« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 1 décembre 2024

Epilogue

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


La servante des JAY, Claudine VUAGNAT, fut relaxée suite à l’enquête. Elle continua à vivre à Samoëns où elle se maria avec Pierre BUFFARD. Ensemble ils eurent trois enfants. Elle s’éteignit à Samoëns en 1790, à l’âge de 67 ans.

 

Le chanoine CHOMETTY fut lui aussi relaxé. Il résigna [abandonna sa charge] en mars 1748 (lors de sa fuite, en fait). Relaxé dans cette affaire il fut, après les faits, nommé curé de Vercieu (Isère), où il mourut en 1763, à 53 ans.

 

 

Epilogue

Quant à mes ancêtres, l’épais dossier du Sénat de Savoie ne raconte pas comment les suspects principaux de cette affaire tragique furent arrêtés (ou se sont rendus ?). 

Je note la curieuse absence dans ce dossier du frère de Françoise GUILLOT, qui était procureur en Tarentaise (comme on l'a vu très brièvement à la lettre T de ce ChallengeAZ) : n'est-il pas intervenu en faveur de sa sœur et son beau-frère ? N'est-il pas devenu leur conseil ? Mais le pouvait-il seulement (je ne suis pas assez connaisseuse du système judiciaire savoyard de cette époque pour pour le dire) ? Par ailleurs, il nous manque un épisode (l'arrestation) : qui peut dire ce qu'il s'est passé à ce moment-là ?

Quoi qu'l en soit, de toute évidence, les JAY ont passé un certain temps en prison. Puis, comme on l’a vu hier à la lettre Z de ce ChallengeAZ, François JAY et son épouse Françoise GUILLOT furent graciés par Sa Majesté le Roi de Sardaigne, souverain de Savoie, par lettres patentes du 11 avril 1749 (requête de grâce présentée devant le Sénat le 8 juillet suivant et entérinée le 12 dudit mois). Leur libération a dû intervenir dans la foulée.

Ils retrouvent ensuite leur vie à Samoëns. Cinq ans plus tard, ils donnent naissance à leur troisième enfant (Jeanne Antoinette) ; suivi d’un dernier en 1760, mon ancêtre Jean François.

Visiblement ils ont réussi leur vie. Si, au moment des faits, ils ne possédaient que 200 livres de biens meubles (selon l’inventaire visible à la lettre R de ce ChallengeAZ), une trentaine d’années plus tard, ils dotent leurs enfants de 200 à 300 livres chacun, en plus du linge, objets quotidiens et bestiaux. En 1777 ils sont qualifiés de bourgeois.

Je les vois apparaître régulièrement dans les sources, comme les recensements de la paroisse (« Consigne de la communauté de Samoëns », dite aussi gabelle du sel) jusqu’en 1787.

Trois de leurs quatre enfants se marieront et auront une descendance (leur fille aînée est l’ancêtre d’Antoine DENERIAZ, le skieur alpin champion olympique à Turin en 2006.).

Françoise GUILLOT meurt en 1778 à l’âge de 52 ans. Elle n’a pas connu son premier petit-fils, né 4 mois après son décès, mais son époux connaîtra cinq de leurs petits-enfants.

Malade, François JAY rédige un testament en février 1787. Cependant, il survit à sa maladie puisqu’il est recensé en décembre de la même année.

Je perds la trace de François après ce dernier recensement de 1787. Il y est toujours dit maçon mais possède aussi quelques bestiaux (dont un cochon qu’il sale, d’où sa présence dans ce recensement lié à la gabelle). Il vit alors avec deux de ses enfants, Claude (resté célibataire) et Jean François - mon ancêtre -, ainsi que sa belle fille (épouse de Jean François) et sa petite-fille (enfant du couple). Il a alors 69 ans.

J’ignore où et quand il est décédé. Je sais seulement qu’il est dit « défunt » en 1825 (lors du second mariage de Jean François), mais ce n’est guère étonnant : il aurait eu 107 ans s’il vivait encore à cette date !

 

Sans le hasard d’une lecture sur un blog de généalogie* je n’aurais pas imaginé cette histoire, totalement invisible dans les sources traditionnelles de généalogie (N/M/D).

