« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 17 novembre 2023

O comme Obitus

Les registres de Conques sont plutôt avares en ce qui concerne les motifs des décès. Toutefois quelques actes se distinguent en la matière.

Cimetière de Conques

 

"Le 1er novembre 1780 est décédée Jeanne Salesse épouse de Pierre Clerc mariés de Conques ayant reçu tous les sacrements dans sa maladie et a été inhumée le lendemain par nous présent au convoi Clerc son époux et Anterrieux maçon de Conques qui n’ont su signer requis"

 

"Le 10e décembre 1780 est décédée Antoinette Amagat veuve de feu Raynal aubergiste de Conques de mort subite…"

 

Sépulture Jean Bonal, 1780 © AD12

"Ce jourd’hui 20ème du mois de juin 1780 est décédé et a été inhumé pour raisons pressantes Jean Bonal vigneron du Palays de la présente ville âgé de 45 ans après avoir reçu tous les sacrements…"

 

"Le 20e mai est décédée à l'hôpital de la présente ville  et le 21e du mois a été inhumée par nous curé Anne Moysset du village des Mascles paroisse de Firmi, fille associée audit hôpital, âgée de cinquante cinq ans, de surprise d'apoplexie, présents Jean Boisredon et Jeannet Louis deux restants à l'hôpital qui n'ont su signer requis'

 

Les termes « fille associée » et « restants » signifient que ces personnes vivaient à demeure à l’hôpital. Unique dans la décennie qui nous occupe, ce motif du décès.

 

Les trois chanoines décédés à Conques lors de la décennie étudiée ont droit à un acte de décès spécial :


Sépulture Charles Lacarbonière, 1783 © AD12

"L’an 1783 et le 13e août a été inhumé dans le cimetière et les tombeaux du chapitre messire Charles Lacarbonniere chanoine du chapitre de Conques mort de la veille après avoir reçu les sacrements des mains de Mr le vicaire de la paroisse, les obsèques ont été faites conformément à la transaction et accord à l'autel de paroisse présenté corpore in die obitus et aussi les autres jours suivant ; les héritiers ayant fourni à tous les frais suivant l'usage comme est dit en la transaction furent présents Mr Jean François Labro hebdomadier du chapitre et Mr Jean Pierre Aymé vicaire de la paroisse soussignés"

 

D’après cet acte, le chanoine est décédé le 12 août. Le corps du défunt a été présenté « in die obitus » (le jour de sa mort), sans doute exposé sur un lit mortuaire, peut-être exposé dans le chœur en attendant les funérailles. Il a été inhumé dans le cimetière le 13, au cimetière dans les tombeaux du chapitre. Les obsèques, c'est-à-dire les cérémonies ayant un lien avec le décès (veillées, messes, luminaires, sonneries des cloches…), ont eu lieu pendant plusieurs jours (les funérailles d’un chanoine se déroulent le lendemain ou le surlendemain de son ensevelissement en général) ; les messes étant dites à l’autel de paroisse. Tous ces usages sont payants, comme on le voit, et sans doute prévus dans un testament, réglé par les héritiers.

 

Les deux autres chanoines suivent sensiblement le même cérémonial, sauf pour André Nicolas, ancien chanoine où c’est un autre chanoine qui paie les frais, sans doute en l’absence d’héritiers pouvant prendre en charge la cérémonie.

 

"L’an 1784 et le 4e mars a été inhumé dans le cimetière et dans les tombeaux du chapitre André Nicolas dit Caveillac ancien chanoine du chapitre de Conques décédé de la veille âgé d’environ 73 ans, après avoir reçu tous les sacrements de la main de Mr le vicaire de la paroisse, les obsèques ont été faites conformément à la transaction et accord à l'autel de la paroisse présenté corpore in die obitus et ainsi les autres jours suivants, Me Benazech chanoine dudit chapitre ayant fourni les frais suivant l'usage comme est dit en la transaction, furent présents…"

 

"L’an 1785 et le 8e octobre a été inhumé dans le cimetière et dans les tombeaux du chapitre messire Marie Anne François Charles Masson chanoine du chapitre de Conques mort de la veille après avoir reçu le sacrements de l’extrême onction des mains de Mr le curé de la paroisse, les obsèques ont été faites canoniquement à la transaction et accord à l'autel de paroisse et au chœur présenté corpore in die obitus et ainsi les autres jours suivant les héritiers ayant fourni tous les frais suivant l’usage comme en est dit en la transaction furent présents Mr Jean François Labro hebdomadier du chapitre et Mr Marc Antoine Cantaloube prêtre fraternisant soussignés"

 

Dans la décennie précédente, en 1776, est décédé un autre chanoine. Son acte de décès précise les cérémonies effectuées lors de son décès, ce qui nous donne une idée de celles de « nos » chanoines (qui ont sans doute suivi le même rituel) : il a été inhumé dans un tombeau placé autour de l’église et [tache d’encre] galerie de l’abbaye, l’enterrement fait sur les six heures et demi après prime (office de 6h du matin), l’office des morts a été chanté au chœur, puis le corps a été porté dans la nef de la paroisse précédé de tout le chapitre et suivi de tout le convoi, le curé a chanté la messe des obiits [= des morts] et dit après la messe les prières pro sepultura [= pour l’enterrement] et a fait autres cérémonies selon le rituel et l’usage de la paroisse, assisté des diacre et sous diacre.

