« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 14 novembre 2018

#ChallengeAZ : L comme Le Linge

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Au printemps 1915 la 47ème Division est stationnée dans la vallée de Munster avec comme objectif final de reprendre l’Alsace, alors sous domination allemande depuis 1871 (comme évoqué dans la lettre K). Munster est une petite ville nichée dans la vallée de la Fecht,  débouchant à l’Est à Colmar et barrée à l’Ouest par les hauts sommets de la crête des Vosges. La ville comptait près de 6 000 habitants en 1910 (et seulement 4 000 en 1921). Du fait de sa position géographique, les Vosges se sont retrouvés, bon gré mal gré, frontière entre les deux belligérants de la Première Guerre Mondiale : les combats se sont concentrés sur la ligne de crêtes et les sommets ou les cols stratégiques du massif vosgien.

Le Linge, comme l'Hartmannswillerkopf, furent tous les deux des champs de bataille résultant d'une conception tactique dite "manœuvre de débordement par les hauts", chère aux théoriciens du Haut Commandement des années 1914. Une telle manœuvre par le haut n'est valable que dans la mesure où elle bénéficie exceptionnellement d'un rapide effet de surprise. Elle est inopérante, si elle se transforme en opération lente, de longue haleine, prévisible par l'ennemi organisé et retranché alors sur des positions fortes.

Le but immédiat, en cette fin juillet 1915, est de s’emparer de Munster en agissant donc par les sommets, d’une part sur le front Eichwald-Reichackerkopf, et d’autre part avec la 129ème Division qui attaquera sur la ligne de front Lingekopf-Barrenkopf, en vue de descendre ensuite sur Munster.
La bataille du Linge est en fait un ensemble de combats concentrés sur les sommets vosgiens. Ainsi, quittant le Braunkopf  où il était positionné, le 23ème Bataillons de Chasseurs (celui de Jean-François) vient en soutient sur le massif du Reichakerkopf et contribue de leurs positions à inquiéter l’ennemi et à lui faire craindre une attaque éventuelle sur Muhlbach. 

Vers midi, le 19 juillet 1915, l’attaque s’étant déclenchée un feu d’une extrême violence part des tranchées du 23ème Bataillon dans les directions données. En effet, pour mener à bien la prise de Munster décidé par l’État Major français, il faut préalablement prendre les sommets dominant le cirque au fond duquel est blottie la ville. Sommets que les Allemands ont fortifiés par un réseau de tranchées bétonnées, fortins et abris.

Le 20 juillet le 23ème BCA coopère à l’attaque dans les mêmes conditions que la veille. Les combats sont d’une extrême violence. Des vagues d’assaut, on discerne à peine les soldats qui chargent, à bout de souffle, dans des pentes abruptes sous un bombardement infernal. Elles sont criblées de balles dès qu’elles débouchent et viennent mourir, mitraillées à bout portant, devant d’infranchissables réseaux de barbelés et des blockhaus bétonnés, où les attendent les corps des cisailleurs tués. Des monceaux de morts gisant mêlés aux blessés entre les lignes.

Le Linge © linge1915.com

Les combats vont ainsi se succéder pendant plusieurs jours. Entre deux bombardements, les soldats tentent de redresser les tranchées éboulées. Le 23 juillet les Chasseurs partis à l'assaut en quatre vagues le 20 juillet sont repoussés dans leurs tranchées. Retour à la case départ. Le Lingekopf est repris par les Allemands. Le 26 juillet, nouvelle action limitée au Linge, sous un méthodique feu roulant de l'artillerie et des conditions météo rendant la tâche encore plus ardue (brume, pluie, boue) : la crête est conquise mais au prix de lourdes pertes.  

Dans la nuit du 26 au 27 juillet, trois assauts de contre-attaques allemandes sont repoussés. Les combats n’ont pas cessé avec le lever du jour. Les Français sont obligés d’abandonner le Barrenkopf, trop exposé. Mais Joffre n'entend pas rester sur cet échec : il ordonne la reprise de la crête coûte que coûte. Les chasseurs repartent. La lutte est dantesque, souvent au corps à corps. Entre les lignes, les cadavres s'amoncellent.

