« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 7 septembre 2017

La médaille mystérieuse

Tout commence par un sms de ma tante : ces deux photos et cette courte phrase « ça t’intéresse ? ».
 

Photo de la médaille mystérieuse et de la rosette © Coll. personnelle

Photo de sa boîte © Coll. personnelle

Quoi ? Un objet ayant appartenu à notre famille ! Je fais un bond sur ma chaise jusqu’à me cogner au plafond ! Bien sûr que ça m’intéresse… mais… heu… c’est quoi, au fait ?
Ma tante m’explique qu’elle a retrouvé cette boîte au fond de l’un de ses tiroirs, par hasard, et s’est dit : « tiens, ça pourrait intéresser Mélanie ». 
Pendant un instant, j’ai espéré que c’était la croix de guerre de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis pas à pas durant la Première Guerre Mondiale (voir le détail de ce projet ici) et que j’aimerais bien voir un jour. 
Mais rapidement je distingue sur ladite médaille une femme tenant un enfant. Je pense donc plutôt à une médaille de la famille. Cependant, n’en ayant jamais vue, je pense tout d’abord que cela ne semble pas trop correspondre à l’inscription sur la boîte « Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales ».

Caractéristique de la médaille :
- RUBAN : Largeur de 32 mm. Rouge ponceau avec au centre une raie verticale vert lumière de 11 mm. Rosette, aux couleurs du ruban, traversée verticalement d’une bande verte, pour les médailles d’Argent et d’Or. Le diamètre de la rosette étant respectivement de 18 mm et 27 mm.
- INSIGNE (« ma » médaille fait partie du premier modèle, ensuite modifié en 1985) : Étoiles à huit branches en bronze, argent ou or suivant l’échelon et du module de 36 mm, avec une partie centrale ronde. Gravure de Léon Deschamps (« Léon Deschamps fecit »).
Sur l’avers : l’inscription  FAMILLE  FRANÇAISE  entoure une mère portant son enfant.
Sur le revers : l’inscription  LA  PATRIE  RECONNAISSANTE [1] surmontant un emplacement destiné à la gravure du nom du titulaire, est entourée par la légende  REPUBLIQUE FRANÇAISE et MINISTERE DE L’HYGIENE.

Je lance une bouteille à la mer Twitter pour essayer d’en savoir plus. La bouteille est vite trouvée et j’ai plusieurs pistes à explorer :
- envoyé par @ValdyLyly, sur le site france-phaleristique.com je retrouve le visuel de ma médaille, signalée "médaille de la famille française". Ma première intuition était bonne.
- envoyé par @gazetteancetres, des infos sur les médaille de la famille française via Wikipedia. Il n’y a pas d’illustration, mais des informations complémentaires au premier site, notamment sur l’historique de ces médailles, les conditions d’obtention et les bénéficiaires potentiels. Or la médaille d’argent dont je viens d’hériter est attribuée aux familles ayant 6 ou 7 enfants (cf. plus bas) : elle n’a donc pas pu être attribuée à ma grand-mère Borrat-Michaud qui n’en n’a eu que 5.
- @guepier92 me conseille d’aller faire un tour sur Gallica : il y a retrouvé son arrière-grand-mère médaillée de bronze.

Les bénéficiaires :
La médaille de la famille est une décoration créée par décret du 26 mai 1920 sous le nom de « médaille d’honneur de la famille française », pour honorer les mères françaises ayant élevé dignement plusieurs enfants. Ces médailles de la famille comportent trois échelons selon les nombre d’enfants élevés (bronze : quatre ou cinq enfants élevés ; argent : six ou sept enfants élevés ; or : huit enfants élevés et plus).
Il existe différentes catégories de personnes concernées :
- Celles qui élèvent ou ont élevé dignement de nombreux enfants ;
- Les personnes élevant ou ayant élevé pendant au moins deux ans un ou plusieurs orphelins de leur famille,
- Les veufs de guerre élevant ou ayant élevé au moins trois enfants,
- Les personnes qui ont rendu des services exceptionnels dans le domaine de la famille (responsables d’associations familiales par exemple).
- Etc...
A noter : La médaille peut être décernée à titre posthume si la proposition est faite dans les deux ans du décès de la mère ou du père. La médaille de bronze est attribuée aux veuves de guerre qui, ayant au décès de leur mari trois enfants, les ont élevés seules.
L’attribution peut se faire au profit de l'un ou l'autre des parents,  ou bien encore des deux parents ensemble s'ils en ont fait la demande.
Depuis le texte initial de 1920, ces médailles ont connu de nombreuses modifications : formes, noms, bénéficiaires, etc…

