« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 12 novembre 2024

J comme jules

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

De nombreux témoins déclarèrent attester des relations étroites qu’entretenaient Françoise GUILLOT avec Vincent REY. Ainsi le Sieur Victor ROUGE bourgeois de Samoëns, qui avait bien connu le soldat pendant l’hiver et le printemps où il avait été de quartier dans le bourg (il avait même eu son cheval dans son écurie) avait bien sûr reconnu le cadavre conduit sur un traîneau et mis dans la chambre où s’assemble le conseil de la paroisse. C'était celui de Vincent REY. Il déclara au juge que ce soldat fréquentait la maison de François JAY et il l’avait vu aller très souvent du côté de cette maison. Un bruit public disait qu’il aimait Françoise GUILLOT femme dudit François JAY.

« L’on m’a bien dit aussi, et je crois que c’est Antoine Joseph GERDIL du présent bourg de Samoëns, que le susdit soldat était venu de Cluses où il était de quartier dans le courant du mois de novembre proche passé pour voir la susdite Françoise GUILLOT. » Très en colère, Vincent REY avait alors déclaré audit GERDIL, entre autres, qu’il « fallait qu’il coupasse la soutane du Révérend chanoine CHOMETY si haute qu’il montra le cul ». Il n’avait pas su la raison de ce discours, mais comme il était aussi bien connu que le Révérend chanoine CHOMETTY fréquentait aussi la maison dudit François JAY, où on le voyait souvent, et qu’il était bon ami avec la Françoise GUILLOT femme dudit François JAY… Il n’était pas difficile d’imaginer les raisons de cette colère. 

 

Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Discret Joseph GERDIL, vers le dix ou quinzième du mois de novembre dernier, se promenait en effet derrière les asle [halles] du bourg, lorsque vers les dix heures du soir, il rencontra le soldat Vincent REY du régiment de Séville. Il était pour lors de quartier à Cluses. Le connaissant parfaitement, ils se saluèrent. « Après quoy je luy demanday par quel hazard il se trouvait icy. Il me dit qu’il était venu trouver la Françoise GUILLOT femme de François JAY de cette paroisse qui luy avait promis du beurre et pour luy rendre une chemise de son mary quelle luy avait porté. » Il lui demanda ensuite depuis combien de temps il était à Samoëns. Le soldat répondit qu’il n’y avait pas longtemps qu’il était parti de Cluses et qu’en arrivant il était allé chez ladite Françoise GUILLOT femme de François JAY au village de Levy. Là, ayant entendu la voix d’un homme qui parlait dans la maison, il était allé vers la fenêtre pour distinguer à qui appartenait cette voix. N’ayant pu le déterminer, il n’était pas entré. Vincent REY lui demanda si François JAY était dans la paroisse et si c’était lui qui était avec la Françoise GUILLOT sa femme. Mais Joseph GERDIL n’en savait rien. Il « luy demanday aussi en badinant s’il n’avait rien à craindre en venant ainsy trouver les femmes des autre et sil n’appréhendait rien de la part du Révérend chanoine CHOMETTY », puisqu’il savait qu’il fréquentait cette maison. Vincent REY répliqua en sortant son sabre de son fourreau : « Voilà ce qui est pour Monsieur CHOMETY si je l’y attrappe. Iceluy veux couper la robe si près qu’il montrera le cu et si l’on ne m’ouvre pas la porte je passeray par la fenestre et il y aurat du carillon. » Après quelques tours en parlant de choses semblables, ils se quittèrent et Vincent REY alla dans cette maison en disant : « Si l’on ne m’ouvre pas il ny aura que Monsieur CHOMETTY qui me le payera. »

 

Les témoignages firent valoir que non seulement Françoise GUILLOT avaient des relations avec Vincent REY, mais aussi avec le Révérend CHOMETTY. Ce que confirma notamment l’Honorable Jean Louis GRENAND, natif de la vallée delit [de Liddes ?] pays de Valley [Valais] habitant de la paroisse de Samoëns depuis environ six mois, au juge RAMBERT.