Le 29 juillet, nouvel assaut des armées françaises, mais le sommet du Linge est toujours tenu par les Allemands. Début août les bombardements allemands sont d'une violence inouïe : 40 000 obus ont été lancés sur un front de 3 km, ensevelissant morts et vivants. Les chasseurs s'épuisent.
Le 5 août, assauts et contre-attaques de part et d'autre. Le sommet du Linge change plusieurs fois de main. Le 23ème BCA est finalement relevé et retourne à l’arrière. 

Mais l’histoire n’est pas finie : devant les contre-attaques allemandes, Joffre décide d’une nouvelle offensive, tout en refusant des renforts supplémentaires. Le 12 août le Bataillon reçoit l’ordre d’aller relever dans la nuit le 12ème BCA au Barrenkopf. Attaques et contre-attaques s’y sont heurtées sans arrêt depuis plusieurs semaines. Et le feu ne faiblit pas : le premier jour Jean-François perd 10 hommes de sa compagnie. Les tranchées sont gravement endommagées, malgré les travaux de réparations effectués à la hâte, le séjour est pénible, les communications difficiles.

Le 17 août l’artillerie française inonde littéralement les positions ennemies. C’est un vacarme ininterrompu. Cette action d’artillerie devait servir de prélude à une attaque au Lingekopf. Après la terrifiante canonnade des blockhaus allemands ébranlés mais non démolis partirent des feux nourris qui prouvèrent que la garnison avait été épargnée par les obus. L’attaque fut donc remise. Le lendemain le 23ème a pour mission de s’emparer d’un blockhaus ennemi situé sur la crête du Linge et, si possible, gagner le sommet du Barrenkopf. Les objectifs sont atteints. On envisage de pousser l’avantage, mais malgré des débuts brillants, la situation vire au médiocre. 

Les tranchées sont si proches que, le 23 août, les Français doivent évacuer leurs propres lignes pour éviter le tir de leurs obus visant les lignes adverses ! Après l’artillerie, une nouvelle charge, baïonnette au canon, est effectuée. Comme les jours précédents, si les troupes atteignent le sommet, elles doivent finalement abandonner le terrain et revenir dans leurs tranchées de départ en fin de journée. Puis c’est la grande contre-offensive allemande, qui lance notamment des obus à gaz. Le yo-yo attaques/contre-attaques, succès/échecs continue ainsi jusqu’en octobre. L’ultime attaque allemande sera repoussée le 16 octobre.
Finalement, le front se fige et s'éteint au collet du Linge (ou col du Linge). Chacun s'organise défensivement : coups de main ou duels d'artillerie d'intensité variable. Français et Allemands y restèrent face à face jusqu'au 11 novembre 1918 !

Les maigres résultats acquis au Linge furent sans commune mesure avec les pertes subies : 10 000 morts de juillet à octobre 1915 (côté français), 17 bataillons de Chasseurs engagés connurent jusqu'à 80% de pertes. C’est ce qui lui valu le terrible surnom de « tombeau des Chasseurs ».
C’est là un (terrible) exemple d’une bataille ordinaire – si l’on peut dire – de la Première Guerre Mondiale ordonnée par un État-major inconscient (incompétent ?) et qui coûta la vie à tant de braves soldats… pour rien.


mardi 13 novembre 2018

#ChallengeAZ : K comme Kiosque (Le)

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Le Kiosque c’est le nom du lieu où Jean-François a probablement cru mourir. En fait il n'a été "que" gravement blessé.
Depuis un an, c'est-à-dire sa première affectation, Jean-François combat au sein du 23ème BCA (pour plus de détails, voir la lettre B), dans « l’armée des Vosges ». Début décembre 1915, il est de retour sur la ligne de front près de Metzeral (il y avait déjà combattu en juin). Du 15 au 24 juin 1915, en effet les combat détruisirent quasi-intégralement la vallée de Munster (près de Colmar) où se trouve la ville de Metzeral et saigna les armées: 5 000 à 7 000 morts français et autant du côté allemand. L’enjeu était de reprendre l’Alsace, alors allemande, comme la Moselle, depuis 1871 (voir la lettre L).
En décembre 1915, l’ennemi est si proche que l’on peut le distinguer à l’œil nu : ainsi le 10 décembre on peut lire dans le JMO (voir la lettre J) : « Un Boche très jeune portant une casquette a été tué sur le parapet de la tranchée ennemie. » ou le 22 : « On voit se croiser environ 2 sections, probablement en cours de relève. ».