Le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale :
C’est l’ancêtre du Ministère de la Santé. L'Assistance et de l'Hygiène publique dépendait tout d’abord du Ministère de l’intérieur et la Prévoyance sociale était rattachée à celui du Travail. Le ministère de la Santé publique est créé en 1930, réunissant ces deux branches. Par la suite il va connaître différentes évolutions d’attribution et de nom (on lui rattache ou lui enlève successivement, la Famille, l’Éducation Sportive, les Affaires sociales, etc…).
Au cours de son histoire, le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale a décerné plusieurs types de décorations :
- la médaille de l’hygiène (destinée à récompenser les personnes bénévoles, ainsi que les personnels des hôpitaux, hospices, dispensaires et sanatoriums),
- la médaille de la prévoyance sociale (récompensant les services désintéressés rendus à la prévoyance sociale par les personnels des commissions et des conseils d’administration ou de direction des œuvres de prévoyance sociale)
- ainsi, entre autres, que la fameuse médaille de la famille française. Créée au lendemain de la Première Guerre Mondiale, elle visait à souligner le rôle joué par les femmes pendant le conflit, alors que les hommes étaient mobilisés : « La République doit témoigner d'une manière éclatante de sa gratitude et de son respect envers celles qui contribuent le plus largement à maintenir par leur descendance, le génie et la civilisation, l'influence et le rayonnement de la France » (selon le Ministre créateur de ladite récompense). Les candidatures et propositions se font à la mairie du lieu de résidence. Le dossier doit y être accompagné de diverses pièces administratives (notamment des extraits d’actes civils). Le maire de la commune doit porter un avis sur le formulaire de demande ; tout avis autre que favorable ne peut être pris en compte. Le dossier passe ensuite en commission et, s’il y a lieu, la médaille est attribuée par le Préfet.

Le Journal Officiel
Chaque bénéficiaire fait l’objet d’une publication dans le Journal Officiel. C’est ici que j’ai une chance de débusquer laquelle de mes ancêtres s’est vue attribuer la fameuse médaille. Ce JO est numérisé sur site de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica. Or, si le site Gallica est merveilleux et contient des richesses insondables, son moteur de recherche est, hélas, insondable lui aussi. Ainsi, après plusieurs tentatives de recherches sur différents mots-clés, j’ai abandonné devant le résultat obtenu : 943 pages trouvées ! J'avoue ne pas avoir eu le courage de toutes les compulser...
Abandon par KO : je ne sais toujours pas à qui a été attribuée cette médaille.

Enfin la médaille…
Après plusieurs jours, la médaille arrive enfin entre mes mains. Je suis surprise par la petite taille de la boîte, notamment (9,3 x 4 cm). Cette boîte qui a vécu, c’est indéniable : elle est usée, mais l’écriture sur le couvercle reste lisible.
A l’intérieur la médaille, l’épingle pour l’attacher et la rosette assortie.

Mais un détail m’intrigue : à l’emplacement du nom de la bénéficiaire, il n’y a qu’un emplacement vide. Donc de deux choses l’une : ou cette médaille a été attribuée mais le nom de sa bénéficiaire n’a pas été gravé ou cette médaille n’a, en fait, jamais été décernée officiellement. Comme je ne sais pas quand et comment elle est arrivée dans ma famille, il m’est difficile de déterminer laquelle de ces affirmations est correcte.
Mais un jour peut-être…
 

Ma tante pense que la médaille lui vient de feue sa mère; mais comment celle-ci l'a eue, cela reste mystérieux ! De toute évidence, ce n'est pas grand-mère qui en a été bénéficiaire, puisqu'elle n'a eu que 5 enfants.

