« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 4 novembre 2025

D comme damnée grosse

Sur les pas de Cécile

 

    Nos ancêtres passaient leur vie chez le notaire. C'est un fait : on les y trouvait plus souvent qu'au bistrot. Les tabellions sont gardiens des secrets de famille et des fortunes (ou des misères) qui changent de mains. On y va pour négocier une dot, bailler une ferme, consigner un contrat d’apprentissage ou rédiger ses dernières volontés pour que l’un des fistons ne dilapide pas l’héritage parental au détriment de ses frérots par exemple.  


Étude notariale © Création personnelle d'après Bing

 

    Ainsi, les parents de Cécile ont eu affaire au notaire pour passer leur contrat de mariage, acheter une maison, faire une procuration, apparaître dans le règlement de l’héritage d’une cousine lointaine ; et leurs héritiers ont fait procéder à l’inventaire ou au partage de leurs biens après leurs décès. Bref, je leur tombe dessus régulièrement.

    Le notaire, c'est pas un simple gratte-papier. C'est le prêtre de la propriété, le confesseur des transactions, l'homme de loi qui te scelle le destin avec un bon coup de tampon et une signature bien grasse. Il t’écoute pas, il t’archive. On requérait à ses services pour faire pondre les actes auxquels on devait ou voulait donner une marque d'authenticité. Le notaire est le magicien qui transforme les désirs en clauses juridiques, les rêves en articles de loi. Le seul à écrire noir sur blanc ce que t’oseras jamais dire à personne. C’est un officier public, qui doit s’assurer du consentement des différentes parties lors de la rédaction d’un contrat ou d’une transaction impliquant des personnes (physiques ou morales) et des biens (mobiliers ou immobiliers). Il doit s’assurer de la bonne application des actes passés devant lui et éviter embrouilles et prises de bec. Il est aussi garant de leur conservation. Il remet un exemplaire aux parties (la « grosse », et non, ce n’est pas une insulte) et en garde lui-même une copie (la minute). Le notaire peut même intervenir après qu’un gusse soit monté au paradis : il vérifie alors que les directives testamentaires soient bien suivies et peut procéder, à la demande des héritiers, à un inventaire et/ou un partage des biens de leur ascendant qui n’a plus mal aux dents.

 

    Dans les fonds notariés, on peut trouver des actes familiaux (contrats de mariage, testaments, comptes de tutelle, contrats d’apprentissage…), des actes relatifs à la propriété (acquisitions, ventes, baux, droits de passage, devis de travaux…), des actes de crédits (quittances, obligations, prêts, titres de rente…), des actes liés au contexte politique (droits féodaux, communautés religieuses, assemblées des habitants…). C’est super varié et ça donne plein d’infos. C’est Byzance, quoi !

 

    Ici commence la minute historique pour allumer votre fanal : l’institution du notariat est ancienne (elle puise son origine au Haut Moyen-Age). Elle connaît des différences géographiques entre le Nord et le Sud, sous l’influence respective du droit coutumier et du droit romain. Le notaire exerce sa fonction au nom de l’autorité dont il dépend : le seigneur, l’évêque ou le roi lui-même. On parle alors de notaires seigneuriaux, apostoliques ou royaux. Leur résidence doit être fixe. Ils ne peuvent rédiger leurs actes que dans le ressort de la juridiction dont ils dépendent (sauf les notaires royaux qui peuvent exercer dans l’ensemble du royaume).

    Selon les époques et les régions les notaires partagent leurs tâches avec les tabellions (particulièrement chargés de la rédaction des grosses), les gardes-scel (qui scellent les actes) ou les gardes-notes (qui conservent les minutes des notaires décédés).

 

    Pour que les actes soient juridiquement sans défaut, ils doivent obéir à certaines règles (comporter la date, le nom du roi, des témoins, des contractants, le lieu, l’objet du contrat…). Du XXVIème au XVIIIème, l’autorité royale tend à unifier les pratiques notariales dans l’ensemble du royaume au travers de plusieurs textes, comme l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui institue l’obligation de rédiger clairement les actes afin d’éviter toute ambiguïté, de ne communiquer les actes qu’aux contractants, instituant par là le secret professionnel, de tenir un répertoire et de conserver les minutes, etc… Les règles pour devenir notaire se précisent (âge limite, achat de sa charge, être jugé « de bonne vie et mœurs », prêter serment…). La Révolution abolit les anciennes catégories (notaires, royaux, seigneuriaux et apostoliques) pour les remplacer par un corps unique appelé notaires publics. Les minutes doivent être déposées aux greffes des tribunaux. Hérédité et vénalité des offices sont supprimées. Le cumul des charges (notaire, greffier, juge…) est interdit. Les conditions d’accès au notariat sont légèrement modifiées mais sont toujours strictement encadrées. Voilà, j'ai fini.