Extrait carte d'état-major Metzeral/Le Kiosque © AD68

Jean-François est basé dans les tranchées du Kiosque, situées au Nord Est de Metzeral. Il subit plusieurs bombardement, comme le 13 décembre : « l’ennemi envoie sur nos tranchées environ 25 bombes et une dizaine d’obus. Deux Chasseurs [sont] blessés par éclat d’obus ». Le largage de bombes (obus de gros et petits calibres) est quotidien, mais le bataillon subit aussi des attaques à la grenade ou à la mitrailleuse. Les tranchées subissent de nombreux dégâts. Ces tirs de harcèlement ont lieu indifféremment dans la journée (matin, après-midi, soirée)  mais également la nuit. Le JMO fait état de pertes régulières parmi les Chasseurs, qu’ils soient blessés ou tués.

Le 28 janvier 1916, l’ennemi envoie dans la journée une trentaine d’obus de 105 sur les tranchées du 23ème. Jean-François en recevra un éclat, lui provoquant une « plaie pénétrante dans la région claviculaire gauche sans lésion osseuse ». Il est évacué pour faire soigner sa blessure.
A la date du 28 janvier figure dans le JMO, après le détail des combats du jour, la mention suivante : « Pertes : 1 Chasseur tué par grenade à fusil, 1 Chasseur blessé ». Si son nom n’est pas mentionné, je suppose qu’il s’agit là de mon arrière-grand-père (peut-être).

Grâce au SAMHA (Service des Archives Médicales et Hospitalières des Armées), j’ai retrouvé la trace de Jean-François après sa blessure. Je sais qu’il a été transporté par l’ambulance alpine n°2/64. Celle-ci est stationnée dans la mairie-école de Mittlach, à quelques kilomètres de Metzeral. Ce que le service des armées nomme « ambulance alpine » est un poste de secours qui accueille une cinquantaine de médecins, infirmiers, brancardiers… Bref un hôpital de campagne (l’utilisation du terme ambulance pour définir le véhicule d’évacuation n’est que plus tardive). Le massif des Vosges en comptera 6 au total. Initialement conçu comme un lieu d’accueil des blessés venant du front, il a pour fonction de les trier, de remettre sur pieds ceux qui peuvent l’être et de stabiliser les plus gravement touchés avant de les transférer vers les hôpitaux de campagne situés à l’arrière.
Toutefois, en raison des conditions climatiques, notamment en hiver, le rôle de l’ambulance va évoluer. En effet, les cols devenant impraticables à cause de la neige, il est impossible de transférer les blessés. Les soins et les traitements sont donc administrés parfois directement sur place. A Mittlach, suite à de très violents bombardements et à la destruction partielle des parties hautes de la mairie-école, l’ambulance s’est retranchée au sous-sol du bâtiment. Elle a aussi installé des infrastructures creusées dans le sol alentour. Elle fonctionnera pendant toute la guerre.
Extrait du registre des carnets de passage et entrées de l'ambulance alpine n°2/64 © SAMHA

Finalement Jean-François est évacué dès le 29 janvier par l’ambulance 2/58. Cependant, il disparaît ensuite des radars : le SAMHA n’a pas pu le suivre davantage et ignore vers quel hôpital à l’arrière il a été emmené et soigné. 