Alors, d’où lui vient-elle ?
- Ses parents à elle, le couple Gabard/Roy, n’ont que 4 enfants.
- Ses grands-parents paternels, le couple Gabard/Benetreau, ont eu 9, de 1893 à 1912; soit avant la première attribution de ces médailles, à partir de 1920 [2].
- Ses grands-parents maternels, les Roy/Bregeon n’ont eu que 5 enfants. Encore trop court !

Mon grand-père, son mari, était fils unique. La médaille n’était donc pas pour sa mère !
- Ses grands-parents paternels, les Borrat-Michaud/Jay, ont bien eu 6 enfants, mais 5 nés hors mariage (pour une médaille de la famille, c’est pas super super…) dont trois décédés avant l’âge d’un mois.
- Chez ses grands-parents maternels, les Macréau/Le Floch, je compte 8 enfants (au moment où  je rédige la première version de cet article, en 2017) : ce serait, en l’état de mes recherches, des candidats sérieux.
 
Sans preuve cependant, l'histoire s'arrête ici... Je n'ai pas résolu mon énigme : à qui a été attribuée cette médaille de la famille ?
 
___
 

Edit 2023 :

Les archives de Seine et Marne viennent de mettre en ligne plusieurs titres de presse ancienne : je fais donc une recherche avec le patronyme des mes AAGP, les Macréau. Et là, surprise ! Le premier résultat qui sort est la mention de la médaille de la famille attribuée à Ursule Le Floch, épouse Macréau !

Le Briard, édition du 20 mai 1924 © AD77

Pas de doute possible ! Même si je journaliste s'est trompé de prénom (lui attribuant, chose curieuse, celui de sa sœur jumelle Marie Rose qui vit en Bretagne), c'est bien du couple Macréau/Le Floch que provient cette fameuse médaille. 
 
Mais si l'énigme est enfin résolue, la surprise est de taille : car en continuant mes recherches dans la presse ancienne je découvre deux avis de naissance, portant la fratrie à 10 enfants et non 8 comme je le pensais alors ! L'une de ces enfants n'a pas vécu mais l'autre oui : Jeanne Louise, née en 1913, est décédée en  2002. J'en avais même une photo, dite par erreur à "Jeanne, cousine d'André" (c'était la tante de mon grand-père et non sa cousine). Cette enfant m'avais échappée, en particulier parce qu'elle n’apparaissait pas dans les recensements familiaux. Après quelques recherches je me suis aperçue qu'elle avait été élevée par une autre sœur d'Ursule, Marie Joseph Le Floch, épouse Chauvoix; que je peux suivre en Ile et Vilaine en 1921 et dans le berceau familial de Loudéac (Côtes d'Armor), en 1931.

Du coup, avec une date plus précise, je retourne sur Gallica : mon aïeule figure bien au Journal Officiel, édition du 15 mai 1924 (avec la même erreur de prénom).
 
 

Et voici comment, plusieurs années après l'enquête initiale, j'ai enfin résolu l'énigme de la médaille mystérieuse !




[1] Dans la version actuelle la « patrie reconnaissante » a été remplacée par « République française ».
[2] Décret officiel de création sur Gallica


Sources : Wikipedia, france-phaleristique.com, Gallica

jeudi 31 août 2017

#Centenaire1418 pas à pas : août 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'août 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er août
Plusieurs changements d’affectation dont 28 chasseurs des classes anciennes qui passent au 4e Bataillon territorial de chasseurs.

2 août
Aucune note pour ce jour.

3 août
Aucune note pour ce jour.

4 août
Ordre de bataillon n°164.

5 août
Le Capitaine Montvigner-Monnet prend le commandement de la 7e Compagnie.

6 août
Aucune note pour ce jour.

7 août
Ordre de bataillon n°165.

8 août
Aucune note pour ce jour.

9 août
Aucune note pour ce jour.

10 août
Aucune note pour ce jour.

11 août
A partir de ce jour chaque samedi les chefs de corps désigneront 12 hommes pour passer au Dépôt Divisionnaire. Ils seront choisis parmi ceux ayant le plus long séjour au front, ce qui permettra un roulement de personnel.

12 août
Ordre de bataillon n°166.

13/18 août
Aucune note.