 

    La variété des actes notariés apporte de quoi déterminer le niveau de vie de nos ancêtres, leurs relations sociales ou intrafamiliales, leurs possessions, etc… Même les plus indigents faisaient appel aux notaires. Ce qui fait des actes notariés une grande richesse en généalogie et, du coup, c’est toujours sympa d’en trouver.

 

    Manque de bol, il n’y a pas plus de trace de Cécile chez un notaire que de cheveux sur la tête d’un hanneton.

    Je sais que Cécile et Augustin n’ont pas passé de contrat de mariage, mais le père de la future lui a promis 2 000 francs sans qu'il y ait eu un acte authentique, selon l'inventaire après décès d'Alexandre Rols. Une occasion manquée.

    Après ça, faut bien avouer que ma quête ressemble à un 110 m haies : je me heurte à différents obstacles. D’abord les archives départementales de Maine et Loire n’ont pas mis leur fond notarial en ligne. Et comme je ne suis pas sur place, impossible de voir si Cécile a traîné ses guêtres dans une étude notariale. Ensuite, pour la courte période où elle a habité en Aveyron, les minutes du notaire local n’ont pas été encore numérisées. Pas de notaire en ligne en Val de Marne non plus, pour la période 1905/1913 où elle crèche à Ivry.

    Après avoir convoqué ma précieuse personne à une conférence ultra privée, je décide que je ne comprends rien à l’état des fonds en ligne sur le site des archives du Val de Marne : il n’indique pas d’étude notariale à Ivry. Pourtant lorsque sa loupiote Marie se marie à Angers en 1905, Cécile envoie un consentement passé devant Me Ballin notaire à Ivry (d'après l'acte de mariage en question). Donc il y a des notaires à Ivry. Au moins un. En 1909, à nouveau dans l’impossibilité de se déplacer en Anjou (pour le partage des biens de sa daronne après son décès), Cécile fait une procuration devant Me Ballu notaire de Vitry S/Seine. En tapant son nom, mon ami Google me sort un fichier Excel des archives où il figure. Donc, il existe. Fichier que je ne trouve pas sur le site lui-même soit dit en passant ! Bon, dans ce fichier il n’y a pas de Ballin, du coup je me demande si Ballin n’est pas en fait Ballu, dont l’officier d’état civil d’Angers aurait écorché le nom. Ou pas.

 

    Finalement Cécile a bien eu affaire quelques fois avec des notaires, au moins en région parisienne, juste quelques éclats de procurations, ici et là, comme des miettes dans la nappe. De toute façon, cela ne change rien : je ne suis pas non plus sur place pour aller fouiner dans les liasses à la recherche de Cécile. J'en saurai pas plus.

    En 1912, mon arrière-grand-père se marie, lui aussi à Angers : à nouveau Cécile et Augustin doivent envoyer leur consentement car ils ne peuvent pas se radiner en personne. Cette fois, ils le font devant le maire d’Ivry. Plus de notaire.

 

    J’aurai bien aimé trouver les testaments de Cécile et d’Augustin, dernier message post-mortem, mots d’outre-tombe pour distiller ses maigres biens. Le testament c’est le reflet de la vie, des amours et des haines, gravé dans le marbre des clauses juridiques, sous le regard impassible de Maître Notaire. Mais là, ça se passe à Paris.

    Et c’est le dernier obstacle, temporel celui-là : mettre la main un notaire parisien en 1914 et 1937, c’est pas trop possible. Mon cervelet distille des points d’interrogations mais je crois que c’est trop récent. Si y a maldonne et que c’est quand même faisable, surtout à 500 km de distance, n’hésitez pas à vous manifester : toute aide utile sera la bienvenue. Sinon, arrêtez les frais. Non mais, des fois, j’vous jure, on a la poisse.

 

 

lundi 3 novembre 2025

C comme crèches pléthoriques

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile a la bougeotte : je lui compte 31 adresses différentes en près de 80 ans de vie ! Record du monde du nombre de crèches (dans mon arbre tout au moins). Elle a déménagé plus souvent que le vent ne tourne. Ça été un peu duraille de la suivre. 


