« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 14 novembre 2018

#ChallengeAZ : L comme Le Linge

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Au printemps 1915 la 47ème Division est stationnée dans la vallée de Munster avec comme objectif final de reprendre l’Alsace, alors sous domination allemande depuis 1871 (comme évoqué dans la lettre K). Munster est une petite ville nichée dans la vallée de la Fecht,  débouchant à l’Est à Colmar et barrée à l’Ouest par les hauts sommets de la crête des Vosges. La ville comptait près de 6 000 habitants en 1910 (et seulement 4 000 en 1921). Du fait de sa position géographique, les Vosges se sont retrouvés, bon gré mal gré, frontière entre les deux belligérants de la Première Guerre Mondiale : les combats se sont concentrés sur la ligne de crêtes et les sommets ou les cols stratégiques du massif vosgien.

Le Linge, comme l'Hartmannswillerkopf, furent tous les deux des champs de bataille résultant d'une conception tactique dite "manœuvre de débordement par les hauts", chère aux théoriciens du Haut Commandement des années 1914. Une telle manœuvre par le haut n'est valable que dans la mesure où elle bénéficie exceptionnellement d'un rapide effet de surprise. Elle est inopérante, si elle se transforme en opération lente, de longue haleine, prévisible par l'ennemi organisé et retranché alors sur des positions fortes.

Le but immédiat, en cette fin juillet 1915, est de s’emparer de Munster en agissant donc par les sommets, d’une part sur le front Eichwald-Reichackerkopf, et d’autre part avec la 129ème Division qui attaquera sur la ligne de front Lingekopf-Barrenkopf, en vue de descendre ensuite sur Munster.
La bataille du Linge est en fait un ensemble de combats concentrés sur les sommets vosgiens. Ainsi, quittant le Braunkopf  où il était positionné, le 23ème Bataillons de Chasseurs (celui de Jean-François) vient en soutient sur le massif du Reichakerkopf et contribue de leurs positions à inquiéter l’ennemi et à lui faire craindre une attaque éventuelle sur Muhlbach. 

Vers midi, le 19 juillet 1915, l’attaque s’étant déclenchée un feu d’une extrême violence part des tranchées du 23ème Bataillon dans les directions données. En effet, pour mener à bien la prise de Munster décidé par l’État Major français, il faut préalablement prendre les sommets dominant le cirque au fond duquel est blottie la ville. Sommets que les Allemands ont fortifiés par un réseau de tranchées bétonnées, fortins et abris.

Le 20 juillet le 23ème BCA coopère à l’attaque dans les mêmes conditions que la veille. Les combats sont d’une extrême violence. Des vagues d’assaut, on discerne à peine les soldats qui chargent, à bout de souffle, dans des pentes abruptes sous un bombardement infernal. Elles sont criblées de balles dès qu’elles débouchent et viennent mourir, mitraillées à bout portant, devant d’infranchissables réseaux de barbelés et des blockhaus bétonnés, où les attendent les corps des cisailleurs tués. Des monceaux de morts gisant mêlés aux blessés entre les lignes.

Le Linge © linge1915.com

Les combats vont ainsi se succéder pendant plusieurs jours. Entre deux bombardements, les soldats tentent de redresser les tranchées éboulées. Le 23 juillet les Chasseurs partis à l'assaut en quatre vagues le 20 juillet sont repoussés dans leurs tranchées. Retour à la case départ. Le Lingekopf est repris par les Allemands. Le 26 juillet, nouvelle action limitée au Linge, sous un méthodique feu roulant de l'artillerie et des conditions météo rendant la tâche encore plus ardue (brume, pluie, boue) : la crête est conquise mais au prix de lourdes pertes.  

Dans la nuit du 26 au 27 juillet, trois assauts de contre-attaques allemandes sont repoussés. Les combats n’ont pas cessé avec le lever du jour. Les Français sont obligés d’abandonner le Barrenkopf, trop exposé. Mais Joffre n'entend pas rester sur cet échec : il ordonne la reprise de la crête coûte que coûte. Les chasseurs repartent. La lutte est dantesque, souvent au corps à corps. Entre les lignes, les cadavres s'amoncellent.

Le 29 juillet, nouvel assaut des armées françaises, mais le sommet du Linge est toujours tenu par les Allemands. Début août les bombardements allemands sont d'une violence inouïe : 40 000 obus ont été lancés sur un front de 3 km, ensevelissant morts et vivants. Les chasseurs s'épuisent.
Le 5 août, assauts et contre-attaques de part et d'autre. Le sommet du Linge change plusieurs fois de main. Le 23ème BCA est finalement relevé et retourne à l’arrière. 

Mais l’histoire n’est pas finie : devant les contre-attaques allemandes, Joffre décide d’une nouvelle offensive, tout en refusant des renforts supplémentaires. Le 12 août le Bataillon reçoit l’ordre d’aller relever dans la nuit le 12ème BCA au Barrenkopf. Attaques et contre-attaques s’y sont heurtées sans arrêt depuis plusieurs semaines. Et le feu ne faiblit pas : le premier jour Jean-François perd 10 hommes de sa compagnie. Les tranchées sont gravement endommagées, malgré les travaux de réparations effectués à la hâte, le séjour est pénible, les communications difficiles.

Le 17 août l’artillerie française inonde littéralement les positions ennemies. C’est un vacarme ininterrompu. Cette action d’artillerie devait servir de prélude à une attaque au Lingekopf. Après la terrifiante canonnade des blockhaus allemands ébranlés mais non démolis partirent des feux nourris qui prouvèrent que la garnison avait été épargnée par les obus. L’attaque fut donc remise. Le lendemain le 23ème a pour mission de s’emparer d’un blockhaus ennemi situé sur la crête du Linge et, si possible, gagner le sommet du Barrenkopf. Les objectifs sont atteints. On envisage de pousser l’avantage, mais malgré des débuts brillants, la situation vire au médiocre. 

Les tranchées sont si proches que, le 23 août, les Français doivent évacuer leurs propres lignes pour éviter le tir de leurs obus visant les lignes adverses ! Après l’artillerie, une nouvelle charge, baïonnette au canon, est effectuée. Comme les jours précédents, si les troupes atteignent le sommet, elles doivent finalement abandonner le terrain et revenir dans leurs tranchées de départ en fin de journée. Puis c’est la grande contre-offensive allemande, qui lance notamment des obus à gaz. Le yo-yo attaques/contre-attaques, succès/échecs continue ainsi jusqu’en octobre. L’ultime attaque allemande sera repoussée le 16 octobre.
Finalement, le front se fige et s'éteint au collet du Linge (ou col du Linge). Chacun s'organise défensivement : coups de main ou duels d'artillerie d'intensité variable. Français et Allemands y restèrent face à face jusqu'au 11 novembre 1918 !

Les maigres résultats acquis au Linge furent sans commune mesure avec les pertes subies : 10 000 morts de juillet à octobre 1915 (côté français), 17 bataillons de Chasseurs engagés connurent jusqu'à 80% de pertes. C’est ce qui lui valu le terrible surnom de « tombeau des Chasseurs ».
C’est là un (terrible) exemple d’une bataille ordinaire – si l’on peut dire – de la Première Guerre Mondiale ordonnée par un État-major inconscient (incompétent ?) et qui coûta la vie à tant de braves soldats… pour rien.


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