19 août
Le Général Pétain, accompagné du Général américains Pershing, passe en revue la 47e DI.


Pétain et Pershing passant en revue les chasseurs alpins, 1917 © ebay.fr


20 août
Aucune note pour ce jour.

21 août
Je suis cité à l’ordre du bataillon n°167, par décision du 18/8/1917 en tant que « bon chasseur, brave et courageux ».

La citation comprend le rappel de ma blessure reçue à Metzeral en janvier 1916 « en faisant bravement son devoir »!
Ma mère sera fière...

22/27 août
Aucune note

28 août
Ordre général n°73 : adieux du Général de Pouydraguin à la 47e DI qu’il quitte pour prendre le commandement du 18e CA.

Armau de Pouydraguin, Gaston, Petit Journal, 27 août 1916 © commons.wikimedia.org

29 août
Aucune note pour ce jour

30 août
Ordre général n7°4 : prise de commandement de la 47e DI par le Général Dillemann.

Général Dillemann © 151ril.com

Ordre de bataillon n°168

31 août
Le Général Dillemann passe en revue la 47e Di. 4 aspirants viennent du 11e BCP.

vendredi 25 août 2017

#Généathème : l'album énigmatique

Roman – Paru dans la collection Série généalogique, première édition 2043.

La journée avait commencé comme d’habitude : check des mails, messages sur les réseaux sociaux, vérification des dossiers clients… J’avais préparé des litres de boisson énergisante pour la tâche qui m’était dévolue aujourd’hui : rechercher un acte de naissance dans les registres parisiens.

Depuis mes débuts dans le métier, la technique avait fait beaucoup de progrès avec la mutualisation des métadonnées régionales et internationales… Sauf quelques régions qui résistaient encore, comme le « Grand Paris » (ce qui correspond à une douzaine des anciens départements, la mégalopole s'étant considérablement étendue ces dernières décennies), qui voulaient garder « leurs trésors » pour eux seuls. Comme si la diffusion et le partage étaient un vol caractérisé. Du coup, je me retrouvais à chercher un acte, depuis la troisième journée déjà, et je n’avais que compulsé que deux années et demi pour un seul arrondissement parisien. Si je ne le trouvais pas aujourd'hui je devrais passer à d’autres arrondissements, au hasard : j’en aurai pour des années de vaines recherches à ce train-là !

Tiens les vaines recherches, ça me rappelle ce vieil album de photos qu’une cliente m’avait apporté au début de ma carrière : elle l’avait trouvé dans un lot acheté chez un brocanteur. Elle voulait le rendre à son propriétaire légitime, mais l’album n’était pas légendé et elle n’avait aucune piste pour le retrouver. Elle me l’avait confié et j’avais commencé les recherches. Au premier abord, c’était l’album d’une vie. Des photos qui montrent le temps qui s’écoule : les jeunes fiancés qui se fréquentent, le mariage, l’arrivée successive des enfants, le vieillissement de la génération précédente, les vacances, les communions, les scouts, et puis les fiançailles des enfants devenus grands. Le cycle de la vie. Mais pas de nom. J’avais passé tellement de temps sur cet album que je le connaissais par cœur. A force, j’y ai vu aussi ces éléments plus ou moins invisibles : les lieux d’habitation, les modes vestimentaires, les rites religieux, le niveau social, etc…

Ou une certaine sensibilité artistique du photographe (le père sans doute), qui transparaît au fil des pages, dans les mises en scènes par exemple :

La jeune mariée dans ce qui est sans doute son premier appartement d’épouse © Coll. personnelle

Notez le jeu dans le reflet du miroir permettant de voir le visage de l’épouse.

Les deux filles adolescentes © Coll. personnelle

Un beau cadrage : une grotte enveloppante et maternelle pour deux belles jeunes filles…

Mais malgré de patientes recherches je n’avais jamais pu identifier l’auteur de l’album. Il était resté là, dans un coin de mon bureau. La cliente n’était jamais reparue. De temps en temps l’album m’appelait… comme aujourd'hui. 

