« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 28 novembre 2018

#ChallengeAZ : X comme x camarades tués

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Jean-François s'est-il demandé :  

« Combien sont-ils ? Ces camarades avec qui j’ai grandi, ceux qui ont suivi leur formation militaire en même temps que moi ou ceux qui étaient affectés dans les mêmes bataillons et qui ont disparu à jamais.

Des chiffres, on peut en aligner :
- 600 hommes sont mis hors de combat en une seule nuit à la Tête de Faux,
- 17 00 au Linge, le « tombeau des Chasseurs »,
- 5 000 soldats tués lors de la (ou l'une des) journée(s) la (les) plus meurtrière(s) de toute la guerre, le 1er juillet 1916,
- plus de 18 millions de tués au total et 20 millions de blessés.
Même les spécialistes ne s'accordent pas toujours sur les chiffres.

Le monde est un cimetière.

Certains sont morts loin de moi et je n’ai appris leur décès que bien plus tard. D’autres se sont simplement évanouis sur un champ de bataille sans même que je ne m’en aperçoive. Et puis il y a ceux qui se sont fait déchiqueter, les morceaux de leurs corps s’envolant dans une gerbe de terre et de feu, juste sous mes yeux, leurs sang et leurs entrailles m’éclaboussant tandis que nos gradés nous encourageaient à poursuivre notre avancée sous le feu ennemi. Combien sont-ils ? Puis-je les compter aujourd'hui ?

Qui se rappellera de des camarades tués à l’ennemi : Ferdinand Ausseil à Metzeral en juin 1915, le sergent Ardisson, au Barrenkopf en 1915, Isidore Bauchet en Italie en décembre 1917 ?
Qui se rappellera de mon ami Désiré Collomb Clerc, dont on n’a pas retrouvé le corps, perdu sur les pentes d’un mont brumeux dans les Vosges ?
Qui se rappellera de mes camarades de classe : les jumeaux Jay, Gaston Duc, Henri Rattelier-Parcher ?
Qui se rappellera de la terreur du jeune Marsaleix, 20 ans, fusillé pour abandon de poste en 1915 ?
Qui se rappellera Marius Bosc, décédé de suite de maladie contractée en service le 10 novembre 1918 ? Le 10 novembre ! Si près de la fin. [*]

Fiches "Morts pour la France" des jumeaux Jay © Mémoire des Hommes

Qui se rappellera de tous ces hommes, moi qui n’ai même pas gardé la mémoire de tous leurs noms tellement ils sont nombreux à être tombés à mes côtés ?
Une litanie sans fin.

Et moi ? Me rappellerai-je de tous mes camarades tombés au champ d’honneur, pour défendre leur pays ? Ceux qui avaient à peine 20 ans qui n’ont pas vécu leur vie ? Ceux qui avaient femmes et enfants et sont partis, fiers, tellement sûrs de revenir vite, victorieux ? Ceux, plus âgés, qu’on s’est dépêché de rappeler car les hommes, déjà, manquaient ?
Hanteront-ils mes nuits ? Passerais-je mes journées, assis près de la fenêtre, à tenter de retrouver dans le vide de ma mémoire le nombre de mes camarades disparus ? »


[*] Tous les noms cités ont été identifiés lors du parcours pas à pas de Jean-François.


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