« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 3 novembre 2025

C comme crèches pléthoriques

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile a la bougeotte : je lui compte 31 adresses différentes en près de 80 ans de vie ! Record du monde du nombre de crèches (dans mon arbre tout au moins). Elle a déménagé plus souvent que le vent ne tourne. Ça été un peu duraille de la suivre. 


Déménagement © Création personnelle d'après Bing

 

    Durant son enfance, la gamine a fait ses valises 4 fois avec ses parents, de Rochecotte à Angers. Toc ! On démarre le compteur.

    Jeune mariée, elle suit son Augustin, ce gendarme qui bougeait ses fesses au gré de ses affectations en Anjou. Paf ! 2 nouvelles adresses au tableau de chasse. Puis Augustin démissionne de la maréchaussée (mais ça il faudra que je vous en reparle) et la famille se dépiaule au grès des emplois, d’abord en Anjou (1 baraque en plus, crac !) puis en Aveyron, du côté de Decazeville. Là, j’imagine qu’ils ont chopé un train pour y aller car c’est carrément une autre région, pas une petite trotte du dimanche.

    Le chemin de fer est en plein développement depuis ses débuts dans les années 1830. Des grandes Compagnies (Paris-Lyon-Méditerranée, Paris-Orléans, etc…) ont obtenu des concessions pour aménager le réseau d’intérêt général. En 1865 les départements et les communes sont autorisés à exécuter, soit eux-mêmes, soit par voie de concession, des voies ferrées d'intérêt local, pour desservir les coins paumés. Le maillage territorial ferroviaire était déjà balèze (18 000 km environ). Le chemin de fer c’était la fin de l'isolement, le début des grands déplacements, le monde qui se rétrécissait à grande vitesse. C'était bien plus qu'un moyen de transport. C'était un symbole, celui d'une époque qui avançait à toute vapeur, sans se soucier du rétroviseur.

    Est-ce que Cécile et Augustin sont passés par Tours, Limoges et Brive, finissant leur trajet par le tronçon Capdenac-Aubin, créé à la fin des années 1850 justement pour desservir le pôle houiller et sidérurgique majeur que devient Decazeville ? Bon, en tout cas, sûrement une belle galère de voyage qui ne s’est pas fait à bord de l’Orient Express ! Comptez un jour et demi minimum, avec 3 ou 4 correspondances dans des trains qui roulaient à 40 ou 60 km/h, crachant une fumée noire qui noircissait le ciel et les poumons. Cécile a sans doute fait le voyage en 3ème classe, sur des banquettes de bois nu qui te sciaient le derrière, dans des voitures bruyantes, non chauffées, probablement sans toilettes encore, qui secouaient ses passagers mieux qu’un panier à salade. Toujours mieux qu’en voiture à cheval qui mettait 10 à 15 jours, dans des conditions guère plus chouettes, cahotant sur des routes défoncées.

    Mais revenons à nos moutons et à nos changements de cloche : le père d’Augustin lui a en effet trouvé un poste de garde mine à Aubin, dans le nouveau bassin minier de Decazeville alors en plein essor. 3 nouvelles adresses en 4 ans. Bim ! 

 

Domiciles de Cécile en Aveyron 

 

    La famille revient ensuite à Angers, et là, c'est le grand festival : 11 nouvelles adresses en 16 ans. Selon la tradition familiale, Augustin était journalier dans des fermes (ou peut-être dans des usines, mais ça c’est moi qui le dis parce qu’il habite exclusivement en ville et les fermes c’était pas trop l’ambiance du coup). Un jour ici, un jour là. Des boulots qui s’usent plus vite que les bottes et des fiches de paye qui font honte à l’encre. Quand il n'y avait plus de travail, on le renvoyait. Il mettait ses effets dans un coffre, la marmaille par-dessus, le tout dans une charrette à bras, et partait avec toute la famille à pied à la recherche d'un nouvel emploi. J’vous l’dit : la joncaille ne coulait pas à flot comme les chutes du Niagara. À mon avis, c’était plutôt le désert de Gobi.