Déménagement © Création personnelle d'après Bing

 

    Durant son enfance, la gamine a fait ses valises 4 fois avec ses parents, de Rochecotte à Angers. Toc ! On démarre le compteur.

    Jeune mariée, elle suit son Augustin, ce gendarme qui bougeait ses fesses au gré de ses affectations en Anjou. Paf ! 2 nouvelles adresses au tableau de chasse. Puis Augustin démissionne de la maréchaussée (mais ça il faudra que je vous en reparle) et la famille se dépiaule au grès des emplois, d’abord en Anjou (1 baraque en plus, crac !) puis en Aveyron, du côté de Decazeville. Là, j’imagine qu’ils ont chopé un train pour y aller car c’est carrément une autre région, pas une petite trotte du dimanche.

    Le chemin de fer est en plein développement depuis ses débuts dans les années 1830. Des grandes Compagnies (Paris-Lyon-Méditerranée, Paris-Orléans, etc…) ont obtenu des concessions pour aménager le réseau d’intérêt général. En 1865 les départements et les communes sont autorisés à exécuter, soit eux-mêmes, soit par voie de concession, des voies ferrées d'intérêt local, pour desservir les coins paumés. Le maillage territorial ferroviaire était déjà balèze (18 000 km environ). Le chemin de fer c’était la fin de l'isolement, le début des grands déplacements, le monde qui se rétrécissait à grande vitesse. C'était bien plus qu'un moyen de transport. C'était un symbole, celui d'une époque qui avançait à toute vapeur, sans se soucier du rétroviseur.

    Est-ce que Cécile et Augustin sont passés par Tours, Limoges et Brive, finissant leur trajet par le tronçon Capdenac-Aubin, créé à la fin des années 1850 justement pour desservir le pôle houiller et sidérurgique majeur que devient Decazeville ? Bon, en tout cas, sûrement une belle galère de voyage qui ne s’est pas fait à bord de l’Orient Express ! Comptez un jour et demi minimum, avec 3 ou 4 correspondances dans des trains qui roulaient à 40 ou 60 km/h, crachant une fumée noire qui noircissait le ciel et les poumons. Cécile a sans doute fait le voyage en 3ème classe, sur des banquettes de bois nu qui te sciaient le derrière, dans des voitures bruyantes, non chauffées, probablement sans toilettes encore, qui secouaient ses passagers mieux qu’un panier à salade. Toujours mieux qu’en voiture à cheval qui mettait 10 à 15 jours, dans des conditions guère plus chouettes, cahotant sur des routes défoncées.

    Mais revenons à nos moutons et à nos changements de cloche : le père d’Augustin lui a en effet trouvé un poste de garde mine à Aubin, dans le nouveau bassin minier de Decazeville alors en plein essor. 3 nouvelles adresses en 4 ans. Bim ! 

 

Domiciles de Cécile en Aveyron 

 

    La famille revient ensuite à Angers, et là, c'est le grand festival : 11 nouvelles adresses en 16 ans. Selon la tradition familiale, Augustin était journalier dans des fermes (ou peut-être dans des usines, mais ça c’est moi qui le dis parce qu’il habite exclusivement en ville et les fermes c’était pas trop l’ambiance du coup). Un jour ici, un jour là. Des boulots qui s’usent plus vite que les bottes et des fiches de paye qui font honte à l’encre. Quand il n'y avait plus de travail, on le renvoyait. Il mettait ses effets dans un coffre, la marmaille par-dessus, le tout dans une charrette à bras, et partait avec toute la famille à pied à la recherche d'un nouvel emploi. J’vous l’dit : la joncaille ne coulait pas à flot comme les chutes du Niagara. À mon avis, c’était plutôt le désert de Gobi.

 

Domiciles de Cécile à Angers 

 

    D’après mes investigations pendant cette période, il a été journalier au moins dans une usine d'Angers, une filature (en 1901). C’est ce que j’ai de plus précis. C'est-à-dire pas grand-chose en somme.

    Toujours selon la tradition orale Augustin recherchera ensuite, par ses propres moyens, à pied, du travail dans la région parisienne (durée de la vadrouille : 10 à 15 jours).

    Du taf, il en trouve. Du coup, il fait venir femme et enfants à Ivry. Mais il ne reste pas sédentaire : 6 turnes supplémentaires en 9 ans, entre Val de Marne et Paris 13e. Boum !

 

Domiciles de Cécile à Ivry 

 

    C’est là que décède Augustin. Mais là, c’est pas fini. Pendant ses 23 ans de veuvage, Cécile va naviguer dans le 13ème arrondissement de Paname : 4 nouvelles adresses. Hop ! On arrête le compteur à 31.

