« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 23 octobre 2015

Mon arbre vieillit soudain de 100 ans

1570 est la date de l'acte le plus ancien trouvé à ce jour concernant un de mes ancêtres : c'est la naissance de Jean Ryondel à Samoëns (74). Quelques généalogies sur internet repoussent sa parenté encore plus loin, jusqu'à la toute fin du XVème siècle. Mais seuls les registres de baptême ont été conservés à Samoëns et de ce fait les liens de parenté sont, à mes yeux, difficiles à prouver; je ne les ai donc pas retenus pour le moment.
Et voilà qu'une nouvelle source vient, elle aussi, explorer le XVème siècle, sur une autre branche de mon arbre en Haute-Savoie, les Baud. Plusieurs sources, en fait.

Étant donné que la Savoie (au sens large) n'a été rattachée définitivement à la France qu'en 1860, on y trouve des documents spécifiques à son organisation particulière. 

Ainsi la "consigne des mâles" : c'est un dénombrement pour le service de l'armée du duc de Savoie. Connaître le nombre d'hommes qu'il pouvait mobiliser était important pour le duc. C'est pourquoi une organisation a été mise en place très tôt pour obtenir cette information. L'organisation la plus aboutie est sans doute celle de 1713. Les hommes concernés, ou qui le seront plus tard, sont répartis en 4 classes : 0 à 12 ans, 13 à 18 ans, 19 à 40 ans, plus de 40 ans. La consigne des mâles de 1713 (et années suivantes) pour la formation des régiments provinciaux devait être mise à jour tous les 6 ans. Même s'il ne concerne que les hommes, c'est un document très précieux pour les paroisses où il existe car les AD n'ont pas tous ces états qui n'ont certainement pas été faits régulièrement. Ce document de 1713 pallie les manques des registres paroissiaux.

Il existe aussi un document appelé "état des âmes" : c'est un dénombrement ecclésiastique dressé en 1783. Il a été demandé par le roi aux évêques pour connaître l'état détaillé et exact de la population des paroisses. Il devait contenir :
- les noms, prénoms et âges des personnes composant chaque famille (deux sexes)
- les étrangers habitant la paroisse
- la liste des personnes nées dans la paroisse mais qui l'ont quittée définitivement
- la liste des personnes qui sont absentes temporairement.
On ne sait pas ce qu'est devenue cette enquête car il n'y a rien aux AD mais il existe des documents dans les archives de certaines paroisses. De plus, certains curés ont continué à mettre à jour cette enquête très longtemps pour les aider à mieux connaître leurs paroissiens. [ 1 ]
C'est ainsi qu'il existe un "état des âmes des anciennes familles de Morzine", rédigé au début du XIXème siècle. Il commence par une notice historique qui retrace l'histoire de la paroisse, avec notamment des transcriptions d'actes anciens (1358, 1365, 1498, 1505...) qui ont marqué la vie de Morzine et où on retrouve les noms des anciennes familles de la paroisse. Le document se poursuit par une notice pour chaque famille.

Enfin, une troisième source me permet de progresser dans ma généalogie : c'est la notice généalogique de John Baud (né en 1887). Rédigée vers 1950, elle recense les anciennes familles de la vallée, leurs armoiries, sceaux et marques diverses. Les textes sont complétés par des arbres généalogiques.