Quoi qu’il en soit, cette blessure devait être sérieuse car il est resté éloigné du front jusqu’au mois de juillet. Par ailleurs, une pension à hauteur de 10% sera proposée en sa faveur après la guerre, suite à cette blessure. Néanmoins elle ne l’handicapera pas profondément puisque, à court terme, il revient se battre sur le front, et à plus long terme il exercera les professions de camionneur (années 1920) et de déménageur (1934).


lundi 12 novembre 2018

#ChallengeAZ : J comme JMO

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Les Journaux des Marches et Opérations (JMO) sont les journaux de bord de toutes les unités militaires engagées durant le conflit. Ils se présentent sous la forme d’un document relié relatant les événements vécus par chaque corps de troupe (groupes d'armées, armée, corps d'armée, division, brigade ou régiment) au cours d’une campagne. Ils ont été institués en 1874. Chaque unité doit en rédiger un, quelle que soit sa taille.

JMO du 23ème BCA © Mémoire des Hommes

Les JMO contiennent les faits, les combats ou les reconnaissances, au quotidien. Mais selon le rédacteur, ils peuvent être accompagnés de différentes informations :
- les buts recherchés,
- la position des troupes
- la composition du corps en mouvement
- les résultats obtenus.
- des rapports
- les pertes subies
- la composition du corps
- les itinéraires suivis
- les emplacements des camps et des cantonnements
- les emplacements sur le front
- des cartes
- des croquis
- des photographies
- les citations
- les promotions
- les mutations
- les renforts

Lors de leur création, il y était prévu en particulier une tenue minutieuse de l’état des pertes qu’il s’agisse des tués, des blessées, des prisonniers et des disparus : tous devaient être  « désignés nominativement ». Mais c’était sans savoir, et pour cause, ce que serait le chaos de la Grande Guerre, empêchant de noter sans exception les quelques centaines de noms des tués ou blessés par jour ! Parfois subsiste, de cette ancienne volonté, un tableau récapitulatif des effectifs à une date donnée.

Bref, ils sont une source précieuse pour déterminer les actions, les lieux, voire les pertes subies par chaque bataillon. C’est l’une des deux sources principales qui m’a permis de suivre Jean-François "pas à pas" (pour connaître l’autre, rendez-vous à la lettre R). Grâce aux JMO j’ai pu notamment déterminer les déplacements des bataillons de Jean-François, me rendre compte de la violence des batailles et du feu ennemi, le bien-être d’une journée de repos et de quelques « travaux de propreté » !

Chaque JMO peut être rempli par plusieurs personnes, notamment lorsqu’un rédacteur est muté ou tués lors d’un conflit. Selon les rédacteurs, ils sont plus ou moins détaillés. Par exemple j’ai dû faire face à plusieurs reprises de jour sans aucune note, voire de semaines muettes complètes.
De plus, il ne faut pas perdre de vue que le rédacteur est un officier et que même s’il est sensé remplir son JMO « sans commentaire ni appréciations personnelles », cela ne signifie pas qu’il est forcément objectif. Ainsi il m’est arrivée de lire le commentaire « journée calme », sous-entendant qu’il ne s’était rien passé ce jour-là ; mais en le rapprochant des fiches des Morts Pour la France, je me suis aperçue que plusieurs soldats étaient décédés à cette date. Assurément, pour les familles de ces hommes, ce n’était pas une « journée calme ». Cette notion de neutralité supposée induit également une certaine froideur dans les descriptions et ne prends quasiment jamais en compte l’émotion que peut susciter tel ou tel événement : on passe donc totalement à côté de l’état d’esprit des combattants, en particuliers des soldats de troupes.

Par ailleurs les guerres sont, par définition, des temps difficiles, et parfois le JMO d’une unité a été perdu. C’est le cas du 54ème BCA : pendant la durée de l’affectation de Jean-François dans ce bataillon, il m’a fallu trouver un autre moyen de le suivre au jour le jour. Je me suis donc basée sur le JMO de la Ière Armée (source très large, puis qu’elle détaille  les mouvements de grandes unités et non d’un seul bataillon) et un historique du 54ème (source assez vague car ne résumant que les principaux déplacements et batailles du bataillon mais ne contenant que peu de détails journaliers).


dimanche 11 novembre 2018

#Centenaire1418 pas à pas : novembre 1918

Suite – et fin du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de novembre 1918 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
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1er novembre
Tirs exécutés : 55 coups.