 

Domiciles de Cécile à Paris

 

    Ça en fait des déménagements. Pas des « on-cherche-un-meilleur-quartier », non, plutôt des « le loyer est trop cher ». Cécile, elle a porté ses meubles sur le dos de la misère et son courage dans un torchon.

    Elle a fait entre 1 600 et 2 000 km dans sa vie (la distance précise est difficile à évaluer car on ignore quelles routes elle a prises dans chacun de ses déplacements). Une furieuse ration de kilomètres en tout cas ! Rien qu’en dépiaulage, leurs godasses ont dû demander leur démission.

    Quelques mois, c’est la période la plus courte où Cécile est restée dans la même cabane. C’était en 1914. Il faut dire que le décès de son époux l’a sans doute obligée à déménager vite fait.

    10 ans (et peut-être même 15) : c’est la plus longue période où Cécile est restée à la même adresse – et c’était après le décès de son mari et ses multiples emplois : de 1916 à 1926 elle a demeuré 68 rue Clisson (Paris 13e). Durant cette période elle a partagé son appartement avec Louis Rosala, la concubine de son fils Benoît (bon, elle c’est sûr, il faudra que je vous en entretienne aussi et que je vous explique l’histoire de cette belle-fille illégitime). Et de 1918 à 1921, au moins, s’y ajoute son fils François et sa famille. Je ne sais pas si Cécile habite toujours là entre 1927 et 1931, et si on vous le demande, vous n’aurez qu’à dire qu’on n’en sait rien. Mais ce qui est sûr c’est qu’en 31 elle a à nouveau déménagé.

    Entre les petites masures d’Aubin (presque la campagne) et les immeubles de Paname si hauts qu’on dirait qu’ils montent jusque chez Saint Pierre, on peut dire que Cécile a connu la variété dans ses home sweet home.

    Si on parle de distance, son plus court déménagement a lieu à la fin de sa vie (entre ses deux dernières adresses) de la rue de Tolbiac jusqu’à la rue Sthrau à Paris : 170 m (ce sont deux rues voisines).

    Le plus long est entre Angers et Aubin : environ 500 km (déménagement qu’elle a fait dans les deux sens).

    La recherche fréquente de gagne-pain est donc sans doute la cause de tous ces déménagements. La famille était modeste et les divers perchoirs qu’elle a occupés tout autant. À l’image de l’appartement de la Cité Jeanne d’Arc (Paris 13e) où a habité Cécile après le décès d’Augustin. Cette cité, aujourd’hui disparue, était composée de trois immeubles collectifs de six étages, situés dans le quartier de la Gare d’Austerlitz. On y entrait par une arcade. Ce grand ensemble était la propriété de l’Assistance Publique. Il avait été bâti entre 1869 et 1872, à l’initiative d’un propriétaire privé qui possédait ce terrain, dans un quartier où l’industrialisation galopait à fond, près de la gare, la raffinerie Say, les chocolats Lombart ou les usines Panhard-Levassor. 

 

La Cité Jeanne d'Arc, Paris 13e
Cité Jeanne D'arc, entrée © Le Bon Coin

 

    Les locataires étaient majoritairement composés du populo, ouvriers attirés par les usines environnantes. Composé de 860 logements, dont 540 n’avaient qu’une seule pièce, ils pouvaient abriter plus de 5 000 personnes. Mais ils étaient sans confort, et la plupart de leurs occupant étaient des chômeurs, des ouvriers peu qualifiés, ou des femmes seules. Ça suait la misère par tous les pores ici. Rapidement, cet ensemble devient un ghetto insalubre et carrément craignos. Dans cette cité-là, t’as l’impression que les bâtiments ont été construits avec les regrets d’un architecte dépressif. À peine quelques années après sa construction une épidémie de variole avait déjà ravagé la Cité. La Commission des logements insalubres de la ville de Paris attribua l’insalubrité à la surpopulation des bâtiments : dans les logements à une seule pièce prévu pour un couple (et éventuellement un moutard en bas âge), on comptait souvent 5 à 7 bougres et dans les 3 pièces ils étaient 8 à 10. Aïe !
    La commission préconisa des travaux, en partie réalisés en 1903. Les logements étaient sombres et vous pouvez oublier la vue sur la mer, si vous voyez ce que je veux dire. Ils n’avaient pas l’eau courante non plus, jugée comme un « gaspillage onéreux » vu la mentalité et les habitudes des occupants (ben tiens !), mais des bornes-fontaines furent établies au pied des bâtiments à la disposition des locataires (merci Monseigneur). Un pavage avait rendu plus facile le nettoyage des communs, que le sol crotteux des passages et impasses souillait constamment auparavant. En clair, c’était pas ouf ces travaux.
    En 1911, la situation n’avait guère évolué favorablement : les huisseries étaient défectueuses, les papiers peints en lambeaux, les vitreries parfois manquantes. Si l’humidité payait un loyer, ces appartements auraient été riches comme Crésus. Même les rats devaient faire demi-tour en voyant ce palace. C’était pas joli, joli quoi. On projeta de démolir la Cité mais la destruction fut reportée à cause de la Première Guerre Mondiale. C’est à l’été 1914 que Cécile y emménagea. Et c’est sûrement pas ici qu’elle a marché sur des tapis moelleux comme une tranche de pudding. Elle y resta deux ans. En 1924, l'Assistance publique céda la Cité à une société privée. Dans les années 1930 la démolition de ces « bâtiments lépreux et sordides » est finalement actée et réalisée.