État des âmes des anciennes familles de Morzine © Geneanet via fouderg
  • Génération 9
L'acte de mariage le plus ancien de la lignée Baud que j'ai pu trouver date de 1742; François Baud y épouse Jeanne Marie Tabrelet. Cet acte est filiatif : il me permet donc d'identifier la génération suivante sans difficulté.
  • Génération 10
L'acte de mariage de Claude Baud et Jeanne Depoté n'a pas été trouvé. Mais le testament de Claude permet de pallier ce manque car tous les membres de la famille y sont clairement cités, notamment sa mère; ce qui me permet d'être sûre des parents.
  • Génération 11
L'acte de mariage de Claude Baud et Nicolarde Breyse n'a pas été trouvé non plus (lacunes partielles des registres de mariage). Mais c'est là qu'intervient la première de ces sources savoyardes particulières : la consigne des mâles. Rédigée en 1713, elle recense Nicolarde, la mère (veuve),Claude le père (décédé) et Claude le fils.
  • Génération 12
Les difficultés commencent : il n'y a plus de registres de mariage ni décès et pas plus de tabellion [ 2 ] : aucun acte les concernant n'a donc été trouvé. Comment connecter Pierre Baud et Nicolarde Marullaz avec leur fils Claude ? C'est l'état des âmes de Morzine qui s'en charge. Il précise aussi que Pierre a été syndic en 1640. Mais rappelons que ce document a été rédigé au XIXème siècle. La question est donc : peut-on s'y fier ?
  • Génération 13
Pierre Baud et Françoise Brun se rattachent au précédent Pierre Baud, leur fils, par la même source. Elle est complétée par la notice généalogique de John Baud, elle aussi rédigée tardivement. On sait que les sources du XIXème siècle sont parfois sujettes à caution, inventant des explications ne reposant sur rien (ou juste une "filiation phonique" qui a l'air d'aller bien). Ces sources indiquent que Pierre (surnommé "le Grou Piar" : le Grand Pierre) a été syndic en 1596 et 1597 et conseiller de la communauté pendant de nombreuses années : "grâce au régime privilégié dont jouissait la vallée d'Aulps, gouvernée par une abbaye de cisterciens qui respectèrent les antiques coutumes [...] burgondes, nos ancêtres vécurent librement, s'étant organisés en communautés [...] élisant leurs administrateurs". Pierre le Grand "défendit avec énergie les intérêts de la communauté". John Baud semble s'appuyer sur des documents judiciaires et en particulier sur une affaire nommée le "procès de Taillabilité" (soutenu par les paroisses de Morzine et Saint-Jean contre l'abbé d'Aulps) - affaire qu'il gagna - ainsi que sur des cahiers des comptes et délibérations des syndics parvenus jusqu'à lui et montrant les nombreuses démarches de Pierre le Grand à Thonon, Evian, Lausanne, Chambéry, etc.... John ajoute que Pierre teste en 1618.
  • Génération 14
Les sources se raréfient pour Pierre Baud (ou Baud Mollie) et son épouse Jacquemaz dont le patronyme n'est même pas connu. Mais l'état des âmes poursuit la lignée.
  • Génération 15
L'épouse de Jean Baud Mollie n'est pas connue non plus. Mais il est dit qu'il a (au moins) deux fils et qu'il est décédé avant 1564.
  • Génération 16 
Selon la notice généalogique, Pierre Baud est cité dans un acte de 1520, sous le patronyme latin "Petrus Balli de Mollia".
  • Génération 17
Selon John Baud, la famille Baud est mentionnée dans "d’authentiques documents" à Morzine, au XVème siècle, sous le nom latin de Balli (ou Bally) de Mollia et dès le XIIIème siècle plus loin dans la vallée d'Aulps.
Jean Baud Mollie est le plus ancien représentant de cette lignée. Il est connu sous le nom latin de Johannes Balli de Mollia. Il fait partie des fondateurs de la première chapelle de Morzine, dans un acte daté du 26 juin 1498 - chapelle aujourd'hui détruite. Il est identifié comme "mestral de la confrérie du Saint Esprit" [ 3 ].
John Baud assure que la filiation de cette lignée est "certaine", établie "d'après des actes notariés ou les registres paroissiaux".
Toute la lignée est citée également dans l'état des âmes.
Ce Jean Baud Mollie est donc né vers 1450 ou 1460.

Les lecteurs attentifs auront remarqué, en bonus, le dessin des armoiries de la famille, qui se décrivent ainsi : "coupé, au premier un aigle éployé [ailes ouvertes], au second un bœuf passant [marchant]".

État des âmes des anciennes familles de Morzine, détail © Geneanet via fouderg

Les travaux de John Baud semblent assez vraisemblables. Je ne suis pas sur place pour aller vérifier aux archives si les documents qu'il cite existent encore.

Si l'on en croit ces sources un peu tardives - et j'ai tendance à les croire en effet -  mon arbre vient donc de vieillir d'une centaine d'années et 8 générations supplémentaires.