 

Après l’étude de cet épais dossier de procédure, il reste quelques non-dits : les relations pour le moins « peu orthodoxes » qu’entretenait Françoise GUILLOT avec son voisinage… Comment les JAY se sont-ils réinsérés dans la paroisse après ces événements violents ? Comment le couple a-t-il pu survivre à une telle histoire sans imploser de l'intérieur ? Quelle a été l’attitude des voisins à leur égard ? Etc...

Les sources et la généalogie sont pleines de mystères…

 

 ________

 

Je remercie chaleureusement Paul CHEMIN, bénévole au Fil d’Ariane du département de la Savoie, qui a été photographier le dossier pour moi aux archives de Savoie (près de 200 clichés tout de même !), ainsi que les lettres de grâce.

Pour celles et ceux qui l’ignorent, le Fil d’Ariane est une association d’entraide généalogique : si vous ne pouvez vous déplacer dans un dépôt d’archives, un bénévole va prendre en photo le document souhaité pour vous. Basé sur l’entraide, c’est totalement gratuit. N’hésitez pas à faire appel à eux !

Demandes à déposer à l’adresse https://www.entraide-genealogique.net/

 

 

 

* Merci à Estelle qui a attiré mon attention sur le fonds du Sénat de Savoie lors du ChallengeAZ 2019 sur son blog « Sur la piste de mes ayeuls ».


 

 

 

 

samedi 30 novembre 2024

Z comme zigouiller

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Les JAY ont finalement été condamnés (par contumace) et arrêtés. Du fond de leur prison, ils ont demandé, et obtenu, la grâce royale.


"Teneur de lettres de grâce de la peine de dix ans de galère à laquelle François JAY avait été condamné et de dix années de bannissement à laquelle Françoise GUILLOT sa femme avait été condamnée par le même arrêt.

 

Charles Emmanuel par la grâce de Dieu Roy de Sardaigne, de Chypre, et de Jérusalem, duc de Savoie, de Montferrat et prince de Piedmont,

Ayant vu dans nos audiences la requête ci jointe, et sa teneur considérée par les présentes, signée de notre main, de notre certaine science et autorité royale, eu sur ce l’avis de notre conseil, par un traité de notre souveraine clémence remettons, sans payement de finance, à François JAY la peine de dix années de galères, et à la consuppliante celle de dix ans de bannissement des états, auxquelles ils ont été condamnés par arrêt du Sénat de Savoie rendu le 7 juin 1748 sur les indices d’avoir tué en rixe la nuit du 25 au 26 janvier de ladite année, à coup d’instrument contondant et pointu, le nommé Vincent REY cavalier du Régiment de Séville qui s’était introduit dans leur maison armé de sabre et d’un stylet, dont il eu dans la rixe blessé les suppliants, car telle est notre volonté.

Donné à Turin l’onzième du mois d’avril l’an de grâce mil sept cent quarante neuf, et de notre règne le vingtième

Signé C Emmanuel

Scellé du grand sceau sur cire mole"

 

Zigouiller, création personnelle inspirée de patentes de 1767, Drouot
Zigouiller, création personnelle inspirée de patentes de 1767, Drouot



Présentation des grâces

L’an mille sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au Sénat de Savoie commissaire, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat général dans une des chambres des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel au Sénat, François JAY, auquel nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’il sera interrogé concernant le fait d’autrui, et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent ceux qui taisent la vérité ou disent le faux.

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité, habitation et patrie répond : « Je m’appelle François fils de feu Claude JAY, je suis âgé d’environ trente une années, natif et habitant de Samoëns en Faucigny, maçon de profession. »

Interrogé s’il n’était par chez lui dans la maison à Samoëns la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit et si la même nuit, le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville ne fut pas dans leur dite maison et si après avoir eu querelle ensemble lui répondant, et Françoise GUILLOT sa femme n’ont pas tué dans leur maison ledit cavalier REY à coup d’instrument contondant et pointu.

Répond : « J’avoue tout le contenu en icelluy. Cela été arrivé à l’occasion que ce cavalier REY venu en ladite nuit à ma porte laquelle s’estant trouvé ouverte ma servante ne pus l’empêcher d’entrer et, entendant du bruit, je me levais en chemise avec mes culottes et dès que je parus une chandelle à la main, le cavalier me tendit un coup de sabre. Je le luy enlevais, il me donna en même temps une quinzaine de coup de stylet. »

Interrogé si après avoir tué ledit cavalier il n’a pas conduit ou fait conduire le cadavre d’iceluy dans le bois de Bérouze à un quart de lieue environ dudit Samoëns.