2 novembre
A 14h le groupe prend part à l’attaque de la 33ème DI qui doit s’emparer des organisations à l’Ouest de Guise. Tirs exécutés : 213 coups.

3 novembre
Tirs exécutés de nuit : 45 coups.

4 novembre
Opération du 36ème CA qui doit franchir le canal de la Sambre et s’établir à la Maison Rouge. Cette attaque est appuyée par le 31ème CA qui déclenchera à son tour une attaque générale dans le secteur de Villers lès Guise. Tirs exécutés : 129 coups.

5 novembre
Une reconnaissance faite dans la matinée pour trouver des positions dans la région de Crapilly devient inutile du fait du recul de l’ennemi. Le colonel charge de faire quotidiennement des reconnaissances pour le tenir au courant de la construction des ponts sur l’Oise et de l’état de routes direction de La Capelle.
Une pièce de la 1ère batterie est évacuée sur le PRA ; le tube 498 et l’affût 97 sont échangés pour le tube et l’affût 13.

6 novembre
Après la reprise de Guise, sur les ordres du colonel, les pièces sont mises hors batterie dans le courant de l’après-midi.
Guise © herv.demoulin.pagesperso-orange.fr

7 novembre
Le groupe est rassemblé tout entier à Noyales, sauf l’atelier qui reste à Regny. A date de ce jour, le régiment n’appartient plus au 31ème CA.

8 novembre
L’ennemi chancèle, il recule, perd pied. Bientôt il est hors de portée.

9 novembre
Les pièces sont en position de route, prête à poursuivre l’ennemi.

10 novembre
L’ennemi abandonne dans sa retraite un matériel considérable (voitures, wagons, approvisionnements de toute nature).

11 novembre

11 h :




A midi, coup de téléphone du PC du colonel qui nous apprend que l’Armistice a été signé et est entré en vigueur à 11h.

Armistice, la Dépêche © historyweb.fr

La guerre est finie.


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L’Armistice signé le 11 novembre 1918 surprend Jean-François dans le secteur de Guise (Aisne), à la poursuite des Allemands, entre deux coups de canons. Savait-il que la fin de la guerre approchait à grands pas ? Était-il au contraire coupé du monde sur le front ? Entend-il les volées de cloches à 11h ? Reste-t-il seulement un clocher capable de les faire sonner ? D'après le JMO, son régiment ne reçoit la nouvelle qu'à midi : était-ce l'espoir qui occupait les hommes durant cette heure intermédiaire, ou bien simplement la routine de tous les jours ? Nous ne le saurons probablement jamais...

Quoi qu'il en soit, cette signature est un soulagement pour tous : « la guerre est finie ». 

Cependant… elle n’est pas véritablement finie ! Si les combats ont cessé, cela ne signifie pas pour autant la fin de la guerre et le retour immédiat des hommes.

L’armée doit faire face à un immense chantier : rapatrier tous ses soldats, armes, véhicules, etc… disséminés à travers le monde. Les Français choisissent la démobilisation à l’ancienneté : l’idée est donc de commencer par démobiliser les soldats des classes les plus anciennes.

Jean-François n’avait que 20 ans en 1914 : c’est une des classes mobilisées les plus jeunes. Le retour à l’ancienneté signifie que, pour lui, la démobilisation n’est pas prévue pour tout de suite…

Une double démarche vient clore cette aventure "pas à pas" commencée en 2014 : le ChallengeAZ de généalogie, qui se déroule durant tout le mois de novembre, d'une part, puis un article à paraître le mois prochain pour en savoir plus sur l’après-guerre sous les drapeaux, en ultime hommage à Jean-François.


samedi 10 novembre 2018

#ChallengeAZ : I comme Italie

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Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, l'Italie qui jusque-là était alliée de la Triplice (Autriche-Hongrie, Allemagne, Italie) décide de rester neutre. Finalement elle s'engage auprès de la Triple-Entente (France, Russie, Royaume-Uni) en échange de la promesse de nombreuses concessions territoriales en cas de victoire (mai 1915). Les opérations italiennes resteront limitées à un front qui les oppose, la plus grande partie de la guerre, à l'Autriche-Hongrie. De 1915 à 1917 l'armée italienne, mal équipée et mal commandée, arrive néanmoins à pénétrer de quelques kilomètres en territoire ennemi, les Autrichiens restent en général sur la défensive. Cependant à l'automne 1917 les Italiens subissent une cuisante défaite à Caporetto.