Il avait bien connu le Révérend chanoine CHOMETTY et se souvenait que plusieurs jours avant la St François de Sales [24 janvier], dans le mois de décembre dernier, en se retirant vers les neuf à dix heures avant minuit, il rencontra ce Révérend CHOMETTY qui allait du côté de la maison de François JAY marié à Françoise GUILLOT.

Et peu de temps après, c’est à dire vers la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier, il le rencontra encore aux environs de minuit. Il était suivi d’une servante qu’il ne connaissait pas. Il allait vers la maison dudit François JAY. Jean Louis GRENAND se trouvait alors avec un nommé Joseph GALLEY, qui était à présent en Valais, qui lui dit que Françoise GUILLOT était sa maîtresse.

Lors de son témoignage, Jean Louis GRENAND ajouta qu’Anne Christine REY sa femme, ayant appris que le Révérend CHOMETTY s’était sauvé, lui avait dit que cela lui faisait bien plaisir. Elle espérait qu’il ne viendrait plus par ici car elle n’aimait pas les prêtres « qui aimaient à caresser les femmes ». En effet, un jour il était venu chez elle sous le prétexte de voir un tailleur qui travaillait chez eux et il avait voulu l’embrasser

 

 

lundi 11 novembre 2024

I comme investigations sanglantes

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Mais revenons un peu en arrière. Le Sieur Philibert BARDY, bourgeois de la paroisse de Samoëns, avait bien connu le soldat Vincent REY pendant qu’il était de quartier pendant l’hiver et le printemps proche passé. Il l'avait vu passer presque tous les jours, au devant de sa maison qui est au pied du bourg de Samoëns, allant au village de Levy. « Et comme le bruit était publique qu’il aimait la femme de François JAY appelée Françoise GUILLOT je ne l’ai pas suivi pour voir où il allait, persuadé qu’il allait dans cette maison et ne m’étant pas aperçu qu’il en aye frequenté d’autre. »

Il avait entendu dire aussi, peut-être de Me REVEL magasinier de Cluses, que ledit Vincent REY venait très souvent à Samoëns pendant la nuit pour voir la Françoise GUILLOT. Et que même cette dernière était allée le trouver une fois à Cluses.

 

C’était connu, aussi, que le Révérend chanoine CHOMETTY allait très souvent chez François JAY, tant de jour que de nuit, que ledit François JAY soit dans la paroisse ou non.

 

La rumeur se précisait sur le modus operandi du meurtre : d’après Josette DUC, la servante de BARDY, c’était le Révérend chanoine CHOMETTY avec François JAY qui avait tué le soldat Vincent REY et qu’ils l’avaient mis dans un grand seau pour le porter. Mais que n’ayant pas put y entrer on l’avait mis dans un pétrissoire [pétrin, maie] pour le transporter dans l’endroit où on l’avait trouvé et ce, afin que l’on ne voit pas les traces qu’aurait put faire le sang qu’il répandait.

 

Investigations, création personnelle inspirée de Van Ostade
Investigations, création personnelle inspirée de Van Ostade


Le juge fit donc venir Josette DUC et lui demanda comment elle savait que CHOMETTY et JAY avaient agit ainsi. Elle répondit que c’était Claudine DUC sa sœur qui le lui avait dit le dimanche précédent en sortant de l’église. Celle-ci, interrogée à son tour, expliqua comment elle l’avait appris : « Je passais dimanche dernier un peu avant la grand messe au devant du château de Madame la baronne de St Christophle et je vis une vingtaine de personnes assemblées qui parlaient sur la mort du cadavre du soldat que l’on avait mis dans la chambre où l’on tient le conseil. Et j’entendis que le fils de feu Claude BIORD, dont j’ignore le nom de baptême, disait aux autres qui étaient assemblés avec lui que c’était Monsieur le chanoine CHOMETY avec François JAY du village de Levy qui avait tué le susdit soldat et avait porté son cadavre dans les bois du commun de Bérouze. » C’est là qu’elle avait entendu l’histoire du seau et du pétrissoire.