Répond : « J’ai bien reçu ses coups de stylet comme je viens de dire. Je criais ma femme qui était couchée à mon secours. Laquelle vint à l’instant et arracher entre les mains dudit cavalier ce stylet ou couteau, après en avoir reçu elle même cinq à six coups. En luy mordant les doigts, elle enleva ledit stylet duquel je vois qu’elle frappa en même temps ledit cavalier. Lequel tomba mort, et ce fut ma femme qui aida à conduire sur un traîneau le cadavre dudit cavalier aux bois de Berrouzes. »

Interrogé s’il n’a pas recouru à S.M. [Sa Majesté] pour obtenir grâce de ce délit, s’il a narré la vérité et s’il veut profiter de la grâce qui lui a été accordée par lettres patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait faire lecture.

Répond : « J’ay recouru et obtenu les lettres pattentes de grâce dont vous venez de me faire lecture. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux profiter de la grâce qu’elle m’a fait. »

Lecture faite audit JAY du présent acte, a répondu : « J’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et a signé.

[suivent les signatures de François JAY, SEIGNEUR, PERRIN, BELLON]

 

L’an mil sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au sénat de Savoie, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat fiscal général dans une des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel audit Sénat Françoise GUILLOT, à laquelle nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’elle sera par nous interrogée contenant le fait d’autrui et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, et après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent les parjures.

Interrogée de son nom, surnom, âge, patrie, demeure et profession.

Répond : « J’ay nom Françoise fille de Nicolas GUILLOT, je suis femme de François JAY, aagé d’environ vingt cinq ans, native et de Samoëns en Faucigny et je demeure audit Samoëns avec mon dit mary, et je n’ay de profession que celle d’avoir soin de notre maison. »

Interrogée si la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit, si elle n’était pas chez elle avec son mari, et si ladite nuit le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville n’alla pas dans leur maison, et si y est entré, ledit cavalier n’eut pas tenu querelle avec François JAY son mari, et si elle n’accourut à ses cris, et ne l’aida à tuer ledit REY à coup d’instrument contondant et pointu.

Répond : « J’avoue le contenu audit interrogat. Et je m’en vas vous dire comment cela s’est passé. Mon mary et moy étions déjà couché laditte nuit lorsque ce cavalier Vincent REY vint à notre maison à Samoëns. La porte s’estant trouvé ouverte, notre servante ne put l’empêcher d’entrer. Sur quoy mon mary se levait en chemise et culottes. Et un moment après j’entendis qu’il me criait à son secours. J’y allais dans l’instant, et le trouvait aux prises avec ledit cavalier qui l’avait déjà blessé de plusieurs coups de stylet. Je saisi la main dudit cavalier pour le luy arracher, et après en avoir reçu cinq coups, je luy mordis les doigts pour le luy arracher, ce qui m’ayant reussy. Et voyant mon mary par terre, je donnay deux ou trois coups dudit stylet au ventre dudit cavalier. Lequel étant tombé mort, je m’ayday à mettre son cadavre sur une luge, et à le conduire avec un cheval aux bois de Berrouzes, n’ayant avec moi que un curé que l’on appelle CHOMETTY. »

Interrogée si elle n’a pas recouru à S.M. pour obtenir grâce de ce délit, si elle a narré la vérité, et si elle veut jouir de ladite grâce portée par patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait lecture.

Répond : « J’ay obtenu ladite grâce. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux me prévaloir de ladite grâce. »

Lecture faite à ladite GUILLOT du présent acte, répond : « Je dis, j’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et ne sachant écrire de ce enquis a fait la marque que suivante.

[Suivent la marque de la répondante et les signatures de SEIGNEUR, PERRIN, BELLON] 

 

Teneur d’arrêt de vérification des lettres de grâce ci dessus

Sur la requête présentée céans par François JAY et Françoise GUILLOT mariés de la paroisse de Samoëns tendant à ce que S.M. [Sa Majesté] ayant daigné leur faire grâce de la peine de dix ans de galères à laquelle ledit JAY a été condamné par arrêt du Sénat de Savoie du 7 juin année dernière, et de celle de dix ans de bannissement à laquelle ladite GUILLOT a été condamnée par ledit arrêt, ainsi que par lettres patentes du onze avril dernier dûment scellées et signées, il plaise au Sénat en entérinant lesdites lettres ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles, suivant leur forme et teneur et autrement, comme est portées par ladite requête