Ces recherches généalogiques et article n'auraient pas pu voir le jour sans la contribution de "fouderg" (arbre et registres en ligne sur Geneanet). Qu'il en soit à nouveau, publiquement, remercié.
[ 1 ] Source : savoyards-lyon.pagesperso-orange.fr
[ 2 ] Le terme de tabellion désigne dans les États de Savoie des XVIIe et XVIIIe siècles l'ensemble des actes insinués (c'est-à-dire enregistrés).
[ 3 ] Le mestral (ou maistral) est une sorte d'officier municipal au Moyen-Age. Ici, il s'agit donc sans doute d'un administrateur de la confrérie.

vendredi 16 octobre 2015

Les deux testaments d'Aimé

Aimé Jannay est mon ancêtre à la 11ème génération (sosa n°1304). Il est  sans doute né à Lalleyriat (01) vers 1640 - l'absence des registres antérieurs à 1680 ne m'a pas permis d'en savoir davantage sur ce point. Époux d'Aimée Bland, ils ont 8 enfants. Il est tantôt dit laboureur, tantôt grangier (synonyme de métayer).
En 1700 il fait rédiger un testament par Me Vionnet, notaire à Saint Germain de Joux.  Il est alors dans sa cuisine "couché tout proche du feu [...] destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps". Rappelons qu'il a environ une soixantaine d'années. Dans ce document il est prénommé Neymod, qui serait une variante du prénom Aimé/Aymé (tout comme Nayme, Amed, Amod, Neymod, Neymoz, Neyme, Nayme).

Lalleyriat

On retrouve dans ce testament les éléments traditionnels de ce type de document :
  • le titre
"Testament nuncupatif [c'est-à-dire effectué dans les formes de la nuncupation : de vive voix et devant témoins] de neymod jannay originaire de chezery demeurant a la grange de lavernhe de la paroisse de laleyria"
  • la date
"Au nom de dieu soit il que lan mil sept cent et le premier jour du mois davril environ sur les trois heures apres midy"
  • la présentation du notaire
"Par devant moy notaire royal hereditaire reservé par sa majesté de st germain de joux soubsigné et en la presence des tesmoins cy apres nommes"
  • la personne et le lieu
"Faict estably et constitué en sa personne neymod jannay laboureur originaire de chezery demeurant dans la grange [métairie] de lavernhe paroisse de laleyria, lequel estant dans la cuisine dicelle grange couché tout proche du feu la destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps"
  • la raison du testament
Bien que malade, Aimé jouit "touttefois de ses bons sens, jugement, entendement nont troublés par la grâce du bon dieu". Et "craignant le peril de la mort considerant en la fragilite de ce monde, et que touttes personnes est sujet a mourir une fois, et rien plus certain, et incertain que lheure et advenement dicelle mort, ayman mieux vivre testé que de decede ab intestat [c'est-à-dire sans avoir fait de testament] a celle fin que apres son deces questions querelles noise ny debat entre ses parents heritiers cy bas nommes" il a donc fait son présent testament.
  • la recommandation
"premierement avant touttes choses il a fait comme un bon veritable chrestien le signe de la sainte croix sur son corps en disant in nominé patrix et filii spiritus et sancti amen recommandant sondict corps et ame aubon dieu le createur a la glorieuse sainte vierge marie sa mere et a touttes la cour celeste du paradis"
  • le lieu de la sépulture
"Quand il plaira aubon dieu de le rappeller de ce monde en lauttre et que son ame serat separe de son corps [le testateur souhaite] que sondit corps soit ensepulturé dans le cimetiere de leglise dudit laleyria dans la place et tombeau quil plairat au sieur curé dudit lieu de laleyria". En effet, n'étant pas originaire du lieu, Aimé n'avait pas de caveau familial dans ce cimetière.
  • les dons à l'église
Le testateur "entend et ordonne qu’il soye dict [...] par ledit sieur curé, dans laditte eglise dudit lalleyria le nombre de douze messe de requiem scavoir six grandes et six petittes qui seron dittes et sellebres tant le jour de son trepas que pendan lannée [suivant son décès] payable par une fois par ses heritiers cy bas nommes". 
Il souhaite également donner "a leglise dudit laleyria la somme de trente livres pour estre employé aux reparations que ledit sieur curé trouverat plus appropos estre necessaire faire dans laditte eglise de laleyria payables pour une fois [en une fois] par ses heritiers cy bas nommes". Tout cela fait "pour le sallue et repos de son ame".
  • les legs
 Il souhaite que son épouse "sa bien ayme femme [soit] maistresse gouvernante de leurs enfants et usufruitiere de tous et un chacuns ses biens meubles et immeubles present et advenir sans compte rendre [...] pendant sa vie naturelle durant pendant le temps quelle vivrat honnestement en viduitté [veuvage] soubs le nom dudit son mary sans convollé en secondes noces". Il rappelle qu'il a reçu de son épouse la somme de 150 livres et une vache, par sa dot, et "que icelle somme de cent cinquante livres et vache ne sont perdu ny esgarré", mais souhaite qu'ils viennent "en augment [...] de ses biens meubles et immeubles" sous forme d'hypothèque jusqu'à ce qu'ils "soyent entièrement vendus et rembourses" à son épouse.
A sa fille Françoise, épouse de Jacques Lhiardet, il donne "la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drap de nopce".
A ses autres filles Marie (épouse de Pierre Pernod Melod), Anne (épouse de Pierre Pernod Denisa) et Jeanne (épouse Jean Baptiste Buffard) il donne la même chose. A Bernarde (non encore mariée), il promet 150 livres, une vache, un veau et habit de bon drapt de couleur payable trois ans après son mariage "et jusqua ce que son party se presente en loyal mariage elle aurat sa demeurance avec sa mere, et heritieres avec lesquels elle serat norrie vestue et entretenue honnestement".
Enfin "il a fait crée nommé de sa propre bouche nomme et institue pour ses heritiers universels et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir joseph, françois et claude" ses trois fils (non encore mariés).
  • les témoins et signatures 
Le document se termine par l'énumération des témoins, leurs éventuelles signatures (pour ceux qui savent signer), ainsi que celle du notaire bien sûr. 