 

 

jeudi 16 novembre 2023

N comme Nom, surnom et titre

Nom, surnoms et titres permettent de distinguer les personnes. Dans les registres de Conques, on en trouve à foison.

Fille de qualité, H. Bonnart © Louvre


Le nom de famille est le nom d'une personne qui est transmis à un enfant par son père (et aujourd’hui par le père ou la mère, ou les deux). Pendant longtemps, il s’est confondu avec le patronyme, mot d’origine grecque, signifiant étymologiquement « nom du père. »

"Gabriel Carles, vigneron, fils légitime à feu Jean Carles"


Dans les registres de Conques on trouve aussi des particularités locales, comme la féminisation du nom.

Décès Anne Boulignague/Boulignac (détail), 1784 © AD12

"Anne ditte Boulignague... mourut à l'hôpital de Conques"

Le patronyme de son père était sans doute Boulignac, devenu pour sa fille Boulignague.

 

Un surnom est à l'origine un nom formé, par addition au prénom ou au nom d'une personne, d'un terme mettant généralement en relief ses particularités physiques ou morales (qualité ou défaut).

"…est décédé à l’hôpital Jean Roux dit Bourrut…"

"… est décédé après avoir reçu tous les sacrements Antoine Marty de Conques dit Goubert…"

Goubert est le nom d’un lieu dit de la paroisse.

"Jean Casal dit lauvergnat"

Le surnom peut aussi avoir comme origine un toponyme, un lieu, une région d’origine par exemple. 

 

Il n'attend pas le nombre des années : 

"Antoine Bonal dit le duc âgé d'environ sept ans et demy"


"Jean Chevaille dit Baldit"

On a déjà rencontré mon sosa 130. Baldit est le nom de sa mère : c’est sans doute l’origine de ce surnom.


"…fils légitime à Antoine Selves vigneron dit Romigou et à Jeanne [Pradellis]…"

Cet Antoine est le beau-frère de mes sosas 133 et 271 puisque je descends de deux sœurs de Jeanne, Marie et Françoise Pradellis. Romigou est (peut-être) une variante de romieu signifiant le pèlerin : a-t-il lui-même ou un de ses ancêtres fait un pèlerinage ?

 

Dans les registres apparaissent aussi de nombreux titres :

  • les titres de civilité, comme monsieur, dame, demoiselle.

"Monsieur Joseph Charles Delfieux bourgeois"

 

Baptême JMA Brassat (détail), 1783 © AD12

"Jean Marc Antoine Brassat fils légitime et naturel de Maître Brassat avocat en parlement seigneur demeurant à St Parthem et de dame Marie Jeanne Cadrieu"

"Demoiselle Françoise Garrigue fille légitime à feu Mr Jean Baptiste Garrigue, avocat et notaire royal"

  • les titres de courtoisie : un titre de noblesse qui n'est ni légal, ni régulier, soit parce qu'il n'a jamais fait l'objet d'une création ou d'une régularisation par le pouvoir souverain, soit parce que celui qui le porte n'est pas le successeur légal d'un détenteur de titre régulier et authentique.

"Messire Louis d’Espeyrac garde du Roy seigneur dudit lieu"

"Le sieur Joseph Baurs âgé d’environ 52 ans"

Les bourgeois vivant noblement voulant imiter les nobles prirent le nom de leur domaine, mais n'ayant pas le droit de s'intituler « seigneur de...» ils prirent la qualification de « sieur ».

  • les titres de noblesse

"Noble Foy d’Humières âgée de 62 ans décédée le jour d’hier"

  • les titres religieux 
Sépulture Jean Roquette (détail), 1781 © AD12
"est décédé et le lendemain a été inhumé Messire Jean Roquette prêtre obituaire et ancien vicaire de Conques..."

"…baptisée par Monsieur Vergnhes chanoine du chapitre de Conques"

"Monsieur le prieur de Saint Yves"

  • les titres honorifiques : appellations de politesse et marques de respect en usage dans certains milieux, comme les personnes exerçant certaines professions juridiques.

"…a été inhumé maître Louis Castelnau notaire"

  • les titres de rangs ou de statut : celui qui occupe le premier rang au sein d'une corporation ou d’un métier.
Mariage François Ferrières (détail), 1783 © AD12

"François Ferrières Maître tailleur de la ville de Conques"

 


 

mercredi 15 novembre 2023

M comme Marraine

Dans les registres de Conques il y a des marraines et des parrains.