 

Le juge remonta la source de la rumeur et fit venir le fils BIORD, qui se prénommait Pierre François. Celui-ci expliqua qu’il avait fait partie des gardes envoyés par le Sieur DUSAUGEY, châtelain, pour surveiller le cadavre qu’on venait de découvrir dans les bois, couché au dessous d’un sapin dans un petit buisson. Il s’y était rendu sur environ les dix, onze heures du soir et y releva Pierre Joseph BURNIER qui était de garde depuis l’après-midi. A dix pas du cadavre on avait allumé un feu pour se réchauffer. Et étant là, il se mit à discourir sur la mort de ce cadavre avec Claude EXCOFFIER, Joseph FAVRE et Joseph TRONCHET, qui étaient comme lui venus relever les autres gardiateurs. Après être tous convenus que le soldat n’avait pas été tué sur l’endroit, puisque l’ont n’y voyait point la neige foulée ni aucune marque de sang, et que de plus on ne voyait point de traces de sang tout le long du chemin, ils convinrent qu’il fallait que le cadavre eût été apporté là dans un seau. Ou dans un pétrissoire, parce que peut-être qu’il n’avait pas pu aller dans le seau et qu’il fallait bien qu’il eut été apporté dans quelque meuble semblable. « Ce que nous dimes par conjectures et sans aucun fondement que celuy dont je viens de parler » conclu le témoin.

- Et ce ne fut aussi que comme des conjectures et comme une simple imagination que vous avez répété cela dimanche passé, au devant de la maison de madame la baronne de St Christophle ? demanda le juge.

Acquiescement du témoin. « Mais je ne dis point que ce fut François JAY ny le Révérend chanoine CHOMETY qui eusse tué ledit cadavre. Il est bien vray qu’il y en eut un de la compagnie, sans me rappeler lequel c’est, qui dit que ce ne pouvait pas être autre que ledit Révérend chanoine CHOMETY et ledit François JAY qui eussent tué le susdit cadavre, puisqu’ils s’étaient sauvé dès le moment qu’on l’avait découvert. Et parce que ce cadavre avait beaucoup fréquenté en son vivant, pendant qu’il était de quartier icy, la maison dudit François JAY. Laquelle ledit Révérend CHOMETTY fréquentait aussi, ainsy que la chose est publique. Mais il ne parlait de même que sur ses deux conjonctures » admit-il.

 

Compte tenu de ces déclarations, le juge DELAGRANGE se transporta de nouveau jusqu’au village de Levy, accompagné de Me BIORD vice fiscal et Me VUARCHEX, assisté du Sieur Philibert BARDY et de Nicolas REMOND métral de la présente paroisse, pris pour témoins.

Après avoir fait prêter serment aux témoins, ils entrèrent dans la cuisine de la maison appartenant à François JAY, puis dans la chambre qui est au levant de ladite cuisine où avaient été remarqué lors de leur précédente visite deux pétrissoires. Les ayant retrouvés, ils les examinèrent de nouveau et en firent sortir un, de la longueur de cinq pieds et demi de Roy [167,64 cm] et large d’un bon pied et demi de Roy [45,72 cm], qui était fendu d’un côté à trois endroits et de l’autre d’un seul. Dedans ils remarquèrent que l’on avait pétri. Le juge le fit renverser, et remarqua que l’on avait appliqué une pièce de fer pour soutenir les trois fentes. Laquelle pièce ne tenait plus que d’un côté avec un clou. De l’autre, on avait bouché une fente avec de la peau blanche en façon d’emplâtre et quatre clous. Et du côté où était la pièce de fer, le pétrissoire était tout ensanglanté.

Le sang avait ruisselé par les trois fentes notamment auprès de la pièce de fer. On voyait qu’il était sorti de l’intérieur du pétrissoire vers le dehors, avec plus d’abondance à ces endroits là que dans les autres.

