« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 23 août 2018

Entrez dans les coulisses

Cet article fait suite au précédent billet publié sur ce blog la semaine dernière : « #RDVAncestral : La fille déshonorée ». Il en raconte la genèse, les coulisses.


 
© Bigstockphoto.com

Pour mémoire, le #RDVAncestral est une série de billets où l’auteur part à la rencontre d’un de ses ancêtres, sans contrainte de temps ni d’espace ; idée lancée par Guillaume, du Grenier de nos ancêtres, il y a déjà deux ans.

Comme j’aime raconter des histoires, je me suis engouffrée dans la brèche et depuis octobre 2016 je n’ai pas raté un rendez-vous mensuel (vous pouvez retrouver tous ces articles ici).
Bien sûr, les puristes pourront dire que c’est du grand n’importe quoi, cependant, s’il faut un brin d’imagination pour écrire ces histoires (et se laisser emporter par leur lecture) je me base toujours sur des faits réels.

Ainsi, l’histoire de « La fille déshonorée » a commencé par un acte… en partie illisible.

Extrait BMS Guérard, 1657 © AD77
"Simone fille de Simone testard fille de … ? chemin demeurant à dagny bas le 6 juillet par. Nicolas guillard mar. Jeanne carrouget"

Par cet acte, je savais donc que Simone Testard était une fille-mère, ayant donné naissance à une fille aussi prénommée Simone. Mais je ne parvenais pas à lire ce qui venait après le nom de la mère et qui aurait dû, logiquement, me renseigner sur le père.

En fait, non, tout n’a pas vraiment commencé par là. Mais il y a bien longtemps lorsque j’ai trouvé l’acte de mariage de Simone (la fille). Car alors, elle se nomme Duchemin (et non Testard). Elle y est dite fille « extra matrimonium » : née hors mariage. Je sais donc déjà qu’elle « n’a pas de père » (enfin, pas de père légal en tout cas). Trouvant l’acte de naissance cité plus haut, je confirme cette illégitimité : Simone, née en 1657, est nommée Testard, du nom de sa mère (puisqu’il n’y a pas de père), mais lors de son mariage en 1675 elle est nommée Duchemin du nom du mari de sa mère.

Que s’est-il passé entre temps ?

Fatalement, Simone mère a dû épouser ledit Duchemin qui a reconnu Simone fille, lui donnant son nom. Hélas, je n’ai pas pu trouver l’acte de mariage en question. Dommage car sans doute y est-il consigné que l’époux reconnaît l’enfant illégitime de sa nouvelle épousée.

Une fille-mère en 1657. A vrai dire, je n’ai aucune idée de comment elle pouvait être perçue. Est-ce que cela changeait selon les régions ? L’autorité du curé ? Des parents ? Bref, j’avais envie d’explorer cette piste.

Je commence à tisser la trame du futur récit. Mais avant de laisser envoler mon imagination, il me faut mener l’enquête.

  • Combler le trou de l’acte de naissance
Je lance un appel d’abord sur Twitter puis sur le groupe de paléographie de Facebook : réponse quasi immédiate qui m’apporte un précieux renseignement (merci encore aux réseaux sociaux, bien souvent utiles dans ce genre de cas). Il fallait lire « fille de fornication avec françois chemin ».
> Cela confirme, s’il en était besoin, que Simone fille est bien née hors mariage. Le terme de fornication ou encore de "copulation charnelle" était assez fréquente dans les registres paroissiaux briards, m'explique-t-on. Elle concernait aussi bien les enfants illégitimes que ceux, plus tard, issus de couples protestants (après la révocation de l'édit de Nantes en 1685).
> Par ailleurs, l’identité du père se précise. S’il est dit « Chemin » dans l’acte de 1657 et « Duchemin » dans celui de 1675, c’est fort probable que ce soit le même homme.
Et c’est une chance qu’il soit nommé, car dans les autres cas d’enfants illégitimes ou « bastards » de mon arbre (j’en ai quelques uns), le père n’est jamais mentionné.
> Cela ruine mon hypothèse d’une paternité seigneuriale (je sais par ailleurs que ce Chemin/Duchemin est laboureur : rien à voir avec le seigneur local), qui était l’idée de départ de mon billet. Bon, j’en ai gardé une trace quand même dans les bavardages des commères ; après tout, cela devait bien arriver aussi, même s’il ne semble pas que ce soit le cas ici. Adieu romance à l’eau de rose (j’ai un cœur de midinette, que voulez-vous…). Mais cela illustre comment des recherches peuvent ruiner une idée d’écriture !

  • Les recherches civiles
Pour confirmer/infirmer mes hypothèses de départ,  je fais ou complète les recherches déjà menées. L’état civil/paroissial est la première piste, mais cela peut aussi être d’autres sources (notariales par exemple).
Ici les Simone sont trouvées à Guérard (en Seine et Marne) en 1657 ; mais ledit Duchemin est alors « demeurant à Dagny bas ». En 1675 lors du mariage de la fille, il est dit de Dagny mais Simone mère est toujours à Guérard (c’est là qu’on la trouve servante du seigneur de Rouilly le Bas, hameau de la paroisse), et enfin lors du décès de Simone mère en 1709 il est mentionné de Saint-Augustin (de son vivant, puisqu’il est alors déjà décédé).
Il ne semble pas exister de hameau appelé Dagny Bas dans la paroisse de Guérard, mais une paroisse proche se nomme bien Dagny.
Ce qui nous fait trois paroisses où pister le mariage, d’autres éventuels enfants et le décès  Duchemin (ou Chemin).
De longues heures de feuilletage (virtuel) m’attendent. D’autant plus que je dois rester vigilante et le chercher sous le patronyme de Duchemin et de Chemin (voire d’une autre variante ?).
Hélas la période est ancienne et les registres partiellement lacunaires ou abîmés. Je n’ai pas eu le temps de compulser tout Saint-Augustin (si je puis dire) mais pour le moment je n’ai pas retrouvé la trace du couple dans aucune de ces paroisses. Un jour peut-être…