Cependant, malgré la maladie, Aimé va survivre. Et on le retrouve dix ans plus tard, mettant à jour son testament, devant le même notaire. Voyons les différences entre les deux documents :
  • le titre
Il est identique, mis à part le fait qu'Aimé est dit "honnête", titre donné aux hommes ou femmes plutôt situés dans le bas de l'échelle sociale, mais dont la famille a fait preuve d'une certaine probité.
  • la date et la présentation du notaire  
Ils répondent à des normes de rédaction et sont donc similaires au premier testament.
  • la personne, le lieu et la raison du testament
La présentation de la personne est identique, mais cette fois Aimé n'est pas chez lui : il est à Châtillon - paroisse voisine de Lalleyriat - chez Jean Crochet (un ami peut-être ?), un jour de foire "sur les galleries de la maison [...] ou demeure honnete jean crochet assis sur un banc en une bonne parfaitte sante mémoire de ses bons sens et entendement non trouble par la grâce du bon dieu se voyant reclus dans un aage grandement avancé en vieillesse". Ce n'est donc plus la maladie qui suscite ce testament, mais l'âge : Aimé a environ 70 ans.
  • la recommandation, le lieu de la sépulture et les dons à l'église
Aimé n'a pas varié dans ses intentions sur ces points. 
  • les legs
De la même manière, il laisse son épouse usufruitière de ses biens, sans qu'elle n'ait de compte à rendre à personne, tant qu'elle reste veuve sans se remarier. Concernant sa dot (150 livres et une vache), il les laisse en hypothèque jusqu'à ce que la valeur en soit remboursée à son épouse; comme dans le premier testament.
Concernant sa fille Françoise, le testateur "dict et declare avoir dejat cy devant donné dotté [...] la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drapt de colleur que le tout leurs auroit esté payé". Le legs ayant déjà été reçu, elle n'a plus rien à attendre ni espérer de ce nouveau testament.
Même chose pour Marie, Anne et Jeanne. Pour Bernarde, le notaire commence par reproduire le passage la citant dans le premier testament. Se rendant compte de son erreur, il raye le paragraphe et en rédige un nouveau, similaire à ceux concernant ses sœurs. Or, Bernarde est morte de suites de couches depuis 7 ans déjà ! Il n'est fait aucune mention de legs au fils de ladite Bernarde, ni aucun de ses autres petits-enfants.
Il est plus prolixe pour son fils aîné Joseph à qui il lègue "la somme de quattres cent livres [...] et cest outtre auttres somme de seize livres, trois vingt et douze mesure [= 72] de bleds tant orge, avoine que legume, un pot a feut de fert valliant trois livres, un chauderon dairin de la valleur de six livres, une poille affrire de fert, trois tasseaud servant au labourages, une achon [= petite hache], une caugnye [= cognée = hache], un goy [= serpe], un pert [= une paire] danchapplat [outil agricole ou servant à la maçonnerie peut-être], un[e] faux avec sa garniture, cinq lineaux [= pièces de lin, draps], une couverte [= couverture] moitie laine et fillet, deux serres propres à serrer le bois une grande et lauttres petitte, trois vaches, une genisse de deux ans, deux veaux de laict, et deux chevrot de laict, avec touttes la vesselles de bois, et meubles de bois pour servir à manger". Les maigres possessions d'un laboureur de montagne du Jura Sud.
Le notaire revient ensuite sur la dot de Bernarde, précisant qu'elle a déjà été payée. Beaucoup de confusion autour de la cinquième fille d'Aimé. On ignore cependant si elle vient d'Aimé ou du notaire (ou les deux !). Je ne connais pas l'âge du notaire, mais il est actif de 1676 à 1718 : il ne doit pas être tout jeune non plus...
Plus loin, ce sont des renvois et répétitions de mots : il "fait, cree, cree [sic] de sa propre bouche nomme et institue pour pour [sic] ses deux heritiers universel et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir françois et claude janney" ses deux autres fils.
Comme dans le premier document, le testateur précise qu'il "veut entend et ordonne que tous ses debtes legats et œuvres pies soyent paye [...] incontinant appres son deces" et que au cas où "advenant que lun ou lauttre desdits deux heritiers ne veuille bien sacomoder avec lauttre et que icelluy qui portent quelque conteste et dificulte contraire" ses biens soient partagés entre ses héritiers ou leurs proches parents avec le consentement de leur mère "sans figure de proces".
  • les témoins et signatures
Ils sont similaires dans la forme (mais les témoins ont changés).
Une mention a été ajoutée, naturellement, ce nouveau testament "cassant revocquant et annullant tous auttres testament codicille ou donnation quil porroit avoir cy devant faict" notamment celui fait en 1700. 
Le document se termine par les renvois et oublis faits dans le corps du texte, dont celui-ci : "approuvant la ratture de quinze lignes".