Signé CHABERT

 

Teneur d’entérinement des lettres de grâce

Le Sénat faisant droit sur ladite requête, icelle entérinant, ayant égard aux conclusions et consentement prêté par l’avocat fiscal général, a vérifié et autorisé lesdites lettres patentes, ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles suivant leur forme et teneur en payant les dixièmes de frais de justice

Délibéré à Chambéry au bureau du Sénat le douze juillet mille sept cent quarante neuf
Signé BOURGEOIS

 

Prononcé au seigneur avocat fiscal général et au suppliant François JAY en audience tête nue et à genoux auquel S.E. [Son Excellence] le seigneur premier président a fait l’autorisation porté par les Royales Constitutions

 

 

[Note manuscrite au crayon à papier - postérieure ?]

L’homicide avait été précédé de provocations graves et attentatoires à la vie des mariés JAY accusés. La servante Claudine VUAGNAT a été présente à l’homicide sans y prendre même part. Le chanoine CHOMETTY et son frère n’y ont non plus pris aucune part : ils ont seulement contribué ensuite, le 1er par son conseil, et le 2nd par son fait à tenter de dérober le cadavre à la connaissance de la justice.

Les mariés JAY condamnés ont été graciés par lettre patentes de S. M. Les autres accusés ont été envoyés par le Sénat quittes et absous.

An 1748 (sauf la grâce de 1749)

 

 

[Pour savoir ce que sont devenus les protagonistes de cette affaire, lisez "l'épilogue" publié demain]

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Pour en savoir plus

Les grâces

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Tous ceux qui obtiendront de Nous des Lettres Patentes de grâce, pardon, ou abolition de crime ou de quelque peine, seront obligés de les présenter dans le terme de trois mois ; autrement ils seront privés du bénéfice desdites Lettres.

On présentera par devant le Sénat les grâces des peines afflictives & des pécuniaires.

Lesdites Lettres seront communiquées à l'Avocat Fiscal Général ou Provincial & le Sénat ou le Juge-Mage  reconnaîtront respectivement si elles sont subreptices [grâce obtenue par subreption, c'est-à-dire omission de ce qui s’opposerait à l’obtention d’un droit que l’on fait valoir] ou autrement défectueuses.

Lorsque ces Lettres contiendront la grâce d'une peine corporelle, elles ne seront pas reçues par le Sénat, à moins que l'impétrant ne se soit constitué dans les prisons pour donner ses réponses sur le délit dont il s'agit, sans qu'on puisse l'en élargir, qu'après qu'elles auront été reconnues comme dessus.

S'il n'y a rien de défectueux dans lesdites Lettres, les Sénats devront les entériner, & les Juges-Mages les faire enregistrer & les uns & les autres ordonneront qu'elles soient observées, suivant leur forme & teneur.

Lorsque les Lettres contiendront la grâce de la peine de mort ou des galères, l'impétrant sera obligé, avant qu'on l'entérine, de la présenter en personne dans l'Audience publique au Sénat, à genoux & tête nue, en présence des Avocats & des Procureurs; & le premier Président, ou celui qui régit le Magistrat, devra l'exhorter de ne plus commettre à l'avenir de semblables ou autres crimes.

On ne pourra retenir le criminel qui se sera volontairement constitué prisonnier pour présenter la grâce qu'il aura obtenue sur un exposé véritable. »

 

 

 

vendredi 29 novembre 2024

Y comme y ayant cas de nécessité

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Vu les conclusions de Mr le substitut avocat fiscal provincial du sixième avril dernier, la procédure de prise de corps du premier jour, l’exploit du 6 suivant et les trois certificats de contumace signés JACQUIER, nous observons que ledit Sieur substitut par ses conclusions susvisées a bien recueilli [plaidé] à l’occasion du meurtre du soldat Vincent REY. Mais il parait contraire à lui-même, en ce qu’il a rendu à prise de corps tant contre Révérend CHOMETTY, la Claudine VUAGNAT que contre les mariés JAY.

En effet il a fait voir qu’il conste [qu’il est évident] de la procédure primo que c’était la Françoise GUILLOT seule qui avait tué ce soldat. Du moins y a-t-il beaucoup d’apparence que la chose s’est passée comme les mariés JAY et leur servante l’ont raconté, par toutes les réflexions mise en avant dans les susdites conclusions, que s’était pour sauver la vie à son mari et la sienne. Que Révérend CHOMETTY ne se soit point trouvé chez JAY lors du meurtre et que la servante n’y a qu’aucune part, sauf pour ne l’avoir pas empêché.