  • Les recherches généralistes
Pour planter le décor et ne pas dire trop d’âneries, je fais aussi des recherches « généralistes » : géographiques, historiques, etc…
Ainsi je ne me suis pas attardée sur la date du marché à Guérard, supposant que, comme partout ailleurs, il devait bien en avoir un ; et pour éviter les erreurs (j’ai peut-être parmi mes lecteurs des gens de Seine et Marne qui connaissent leur histoire locale sur le bout des doigts), je reste volontairement évasive et ne donne aucune date précise, du type « c’était le jour de la quasimodo, la grande foire annuelle du village », mais simplement « c’était jour de marché ». Par contre j’ai fait quelques recherches sur l’église, histoire d’émailler mon récit d'anecdotes : consécration de l’église par Saint Thomas de Cantorbéry ou date des différentes parties de l’édifice pour savoir si ce que l’on peut voir aujourd’hui correspond ou non à ce qu’il y avait au milieu du XVIIème siècle.
Par ailleurs, je me suis renseignée sur l’obligation de faire les déclarations de grossesses : c’est le fameux édit d’Henri II (détaillé ici par exemple).
Recherches qui m’ont entraînées vers les enfants naturels, les abandons, la notions de bâtardise, etc… au bout d’un moment il faut digérer ces informations, faire le tri, et décider de ce que l’ont va garder dans le récit. Et ce n’est pas l’étape la plus facile ! Au final cela peut se réduire à une ou deux phrases seulement, mais bon, au moins, j’ai appris des choses, ce n’est donc pas du temps perdu.
Ce type de recherche peut porter tout aussi bien, selon les cas, sur un métier, l’ameublement spécifique à une activité, les vêtements, le parlé local. Bref des recherches variées et enrichissantes.

  • Les surprises
Il y a parfois de petites surprises qui apparaissent lors de ces recherches préliminaires. Selon les cas, je les intègre, ou non, au récit. Cela dépend de la longueur de ce que j’ai déjà rédigé (je fais des billets, pas des romans tout de même), de l’intérêt que cela peut apporter à l’histoire ou tout simplement de mon humeur du moment ! Mais ces décisions peuvent parfois me prendre beaucoup de temps, et peuvent donner naissance à plusieurs variantes de récits avant de choisir la définitive.
Dans le cas qui nous occupe, j’ai découvert un fait et me suis longtemps demandé si je devais en parler ou pas. En effet, comme on vient de le voir, le nom du (supposé) père varie d’un acte à l’autre. Entre Duchemin et Chemin, je n’ai pas beaucoup hésité : c’est là deux versions courantes du même patronyme. Mais lors de la naissance de Simone fille, il est prénommé François, lors de son mariage Nicolas et lors du décès de Simone mère Pierre. Ce qui fait là beaucoup de variantes. Si j’avais juste trouvé une fois Nicolas et une fois Colas, OK, c’est courant. Mais là ces trois prénoms sont très différents. Est-ce qu’il portait un prénom (ou des prénoms) de baptême et un d’usage, comme on le voit parfois ? Comme il semble n’être jamais là directement dans les actes (il habite toujours ailleurs) est-ce une erreur du rédacteur ? Ou bien est-ce plusieurs personnes distinctes ? Finalement j’ai opté pour une seule et même personne, mais je n’ai pas résolu la variété de prénoms trouvés, par manque d’actes le concernant directement. Les lecteurs attentifs auront noté que dans le billet je l’appelle « le jeune Duchemin » et ne le prénomme jamais. Ce qui m’évite d’avoir à faire une longue digression sur ses prénoms et son/ses identités supposées (bien sûr, je l’ai écrite mais trouvais qu’elle alourdissait trop le récit alors je l’ai supprimée).

  • L’iconographie
Une fois que le récit commence à se structurer et trouver sa forme plus ou moins définitive, je cherche un visuel pour illustrer l’histoire. Ces recherches peuvent être chronophages, surtout si j’ai en tête une idée précise de ce que je veux… et que je ne la trouve pas !

Heureusement j’ai une certaine facilité d’écriture (c’est pratiquement la phase la plus courte de la création d’un billet). Ce qui ne m'évite pas, bien sûr, de multiples relectures et/ou réécritures qui émaillent tout le processus.

Enfin, tout ça pour dire que, si j’ai beaucoup d’imagination, ces récits se basent toujours sur des faits avérés, ou tout au moins sur des recherches sérieuses. Pas tout à fait n’importe quoi, finalement…



4 commentaires:

  1. Vos divagations sur fond de vérité nous enchantent Mélanie.

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  2. Lorsque Mélanie mène l’enquête c’est du sérieux, on peut lui faire confiance, elle ne brode pas au-delà des sources.
    Sa prudence l’honore. Et ces récits très bien écrits ne sont jamais ennuyeux.
    Un modèle à suivre.
    https://murmuresdancetres.blogspot.com/2018/08/entrez-dans-les-coulisses.html?spref=tw

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  3. Divagation est un terme inapproprié.
    Disons plutôt que Mélanie "tombe en rêverie"autour de ses personnages bien réels,et que c'est un bonheur de la lire.

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    1. "Divagation", ça arrive aussi ! ;-)
      Merci pour ta fidélité.
      Mélanie

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