 

Ils s’accordèrent tous pour dire qu’il fallait que l’on eut renversé le pétrissoire pendant que le sang était encore frais pour qu’il eût coulé depuis le milieu jusqu’au bord. Et qu’il fallait encore que le sang eut été fort abondant pour se répandre de la manière constatée. Après quoi ils firent de nouveau tourner le pétrissoire pour observer s’ils voyaient des traces de sang en dedans, mais bien qu’ils l’aient correctement ratissé, ils n’y trouvèrent rien que de la pâte à pain sèche.

 

Cependant,  en se tournant à la droite de la chambre, du côté de la paroi, ils remarquèrent dans un vieux coffre de sapin couvert, plusieurs taches de sang. Et dans la chambre, une aisse [esse=objet, crochet, agrafe en forme de S] ensanglantée.

 

Ayant fait apporter l’autre pétrissoire, ils le trouvèrent de la longueur de trois pieds  [91,44 cm] sur un pied de large [30,48 cm], soutenu par quatre pièces de bois qui y étaient attachées. Dans ce pétrissoire, ils ne trouvèrent pas le moindre vestige de sang.

Ayant remarqué qu’il y avait un trou dans le plancher près de la paroi le juge le fit fouiller et y trouva une quantité de poils de cochons. Sur quoi il demanda si François JAY avait fait tuer un cochon mais aucun des témoins ne le savait. Claude DUNOYER DUPRAZ, qui était par hasard dans la cuisine, déclara avoir vu François JAY en faire tuer un, vers la saint Martin [11 novembre] proche passé. Sur cette déclaration, le juge enjoignit audit Claude DUNOYER DUPRAZ, à la réquisition dudit vice fiscal, de revenir en donner la déclaration authentique.

 

Ils ne trouvèrent aucune autre marque dans la chambre, nonobstant leurs diligentes recherches.

 

Le lendemain Claude DUNOYER DUPRAZ, revint déposer officiellement et déclara qu’il passait au village de Levy un matin quelques jours après la St Martin proche passé et, étant entré dans la maison du François JAY pour prendre du feu et allumer sa pipe, il vit que la Françoise GUILLOT sa femme « plumait un cochon » [sic] dans la chambre qui est au levant de ladite maison. Que ledit cochon était dans un pétrissoire qui était à peu près de la longueur de cinq pieds et demi et de la largeur d’un et demi, « qui est le même que celuy où nous trouvates du sang. […] Je puis vous assurer Monsieur que c’est bien dans ce même petrissoire où ledit cochon était. Je le reconnais à la longueur, largeur et aux deux extrémités par lequel on le porte. D’ailleurs l’autre est trop petit et le cochon n’aurait pas put y entrer parce qu’il était fort gros. »  

 

samedi 9 novembre 2024

H comme Hop ! Il faut fuir

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Après le témoignage du Sieur Jean André DELACOSTE (voir la lettre E de ce ChallengeAZ), l’Honorable Thérèse DELACOSTE femme de François Joseph DUNOYER. confirma qu'elle avait bien vu Françoise GUILLOT avant sa fuite le samedi passé, dixième février. La Françoise GUILLOT femme de François JAY vint alors chez elle, c'est-à-dire dans le moulin appelé le Moulin de la Maison, situé au village du Moulin, dans la présente paroisse, sur environ midi. Elle lui demanda si elle avait fait moudre un quart d’orge qu’elle avait apporté chez elle. Lui ayant répondu que non, Françoise GUILLOT  lui en demanda qui n’était pas moulu. Mais la meunière n’en n’avait pas non plus.

Lui ayant demandé où elle allait, Françoise GUILLOT lui dit : « le chanoine CHOMETTY s’est sauvé, il faut que je me sauve aussy ». Là dessus elle passa le pont de Clevieux qui est dans le susdit village et s’en alla chez Nicolas GUILLOT son père, où la meunière la suivit pour prendre du lait. Elles ne parlèrent plus de rien en chemin parce que Françoise GUILLOT marchait devant l’autre. Et quand elle fut chez Nicolas GUILLOT elle trouva la Françoise GUILLOT arrêtée au devant de la maison. Elle la laissa là et s’en alla dans l’écurie prendre du lait, que lui donna Jeanne Antoine mère de ladite GUILLOT [Jeanne Antoinette VUAGNAT épouse GUILLOT]. Et ensuite elle s’en revint chez elle.