 

Domiciles de Cécile à Angers 

 

    D’après mes investigations pendant cette période, il a été journalier au moins dans une usine d'Angers, une filature (en 1901). C’est ce que j’ai de plus précis. C'est-à-dire pas grand-chose en somme.

    Toujours selon la tradition orale Augustin recherchera ensuite, par ses propres moyens, à pied, du travail dans la région parisienne (durée de la vadrouille : 10 à 15 jours).

    Du taf, il en trouve. Du coup, il fait venir femme et enfants à Ivry. Mais il ne reste pas sédentaire : 6 turnes supplémentaires en 9 ans, entre Val de Marne et Paris 13e. Boum !

 

Domiciles de Cécile à Ivry 

 

    C’est là que décède Augustin. Mais là, c’est pas fini. Pendant ses 23 ans de veuvage, Cécile va naviguer dans le 13ème arrondissement de Paname : 4 nouvelles adresses. Hop ! On arrête le compteur à 31.

 

Domiciles de Cécile à Paris

 

    Ça en fait des déménagements. Pas des « on-cherche-un-meilleur-quartier », non, plutôt des « le loyer est trop cher ». Cécile, elle a porté ses meubles sur le dos de la misère et son courage dans un torchon.

    Elle a fait entre 1 600 et 2 000 km dans sa vie (la distance précise est difficile à évaluer car on ignore quelles routes elle a prises dans chacun de ses déplacements). Une furieuse ration de kilomètres en tout cas ! Rien qu’en dépiaulage, leurs godasses ont dû demander leur démission.

    Quelques mois, c’est la période la plus courte où Cécile est restée dans la même cabane. C’était en 1914. Il faut dire que le décès de son époux l’a sans doute obligée à déménager vite fait.

    10 ans (et peut-être même 15) : c’est la plus longue période où Cécile est restée à la même adresse – et c’était après le décès de son mari et ses multiples emplois : de 1916 à 1926 elle a demeuré 68 rue Clisson (Paris 13e). Durant cette période elle a partagé son appartement avec Louis Rosala, la concubine de son fils Benoît (bon, elle c’est sûr, il faudra que je vous en entretienne aussi et que je vous explique l’histoire de cette belle-fille illégitime). Et de 1918 à 1921, au moins, s’y ajoute son fils François et sa famille. Je ne sais pas si Cécile habite toujours là entre 1927 et 1931, et si on vous le demande, vous n’aurez qu’à dire qu’on n’en sait rien. Mais ce qui est sûr c’est qu’en 31 elle a à nouveau déménagé.

    Entre les petites masures d’Aubin (presque la campagne) et les immeubles de Paname si hauts qu’on dirait qu’ils montent jusque chez Saint Pierre, on peut dire que Cécile a connu la variété dans ses home sweet home.

    Si on parle de distance, son plus court déménagement a lieu à la fin de sa vie (entre ses deux dernières adresses) de la rue de Tolbiac jusqu’à la rue Sthrau à Paris : 170 m (ce sont deux rues voisines).

    Le plus long est entre Angers et Aubin : environ 500 km (déménagement qu’elle a fait dans les deux sens).

    La recherche fréquente de gagne-pain est donc sans doute la cause de tous ces déménagements. La famille était modeste et les divers perchoirs qu’elle a occupés tout autant. À l’image de l’appartement de la Cité Jeanne d’Arc (Paris 13e) où a habité Cécile après le décès d’Augustin. Cette cité, aujourd’hui disparue, était composée de trois immeubles collectifs de six étages, situés dans le quartier de la Gare d’Austerlitz. On y entrait par une arcade. Ce grand ensemble était la propriété de l’Assistance Publique. Il avait été bâti entre 1869 et 1872, à l’initiative d’un propriétaire privé qui possédait ce terrain, dans un quartier où l’industrialisation galopait à fond, près de la gare, la raffinerie Say, les chocolats Lombart ou les usines Panhard-Levassor. 