Je mets un moment à le retrouver, mais il est bien là. Je caresse la couverture de faux cuir vert. C’est en fait un ensemble de feuillets de carton sur lesquels sont collées les photos, relié par un lacet de cuir désormais élimé. La reliure en est si étroite que les photos du bord intérieur sont difficilement visibles en totalité, mais le nœud était si serré qu’on ne pouvait le défaire sans trancher le lien ; et je n’avais jamais pu m’y résoudre.

Cela faisait longtemps que je ne l’avais plus ouvert. Mais maintenant, avec les technologies nouvelles, je pourrais peut-être faire une nouvelle tentative. On avait fait des progrès en la matière depuis mon premier ordinateur TO7 ! Désormais on pouvait lancer des recherches automatiques et attendre que ça « match », comme dans les séries policières du début des années 2000 : reconnaissance faciale, triangulation d’un lieu grâce à sa silhouette, la position du soleil, etc…

Tant pis ! Adieu les roboratifs registres parisiens : je veux savoir moi aussi qui sont les gens sur les photos. Je lance la recherche automatique. Pendant que l’ordinateur travail je résume ce que je sais déjà : un couple dans les années 1930, d’après leurs vêtements - il y a plus d’un siècle déjà ! – leur mariage, leurs sept enfants qui se ressemblent tellement qu’on dirait des septuplés. Je me rappelle mes premières recherches : je tentais de les différencier en me basant sur leurs vêtements, avant de m’apercevoir que lorsque l’un grandissait, le suivant récupérait ses habits. Raté !

Bien sûr l’habitude que les parents avait prise d’aligner leurs enfants dans l’ordre de naissance facilitait l’identification (n°1, n°2, n°3…).

n°1 © Coll. personnelle

n°1, n°2 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6, n°7 © Coll. personnelle     

Mais quand ils sont « mélangés », c’est tout autre chose ! Et puis il y a les vacances à la mer... et les maillots de bain en laine !


n°6 © Coll. personnelle   

Et ensuite l’adolescence, les yéyés…

Soudain, une sonnerie retenti, me sortant de ma nostalgie : match ! Des lieux sont reconnus : la grotte de Lourdes, le domaine du Hutreau près d’Angers, le château de Chambord, La Guérinière sur l’île de Noirmoutier (aujourd'hui engloutie par la montée des eaux), la Loire. Bon honnêtement j’en avais déjà reconnus certains, mais pas La Guérinière.
Second match ! Grâce à une photo de l’aîné des enfants en uniforme militaire, le lien est établi via les fiches matricules. Miracle de la technologie nouvelle. L’aîné des fils étant connu, il suffit en quelques clics de retrouver le reste de la famille. Confirmation de l’identité des enfants avec les registres des communiants, puis ceux des jeannettes et des scouts qui correspondent aux photos de l'album. Les parents, grands-parents sont aussi facilement identifiables grâce aux bases de données biométriques.

Je continue à pianoter sur mon clavier tactile inclus dans ma table de travail. Hélas les registres de décès me confirment ce que je pressentais : la plupart des membres de cette famille marche dans le Monde d’Après. Mais il reste un fils encore vivant, un vieil homme aujourd’hui âgé de 95 ans. Je retrouve facilement son domicile et me rend chez lui avec le précieux album. Je ne sais pas trop comment il va m’accueillir.

D’abord réservé, il devient rapidement ému quand il reconnaît l’objet que je suis venue lui apporter. Malgré son grand âge, sa mémoire est sans faille. Ce carnet vert rectangulaire est pour lui comme une à machine à voyager dans le temps, et jusqu’à une époque qu’il n’a pas connu lui-même :
- La rencontre de ses parents lors d’un pèlerinage à Lourdes,
- Leur mariage en 1935,
- Les naissances successives de leurs sept enfants, entre 1937 et 1949 (il est le n°6),
- Les vacances à La Guérinière,
- La première voiture de la famille,
- Le terrain acheté par la famille à Mûrs Érigné, près d'Angers (ex-Maine et Loire) qu’il a fallu défricher et où il faisait bon prendre du repos devant le cabanon construit au bout du terrain,
- La caravane et son auvent qui emportait toute la famille en vacances,
- La maison de la rue Blandeau à Angers et son jardin garni de roses car « ma mère les aimait tant »…



La famille © Coll. personnelle
Au centre la mère, à gauche la tante paternelle, à droite ses beaux-parents
autour les sept enfants. La photo est prise par le père. 

