Nos ancêtres passaient leur vie chez le notaire. C'est un fait : on les y trouvait plus souvent qu'au bistrot. Les tabellions sont gardiens des secrets de famille et des fortunes (ou des misères) qui changent de mains. On y va pour négocier une dot, bailler une ferme, consigner un contrat d’apprentissage ou rédiger ses dernières volontés pour que l’un des fistons ne dilapide pas l’héritage parental au détriment de ses frérots par exemple.
Ainsi, les parents de Cécile ont eu affaire au notaire pour passer leur contrat de mariage, acheter une maison, faire une procuration, apparaître dans le règlement de l’héritage d’une cousine lointaine ; et leurs héritiers ont fait procéder à l’inventaire ou au partage de leurs biens après leurs décès. Bref, je leur tombe dessus régulièrement.
Le notaire, c'est pas un simple gratte-papier. C'est le prêtre de la propriété, le confesseur des transactions, l'homme de loi qui te scelle le destin avec un bon coup de tampon et une signature bien grasse. Il t’écoute pas, il t’archive. On requérait à ses services pour faire pondre les actes auxquels on devait ou voulait donner une marque d'authenticité. Le notaire est le magicien qui transforme les désirs en clauses juridiques, les rêves en articles de loi. Le seul à écrire noir sur blanc ce que t’oseras jamais dire à personne. C’est un officier public, qui doit s’assurer du consentement des différentes parties lors de la rédaction d’un contrat ou d’une transaction impliquant des personnes (physiques ou morales) et des biens (mobiliers ou immobiliers). Il doit s’assurer de la bonne application des actes passés devant lui et éviter embrouilles et prises de bec. Il est aussi garant de leur conservation. Il remet un exemplaire aux parties (la « grosse », et non, ce n’est pas une insulte) et en garde lui-même une copie (la minute). Le notaire peut même intervenir après qu’un gusse soit monté au paradis : il vérifie alors que les directives testamentaires soient bien suivies et peut procéder, à la demande des héritiers, à un inventaire et/ou un partage des biens de leur ascendant qui n’a plus mal aux dents.
Dans les fonds notariés, on peut trouver des actes familiaux (contrats de mariage, testaments, comptes de tutelle, contrats d’apprentissage…), des actes relatifs à la propriété (acquisitions, ventes, baux, droits de passage, devis de travaux…), des actes de crédits (quittances, obligations, prêts, titres de rente…), des actes liés au contexte politique (droits féodaux, communautés religieuses, assemblées des habitants…). C’est super varié et ça donne plein d’infos. C’est Byzance, quoi !
Ici commence la minute historique pour allumer votre fanal : l’institution du notariat est ancienne (elle puise son origine au Haut Moyen-Age). Elle connaît des différences géographiques entre le Nord et le Sud, sous l’influence respective du droit coutumier et du droit romain. Le notaire exerce sa fonction au nom de l’autorité dont il dépend : le seigneur, l’évêque ou le roi lui-même. On parle alors de notaires seigneuriaux, apostoliques ou royaux. Leur résidence doit être fixe. Ils ne peuvent rédiger leurs actes que dans le ressort de la juridiction dont ils dépendent (sauf les notaires royaux qui peuvent exercer dans l’ensemble du royaume).
Selon les époques et les régions les notaires partagent leurs tâches avec les tabellions (particulièrement chargés de la rédaction des grosses), les gardes-scel (qui scellent les actes) ou les gardes-notes (qui conservent les minutes des notaires décédés).
Pour que les actes soient juridiquement sans défaut, ils doivent obéir à certaines règles (comporter la date, le nom du roi, des témoins, des contractants, le lieu, l’objet du contrat…). Du XXVIème au XVIIIème, l’autorité royale tend à unifier les pratiques notariales dans l’ensemble du royaume au travers de plusieurs textes, comme l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui institue l’obligation de rédiger clairement les actes afin d’éviter toute ambiguïté, de ne communiquer les actes qu’aux contractants, instituant par là le secret professionnel, de tenir un répertoire et de conserver les minutes, etc… Les règles pour devenir notaire se précisent (âge limite, achat de sa charge, être jugé « de bonne vie et mœurs », prêter serment…). La Révolution abolit les anciennes catégories (notaires, royaux, seigneuriaux et apostoliques) pour les remplacer par un corps unique appelé notaires publics. Les minutes doivent être déposées aux greffes des tribunaux. Hérédité et vénalité des offices sont supprimées. Le cumul des charges (notaire, greffier, juge…) est interdit. Les conditions d’accès au notariat sont légèrement modifiées mais sont toujours strictement encadrées. Voilà, j'ai fini.