 

La Cité Jeanne d'Arc, Paris 13e
Cité Jeanne D'arc, entrée © Le Bon Coin

 

    Les locataires étaient majoritairement composés du populo, ouvriers attirés par les usines environnantes. Composé de 860 logements, dont 540 n’avaient qu’une seule pièce, ils pouvaient abriter plus de 5 000 personnes. Mais ils étaient sans confort, et la plupart de leurs occupant étaient des chômeurs, des ouvriers peu qualifiés, ou des femmes seules. Ça suait la misère par tous les pores ici. Rapidement, cet ensemble devient un ghetto insalubre et carrément craignos. Dans cette cité-là, t’as l’impression que les bâtiments ont été construits avec les regrets d’un architecte dépressif. À peine quelques années après sa construction une épidémie de variole avait déjà ravagé la Cité. La Commission des logements insalubres de la ville de Paris attribua l’insalubrité à la surpopulation des bâtiments : dans les logements à une seule pièce prévu pour un couple (et éventuellement un moutard en bas âge), on comptait souvent 5 à 7 bougres et dans les 3 pièces ils étaient 8 à 10. Aïe !
    La commission préconisa des travaux, en partie réalisés en 1903. Les logements étaient sombres et vous pouvez oublier la vue sur la mer, si vous voyez ce que je veux dire. Ils n’avaient pas l’eau courante non plus, jugée comme un « gaspillage onéreux » vu la mentalité et les habitudes des occupants (ben tiens !), mais des bornes-fontaines furent établies au pied des bâtiments à la disposition des locataires (merci Monseigneur). Un pavage avait rendu plus facile le nettoyage des communs, que le sol crotteux des passages et impasses souillait constamment auparavant. En clair, c’était pas ouf ces travaux.
    En 1911, la situation n’avait guère évolué favorablement : les huisseries étaient défectueuses, les papiers peints en lambeaux, les vitreries parfois manquantes. Si l’humidité payait un loyer, ces appartements auraient été riches comme Crésus. Même les rats devaient faire demi-tour en voyant ce palace. C’était pas joli, joli quoi. On projeta de démolir la Cité mais la destruction fut reportée à cause de la Première Guerre Mondiale. C’est à l’été 1914 que Cécile y emménagea. Et c’est sûrement pas ici qu’elle a marché sur des tapis moelleux comme une tranche de pudding. Elle y resta deux ans. En 1924, l'Assistance publique céda la Cité à une société privée. Dans les années 1930 la démolition de ces « bâtiments lépreux et sordides » est finalement actée et réalisée.

    Ça me donne un peu le cafard de savoir que Cécile a vécu dans cette Cité miteuse. Mais à vrai dire, j’ignore comment était ses autres domiciles : c’était peut-être comme ça souvent. Des cagibis où même un hamster claustrophobe ferait la gueule, et une vue imprenable sur le mur du voisin. J’espère que non.

 

 

dimanche 2 novembre 2025

B comme bagatelle homologuée

Sur les pas de Cécile

 

    Dans l’entourage de Cécile, on trouve Augustin Pierre Jean Astié. Ce gazier est né à Conques, mais n’y a pas traîné ses guêtres longtemps : son père, gendarme, ayant été nommé en Corse, le petit Augustin a passé son enfance sous le soleil de l'île de Beauté. Du coup, dans la famille, ça nous a donné la légende de l’ancêtre Corse, mais qui n’était pas du tout Corse en fait (voir ici). Une belle histoire, mais une connerie, en fait. C’était juste un Aveyronnais qui avait vécu en Corse.

    Devançant l’appel militaire, Augustin se porte volontaire et a mis ses miches dans les combats de la guerre franco-prussienne de 1870 (voir la lettre K de ce ChallengeAZ, patientez un peu, please). Un vrai patriote, ou un casse-cou, c'est selon. Il a dû en voir des vertes et des pas mûres, ce gamin, face aux Prussiens qui ne rigolaient pas.