    Ça me donne un peu le cafard de savoir que Cécile a vécu dans cette Cité miteuse. Mais à vrai dire, j’ignore comment était ses autres domiciles : c’était peut-être comme ça souvent. Des cagibis où même un hamster claustrophobe ferait la gueule, et une vue imprenable sur le mur du voisin. J’espère que non.

 

 

dimanche 2 novembre 2025

B comme bagatelle homologuée

Sur les pas de Cécile

 

    Dans l’entourage de Cécile, on trouve Augustin Pierre Jean Astié. Ce gazier est né à Conques, mais n’y a pas traîné ses guêtres longtemps : son père, gendarme, ayant été nommé en Corse, le petit Augustin a passé son enfance sous le soleil de l'île de Beauté. Du coup, dans la famille, ça nous a donné la légende de l’ancêtre Corse, mais qui n’était pas du tout Corse en fait (voir ici). Une belle histoire, mais une connerie, en fait. C’était juste un Aveyronnais qui avait vécu en Corse.

    Devançant l’appel militaire, Augustin se porte volontaire et a mis ses miches dans les combats de la guerre franco-prussienne de 1870 (voir la lettre K de ce ChallengeAZ, patientez un peu, please). Un vrai patriote, ou un casse-cou, c'est selon. Il a dû en voir des vertes et des pas mûres, ce gamin, face aux Prussiens qui ne rigolaient pas.

    Faisons connaissance avec le bonhomme, puisque les militaires, ces gars à croquer, nous ont gentiment dit comment était sa trogne : il a les cheveux et les yeux châtain foncé, les sourcils noirs, le nez et le front ordinaire, le menton et le teint rond (sic), la bouche moyenne, le visage ovale. Il mesure 1,71 m. 

    Après les tambours de la guerre, il passe dans la réserve de l’armée active en mars 1873. Ça, ça veut dire qu'il ne risque plus de prendre une baïonnette dans le ventre à chaque coin de rue, mais que l’armée le garde sous le coude au cas où il y aurait une nouvelle baston.

    Libéré de ses obligations militaires, le voilà en quête d'un gagne-pain. C’est sans doute grâce au réseau local et familial qu’il trouve cette place d’employé de commerce à Angers (retournez à la lettre A de ce ChallengeAZ si vous avez déjà oublié ce détail). Eh oui, Alexandre Rols, le patron a déjà fait venir un jeune employé originaire de Conques. Augustin Pierre Jean a dû suivre la même voie. Conques c'est pas New York, les familles devaient se connaître comme le fond de leurs poches. On ne sait pas avec précision quand il débarque à Angers, mais c’est probablement vers la fin de 1873. Il a alors 22 ans. Il est logé chez les Rols, au 31 rue de la Roë, au-dessus de l’épicerie. Il y fait la connaissance de la fille aînée de la maison, quelqu’un qu’on connaît, Cécile Marie Augustine, âgée de 16 ans. 

 

Rencontre © Bing 

 

    Les cœurs qui s'emballent, les regards qui se croisent et les destinées qui s'entremêlent. Inutile de poétiser, les deux jeunes gens tombent rapidement amoureux puisque dès l’été 1874 ils projettent de se marier. J’ai bien compté et recompté : les délais sont courts. Ils sont mordus. Ça, ça s’appelle un coup de foudre ou je m’y connais pas. Le genre qui te retourne la cervelle et t’empêches de viser droit. Le feu d’artifice dans les tripes. Ils sont pris dans l’engrenage et convolent en justes noces à Angers en janvier 1875. La rapidité de l'éclair !