Et par conséquent quand même l’on pourrait regarder que la conduite du Sieur Révérend CHOMETTY et Claudine VUAGNAT peut mériter quelque peine afflictive. L’expression de complicité de meurtre à leur égard se trouve trop forte, ce qui rend les lettres de prise de corps nulles. Desquelles nous concluons et requérons en conséquence de décerner de nouvelles lettres de simple ajournement personnel contre la Claudine VUAGNAT.

Et comme le conseil donné par le Révérend CHOMETTY, et prétendument effectué par son frère, ne paraît pas devoir assujettir cet ecclésiastique à une peine afflictive et corporelle. Nous disons n’y avoir lieu à aucune procédure contre lui. Mais y avoir lieu de décréter au susdit ajournement personnel le frère cadet dudit Révérend CHOMETTY, pour avoir par son fait voulu empêcher les poursuites de la justice et priver Vincent REY de la sépulture, qui est le seul délit auquel son frère le chanoine a donné lieu par son conseil. Car la fuite de la VUAGNAT et des frères CHOMETY ne saurait fournir un indice pressant de complicité de meurtre dont il s’agit avec d’autant plus de raison qu’il résulte d’ailleurs par qui, et comment l’homicide a été commis.

Aussi nous réservons de fournir de nos conclusions définitives après que la nouvelle contumace à faire l’aura été validement

Chambéry le 31 Mai 1748 #
DUFRENEY [avocat fiscal général]

 

# et pendant que le Sénat regarde les lettres de prises de corps valides, nous observons qu’il est prouvé par la formalité susvisée que le meurtre a été commis chez les mariés JAY, que par leurs aveux extrajudiciels c'est eux qui l'ont commis. Cependant il y a des indices présents que le cavalier a été l’agresseur. Les blessures en grand nombre reçues par le marié et la femme, les menaces du cavalier qui ont précédé le meurtre font croire qu’il est vraisemblable que l’homicide ait été commis ad defensant.

Les mariés JAY et la servante ont déclaré à plusieurs reprises que le Révérend CHOMETTY n’a pris aucune part à ce meurtre. Et les deux premiers innocentant aussi la servante, de même que le frère dudit Révérend CHOMETTY.

Et par conséquent nous disons y avoir lieu de condamner François JAY à cinq années de galères et la Françoise GUILLOT à cinq années de bannissement et au dépens et frais de justice solidaire, et au dédommagement envers le régiment et des héritiers de l’occis.

Et de dire qu’il n’y a lieu à aucune recherche contre le Révérend CHOMETTY et la Claudine VUAGNAT, et à aucune provision contre le frère dudit chanoine.

DUFRENEY

 

Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante
Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante


Arrêt criminel du Sénat de Savoye

Entre l’avocat fiscal général demandeur en cas d’homicide d’une part

Et François JAY, Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT servante dudit Jay,

Et le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns tous habitants dudit lieu accusés défaillants et contumax d’autre [part].

Vu par le Sénat les informations et procédures faites contre lesdits accusés, les conclusions de l’avocat fiscal général du trente un mai dernier, tous les actes et pièces visés.

Le Sénat, sur les indices résultants des actes que ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme ont tué en rixe la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier d’un coup d’instrument contondant, et dans leur maison située à la paroisse de Samoëns le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville, dans laquelle maison il était allé depuis son quartier de Scionzier, le cadavre duquel a été trouvé dans les bois de Bérouze à un quart de lieue environ au dessus dudit Samoëns le dix février suivant. Et pour le profit de la contumace qu’il dit avoir bien et dûment observé et entretenu.

A condamné et condamne ledit François JAY à servir par force S.M. [Sa Majesté] sur ses galères pendant dix ans, avec inhibition et défenses qui lui sont faites de les désempêcher pendant ledit temps à double peine. Et l’a déclaré avoir encouru les peines aux bandits du second catalogue, auquel son nom sera inscrit.

Et a condamné et condamne ladite GUILLOT à être et demeure bannie des États de S.M. pendant dix ans avec inhibition qui lui sont faites d’y revenir pendant ledit temps à double peine.

Et les a condamnés solidairement aux dommages et intérêts tant envers ledit régiment en ce qui le concerne qu’envers les héritiers de l’occis.

