAZ bien bien sûr, vous l'aurez reconnu : celui qui m'a donné envie de me lancer dans cette aventure et que je n'ai jamais cessé de relever au fil de ces dix ans). A des rencontres improbables avec mes ancêtres, qui m’ont permis de m’adonner à mon goût pour l’écriture. J’ai joué avec les mots. J’ai écrit une histoire rien qu’avec les patronymes de mes ancêtres. C’est comme ça que j’en suis arrivée à commettre un polar généalogique.

 

J’ai rencontré un gentil vaurien, un futur Saint de l’Église, une mère de soldats durement éprouvée.

J’ai menées des recherches ardues, je me suis cassé le nez de temps en temps.

Parfois des objets mystérieux me sont tombés du ciel, une carte postale ou une médaille, donnant lieu à de nouvelles recherches bien sûr.

 

Au début concentrée sur l’état civil, j’ai varié les sources en piochant dans le cadastre, les recensements, les matricules militaires (révélant au passage une belle bande de bras cassés). Les archives notariales m’ont révélé parfois de drôles de surprises. Puis, je me suis intéressée à des sources moins fréquentes comme des dossiers de carrières, les cahiers de doléances ou les Pupilles de la Nation.

Maintenant j’explore de nouvelles séries aux archives comme les séries Q Enregistrement et hypothèque ou B Cours et juridiction (bientôt sur le blog). Tout cela me permet d’étoffer ma généalogie, de lui donner corps et chair.

 

J’ai découvert des usages locaux inconnus, des vêtements ou des habitats traditionnels.

J’ai appris plein de mots nouveaux : tissus, métiers, objets du quotidien, mais aussi vocabulaire notarial, militaire ou régional. Vous pouvez retrouver leurs définitions dans la page Lexique de ce blog où je les ai répertoriés.

C’est mon plaisir associé à la généalogie : non seulement dénicher de nouveaux ancêtres, mais aussi faire de nouvelles découvertes - historiques, géographiques, régionales… - apprendre et combler ma soif de savoirs.


J’ai rencontré des généalogistes, une communauté bienveillante et toujours prête à partager et aider, notamment sur les réseaux sociaux. Grâce au blog j’ai aussi fait la connaissance de nouveaux cousins (dont une "multiple cousine" qui se reconnaitra) de façon virtuelle ou dans la vie réelle.


Mais pourquoi un blog ? Rédiger un article est un bon moyen de faire un point sur ses recherches. Évidemment c’est un excellent prétexte pour m’adonner à mon goût pour l’écriture. C’est aussi une question de partage, de générosité. Mes ancêtres ne sont pas uniquement à moi : ils sont aussi les ancêtres d’autres personnes, connues ou inconnues. Leurs histoires peuvent les intéresser aussi. Et intéresser d’autres personnes, sans liens familiaux – ce qui reste un grand mystère pur moi. Par ailleurs, un blog c’est bien pratique pour l’entraide parfois : lorsqu’on bloque sur un point, une recherche, la solution vient souvent d’un lecteur.

 

Point chiffre

  • A la fin de ce mois, ce blog comptera 612 articles publiés.
  •   Un peu plus de 463 300 vues ont été recensées à l’heure où j’écris ces lignes, et 1 270 commentaires.
  • Le trafic du blog vient (dans cet ordre) de Google, Twitter, Facebook et Flipboard.
  • Mes lecteurs viennent principalement de France, des États-Unis… et plus étonnamment du Danemark et de Russie (et d’autres pays encore…).

 

Je profite de cet anniversaire pour remercier chaleureusement tous les lecteurs de ce blog. Les fidèles comme les nouveaux. Ceux qui commentent ici et ceux qui préfèrent le faire sur les réseaux sociaux. Ceux qui m’aident quand j’en ai besoin. Ceux qui m’encouragent, me soutiennent.

 

J’ai toujours ce petit frisson au moment de cliquer sur « Publier » un article. Cette attente de vos réactions et observations. Alors, si mes ancêtres continuent à me souffler leurs histoires, je suis prête à repartir pour dix ans. Et vous ?

 

 

 

U comme Union

A Conques il existait un couvent. On trouve cette communauté féminine sous plusieurs noms : Sœurs de l'Union, Filles de l'Union ou Filles du Travail.


Ancien couvent des Sœurs de l'Union


Elles furent établies à Conques vers 1733 pour enseigner (« dire la leçon ») aux jeunes filles. Pour cela, elles ne percevaient pas d’honoraires (contrairement au maître d’école, pour les garçons, qui percevait 150 livres). Au milieu du XVIIIème siècle elles étaient 8.

Ce sont elles qui ont donné le terrain où s’est établi l’hospice. Deux d’entre elles étaient au bureau dudit hospice.

 

Ces sœurs s’apparentent aux communautés de « pieuses filles » fondées à partir du XVIIème siècle, intermédiaires entre les tiers ordres (association de fidèles s'inspirant, le plus souvent, de la règle d'un ordre religieux) et les congrégations religieuses. Elles se distinguent des nonnes qui prononcent des vœux, apportent une dot à leur communauté, que l’on trouve davantage en ville.

 

Elles étaient dites parfois « sœurs agrégées » ou « associées ». Le succès vient de la polyvalence des sœurs, ce qui correspond aux besoins des communes rurales des régions pauvres : elles soignent les malades et les orphelins, assistent les mourants, font la toilette du mort, entretiennent le linge d’église, catéchisent les enfants, les initient au moins à la lecture comme aux travaux d’aiguille. Elles s’adressent en particulier aux jeunes filles des milieux pauvres. Simplicité, pauvreté et amour du travail les caractérisent. Elles sont souvent d’origine modeste. Ces communautés peuvent être très petites, comptant moins d’une dizaine de sœurs.


Les Sœurs de l’Union Chrétienne s’inscrivent dans ce courant. C’est une congrégation fondée en Rouergue au XVIIème siècle. Les sœurs se présentent à l’origine non comme des religieuses, mais comme des « veuves ou des filles unies dans une maison pour l’éducation et l’instruction des jeunes filles ». Devant leur succès, l’évêque de Rodez les reconnaît officiellement et leur accordent un règlement en 1682. En 1700 ces religieuses enseignantes obtiennent les lettres patentes du roi qui leur assure une reconnaissance officielle. Présentes dans les villes, dès les années 1680, elles ont, par la suite, essaimé dans tout le Rouergue en assurant une instruction sommaire aux jeunes filles.

Plusieurs Sœurs de l’Union apparaissent dans les registres paroissiaux.

Sépulture Françoise Issanjou/Issanchou, 1783 © AD12

"Françoise Issanchou sœur des Filles de l’Union âgée d'environ soixante et dix ans, mourut audit couvent le 22 janvier 1783 et fut enterrée le lendemain par nous curé soussigné, en présence de Me Jean Pierre Aymé vicaire, d'Arnaud Costes qui n’a su signer de ce requis"

 Elle était probablement la fille de mes sosas 1118 et 1119.

 

Sépulture Jeanne Astorg © AD12

"…a été inhumée Jeanne Astorg agrégée aux Filles de l'Union de cette ville décédée de la veille âgée d’environ 75 ans…"

Sépulture Catherine Cabroulie, 1790 © AD12

"L’an 1790 et le 6ème octobre a été inhumée Catherine Cabroulie fille agrégée aux Sœurs de l'Union de cette ville, restante à l'hôpital, décédée de la veille âgée d’environ 28 ans…"