C’est alors que le bataillon de Jean-François est envoyé en renfort sur le front italien, face aux austro-hongrois. Il participe à une vaste opération d’aide, composée de troupes françaises et anglaise : du côté français, c’est la Xème Armée qui est envoyée, avec des régiments d’artilleries mais aussi différents bataillons de Chasseurs Alpins. Ceux-ci, habitués aux combats à flanc de montagne, vont combattre l’ennemi sur les sommets qui surplombent la vallée du Piave (Vénétie). Ils volent au secours de leurs homologues italiens, les Alpini, démoralisés après leur récent désastre de Caporetto.  En décembre 1917 ils prennent le nom de Forces Françaises en Italie. Les Anglais sont sous le commandement du général Plummer.

Le 51ème BCA, auquel appartient Jean-François, embarque de Champagne où il était positionné début novembre 1917. Il est convoyé par train jusqu’à Turin, où les Italiens leur réservent un accueil chaleureux. Après une courte pause, ils poursuivent leur voyage vers Peschiera près de Vérone (Vénétie) puis des camions les conduisent vers Cedegolo et Edolo, région montagneuse près de Brescia (Lombardie).
La neige a déjà envahi les cols et les Alpins doivent développer tout leur savoir-faire pour empêcher l’ennemi de progresser.
A la mi-novembre on les rapatrie déjà vers Vicense (Vénétie). Leurs missions sont de renforcer l’armée italienne, contre-attaquer l’ennemi s’il se présente, couvrir un repli éventuel de l’armée italienne.

Début décembre ils rejoignent Castelcucco, au Nord Ouest de Trévise (Vénétie), au pied du massif montagneux surplombant la Piave qu’ils sont chargés de défendre. Pendant un mois, ils vont se battre férocement, sans cesse harcelés par l’artillerie et l’aviation ennemie, subissant de lourdes pertes. Mais les Chasseurs savoyards contribuent finalement à colmater la brèche. Le 30 décembre 1917, ils enlèvent avec brio la position clé du Monte Tomba aux Autrichiens. Cette bataille mémorable vaudra au 51ème BCA une citation à l’ordre de l’armée et une décoration de son fanion par le Général Fayolle, alors commandant supérieur des Forces Françaises en Italie (voir la lettre M).

Collection "patrie" © forum.pages14-18.com

Le 51ème se retire ensuite plus bas dans la plaine, faisant différents exercices, notamment des marches de manœuvre. Est-ce le froid ? La fatigue ? Jean-François tombe malade et doit être hospitalisé pour bronchite. Il reste 6 semaines éloigné du front, avant de pouvoir enfin rejoindre son bataillon.

Puis les Alpins doivent rentrer d’urgence en France au printemps 1918 car l’Allemagne a rompu le front (certaines troupes restent cependant en Italie, intégrées à la 12ème Armée Italienne en octobre 1918). Jean-François effectue son étape la plus longue de toute la guerre : près de 1 400 km, de la Vénétie à la Somme (voir la lettre D).


vendredi 9 novembre 2018

#ChallengeAZ : H comme honneur

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L’horreur de la guerre est un instant rompu par l’honneur qui est fait au 23ème BCA : la garde du Drapeau des Chasseurs.

