Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT
Le 11 février 1748, soit le lendemain de la découverte du cadavre, Me BIORD le vice fiscal transmit une lettre au juge, l’avertissant d’un fait nouveau et le priant d’ouvrir officiellement une enquête :
« A Monsieur le juge du marquisat de Samoëns remontre, je soussigné vice fiscal du Marquisat de Samoëns.
En conséquence d’un
meurtre qui s’est commis rière [près de, derrière] le présent lieu, en la personne d’un cavalier du régiment de Séville, il
apparaît que le Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns et
le nommé François JAY et Françoise GUILLIOT sa femme se sont évadés, et ont abandonné
le lieu. Ce qui fait former contre eux des soupçons d’avoir part à untel crime.
Le soussigné requiert qu’il vous plaise, Monsieur, de procéder à information [enquête] sur
ce délit et ses circonstances.
Signé BIORD vice fiscal »
C’est la première fois que des soupçons sont formés officiellement contre le couple JAY.
Dès le 12 février, une information fut prise suite à la requête du Sieur vice fiscal, demandeur en cas d’homicide, contre François fils de feu Claude JAY et Françoise GUILLOT, mariés de la paroisse de Samoëns, et le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la Collégiale dudit Samoëns, accusés du meurtre commis sur la personne de Vincent REY, cavalier du régiment de Séville.
Dans la maison du Sieur Laurent RENAND, choisie par le juge pour faire la présente procédure, le magistrat tenta de retracer les derniers faits et geste du cadavre.
Il apparu, d’après le Sieur Joseph POUIROY, natif de Thomaris [Tamarite ?] dans le royaume d’Aragon, maréchal des logis au régiment de Séville, que Vincent REY s’était absenté de Scionzier, leur quartier moderne, la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé. Mais son absence ne fut découverte que le vingt six au matin parce qu’il n’était pas venu donner l’avoine à son cheval, ni le soigner, ainsi que l’ordre lui en était donné. Étant allé sur les huit heures du matin ce jour-là dans la maison où il était logé, le propriétaire expliqua que le soldat n’avait pas reparu depuis les huit heures du soir la veille, heure à laquelle il était entré à la maison et ressorti sur le champ. En sortant, Vincent REY lui avait dit de fermer la porte parce qu’il ne reviendrait pas de la soirée, étant de garde à l’écurie.
Le maréchal des logis ajouta par ailleurs que, pendant qu’il était de quartier au présent bourg de Samoëns lors de l’hiver et une partie de l’été passé, il fréquentait beaucoup une maison qui se situait au village de Levy.
Le juge lui demanda des détails sur cette maison. C’est « la première que l’on rencontre pour aller audit village à main gauche en montant, qui est à une petite porté de fusil au bourg de Samoëns. J’y ai été souvent pendant que j’étais de quartier ici avec ledit Vincent REY. »
En outre, ce n’était pas la première fois que Vincent REY s’absentait de la compagnie sans autorisation. Ce fut déjà le cas vers les dix, onze ou douze novembre proche passé. Lorsqu’il revint à Cluses sur les huit heures du matin, il fut aussitôt arrêté et mis en prison. « Il nous a déclaré qu’il venait de Samoëns ou il s’etait venus promener. Comme nous étions instruit qu’il aimait la maitresse de la maison que je viens de vous designer, nous soupçonames d’abord qu’il venait de la voir ». Il resta huit jours ou environ en prison pour le punir. Après quoi un carabinier nommé Jean RODRIGUE, qui était logé dans une maison attigue [mitoyenne] à celle qu’habitait ledit Vincent REY, fut désigné afin de veiller sur sa conduite et de le réveiller tous les matins, parce qu’il y avait une porte de communication d’une maison à l’autre.
Lequel effectivement l’appela bien le vingt six janvier au matin, mais n’entra pas dans sa chambre et cru, puisqu’il ne lui avait pas répondu, qu’il pouvait être incommodé ou qu’il voulait dormir. C’est pourquoi son absence ne fut découverte que sur les huit heures du matin.
Voyant, sur les dix heures, qu’il n’était point revenu à la compagnie, le maréchal des logis reçu l’ordre de son capitaine de se rendre au bourg de Samoëns, avec deux carabiniers de sa compagnie, pour voir si Vincent REY ne serait point dans ladite maison de Lévy. Étant arrivé audit bourg de Samoëns, ils furent logés chez Michel ANDRIER, cabaretier, et après avoir soupé, sur environ les six heures du soir, ils se rendirent dans la maison de Levy pour voir s’ils ne trouveraient pas leur soldat absent.
« Mais nous ne l’y trouvames pas et nous n’y vimes que le Révérend chanoine CHOMETTY qui sortit de la chambre qui est derriere la cuisine qu’on appelle communément le poile » Aussi appelé « poêle » ou « peile » en Savoie, c’est une pièce chauffée contiguë à la cuisine, qui est à la fois la pièce de vie et la chambre à coucher.
C’est donc le chanoine qui vint d’abord lorsqu’il entendit le maréchal des logis parler à la servante venue ouvrir la porte. « Il s’empressa de me saluer et de me demander ce que je cherchais. Lui ayant dit que c’était le soldat Vincent REY, il me repondit, comme la servante, qu’il ne l’avait pas vu. Mais ce fut d’une voix et d’une manière tout a fait tremblante. »
Les Espagnols entrèrent dans la chambre d’où sortait ledit chanoine CHOMETTY où ils trouvèrent la maîtresse du logis couchée dans le lit qui est le plus près de la fenêtre. Il fit à la femme la même demande sur ledit Vincent REY, qui répondit la même chose que les autres. Sur quoi il se retira. « Je vous dis aussi qu’il me paru que la porte de la chambre où était ledit CHOMETTY avec ladite femme était fermée et qu’il ne l’ouvrit que quand il m’entendit parler. »