Apprenant par hasard que des archives relatives au secours aux soldats vendéens avaient été numérisées et mises en ligne sur Geneawiki (par jeangontard : merci à lui), j’ai tenté d’y retrouver la trace de mes ancêtres, puisqu'une branche de mon arbre est originaire du Nord Deux-Sèvres, près la « frontière » vendéenne : il y a donc de forte chance que quelques uns d’entre eux aient laissé leur trace dans ces documents…
Quatre en effet y ont semé des petits cailloux : trois ancêtres directs, simples soldats dans l’armée du roi, ainsi qu’un collatéral, capitaine dans cette même armée. Ces cailloux m’ont donné quelques informations – certaines précieuses, d’autres dont je me serai peut-être bien passée…
Pièce du dossier de Jean Gabard © AD79 via Geneawiki
- Le petit caillou de la naissance
Les dossiers de demande de pension sont composés de plusieurs pièces dont un acte de naissance, ou à défaut un multi-témoignage attestant de ladite naissance. C’est ainsi que pour certains de mes ancêtres j’ai enfin la preuve de leur naissance. Par exemple : Jean Gabard. Selon les actes il serait né en 1776 (acte de décès de son père), 1779 (son acte de décès), 1778 (son acte de mariage qui mentionne "un extrait de naissance délivré par les archives de Niort" pour pouvoir procéder à la cérémonie), ou 1782/1783/1786 (actes de naissance de ses enfants). Mais aucun registre antérieur à la Révolution n’a été conservé à Saint-Amand-sur-Sèvres afin confirmer une date. C’est finalement le dossier de demande de pension qui peut le faire : Jean Gabard fait comparaître sept témoins qui « ont déclaré certifier que Jean Gabard est né dans la commune de Saint Amand dans le courant de l’année mil sept cent soixante seize. »
Ceci nous apprends deux choses : que son année de naissance est bien 1776 et que Jean ne devait pas connaître la date précise de son anniversaire puisqu’il ne peut donner que son année de naissance, et non pas la date entière.
Le dossier de Mathurin Gabard, son cousin, nous indique que « les registres de naissances de la commune de Saint Amand » sont introuvables pour cette période car ils ont disparu dans « l’incendie qui le dix neuf décembre mil huit cent cinq a consumé à Niort [lesdits] registres ».
- Le petit caillou des combats
Ces quatre dossiers sont déposés dans la procédure d’attribution d’une rente viagère attribuée aux « anciens militaires des armées royales de l’Ouest ». Logiquement ces hommes ont donc combattu du côté des royalistes.
Au travers de leurs différents dossiers, on voit l’évolution des combats :
- 12 mars 1793, bataille de St Florent (49) : deux jours auparavant, la loi sur la levée en masse est annoncée à St Florent le Vieil. Trois cent mille hommes doivent être désignés ou enrôlés par tirage au sort, parmi les hommes de 18 à 35 ans de toute la France, pour venir grossir les rangs de l'armée. Ces levées en masse renforcent considérablement les armées mais suscitent de forts mécontentements populaires régionaux, entraînant des émeutes et insurrections. C’est ainsi qu’à St Florent des échauffourées éclatent. Les jeunes convoqués pour le tirage au sort des conscrits réclament l’ajournement du tirage au sort. Suite à un premier coup de feu tiré, les gardes nationaux répliquent en tirant sur la foule. Mais ils doivent finalement se replier : St Florent est aux mains des insurgés.
- 13 avril 1793, bataille des Aubiers (79) : l’opposition à la levée en masse gagne les rangs de la noblesse locale, incarnée par le comte de la Rochejaquelein, un des chefs de l’armée catholique et royale de Vendée. Lorsqu’arrive une colonne républicaine aux Aubiers, les paysans se rangent derrière la bannière du comte pour la combattre. Plus nombreux mais mal armés, ils engagent un véritable combat de rues dans le bourg des Aubiers. Tandis que Quetineau et sa colonne se replie derrière les murs du cimetière, les insurgés prennent le dessus sur les républicains. Ceux-ci s’enfuient, en déroute, vers Bressuire.
- le 13 mai 1793, La Châtaigneraie (85) : les Vendéens s’organisent et planifient désormais des attaques ciblées. Mais les paysans sont nombreux à ne vouloir qu’une chose : rentrer chez eux. Les effectifs des troupes s’en ressentent et diminuent de façon importante. Le 13 mai ils sont entre 12 000 et 15 000 hommes à attaquer La Châtaigneraie où sont réfugiés les 3 000 hommes du général républicain Chalbos. Celui-ci ordonne finalement le repli et la ville est livrée au pillage.
- le 16 mai 1793, Fontenay (85) : trois jours après l’armée vendéenne se présente sous les murs de Fontenay-le-Comte. Cependant, non seulement les effectifs ont encore diminué (10 000 environ), mais ces hommes sont habitués à pratiquer une guerre d'embuscade dans le bocage et ne sont pas préparés à une guerre qui se professionnalise avec des batailles rangées, à terrain découvert, comme sur les plaines devant Fontenay où s'étaient déployés les 6 000 soldats républicains du général Chalbos. Après une charge de cavalerie, celui-ci réussit à prendre les Vendéens en tenaille et à les mettre en déroute.
- le 5 juillet 1793, Châtillon (79) : la violence monte d’un cran. Après avoir repris la ville et mis en déroute le cruel général Westerman (« le boucher de la Vendée ») les royalistes, ivres de vengeance, ripostent impitoyablement aux exactions commises par les républicains en massacrant de nombreux prisonniers.