    Faisons connaissance avec le bonhomme, puisque les militaires, ces gars à croquer, nous ont gentiment dit comment était sa trogne : il a les cheveux et les yeux châtain foncé, les sourcils noirs, le nez et le front ordinaire, le menton et le teint rond (sic), la bouche moyenne, le visage ovale. Il mesure 1,71 m. 

    Après les tambours de la guerre, il passe dans la réserve de l’armée active en mars 1873. Ça, ça veut dire qu'il ne risque plus de prendre une baïonnette dans le ventre à chaque coin de rue, mais que l’armée le garde sous le coude au cas où il y aurait une nouvelle baston.

    Libéré de ses obligations militaires, le voilà en quête d'un gagne-pain. C’est sans doute grâce au réseau local et familial qu’il trouve cette place d’employé de commerce à Angers (retournez à la lettre A de ce ChallengeAZ si vous avez déjà oublié ce détail). Eh oui, Alexandre Rols, le patron a déjà fait venir un jeune employé originaire de Conques. Augustin Pierre Jean a dû suivre la même voie. Conques c'est pas New York, les familles devaient se connaître comme le fond de leurs poches. On ne sait pas avec précision quand il débarque à Angers, mais c’est probablement vers la fin de 1873. Il a alors 22 ans. Il est logé chez les Rols, au 31 rue de la Roë, au-dessus de l’épicerie. Il y fait la connaissance de la fille aînée de la maison, quelqu’un qu’on connaît, Cécile Marie Augustine, âgée de 16 ans. 

 

Rencontre © Bing 

 

    Les cœurs qui s'emballent, les regards qui se croisent et les destinées qui s'entremêlent. Inutile de poétiser, les deux jeunes gens tombent rapidement amoureux puisque dès l’été 1874 ils projettent de se marier. J’ai bien compté et recompté : les délais sont courts. Ils sont mordus. Ça, ça s’appelle un coup de foudre ou je m’y connais pas. Le genre qui te retourne la cervelle et t’empêches de viser droit. Le feu d’artifice dans les tripes. Ils sont pris dans l’engrenage et convolent en justes noces à Angers en janvier 1875. La rapidité de l'éclair !

    Dans l’acte de mariage ils sont tous les deux dits mineurs (ils ont 23 et 17 ans). Rappelons qu’à cette époque la majorité matrimoniale est fixée à 25 ans pour les garçons et 21 pour les filles. Ouais les poulettes, elles sont plus matures que les gars, du moins aux yeux de la loi. Faisons ici un rapide point juridique : la majorité matrimoniale c'est l'âge où tu peux te marier sans demander la permission à tes vieux. Avant cet âge, le quidam ne peut se marier qu'avec la bénédiction parentale. Cet âge, il a fait la girouette au fil des siècles. Mais le Code civil de 1804 dit que c’est 25 et 21. En 1907 ça change : 21 ans pour tout le monde, comme la majorité civile, l'âge où tu es capable de signer des contrats et d'acheter une maison sans que tes parents te tiennent la main. Un mineur peut être propriétaire, mais il ne peut disposer librement de sa propriété ni en principe s'engager seul (à moins d'être émancipé).

    Donc pour se marier Augustin doit avoir de l’accord de ses parents. Les auteurs de ses jours ne sont pas présents : ils crèchent en Aveyron. Ils sont passés devant un notaire pour bicher officiellement le mariage du fiston. D’ailleurs, leur consentement notarié est joint à l’acte d’état civil. Ça c’est cool pour moi, généalogiquement parlant.

    Sans ce papier, pas de noce. Si le fiancé n’avait pas eu l’accord de ses parents, c’était mal barré. Mais tout n’était pas perdu : il pouvait recourir à un notaire, qui se déplace à domicile, pour adresser une « sommation respectueuse » aux parents récalcitrants. On dit que la sommation est respectueuse, car la demande est formulée avec respect, et surtout parce qu’elle est faite sans chichis de justice (c’est un notaire et non un huissier qui vient poliment). Fallait s'y prendre trois fois, chacune espacée d’un mois. Si les vieux continuaient à s'opposer au mariage après le 3ème refus, la noce pouvait être célébrée quand même. Durant ce laps de temps les parents espéraient voir leur rejeton se racler la soupière et renoncer en se rangeant à leur avis. C’était censé éviter une union précipitée.