Je lui laisse l’album avec plaisir. Somme toute la journée s’est terminée mieux qu’elle ne s’annonçait. Enfin, demain je devrais quand même me coltiner les registres parisiens. Mais demain est un autre jour…


___

Sources : ma (très) grande imagination (émaillée de vérités historiques) et l'album de la famille Astié, mes grands-parents (où figurent aussi mes oncles et tantes, mon père bien sûr, mes arrière-grands-parents et la "tante Henriette"), dont les clichés datent des années 1930 à 1970.


samedi 19 août 2017

#RDVAncestral : le vieillard

En ce mois de janvier 1758, je me rends à La Celle sur Morin (Seine et Marne actuelle), dans la demeure de Nicolas Fouchy, vigneron de cette paroisse. L’avant-veille son fils, aussi prénommé Nicolas, a épousé Marie Jeanne Thomeret.

L’ancien est alité près de l’âtre. Le vieil âge, mais aussi ses capacités physiques diminuées, ne lui permettent plus guère de se déplacer hors de la cuisine. Il me demande si j’étais à la noce et comment cela s’est passé.
- Parce que tu vois, hélas, à cause de ma vieillesse et de mon infirmité je n’ai pas pu me rendre à la paroisse voisine assister à la noce. J’ai néanmoins fait part de mon consentement ; ma chère épouse, Françoise Didier n’étant plus là pour parler en notre nom.
Je le rassure sur ce point : tout s’est bien passé. La cérémonie a eu lieu en l’église Guérard, la paroisse de fait de Nicolas fils (La Celle s/Morin restant sa paroisse de droit), après des fiançailles « en la manière acoutumée » et la publication des bans réglementaires. Son consentement a bien été transmis, mais afin que tout soit fait dans les règles, le curé de Guérard va se déplacer lui-même pour s’assurer qu’il l’a bien donné. D’ailleurs, il ne devait plus tarder maintenant.

Nous bavardons un moment, lorsqu’un petit groupe de personnes toque à la porte : mené par le curé de Guérard, il y a là aussi le clerc paroissial de Guérard François Moinet, Nicolas et Jacques Vion, vignerons, Jean Louis Gondart, laboureur, tous demeurant à La Celle. Les hommes s’installent autour de la table pendant que le curé sort un gros registre, une plume et de l’encre. Il commence la rédaction de l’acte : « je soussigné Curé de Guerard certifie que je me suis transporté au lieu et domicile de Nicolas Fouchy vigneron demeurant à la Celle. »
Il regarde Nicolas :
- Nous somme bien en votre domicile ?
- Oui, acquiesce le vieil homme.
- Bon ! Je continue : ledit Nicolas Fouchy « m’a confirmé le consentement quil a donné en présence des temoins mentionné en l’acte de Mariage entre Nicolas Fouchy son fils et Marie Jeanne Thomeret ».
Il regard à nouveau Nicolas :
- Vous avez bien consenti ?
- Oui.
- Bon ! Ledit Fouchy père « ma déclaré que sylle n’a pas paru audit Mariage son Grand age et son Infirmité l’en ont empêché ».
- C’est la vérité ?
- Oui.
- Bon ! Et il a « déclaré encorre quil a consenty et y consent. » C’est la vérité ?
- Oui, oui, bougonne le patriarche qui fatigue de ces consentements à répétition.
Le curé nomme et couche sur le papier les témoins présents. Il les appelle un par un et chacun se doit de répondre présent.
Nicolas n’écoute que d’une oreille cette litanie répétitive.
- « … et ont signé le present acte excepté ledit Nicolas fouchy père dudit marié qui a déclaré ne savoir signé de ce interpellé. » C’est la vérité : vous ne pouvez pas signer ?
- Ben non ! Comme je viens de vous le dire. Mon fils, lui, sait, mais moi…
- Bon, bon, bon ! Je termine. Ah ! la date ! J’ai failli oublier : « le dix neuf janvier 1758 ». Maintenant messieurs, signez au bas de l’acte s’il vous plaît.
Chacun à leur tour ils prennent la plume et apposent leurs signatures.
- Bon ! Je vais vous relire tout cela, pour être bien sûr que cela soit la vérité pleine et entière.
Et le curé de reprendre la lecture de l’acte en entier.