Village des Moulins, création personnelle inspirée de Delcampe
Village des Moulins, création personnelle inspirée de Delcampe

Nombreux furent ceux qui virent les accusés dans leur fuite. Le samedi, sur environ les dix heures du matin, Jean Baptiste SAULTHIER avait vu passer le Révérend CHOMETTY qui avait voulu lui cacher sa destination. Il était à cheval, au village des Moulins, avec un manteau et des grosses sacoches. Lorsqu’il lui demanda où il allait comme cela, le chanoine lui répondit qu’il allait en sixt [à Sixt, paroisse voisine]. Il le laissa partir mais vit, à quelques pas de là, qu’il s’arrêtait et discutait avec Jeanne GUILLOT sœur de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Il n’entendit pas ce qu’il lui disait en l’abordant, mais en la quittant il lui dit : « Ne dites pas que je fus partis ». Plus tard, on lui a dit qu’on l’avait vu passer et qu’il prenait le chemin du village des plagnies [Les Pleignes] et qu’il prenait par là un chemin contraire à celui de Sixt, et qu’il s’en éloignait au lieu d’y aller. 

Celle-ci avait trouvé le Révérend CHOMETTY un peu triste. Il lui avait dit uniquement : « Il ne faut pas dire que vous m’avez vu ny parler, mais cependant faite dire à votre sœur, en parlant de la Françoise GUILLOT femme de François JAY, de se retirer à cause des Espagnols. » Sans lui dire le motif pour lequel sa sœur dû craindre les Espagnols ni moins encore pour avoir trempé dans l’homicide du cavalier ou pour d’autres choses. Il se retira et suivit sa route du côté de Valley [le Valais, en Suisse]. Elle s’en fut donc dire à sa sœur de se retirer. Ce que sa sœur lui dit qu’elle ferait.  

 

Une rumeur commence à se répandre... L’Honorable Henry DUBUISSON, âgé de quarante deux ans, employé aux gabelles de profession, natif de la paroisse de Nouvelle En France [non identifiée, NDLR], de poste à Samoëns habitait depuis environ trois ou quatre mois dans une maison tout près de celle du Révérend Nicolas CHOMETTY : de fait, il le connaissait bien. S’il ne savait rien concernant le meurtre qui était arrivé à un cavalier trouvé mort à Samoëns, il savait néanmoins que depuis cette découverte le chanoine avait quitté la paroisse de Samoëns. Il l'avait lui aussi rencontré ce samedi dixième février. Il « monta à cheval et me toucha la main sans me dire où il allait. Et demy heure après partit un nommé CHOMETTY, son frère, qui me dit qu’il reviendrait le lundy après ». Le chanoine était allé au pays de Valais, d’après ce qu’il avait ouï dire. Le Sieur Aymé ROUGE et le Révérend Sieur GRILLET l’auraient rencontré sur le chemin de Turin.

Lors de son audition le juge lui demanda comment il était habillé, s’il portait une soutane d’été ou d’hiver, mais le témoin n’y avait pas fait attention.

L’Honorable Jean Aymé GINDRE, le marguillier [laïc chargé de la garde et de l’entretien de l’église] de la paroisse avait bien vu le Révérend CHOMETTY dans l’église de Samoëns tous les jours après le vingt cinq ou vingt six janvier, et par diverses fois encore, jusqu’au temps où il avait prit la fuite pour le pays de Valais. Mais il n’avait pas observé que depuis cette date du vingt six janvier il ait porté une autre soutane que celle qu’il était revêtu habituellement ou qu’il ait porté une soutane d’été