Ordre de bataillon n°14 (daté du 25 juillet 1915) :
« Chasseurs de la 4ème Brigade,
Notre drapeau – le glorieux Drapeau des chasseurs est confié à votre garde pendant quelques jours.
C’est un honneur qui vous rendra fiers et aussi une récompense qui vous est due.
Je n’ai pas besoin de vous dire ce qu’est notre Drapeau décoré de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire, de la croix de guerre, lambeaux héroïques de soie tricolore qui renferment dans leurs plis toute la gloire du passé, toute celle du présent. [...]
Vous avez, depuis un an de guerre, forcé l’admiration du monde par votre énergie, votre courage et votre abnégation. […]
Réunis autour du drapeau des chasseurs, vous lui jurerez fidélité, vous ferez le serment non seulement de le défendre mais encore de le conduire, coûte que coûte, au bord de ce Rhin que nous voyons d’ici, au pied des dernières montagnes vosgiennes.
Et quand, votre tâche accomplie, vous défilerez sous l’Arc de Triomphe, au milieu des acclamations de la France entière, ne serez vous pas récompensés de vos peines et de vos fatigues en voyant flotter au-dessus de vos têtes notre glorieux étendard.
Signé : Lacapelle. »

Et le général Puydragin, commandant la 47ème DI y va aussi de son commentaire élogieux : « La 47e D.I. a brisé la résistance des troupes d’élite que l’ennemi lui a successivement opposées et maintenu glorieusement la vieille réputation des Chasseurs dont elle avait l’honneur de garder le drapeau ».

Les Chasseurs et leur drapeau, 1915 © lagrandeguerre.cultureforum.net

En effet, il n’y a qu’un seul et unique drapeau, commun à tous les bataillons et groupes de chasseurs à pied ou alpins. Autrefois chaque régiment d’infanterie, composé de plusieurs bataillons, avait alors son drapeau. Cependant à leur création il n’existait pas de "régiment de chasseurs" mais uniquement des bataillons. C’est pourquoi il n’y aurait donc qu’un seul drapeau, symbole de l’unité et de la cohésion de tous les chasseurs. Ce premier drapeau fut remis par le Roi, Louis Philippe d’Orléans, lors d’une cérémonie qui eut lieu le 4 mai 1841. Il fut confié au 2ème bataillon de chasseurs à pied pour tous les bataillons de chasseurs. 

Désormais la garde en est confiée, à tour de rôle et dans l'ordre croissant des numéros, à chaque bataillon pour la durée d’un an, mais en 1915 le 23ème ne l’a gardé que quelques jours. La passation se fait aujourd’hui au château de Vincennes, berceau des chasseurs, lors de la cérémonie nommée « les journées bleu-jonquille » (référence aux couleurs de l’uniforme des Chasseurs).

Ce drapeau des chasseurs a reçu de la Légion d’honneur pour avoir enlevé un drapeau autrichien, en 1859, à la bataille de Solférino. Il a aussi obtenu différentes décorations : la Médaille Militaire (c’est le seul de l’armée française à pouvoir la porter), médaille obtenue suite à la prise du drapeau au 132ème régiment Prussien le 14 août 1914 par le 1er bataillon de chasseurs à pied à Saint-Blaise-la-Roche (Vosges) ; La Croix de Guerre 1914-1918 avec palme qui rappelle, sur leur unique Drapeau, l’héroïsme des bataillons d’active et de réserve ; La Médaille Italienne du Mérite de Guerre qui marque la part éminente que prirent les Chasseurs dans les combats du front italien durant la Grande Guerre, etc…


jeudi 8 novembre 2018

#ChallengeAZ : G comme grades

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Les principaux grades dans l'infanterie sont les suivants :
  • Les hommes de rang :
- soldat de 2ème classe : Soldat
- soldat de 1ère classe : Distinction et non un grade ; permet d'accéder au grade de caporal
- caporal : Commande une escouade (composée de 10 hommes environ)
  • Les sous-officiers :
- sergent : Commande une demi-section (composée de 2 escouades soit environ 30 hommes)
- adjudant : Chargé des corvées et de l'organisation de la compagnie.
- major : Sous-officier chargé de l'administration
  • Les officiers supérieurs :
- lieutenant : Commande une section (composée de 60 hommes)
- capitaine : Commande une compagnie (composée d'environ 240 hommes)
  • Les officiers subalternes :
- commandant : Commande un bataillon (composé de 4 compagnies, 1100 hommes)
- colonel : Commande un régiment (composé de 3 bataillons, 3400 hommes)
  • Les officiers généraux :
- général de brigade : Commande une brigade (composée de 2 régiments, 6800 hommes)
- général de division : Commande une division (composée de 2 brigades, 16000 hommes)
- général de corps d'armée : Commande une armée (composée d'au moins 2 divisions)
- général d'armée : Commande un corps d'armée (composé d'au moins 2 armées)
- maréchal : Distinction et non un grade