Les deux documents sont donc assez similaires, hormis la mise à jour des dots des filles qui ont été payées et le legs de Joseph qui est davantage détaillé; traces fugaces d'une existence qui a continué à s'écouler. Mais Aimé n'a pas varié dans ses intentions globales.

Malgré sa vieillesse, la vie va continuer pour Aimé, jusqu'à atteindre "environ quatre vingt huit années" : il décède en mars 1728.





vendredi 9 octobre 2015

#Généathème : Mes ancêtres ont-ils vécu un évènement important ?

Comme je l'avais déjà évoqué au début de l'histoire de ce blog, plusieurs de mes ancêtres ont connu ouragan et inondation et même tremblement de terre; notamment celui qui s'est abattu en Maine-et-Loire en 1751.

Et bien sûr, comme sans doute les ancêtres de presque tout le monde en France, les miens ont connu la grave crise climatique de 1693/1694.

Note curé Conques, registre BMS © AD12

« Nota que cette année [1694] a esté une des plus cruelles 
années qu’on est jamais vu pour conques et quoyque 
elle a esté partout rude conques a esté dans la 
dernière nécessité ny ayant rien eu ny dans les 
vignes ny dans les bois ce qui a causé une misère 
si grande que quasi tous les morts dont le registre 
est chargé sont mort de pure misère nonobstant 
le grand secours que les pauvres ont eu car la charité 
fut faite généralle depuis le huitième janvier 
jusqu’au douze de juillet savoir du pain tous 
les matins a lentrée de matines a la maison de 
ville et une autre de fruis sur les deux heures 
par monsieur diyga doien, et pour lors sindic 
du chapitre et toutes ces charités ont esté faites 
par messieurs du chapitre ou quelques particuliers
la plupart du chapitre Dieu en soit loué qui sera 
sans doubte la recompense de ces bonnes ames si 
charitables et declare le tout […] verité
Pettit curé de Conques »

Raymond Raouls, mon ancêtre à la 11ème génération (sosa n° 1052) est décédé le 20 février 1694 à Conques. On ignore si ce décès a un lien avec cette grande misère, mais s'il faut en croire le curé Pettit "quasi tous les morts dont le registre est chargé sont mort de pure misère".

A travers l'histoire, de grandes famines ont été identifiées, notamment celle de 1693/1694. Ainsi l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie évalue l’effet de ces famines à environ 1,3 millions de décès supplémentaires sur une population estimée à 20 millions, pour les deux seules années 1693-1694; soit à peu près l'équivalent des "Morts pour la France" de la Première Guerre Mondiale, mais en deux fois moins de temps et sur une population totale estimée à deux fois moins. Cette grande famine est l'une plus grave crise vivrière de l'Ancien Régime. 