Le Sieur Aymé ROUGE revenait de Turin, où il était au service de Sa Majesté du Roy de Sardaigne comme garde du corps, lorsqu'il rencontra le vingt six février dernier au lieu d’orssier [Orsières] dans le pays de Valais le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY. Surpris, il lui demanda où il allait. « Il me dit qu’il allait à Turin, qu’il avait eut quelques différents avec les chanoines de Samoëns et qu’il s’en allait chercher du pain ailleurs. Et il m’adjouta que s’il n’en trouvait pas il s’en retournerait. » Et ensuite il ne fut plus question entre eux ni de son voyage ni du pays. Mais il ne le vit plus en Valais ni ailleurs. Ni lui, ni François JAY, la Françoise GUILLOT sa femme ou leur servante. Ce n’est que de retour dans sa maison de Samoëns qu’il apprit, « par la voye publique » que l’on avait tué un cavalier du régiment de Séville dans la maison de François JAY et que l’on accusait de complicité le Révérend CHOMETTY.

 


Ce fameux samedi, l’Honorable Gaspard Joseph BURNIER revenait à Samoëns avec son épouse et son frère, après avoir diné en abbondance [à Abondance, 55 km au Nord de Samoëns]. Cheminant pour passer la montagne du corbi [Le Corbier] située dans la paroisse du Biot, il y fit la rencontre de la Françoise GUILLOT femme de François JAY et de la Claudine VUAGNAT sa servante et précédées d’un homme qui n’est pas de la paroisse de Samoëns et qui lui était inconnu. Demandant à ladite GUILLOT où elle allait, elle répondit : « Je m’en vais un peu contre ce pays. » Il lui en demanda le motif, parce qu’il l’observait un peu triste, mais elle ne fit aucune réponse. Il suivit alors sa route. Et ce n’est qu’arrivés à Taninges, dans le logis du nommé LACROIX, que deux hommes qui buvaient en ce cabaret, qui lui étaient inconnus, lui apprirent ce qui c’était passé à Samoëns. Apprenant qu’il rentrait chez lui, ils dirent : « Hé ! quel malheur qu’il est arrivé à Samoëns. L’on n’y a tué un cavalier, et même dans le village de Levy. L’on n’y a envoyé une compagnie de dragon en direction. » Ne sachant rien sur cette affaire-là, il ne répondit pas.

C’est après s’être restauré et, rentré chez lui, que la rumeur lui détailla l’affaire et les soupçons portés contre les accusés.

 

La mère de la servante, l’Honorable Claudaz Françoise PARCHET, femme de Jean Pierre VUAGNAT, elle aussi, s’était aperçue de la fuite des JAY après la découverte du cavalier du régiment de Séville mort et plié dans son manteau dans les bois de Bérouze. Comme la Claudine VUAGNAT sa fille était à leur service et ne n’avait encore point avoir prit la fuite, elle eu l’occasion de la rejoindre. Et comme elle se disposait aussi elle-même à se retirer, elle l’aida à porter, pendant quelques temps, une partie de son bagage. Cependant elle ne lui dit pas les motifs pour lesquels elle se retirait, ni ceux pour lesquels lesdits mariés JAY s’étaient retirés. Après avoir cheminé quelques temps, arrivées près de la maison de son mari, elle la quitta et lui remis son bagage. « Ce qu’il a y a de sûr, c’est que je ne l’ay jamais vue ny me suis apperçu où elle est allée, ny que lesdits mariés JAY non plus que le Révérend chanoine CHOMETTY, lequel pris aussi la fuite le même jour et pour le même fait. »

 

Finalement, la rumeur se confirme : les fuyards sont en Valais. L’Honorable Claude RIONDEL, tailleur de pierre, les a rencontrés là-bas : « Comme j’étais informé que Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns s’était enfuit les pays de Valley, avec la Françoise GUILLOT, femme de François JAY, et celuy cy, avec la Claudine VUAGNAT leur servante. Et que le Révérend Sieur CHOMETTY me devait deux cent cinquante livres à la suite d’une commande qu’il m’avait passé le neuf janvier dernier, je me rendis à Bex [en Suisse, NDLR] […] où j’y trouvais ledit Révérend CHOMETTY avec François son frère et la Françoise GUILLOT. Et là je lui demandais mon payement […]. »

