CHAPITRE B
Bien sûr j’aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu’il se passait n’était pas ordinaire. Lorsque, au cœur de l’été, je déambulai dans la maison de famille d’Alexandre, en pays briard, guidée par la nostalgie, ignorant l’ombre menaçante. Cependant j’étais bien loin de me douter de ce qu’il allait m’arriver.
Mais au fond est-ce que tout cela n’avait pas commencé bien avant ? Quand, en début d’année, dans ma maison de Limoges, je reçu un message dont je me rappelle encore aujourd’hui chaque mot : « Bonjour, je suis en train de débarrasser la maison de mon grand-père suite à son décès et j’y ai trouvé des documents mentionnant votre famille Macréau ; je vous ai retrouvée après une recherche sur internet d’où est ressorti votre blog. Peut-on prendre contact pour en parler ? ».
En cet hiver 2020 j’avais décrété qu’il faisait trop froid pour sortir et je tentai de me distraire du long après-midi qui s’étirait dans la pénombre en me plongeant dans ma généalogie. A vrai dire j’y arrivai très bien - et très souvent : c’était mon péché mignon. Puisque la vie ne m'avait pas permis d'être généalogiste professionnelle, j'avais décidé d’être généalogiste amateur à plein temps ! Ce loisir m’absorbait toute entière. Je pouvais y passer des heures et des heures dans mon bureau, sur mon canapé ou aux archives, à éplucher des documents, classer des photos, débusquer un ancêtre. Lorsque j’avais un registre entre les mains j’étais hypnotisée par les images qui défilaient et les parcelles d’histoire qu’elles recelaient. Difficile alors de détourner mon attention dans ces cas-là !
Ce dimanche de janvier, comme souvent, j’avais réveillé mon ordinateur de son sommeil nocturne, accédant en un geste à l’ensemble des fichiers laissés ouverts la veille pour reprendre au plus vite le cours de mes investigations. Je n’éteignais jamais complètement mon ordinateur, c’était une habitude que j’avais prise sans même en avoir en conscience. Sur le fauteuil, Sosa, mon chat blanc et noir, n’avait pas daigné se lever à mon arrivée.
- Bonjour Sosa !
Le
matou ouvrit finalement un œil… pour le refermer aussitôt. De toute évidence,
ce n’était pas encore l’heure des croquettes. Cela ne servait donc à rien de se
réveiller complètement. Mon chat ne se levait que pour les croquettes. A croire
qu’il n’allait même pas jusqu’à sa litière. Comment se soulageait-il ?
C’était un mystère pour moi. Je levai les yeux au ciel devant tant de
fainéantise, mais il faut bien avouer que j’admirai secrètement sa vie de chat.
Je m’installai confortablement à mon bureau et demandai à voix haute :
- Alors, où vont nous mener les recherches du jour ?
En général je parlai au chat jusqu’au moment où, complètement absorbée par mes investigation je finissais par l’oublier. Dans le silence, il en profitait pour continuer sa sieste.
Sur mon bureau étaient éparpillés des dossiers, une boîte de photos, plusieurs listes de projets en cours. Parfois on pouvait voir un petit papier où j’avais griffonné « p17 ». Cela signifiait que je m’étais arrêtée à la page 17 d’un registre lors d’une recherche et que, sans doute, ayant rebondi sur autre chose j’avais stoppé là le cours de ma prospection. Le tout était de savoir de quel registre on parlait ! En général, quand le petit papier prenait la poussière depuis trop longtemps, je finissais par le jeter, vaguement honteuse de n’avoir pas fini ce que j’avais commencé. Peut-être qu’un jour, en arrivant à la page 17 d’un quelconque document, j’aurai un éclair de génie en me disant « c’était ici que je m’étais arrêtée ! ». On peut rêver.
Cette passion de la généalogie qui accaparait tous mes temps de loisir, c’est mon grand-père qui me l’avait transmise. Et je ne reprenais jamais mon travail de la veille sans avoir une pensée émue pour lui. Mon seul regret est qu’il n’était plus là pour partager mes découvertes, identifier des visages inconnus sur les photos anciennes ou me raconter des anecdotes familiales.
Bref, ne sentant ni le froid ni la faim qui commençait à poindre, j’explorai avec gourmandise une époque révolue, un siècle passé - le XVIIIème si je me souviens bien - lorsqu’une notification retentit. Un mail venait perturber le siècle des Lumières !
- Parbleu ! Allons donc ! Qu’est-ce donc que cela mon ami ? Quel
est le maraud, le faquin, qui ose troubler ainsi ma retraite ? Ah, ça ! J'enrage en vérité...
Bon, mon chat n’était pas sensible à la langue de Voltaire. Vaguement dépitée de mon insuccès, je cliquai sur la petite enveloppe qui clignotait sur mon écran.
« Bonjour, je suis en train de débarrasser la maison de mon grand-père suite à son décès et j’y ai trouvé des documents mentionnant votre famille Macréau ; je vous ai retrouvée après une recherche sur internet d’où est ressorti votre blog. Peut-on prendre contact pour en parler ? ».
Mon premier réflexe fut je jeter cet indésirable à la corbeille.
- Non mais ! Des arnaques du genre « j’ai trouvé un trésor, on peut en parler ? » merci bien ! Ils ne peuvent pas faire preuve d’un peu d’imagination, les escrocs ! pensai-je in petto.
Et puis quand même, à la réflexion, c’était curieux ce message qui mentionnait mon blog. Voilà un arnaqueur bien averti finalement.
Circonspect Sosa m’observait, sa tête majestueuse penchée de côté.
- Une maison familiale ? Des documents inédits ? Qu’en dis-tu Sosa ?
Rien en l’occurrence, mon chat de généalogiste (#chatdegenealogiste comme on dit sur les réseaux sociaux) ne disait rien. Je ne connaissais pas très bien cette branche de mon arbre : c’étaient les ascendants de mon grand-père maternel, que je n’avais pas connu. Ma grand-mère, sa veuve, n’avait jamais pu m’en parler. Je crois qu’elle n’appréciait pas beaucoup sa belle-famille. Ils constituaient une zone d’ombre énigmatique de notre histoire familiale que je ne cherchai ni à percer ni à comprendre. Cela ne me concernait pas.
Mais de mon côté, comment aurai-je pu résister à cet appel, d’autant plus que le chemin était environné de ténèbres et de mystères ? Déjà je sentais mon regard qui louchait sur la boîte mail fermée : une énigme dormait là. Serais-je capable de l’y laisser ? Finalement, n’y tenant plus, je repris le mail et découvrit deux pièces jointes que je n’avais pas remarquées auparavant. J’ouvris la première et j’en restai stupéfaite.
- Nom de Dieu !
Cette fois, Sosa se réveilla tout à fait et se tourna vers moi.
C’est ce simple document joint au message qui emporta mon adhésion pleine et entière, en une fraction de seconde : sur l’ordinateur venait de s’afficher l’image d’un petit papier brun rectangulaire sur lequel figurait le nom de mon arrière-arrière-grand-père accolé à cette mention « assassin ! ».