Consentement au Mariage de Nicolas Fouchy, 1758 © AD77

Nicolas est trop fatigué maintenant. Pendant la lecture monocorde du curé, ses pensées s’envolent : vers cette noces à la quelle il n’a pas pu assister, sa tendre épouse trop tôt disparue, ses enfants qui le quittent aujourd’hui et pour qui il a eu de la tendresse… et bien sûr les douleurs de la vieillesse. Lui qui a toujours eu une vie active, dans les vignes.

Je vois dans son regard s’exprimer les regrets que lui ont apportés ces infirmités, l’empêchant de faire son vin, comme il l’a toujours fait. Son fils a quitté la maison, la paroisse, mais aussi le métier et s’est fait charretier. Il aurait bien aimé que son Nicolas reprenne la vigne à son tour, mais les jeunes n’en font qu’à leur tête. Enfin, s’il est heureux, c’est déjà ça. La petite Marie Jeanne est fille de vigneron, alors peut-être qu’un jour il reviendra dans le métier.

Je pose doucement ma main sur le bras de Nicolas, pour le ramener à la réalité : le curé a terminé sa relecture et s’apprête à partir. Il faut dire au revoir à toute la troupe.
Une fois le calme revenu dans la maison, Nicolas se tourne vers moi :
- Eh ben ! Tout ce raffut pour confirmer ce que j’avais déjà dit ! Pfff… Mais ils veulent m’achever ou quoi ?

Je lui souris et remonte sa couverture qui avait glissé de ses genoux. Je m’en vais sur la pointe des pieds, le laissant trouver un sommeil réparateur. Je sais que cette petite séance, si répétitive et ennuyeuse qu’elle lui soit apparue, ne l’achèvera pas : Nicolas vivra encore un an et demi avant de quitter ce monde. Le curé de La Celle, qui rédigera son acte de décès en juin 1760, mentionnera que Nicolas était « agé d’environ quatre vingt neuf ans ».


dimanche 6 août 2017

Pris sous la poussière

J'ai pris de mauvaises habitudes : à force de dépouiller des sources diverses (fiches militaires, recensement, actes notariaux...), j'ai donné corps à mes ancêtres. Une poêle à frire un peu "uzée", un habit de noce neuf, des terres à labourer... Ces mentions donnent chaire au squelette d'un arbre qui, autrefois (quand j'ai commencé ma généalogie), ne comportait que - au mieux - les trois actes qui rythment la vie : baptême, mariage, sépulture. Depuis, il faut bien l'avouer, je ne peux difficilement m'en passer.

L'autre jour, je "feuilletais" mon arbre à la recherche d'une mention insolite, d'un événement qui pourrait donner matière à un article.
Et plus je furetais de branche en branche, plus les informations recueillies se raréfiaient : plus d'acte notarié d'abord, mais aussi des fiches de plus en plus courtes. Ce sont souvent les métiers qui disparaissent en premier : j'ignore alors si mes ancêtres sont de simples laboureurs ou de riches notaires. Et puis la paroisse d'origine qui reste obscure. Et enfin le nom qui m'échappe.

Le curé est moins bavard, les registres ont disparus : les raisons sont multiples à cette désertification progressive. Mais force est de constater que mon arbre se couvre de poussière. La poussière du temps. La poussière de l'oubli.

Arbre qui disparaît via sergeychubarov.ru

Combien sont-ils concernés ? Des centaines, des milliers peut-être...
Ils me font penser à ces corps momifiés par les cendres à Pompéi : on distingue leur silhouette, leur position, mais la poussière s'est déposée sur ces ancêtres, créant à la fois une gaine protectrice les fixant pour l'éternité mais brouillant leur image.

Les ai-je perdu à jamais ou parviendrai-je à les sortir de l'ombre un jour ? L'avenir le dira...


lundi 31 juillet 2017

#Centenaire1418 pas à pas : juillet 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de juillet 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er juillet
La 125e DI relèvera la 47e DI dans les nuits des 3, 4 et 5 juillet.