Ces "années de misère" commencent par plusieurs années de mauvaises récoltes à cause de conditions climatiques médiocres : dès 1687 s'amorce une grosse décennie (jusqu'au début du siècle suivant) caractérisée par des températures très basses et catastrophes alimentaires multipliées. 1691/1692 : l'hiver est froid et très neigeux. Le printemps 1692 et début de l’été sont frais et pluvieux, avec des déluges d’eau, d'où des moissons médiocres et des vendanges tardives et peu abondantes ; à l’automne les semailles sont complètement ratées. Conséquence : en 1693, les prix s'embrasent : la livre de pain coûte l'équivalent d'une journée de salaire d'un ouvrier. La famine s'étend. L'hiver 1693/1694, les organismes affaiblis par la malnutrition supportent mal les basses températures : on meurt en abondance à travers tout le royaume. Le printemps suivant (en 1694 donc) est désespérément sec, empêchant la germination des semences. Les maigres récoltes qui arrivent à maturité sont réquisitionnées en partie pour l'armée : on est alors en pleine guerre de la Ligue d'Augsbourg (1689-1697) [ 1 ]. Quand il n'y a plus de céréales (froment, seigle, avoine) on se rabat sur les "méchantes herbes" (glands ou fougères) pour faire le "pain" - si l'on peut appeler ça comme ça. Puis se sont les orties, les coquilles de noix, les troncs de chou, les pépins de raisin moulus... [ 2 ] L'été 1694, très chaud, finit d'affaiblir les corps meurtris et favorise les épidémies (typhus, dysenterie, typhoïde...) ravageant les populations survivantes. La grande mortalité de ces années est aggravée par une chute de la fécondité et un exil des populations parties chercher mieux ailleurs, mais ne trouvant que la mort le long des chemins [ 3 ].  

Si la moyenne des défunts est de 2 à 3 décès par mois à Conques, on peut en compter au maximum jusqu'à 16 en juin 1693. Cette année 1693 est la plus "meurtrière", avec les plus grands nombres de décès de mai à août. Le curé rédacteur des registres de décès est assez peu disert sur ces morts en cascade, notamment au printemps/été 1693, néanmoins on voit que toute la société est touchée : hommes, femmes, "nobles", "pauvres", religieux (prêtres, chanoines), "bourgeois", tisserand (mon ancêtre !)...

A noter : mon plus ancien ancêtre éponyme connu, Antoine Astié, est décédé en janvier 1692. A-t-il lui aussi subi les premiers signes de cette grave crise de 1693/1694 ? 

La famine de 1693/1694 est donc la conséquence de la dégradation climatique qui s'observe dans les 10 ans qui précèdent et qui suivent le tournant du siècle (une autre terrible crise climatique aura lieu en 1709, appelée "le grand hyver"). Entre 1690 et 1710, en effet, la France, et avec elle une large partie de l'Europe, connaît une détérioration sensible du régime des températures et des précipitations, marquée par un refroidissement important des hivers et par des étés "pourris". L'étude de l'avancée des glaciers dans les vallées alpines aussi bien que le témoignage des contemporains ont inspiré aux historiens l'expression de "petit âge glaciaire".


Parmi mes ancêtres 31 sont décédés en 1693 à travers toute la France et 30 de mieux en 1694 (et même quelques autres en Suisse). Au total une demi-douzaine résidait en Rouergue.


[ 1 ] La guerre de la Ligue d’Augsbourg, également appelée guerre de Neuf Ans ou guerre de la Grande Alliance, a eut lieu de 1688 à 1697. Elle a opposé le roi de France Louis XIV, allié à l'Empire ottoman, à une large coalition européenne, la Ligue d'Augsbourg, menée par la Hollande, le Saint-Empire romain germanique, l'Espagne, la  Savoie. Les velléités d'expansion du Roi Soleil n'ont guère été satisfaites et devant la ruine générale des États en présence, un compromis fut trouvé pour mettre fin au conflit.
[ 2 ] Via T. Sabot.
[ 3 ] E. Le Roy Ladurie estime que 24% des errants arrivés dans les hospices du Bas-Languedoc en 1694/1695 sont originaires du Rouergue.