    Bref, les parents d’Augustin ont donné leur permission (même de loin). Et ceux de Cécile aussi (de près : ils sont présents à la noce). OK, tout le monde est d’accord, ça colle : les jeunes peuvent se marier. Ils le font en présence de témoins : l’oncle maternel de Cécile, Charles Puissant, armurier à Candé près d’Angers ; le frère d’Augustin, Adrien, soldat au 3ème régiment de génie ; et deux amis des époux. Une petite assemblée, simple, sans fioritures.

 

Acte de mariage Astié-Rols 1875 © AD49
Acte de mariage Astié-Rols, 1875 © AD49 

 

    Ils n’ont pas fait de contrat de mariage. Mais Alexandre Rols a donné à sa fille, à titre d’avancement d’hoirie (ça c’est le beau mot pour dire héritage), tant en argent qu’en objets mobiliers, une somme de 2 000 francs. Une belle dot pour l'époque, mais qui n’a été constatée par aucun acte authentique. Manque de bol, comme il a utilisé son aller simple pour le Paradis avant de doter son autre loupiote, Cécile devra rembourser cette somme pour que sa sœurette ne soit pas lésée. Ça, ça se passe lors de la succession de leur mère (attendre la lettre T de ce ChallengeAZ pour en savoir plus).

    Les parents d'Augustin, on l'a dit, ne sont pas là. Mais ils ont envoyé leur consentement depuis leur résidence d’Aubin (Aveyron) où le père est alors garde mine. Là, ça peut paraître bizarre que des parents ne viennent pas à la bénédiction nuptiale de leur fils, mais il ne faut pas oublier qu’ils habitaient à 500 km, que les transports ne sont pas encore super développés, qu’on était en plein hiver et qu’ils avaient un niveau de vie modeste : ce n’est donc pas vraiment étonnant qu’ils n’aient pas entrepris un si grand voyage. C’était même plutôt courant à l’époque.

    Les deux époux ont signé l’acte de mariage.

    Le jeune couple continue d’habiter à l’étage de l’épicerie de la rue de la Roë, avec beau-papa et belle-maman. C’est là que naîtra l’année suivante le premier de leurs onze mouflets.

 

 

samedi 1 novembre 2025

A comme apparition préliminaire

Sur les pas de Cécile

 

    En ouverture, je vous présente les zèbres de l’affaire. Cécile a pointé le bout de son nez en 1857 à St Patrice (Indre et Loire), sous une étoile sans doute un peu pâlotte. Elle est la fille d’Alexandre Rols et Marie Anne Puissant. 

 

Arrivée © Création personnelle d'après Bing 


    Bon, on se pose deux minutes pour un topo vite fait pour nous rappeler l'ambiance du Second Empire. Depuis 1852 Louis Napoléon Bonaparte (le neveu de Napoléon Ier) s’est plus ou moins auto proclamé empereur sous le nom de Napoléon III. Au début c’est un régime bien corseté avec peu de libertés politiques, pas de contestation, une presse à la botte, des opposants au placard ou en exil. Puis dans les années 1860, il desserre un poil l’étau, l'Empereur : il laisse causer un peu l'opposition, fait mine d’écouter le Parlement, donne un soupçon de liberté — mais attention, hein ! c’est toujours lui le patron. C’est lui qui choisit les ministres, qui commande l’armée, la diplomatie et qui pond les lois qu'il fait approuver par le peuple par des votes populaires appelés plébiscites, histoire de se dire : « Voyez, c’est votre idée ! ».    
    Côté pognon, c’est la belle époque ! La production industrielle est en plein essor, les usines crachant leur fumée et leurs richesses attirant un paquet de grouillots dans les villes. Enfin, les campagnes s’en sortent pas trop mal non plus (bon, pas chez tous les paysans, hein, faut pas exagérer non plus, mais on a connu pire).
    Le pays se modernise. Le chemin de fer se développe, tissant sa toile partout, réduisant les distances et ouvrant les horizons. Le télégraphe, ce fil magique qui transmet les nouvelles à la vitesse de l'éclair, révolutionne la communication. C’est l'époque des expositions universelles, ces vitrines géantes où l'on montrait au monde entier les dernières inventions, les merveilles de l'industrie et de la science. La France est à la pointe, fière de ses ingénieurs, de ses savants à lorgnons, de ses industriels replets. Haussmann, lui, retourne Paris comme une crêpe, avec ses grands boulevards et ses immeubles tout propres. Les grands magasins fleurissent, la photo se ramène, bref, ça sent la fine gâchette du progrès sur le pays.