- le 14 août 1793, bataille de Luçon (85) : l’état-major vendéen est divisé sur la suite des opérations : étendre le conflit vers les côtes du Nord, afin de permettre un débarquement allié via un port breton, ou protéger les villes du sud de la Vendée jugées plus vulnérables. Il est finalement décidé de rester en Vendée. On élabore alors un plan d'attaque complexe en lançant plusieurs assauts à différents échelons, déployant fantassins et artillerie. Si la bataille semble un temps favorable aux Vendéens, le manque de coordination finit par fragiliser leurs rangs. Dans la confusion ils prennent la fuite, poursuivis par la cavalerie républicaine. Selon les sources les chiffres des blessés et tués lors de cette bataille varient grandement (de 1 500 à 6 000 morts). Mais on s’accorde à dire que cette bataille est alors la plus désastreuse de toutes celles qui s'étaient déroulées jusqu'à présent.
- Le petit caillou des blessures
Mathurin Gabard, « par sa valeur » ôtera un drapeau aux troupes républicaines dans cette « affaire qui eut lieu aux Aubiers » mais, à La Châtaigneraie, il est atteint de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit dont une balle ayant porté sur les tendons fléchissant « lui occasionnant une difficulté dans le mouvement de la flexion ».
Pierre Rabaud fut blessé à St Florent et Fontenay où il reçu un coup de sabre sur la joue et une balle au bras, blessures qui le gêne beaucoup « pour gagner la vie ».
Jean Gabard « a été blessé à Châtillon à l’affaire de vestherman […] d’un coup de bayonnette blessure qui est guérie mais qui le gene pour travailler et gagner l’existence à six enfants. »
Quant à Jacques Jadaud, il fut atteint d’une hernie inguinale « qui lui est survenue au combat de Luçon, en sautant un fossé étant poursuivi par la cavalerie, ce qui le prive de travailler fort souvent, rapport aux coliques qu’il éprouve et de gagner la vie à ces sept enfants. »
Coups de sabre, balle, baïonnette : la guerre a laissé son empreinte dans les corps des hommes.
- Le petit caillou des démarches administratives
C’est le 3 décembre 1823 qu’est passée officiellement cette ordonnance royale accordant la possibilité d’une pension aux anciens soldats des armées royales de Vendée. Mais pour obtenir cette pension, il faut remplir un certain nombre de critères : prouver sa naissance, sa blessure et son indigence.
- le 11 juin 1824, Mathurin Gabard et Pierre Rabaud sont les premiers à se lancer dans les démarches administratives : Mathurin se rend à Châtillon et Pierre à Nueil, chacun pour faire établir un certificat de santé prouvant leurs blessures. Le 15 juin le certificat de Mathurin est authentifié par le maire de Châtillon. Le 16 juin Mathurin retourne à Châtillon voir le juge de paix, accompagné de sept témoins, pour obtenir deux certificats prouvant sa naissance (puisque les registres ont été ravagés dans un incendie) et attestant de sa présence aux combats.
Il fait cette démarche en même temps que Pierre Rabaud.
Le 20 juin Mathurin va à la mairie de Saint-Amand pour chercher un certificat d’indigence rédigé par le maire de la commune. Il peut désormais envoyer son dossier.
Le certificat de santé de Pierre n’est authentifié que le 20 juin par l’adjoint au maire de Nueil et le 23 par le maire des Aubiers.
Le 29 juin Pierre voit le juge de paix de Châtillon pour obtenir son acte de notoriété et le 6 juillet le maire de Saint-Amand pour son certificat d’indigence.
Le 30 juillet le sous préfet de Bressuire a une grosse journée devant lui : il légalise une première partie des pièces des dossiers de Mathurin et de Pierre (et de bien d’autres sans doute). Le 4 août a lieu la légalisation des dernières pièces des dossiers et leur présentation officielle par les demandeurs (Mathurin sait signer mais il en est empêché, Pierre ne sait pas).
Ces dossiers sont ensuite envoyés à l’échelon supérieur.
Le 9 août Jean Gabard et Jacques Jadaud commencent leurs démarches : officier de santé et juge de paix à Châtillon, maire à Saint-Amand (11 et 16 août), sous préfet à Bressuire (18, 19, 20 août).
A partir du 24 août le préfet de Niort légalise les signatures, examine les dossiers.
Puis les dossiers passent en commission et les jugements tombent : « Brave soldat, blessé grièvement et dans l’indigence », « blessé légèrement et sans fortune », « infirme et sans fortune », « la blessure de ce militaire ne sont pas aussi graves que celles de ses camarades qui précèdent », « il n’est parvenu sur son compte aucun éléments défavorable »…
Mathurin et Pierre apparaissent dans les tableaux de pensions du 30 septembre 1824. Ils reçoivent une pension de 100 francs pour Pierre, simple soldat, et 200 francs pour Mathurin qui fut capitaine.
Jean et Jacques n’ont pas obtenu de pension, leur cas ayant été jugé « hors de l’ordonnance » : Jean n’ayant pas droit et la blessure de Jacques (la hernie inguinale) n’étant pas reconnue consécutive aux combats.
Régulièrement les dossiers font l’objet d’un réexamen, mais « mes » deux pensionnés ne seront pas remis en cause.
- Le petit caillou de l’indigence
Si j’ai été ravie, grâce à ces dossiers, de découvrir enfin la date de naissance de mon ancêtre Jean - longtemps recherchée, jamais trouvée - j’ai été nettement moins ravie de découvrir qu’à 57 ans Mathurin était un journalier sans ressource, vivant dans l’indigence, empêché de travailler correctement à cause de blessures de guerre reçue à 19 ans.
De la même manière, je n'étais pas pressée d'avoir des détails sur les coliques de Jacques !
Mais en généalogie on ne choisit pas ce que nous réservent les archives…
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Et comme les grands esprits se rencontrent, retrouvez ici l'article de Raymond paru sur le même thème !