Et aux dépens et frais de justice fait pour leur regard.

Et a déclaré et déclare n’y avoir eu lieu à aucune réserve contre ledit Révérend Nicolas CHOMETTY ni contre ladite Claudine VUAGNAT, sans dépens fait pour leur regard.

Fait à Chambéry au bureau du Sénat le septième juin mil sept cent quarante huit et prononcé au seigneur avocat fiscal général le dit jour

BELLON [greffier criminel au Sénat, NDLR]

 

 

L’an que dessus et le douze dudit mois, je sergent royal soussigné certifie m’être, en exécution de l’arrêt ci devant écrit, à la réquisition du fisc, exepray [exprès] transporté de mon domicile à Bonneville jusqu’au devant l’auditoire des causes d’icelles, où j’ai à ma haute intelligible voix lu et publié l’arrêt ci devant écrit et copie que j’ai affiché à la porte du tribunal après avoir fait battre la caisse à la manière accoutumée. Et c’est en présence de Charles TOURNIER et de Claude DUBYS témoins requis, in cy est BENET sergent

 

L’an mille sept cent quarante huit et le seizième jour du mois de juin, je sergent royal du Sénat soussigné certifie qu’en exécution de l’arrêt du Sénat écrit et à la réquisition du seigneur avocat fiscal général, je me suis transporté depuis Bonneville mon habitation jusqu’au lieu et bourg de Samoëns distant d’environ quatre lieues où étant et au devant de la porte du dernier domicile des François JAY et Françoise GUILLOT sa femme condamnés. J’ai, après le son du tambour à la manière accoutumée lu, signifié et publié le susdit arrêt à haute et intelligible voix, duquel arrêt et présent exploit, j’ai affiché copie au devant de la porte du dernier domicile desdits François JAY et Françoise GUILLOT condamnés après due lecture faite, en présence de Joseph GEDAT et de Nicolas REYMOND témoins requis, ANTHOYNE

 

 

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Pour en savoir plus

La publication des sentences et leur exécution

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Les sentences qui porteront peine de mort, des galères, du fouet & du bannissement seront publiées à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, & affichées à la porte du Tribunal de l'endroit où le délit a été commis, de celui du lieu où le condamné a son domicile. & l’avocat fiscal général devra même prendre soin, dans les cas de sentences portant peine de mort, de les faire imprimer, afin que le Public en soit mieux informé.

Dès que les Arrêts des Magistrats suprêmes auront été prononcés, ou que les Sentences des Tribunaux, portant peine afflictive, auront été confirmées par les susdits Magistrats, on devra aussitôt les mettre en exécution.

Si l'on condamne à mort, ou à quelqu'autre peine afflictive une femme enceinte, l'on différera l'exécution de la Sentence jusqu'à ce qu'elle ait accouché & qu'elle soit en état de pouvoir subir la peine.

Déclarons qu'en matière criminelle, lorsqu'il s'agira de délits graves & atroces, on réputera pour majeurs ceux qui auront accompli l’âge de vingt ans, & ils devront être punis de la peine ordinaire.

Quand il s'agira de délits pour lesquels la peine des galères, ou celle de la chaîne ou de l'estrapade est imposée aux hommes, & que ces mêmes crimes auront été commis par des femmes, on les punira par celle du fouet, ou du bannissement, ou de la prison, suivant qu'on la croira proportionnée à la qualité du cas, du sexe & des personnes.

Les délinquants qui seront condamnés en contumace à la mort ou aux galères, seront décrits dans l'un des deux catalogues que l’on tiendra exposés publiquement dans l'Auditoire de chacun de nos Magistrats suprêmes.

On écrira dans le premier de ces catalogues le nom de ceux qui seront condamnés à mort pour des crimes de lèze-Majesté, des homicides proditoires [par trahison], des vols faits de force, avec violence ou menaces, & autres crimes très-atroces ; on écrira dans le second catalogue les noms de ceux qui seront condamnés à la mort, ou aux galères à perpétuité ou à temps, pour des crimes moins atroces : cette disposition aura aussi lieu à l'égard des femmes qui seront condamnées à une peine qui leur aura été infligée en place de celle des galères.

Lorsque quelque bandit sera libéré ou par grâce qu'il aura obtenue de Nous, ou par Arrêt, ou par nomination, son nom sera rayé des catalogues. »