Le baptême, E. Renard © RMN

Ceux-ci sont choisis par les parents du nouveau-né. Cela peut être un membre de la famille, un ami, un voisin. Les parrains et marraines ont pour mission d'accompagner l'enfant et de le guider dans sa foi chrétienne. Ils sont présents dans les temps forts de l'éducation religieuse de l'enfant. Ce sont des personnes de confiance qui pourront être présentes en cas de besoin : ils ont un rôle essentiel pour suppléer les parents en cas de maladie ou de décès. C'est le sens premier des noms compère et commère que l'on donnait autrefois aux parrain et marraine (du latin ecclésiastique compatrem et commatrem, composés de cum, « avec » et pater/mater, « père/mère »).

 

Du sacrement du baptême naît une relation spirituelle de parrainage, entre parrain et filleul, mais aussi de compérage entre parrains et parents de l’enfant. La fraternité spirituelle qui s’instaure entre le filleul et les parrains, ou les enfants des parrains, s’accompagne logiquement d’interdits de mariage afin d’éviter l’inceste spirituel.

 

Pour l’aîné(e) les parrains/marraines sont souvent choisi parmi les grands-parents, comme Anne Albouze marraine de sa petite-fille Anne en 1784 ; ce n’est pas une règle absolue bien sûr : certains grands-parents sont choisis simplement pour les cadets. Ensuite on élargit le cercle familial : Marie Jeanne Cussac est marraine de deux de ses nièces en 1787 et 1790.

 

Mais le parrainage est aussi créateur de lien social. Le choix des parrains peut relever d’une certaine stratégie mise en place par les parents pour officialiser des relations avec des amis, des voisins, des relations de travail, ou bien s’efforcer d’obtenir la protection d’un plus puissant.

 

Les personnes sollicitées pour être parrains ou marraines peuvent l’être plusieurs fois, généralement à l’époque où elles sont elles-mêmes en âge d’être parents. C’est le cas par exemple de Marianne Cussac, triple marraine de 1783 à 1785 de ses trois nièces ou Elisabeth Delagnes aussi triple marraine, cette fois en dehors du cadre familial, de 1786 à 1788.

Toutefois à Conques je n’ai pas trouvé de femme revendiquée plus de trois fois pour être marraine.

Le triple parrainage est plus courant chez les hommes : Jacques Alran, Jean André Marti, Jean Antoine Falissard sont tous triple parrains. Jean Avalon, l’organiste, est même quatre fois parrain. Le record est détenu par Joseph Delagnes, huit fois parrain dans la décennie, tous de garçons inconnus déposés à l’hôpital ; mais son cas est particulier : il est l’un des hospitaliers de l’hôpital.

Pierre Jean Martin est deux fois parrain et deux fois représentant, c'est-à-dire parrain commis à la place d’un autre (voir à ce sujet la lettre A de ce ChallengeAZ).

Jean François Labro, en tant que prêtre est parrain trois fois et officiant à la cérémonie quatre fois. Cependant, si les religieux sont quelques fois sollicités, on les trouve plus souvent officiants (pour les prêtres et les curés), ou témoins aux décès, que parrains.

 

A Conques, mon étude commençant en janvier 1780, il faut attendre la toute fin du mois de novembre 1781 pour voir le premier acte contenant un parrain ET une marraine. En effet : les 26 premiers baptêmes ne contiennent qu’un parrain pour les garçons et une marraine pour les filles.

Baptême François Combret, 1781

"François Combret fils légitime et naturel de Joseph Combret et de Marie Mery mariés de la présente ville né le jour d’hier 30 novembre, a été baptisé ce jour d’hui 1er décembre 1781 ; son parrain a été François Ferrières, sa marraine Elisabeth Ytié soussignée ; le parrain requis de signer a dit ne savoir."

 

Toutefois, dans la décennie précédente ont trouve déjà le double parrainage/marrainage, même si ce n’est pas systématique, loin de là…

 

Quant à Marie Viguier et Antoinette Avalon elles sont marraines d’un petit garçon, respectivement Jean Pierre Fraysse et Antoine André Avalon, sans qu’il n’y ait de parrain. La première est la grand-tante du baptisé, la seconde sa tante :

Baptême Jean Pierre Fraysse, 1784 © AD12

"Jean Pierre Fraysse fils légitime et naturel de Joseph Fraysse et de Jeanne Balitrand de la ville de Conques naquit le 17ème juillet 1784 et fut baptisé le même jour par nous vicaire soussigné, sa marraine fut Marie Viguier grand tante du baptisé qui n’a su signer de ce requise"

 

"L’an 1789 et le 15ème du mois de mai est né et a été baptisé le 16ème dudit mois Antoine André Avalon fils légitime au sieur Jean Avalon organiste et de Demoiselle Christine Valete mariés, marraine a été Antoinette Avalon tante au baptisé qui n’a su signer de ce requise"

 

La famille Avalon fait partie de l’élite sociale de Conques : ils n’auraient pas eu de difficulté à trouver un parrain s’ils l’avaient souhaité : c’est donc un choix délibéré.