 

    Alexandre, le père de Cécile, est alors concierge au château de Rochecotte. Il bosse pour Pauline de Talleyrand Périgord, veuve Castellane. Elle, je vous la présente parce que c’est un peu du gratin quand même : c’est la troisième enfant de Dorothée de Courlande et d'Edmond de Talleyrand-Périgord, duc de Dino. Je vous le donne en mille : une vieille famille de la noblesse française qui plonge ses racines en plein Moyen-Age. Bref, c’est pas rien. Veuve en 1847, Pauline vit la plupart du temps au château de Rochecotte, qui lui a été donné par sa mère. 


Château de Rochecotte © parcsetjardins.fr 

 

     Elle mène une vie simple et dévote. Il paraît en fait qu’elle passa sa vie à expier le péché de sa naissance, vu que d'aucuns prétendent qu'elle serait la fille de Talleyrand (celui rendu célèbre par la Révolution) et qu'elle le savait. Et qu’elle en avait honte. Elle y meurt en 1890 âgée de 70 ans.

    Malgré la vie pieuse que menait la châtelaine, a-t-elle organisé des bals ? des bamboches ? des noubas ? 

    Alexandre Rols a-t-il vu passer du beau monde au château ? Des crinolines, des chapeaux haut de forme et tout et tout ? Visiblement moins qu’à l’époque où sa mère régnait sur le château et où sont passés pas moins que Balzac, Adolphe Thiers et Talleyrand bien sûr, qui séjourna très souvent à Rochecotte. Rien que ça ! Donc un tas d’uniformes chamarrés et de toilettes étincelantes. Cependant, même si des événements chics et mondains ont été organisés au château, Alexandre n’étant que le concierge, devait surtout surveiller l'entrée au bout du parc pendant que les autres levaient leur coupe de champagne. Faut pas mélanger les torchons et les serviettes.

    Toujours est-il que si Alexandre a passé une dizaine d’années à Rochecotte (à partir du milieu de la décennie 1850), il n’est pas originaire de ce patelin. Ni lui si sa femme, d’ailleurs. Sûr et certain : la famille Rols est originaire de Conques (Aveyron). C’est sans doute grâce à son frangin François Benjamin (de 15 ans son aîné) qu’Alexandre est arrivé à St Patrice. Et là, c'est le grand jeu des chaises musicales qui commence. Le grand l’a devancé non seulement dans le bled, mais au château de Rochecotte où il était domestique et « garde particulier ». Alexandre lui-même a commencé tout en bas de l’échelle comme domestique avant de grimper les marches pour devenir concierge de la chouettarde baraque. Et il a probablement remplacé à ce poste de concierge Antoine Sibaut, qualifié comme tel lors de son décès en 1854. 

    Ce compère n’est autre que le cousin éloigné d’une certaine Marie Anne Puissant. Si vous avez été attentif au début de ce billet, vous aurez reconnu la mère de notre Cécile. Elle venait de l'Anjou, et c'est sûrement grâce à ce cousin qu'elle a mis ses pieds en Indre-et-Loire. Bref, toute la flopée arrive là grâce à un membre de sa famille. La solidarité, ça existait déjà avant la Sécurité sociale.