Grades et insignes des Chasseurs © Wikipedia

Jean-François est resté toute la guerre un soldat de 2ème classe. Le soldat de 2ème classe constitue la base de la hiérarchie militaire française. Il se situe au-dessous du premier grade qui est caporal. Il peut obtenir la distinction de première classe qui n'est pas un grade de l'armée française mais une distinction attribuée aux hommes du rang.

Naïvement je pensais que le grade de caporal pouvait s’obtenir « à l’ancienneté », en particulier lorsque tous les gradés étaient morts sur le champ de bataille et qu’il fallait bien quelqu’un pour mener les troupes lors des assauts. Je pensais donc logiquement que Jean-François, ayant passé 4 ans aux armées, aurait eu cette « promotion » puisqu’il n’a semble-t-il pas démérité : lui-même a reçu une médaille et les bataillons auxquels il a appartenu ont souvent été cités pour leur bravoure (pour en savoir plus, voir la lettre M).
Cependant rien de tel.

Depuis les Lois Gouvion Saint Cyr et Soult de 1818 et 1832, le statut des officiers est précisément défini.
Le grade est propriété de son titulaire qui ne peut pas en être dépossédé, hormis dans quelques cas très limités (démission, perte de la qualité de français et certaines condamnations). La nomination au grade d'officier se fait soit par accès aux écoles (Saint-Cyr ou Polytechnique), soit par nomination au sein du corps des sous officiers, à condition d'avoir déjà deux ans de grade. Cette procédure favorise les jeunes gens de bonne famille, bénéficiant d'utiles relations et qui ne souhaitent pas (ou ne réussissent pas) passer par les écoles.
Pour devenir caporal, en plus de savoir lire et écrire, il faut maîtriser un socle de connaissances (service de place, service intérieur...) et il faut avoir "servi activement au moins six mois, comme soldat, dans un des corps de l'armée" (article 1er). Les hommes ayant obtenu le Brevet d'Aptitude Militaire peuvent de droit intégrer l'école des élèves caporaux et le devenir au bout de 4 mois de service. Pour tous les autres, il s'agit de soldats choisis pour leur moralité, leur conduite, leur aptitude au commandement et leurs connaissances professionnelles.
Une fois sous-lieutenant, la progression en grade se fait à l'ancienneté ou au choix de la hiérarchie.
Après 1834, la plupart des nominations aux grades de lieutenant et de capitaine et la moitié des grades de chef de bataillon ou d'escadron se fait à l'ancienneté, les autres au choix. Au-delà (colonel et général), toutes les nominations sont au choix.
Jusqu’au grade de capitaine compris, les promotions se font dans le corps (le régiment) pour l'infanterie et la cavalerie. Au delà de ce grade, l'avancement se fait au sein de l'arme. Cette procédure favorise les officiers servant dans des régiments engagés au combat qui, s'ils survivent, on plus de chance d'être promus en bénéficiant de la mort de leurs aînés.
Pour les officiers subalternes, les promotions sont décidées par l'inspecteur général, sur proposition des chefs de corps. Au delà, l'inspecteur général établit une liste qui sera décidée par le comité de l'arme en question (infanterie, cavalerie, artillerie, génie et état major) ou par le ministre.

Il semble que Jean-François avait les nécessaires requis pour devenir au moins caporal. Ce qui n’a pas été le cas. Peut-être qu’un élément m’a échappé ? N’avait-il pas les connaissances requises ? Ou peut-être le lui a-t-on proposé et a-t-il refusé ? Cela reste un mystère pour moi.