La variété des actes notariés apporte de quoi déterminer le niveau de vie de nos ancêtres, leurs relations sociales ou intrafamiliales, leurs possessions, etc… Même les plus indigents faisaient appel aux notaires. Ce qui fait des actes notariés une grande richesse en généalogie et, du coup, c’est toujours sympa d’en trouver.
Manque de bol, il n’y a pas plus de trace de Cécile chez un notaire que de cheveux sur la tête d’un hanneton.
Je sais que Cécile et Augustin n’ont pas passé de contrat de mariage, mais le père de la future lui a promis 2 000 francs sans qu'il y ait eu un acte authentique, selon l'inventaire après décès d'Alexandre Rols. Une occasion manquée.
Après ça, faut bien avouer que ma quête ressemble à un 110 m haies : je me heurte à différents obstacles. D’abord les archives départementales de Maine et Loire n’ont pas mis leur fond notarial en ligne. Et comme je ne suis pas sur place, impossible de voir si Cécile a traîné ses guêtres dans une étude notariale. Ensuite, pour la courte période où elle a habité en Aveyron, les minutes du notaire local n’ont pas été encore numérisées. Pas de notaire en ligne en Val de Marne non plus, pour la période 1905/1913 où elle crèche à Ivry.
Après avoir convoqué ma précieuse personne à une conférence ultra privée, je décide que je ne comprends rien à l’état des fonds en ligne sur le site des archives du Val de Marne : il n’indique pas d’étude notariale à Ivry. Pourtant lorsque sa loupiote Marie se marie à Angers en 1905, Cécile envoie un consentement passé devant Me Ballin notaire à Ivry (d'après l'acte de mariage en question). Donc il y a des notaires à Ivry. Au moins un. En 1909, à nouveau dans l’impossibilité de se déplacer en Anjou (pour le partage des biens de sa daronne après son décès), Cécile fait une procuration devant Me Ballu notaire de Vitry S/Seine. En tapant son nom, mon ami Google me sort un fichier Excel des archives où il figure. Donc, il existe. Fichier que je ne trouve pas sur le site lui-même soit dit en passant ! Bon, dans ce fichier il n’y a pas de Ballin, du coup je me demande si Ballin n’est pas en fait Ballu, dont l’officier d’état civil d’Angers aurait écorché le nom. Ou pas.
Finalement Cécile a bien eu affaire quelques fois avec des notaires, au moins en région parisienne, juste quelques éclats de procurations, ici et là, comme des miettes dans la nappe. De toute façon, cela ne change rien : je ne suis pas non plus sur place pour aller fouiner dans les liasses à la recherche de Cécile. J'en saurai pas plus.
En 1912, mon arrière-grand-père se marie, lui aussi à Angers : à nouveau Cécile et Augustin doivent envoyer leur consentement car ils ne peuvent pas se radiner en personne. Cette fois, ils le font devant le maire d’Ivry. Plus de notaire.
J’aurai bien aimé trouver les testaments de Cécile et d’Augustin, dernier message post-mortem, mots d’outre-tombe pour distiller ses maigres biens. Le testament c’est le reflet de la vie, des amours et des haines, gravé dans le marbre des clauses juridiques, sous le regard impassible de Maître Notaire. Mais là, ça se passe à Paris.
Et c’est le dernier obstacle, temporel celui-là : mettre la main un notaire parisien en 1914 et 1937, c’est pas trop possible. Mon cervelet distille des points d’interrogations mais je crois que c’est trop récent. Si y a maldonne et que c’est quand même faisable, surtout à 500 km de distance, n’hésitez pas à vous manifester : toute aide utile sera la bienvenue. Sinon, arrêtez les frais. Non mais, des fois, j’vous jure, on a la poisse.