Étant entré en conversation avec lui, de même qu’avec la Françoise GUILLOT, au sujet dudit homicide et de leur fuite, ils lui dirent l’un et l’autre qu’ils étaient forts innocents de ce meurtre et qu’ils avaient mieux aimé prendre la fuite que de se laisser saisir. Le Révérend CHOMETTY lui demanda avec empressement ce que l’on disait en Savoye à l’occasion de ce meurtre. Il lui répondit que la justice avait saisis les effets des JAY et que l’official* enquêtait sur sa vie et ses mœurs. 

 

François SIMOND, maçon et tailleur de pierre de profession s’était rendu en Valais, à Bex, à cause de travaux qu’il réalisait en ce lieu, avec Jean François BURNIER. François JAY et sa femme, virent les y rejoindre. Après s’être informé de ce qu’ils faisaient de bon et leur avoir dit qu’on les accusait à Samoëns d'avoir tué ce cavalier, ils répondirent que ce n’était que trop vrai. Ils racontèrent comme la chose s’était passée, produisant l’un et l’autre le même récit dans toutes les circonstances. François JAY ajouta encore qu’il ne croyait pas avoir péché véniellement et que s’il n’avait craint d’avoir à faire avec la justice ordinaire, il ne se serait point bougé ni évadé. Mais il avait appréhendé que la troupe ne le saisisse et de n’être pas écouté par elle.

 

 

Carte de Samoëns et autres lieux

 

 

* Juge ecclésiastique. Voir intro de ce ChallengeAZ pour en savoir plus sur le rôle des juges.

 

 __________________________________________

Pour en savoir plus

Les suspects n’ont peut-être pas tort de prendre la fuite car les faits commis étant passibles de la peine de mort, ils risquent avant tout la torture pendant leurs interrogatoires.

 

La torture

Elle est codifiée dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Lorsqu'on condamnera l'accusé à la peine de mort, ou à celle des galères, on ordonnera toujours la torture sur le chef des complices ; ce qu'on observera aussi à l'égard des femmes, lorsque la peine de la prison, du fouet, ou du bannissement leur aura été infligée au lieu de celle des galères. »

En effet, le recours à la torture est habituel, destiné à arracher la confession du suspect. Elle peut ainsi être ordonnée par le juge dans les crimes graves lorsque les indices ne sont pas suffisants pour condamner l’accusé : on le soumet à la question afin d’obtenir ses aveux, et disposer ainsi contre lui d’une preuve complète pouvant entraîner sa condamnation. La torture ordonnée par le juge est celle du « trait de corde », ou estrapade, qui consiste à attacher l’accusé par les membres, le soulever du sol en tirant sur les cordes, puis le laisser retomber lourdement. Ce peut être aussi le tourment des « dadi » » (brodequins) : pièces de bois servant à serrer les jambes du suspect. L’inculpé qui avoue lors de son application à la torture ou lors de l’interrogatoire qui la précède, doit répéter ses déclarations le jour suivant et hors du lieu de torture. En cas de rétractation, il peut être de nouveau questionné jusqu’à trois reprises.

De même, « ceux qui cachent les Bandits », sont condamnables de la façon suivante :

« Il est défendu à toute sorte de personnes, de quelque état & qualité qu'elles soient, de cacher, favoriser ou secourir aucun bandit de notre domination, condamné à la mort ou aux galères tant perpétuelles que pour un temps, sous peine d'une peine pécuniaire considérable ; excepté que les contrevenants ne soient leur père, mère, fils, frère, sœur, ou femme, lesquels cependant seront punis d'une peine proportionnée aux circonstances du cas & à la qualité du délit.

Nous exemptons de toute peine les femmes à l'égard de leurs maris, & ceux-ci par rapport à leurs femmes, comme aussi les parents jusqu’au troisième degré, qui les secourront hors de nos Etats à une distance au moins de quinze milles, en leur fournissant de l'argent ou d'autres secours, pour vivre. »