    Dans l’acte de mariage ils sont tous les deux dits mineurs (ils ont 23 et 17 ans). Rappelons qu’à cette époque la majorité matrimoniale est fixée à 25 ans pour les garçons et 21 pour les filles. Ouais les poulettes, elles sont plus matures que les gars, du moins aux yeux de la loi. Faisons ici un rapide point juridique : la majorité matrimoniale c'est l'âge où tu peux te marier sans demander la permission à tes vieux. Avant cet âge, le quidam ne peut se marier qu'avec la bénédiction parentale. Cet âge, il a fait la girouette au fil des siècles. Mais le Code civil de 1804 dit que c’est 25 et 21. En 1907 ça change : 21 ans pour tout le monde, comme la majorité civile, l'âge où tu es capable de signer des contrats et d'acheter une maison sans que tes parents te tiennent la main. Un mineur peut être propriétaire, mais il ne peut disposer librement de sa propriété ni en principe s'engager seul (à moins d'être émancipé).

    Donc pour se marier Augustin doit avoir de l’accord de ses parents. Les auteurs de ses jours ne sont pas présents : ils crèchent en Aveyron. Ils sont passés devant un notaire pour bicher officiellement le mariage du fiston. D’ailleurs, leur consentement notarié est joint à l’acte d’état civil. Ça c’est cool pour moi, généalogiquement parlant.

    Sans ce papier, pas de noce. Si le fiancé n’avait pas eu l’accord de ses parents, c’était mal barré. Mais tout n’était pas perdu : il pouvait recourir à un notaire, qui se déplace à domicile, pour adresser une « sommation respectueuse » aux parents récalcitrants. On dit que la sommation est respectueuse, car la demande est formulée avec respect, et surtout parce qu’elle est faite sans chichis de justice (c’est un notaire et non un huissier qui vient poliment). Fallait s'y prendre trois fois, chacune espacée d’un mois. Si les vieux continuaient à s'opposer au mariage après le 3ème refus, la noce pouvait être célébrée quand même. Durant ce laps de temps les parents espéraient voir leur rejeton se racler la soupière et renoncer en se rangeant à leur avis. C’était censé éviter une union précipitée.

    Bref, les parents d’Augustin ont donné leur permission (même de loin). Et ceux de Cécile aussi (de près : ils sont présents à la noce). OK, tout le monde est d’accord, ça colle : les jeunes peuvent se marier. Ils le font en présence de témoins : l’oncle maternel de Cécile, Charles Puissant, armurier à Candé près d’Angers ; le frère d’Augustin, Adrien, soldat au 3ème régiment de génie ; et deux amis des époux. Une petite assemblée, simple, sans fioritures.

 

Acte de mariage Astié-Rols 1875 © AD49
Acte de mariage Astié-Rols, 1875 © AD49 

 

    Ils n’ont pas fait de contrat de mariage. Mais Alexandre Rols a donné à sa fille, à titre d’avancement d’hoirie (ça c’est le beau mot pour dire héritage), tant en argent qu’en objets mobiliers, une somme de 2 000 francs. Une belle dot pour l'époque, mais qui n’a été constatée par aucun acte authentique. Manque de bol, comme il a utilisé son aller simple pour le Paradis avant de doter son autre loupiote, Cécile devra rembourser cette somme pour que sa sœurette ne soit pas lésée. Ça, ça se passe lors de la succession de leur mère (attendre la lettre T de ce ChallengeAZ pour en savoir plus).

    Les parents d'Augustin, on l'a dit, ne sont pas là. Mais ils ont envoyé leur consentement depuis leur résidence d’Aubin (Aveyron) où le père est alors garde mine. Là, ça peut paraître bizarre que des parents ne viennent pas à la bénédiction nuptiale de leur fils, mais il ne faut pas oublier qu’ils habitaient à 500 km, que les transports ne sont pas encore super développés, qu’on était en plein hiver et qu’ils avaient un niveau de vie modeste : ce n’est donc pas vraiment étonnant qu’ils n’aient pas entrepris un si grand voyage. C’était même plutôt courant à l’époque.

    Les deux époux ont signé l’acte de mariage.

    Le jeune couple continue d’habiter à l’étage de l’épicerie de la rue de la Roë, avec beau-papa et belle-maman. C’est là que naîtra l’année suivante le premier de leurs onze mouflets.