    Le monde des larbins du château de Rochecotte ne devait pas être si étendu qu’Alexandre et Marie Anne ne puissent pas se calculer. Donc ils se rencontrèrent, s’aimèrent et se marièrent en janvier 1856. En octobre, un petit gars déboule, prénommée Alexandre, comme le paternel. Mais la vie est une garce, et le bambin ne vit que 7 mois, hélas. Un coup dur, mais la vie, ça continue. Le petit ange est aussitôt suivi d’une seconde naissance, Cécile Marie Augustine, notre héroïne, en août 1857. Une gamine qui, sans le savoir, allait traverser un siècle de misères et de courage. Et si elle est née dans un château, c'est un peu par hasard, et sûrement pas à cause de la fortune vu qu'elle était pas du bon côté du gratin.


    Est-ce que le rôle d’employé ne suffisait pas à Alexandre ? Marre de cirer les bottes de la noblesse ? Voulait-il être son propre patron, loin des dorures et des sourires forcés ? Les sources ne le disent pas (elles sont souvent aussi claires qu'un jus de chaussettes celles-là), mais à l’orée des années 1860 le bonhomme prend femme et enfant sous le bras, quitte Rochecotte et s’installe à Angers, région d’origine de sa chère et tendre.
    Il y ouvre un premier commerce, au pied de la cathédrale : il devient marchand bonnetier (1861) – dit aussi marchand de mercerie (1862) ou marchand de blouses (1866)
 – bref un petit boutiquier qui vendait des chiffons et des fils. Bon, alors là les sources commencent à cafouiller sévère : on le dit aussi peigneur de laine (donc un gars qui peigne des fibres textiles au moyen d'une machine à cylindres garnis d’aiguilles appelée peigneuse). Ce qui, soyons honnête, n’a rien à voir avec le petit commerce. Je ne sais pas d’où ça sort, ce métier, c’est n’importe quoi. En plus sa femme est bien dite marchande de commerce à cette époque. C’est pas clair. Bon, on va garder l’hypothèse du boutiquier, sinon on ne va pas s’en sortir et on va s'embrouiller les pinceaux plus vite qu'un chat dans un pelote de laine*.

    Son chiffre d’affaires devait tenir debout avec des ficelles et deux prières à Saint-Loyer… qui n’ont pas été entendues. La bonneterie a dû capoter puisqu’il met les bouts et change de taf : en 1868 on le retrouve concierge à la Banque de France. Mais la parenthèse est brève, sans doute le temps de se refaire une santé financière et mentale. Rapidement il ouvre un second commerce, une épicerie située rue de la Roë, artère commerçante du centre-ville, sans doute vers 1872. Là aussi les sources s’emmêlent les pinceaux concernant l’emplacement exact de la boutique : si vous avez envie d’en savoir plus, vous pouvez (re)lire cet article où j’ai bien parlé de la vie d’Alexandre.

 

    Entre-temps, la famille s'est agrandie. Deux mouflettes ont pointé le bout de leur nez, dont une qui n’a vécu que 9 mois. Cécile a 11 piges quand la p’tite dernière, sa frangine Élisabeth, vient au monde et une quinzaine d’années quand son paternel ouvre l’épicerie de la rue de la Roë. 

 

Alexandre Rols, Marie Anne Puissant et leur fille Élisabeth, vers 1871
© Collection personnelle

 

    La famille habite au-dessus de l’épicerie, avec un employé, un certain Jean (ou Germain) Guibert, qui n’est autre que le neveu d’Alexandre, originaire de Conques. La famille, ça se rassemble, ça s’entraide…

    L’année suivante le patron prend un autre jeune gars de Conques à l'épicerie, un certain Augustin Pierre Jean Astié. Qui est-il ? Le suspense est insoutenable. Ben... soutenez quand même parce que vous ne verrez ça que demain…

 

 

* Sosa va bien, merci pour lui (message pour les fidèles de ce blog)