2 juillet
Travaux d’organisation.

3 juillet
Le Bataillon est relevé dans le quartier B par le 5e bataillon du 76 RI. Aucun incident.

4 juillet
Le Bataillon cantonne au camp de Bourgogne.

5 juillet
Départ par voie de terre pour Arcis Le Ponsard à 5h. Itinéraire : Romain, Breuil s/Vesle, Unchair, Courville. Cantonnement : camp d’Arcis Le Ponsart.

Carte Ventelay-Arcis le Ponsart

6 juillet
Stationnement. Repos. Douches.
Ordre de bataillon n°157.

7 juillet
Départ à 5h par voie de terre. Itinéraire : Dravegny, Cohan, Coulonges, Cierges, Fresne. Cantonnement : Fresne.

Carte Arcis le Ponsart-Fresne

8 juillet
Départ de Fresne à 6h par voie de terre. Itinéraire : Le Charmel, Jaulgonne. Cantonnement : Jaulgonne.
Ordre de bataillon n°158.

Carte Fresne-Jaulgonne

9 juillet
Le bataillon embarque en deux trains à la gare de Mezy : 10h30 et 14h30. Nous sommes dans le second.

10 juillet
Débarquement de nuit à Gondrecourt (Meuse).
Cantonnement du bataillon : Mauvages.

Carte Mézy-Gondrecourt

11 juillet
Installation dans les cantonnements.

12 juillet
Travaux de propreté. Échange d’effets.

13 juillet
La 47e Division est chargée « d’informer » l’armée américaine au camp de Gondrecourt.

14 juillet
Le Général de Division passe en revue la 47 DI et le Bataillon américain de Gondrecourt, sur la croupe située à l’Ouest de Delouze.

15 juillet
Repos.

16 juillet
Échanges avec les Américains.

Soldats américains © centenaire.org

17 juillet
Aucune note pour ce jour.

18 juillet
Reconnaissance de travaux d’aménagement d’un terrain d’exercices.

19 juillet
Le 51e Bataillon est chargé d’informer deux Bataillons américains.

Camp américain © cheminsdememoire.gouv.fr
Travaux : 100 travailleurs chaque jour à l’organisation d’un centre de résistance. Le reste du Bataillon est affecté aux corvées.

20 juillet
Ordre de bataillon n°160.

21 juillet
Par décret du Président de la République le capitaine Montignier est promu capitaine de réserve à T.D.

22 juillet
Ordres de bataillon n°161 et 162.

23 juillet
Aucune note pour ce jour.

24 juillet
Ordre de bataillon n°163.

25-31 juillet
Aucune note.



samedi 22 juillet 2017

Mémère et la tante Henriette

Pour les générations les plus proches de nous il est difficile de récolter des documents officiels, les délais de communicabilité empêchant l’accès à un grand nombre d'informations. Alors il ne nous reste que la parole. Celle de ceux qui nous précèdent. Et il faut faire vite avant qu’ils disparaissent.

Du côté de ma mère c’est, disons… un peu compliqué. D’après ce que j’ai compris belle-mère et belle-fille ne s’entendaient pas. Bref, du vivant de ma grand-mère, je n’ai pas pu avoir d’information sur sa belle-famille.

Du côté de mon père, les questions sont venues trop tard.
On peut donc dire que j’ai laissé passer ma chance : maintenant tous mes grands-parents sont dans les nuages. Je tente donc de me rattraper sur la génération suivante : celle de mes parents.

Mes grands-parents paternels ont eu 7 enfants. 12 ans séparent l’aînée du dernier. Mon père se place en avant-dernière position : beaucoup d’événements vécus par ses aînés lui sont étrangers. Faute de grands-parents pour me renseigner, je me tourne donc vers leurs enfants premiers-nés. Mais eux aussi vieillissent. Ma tante aînée n’est plus vraiment là pour répondre à mes questions, hélas. Alors, prenant dans l’ordre,  je « harcèle » le deuxième. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Récemment il protestait gentiment, disant que les vieilles mémoires étaient comme des passoires. Ayant quelques notions de dinanderie, je tente de transformer les passoires en louches, pour récolter le maximum d’informations avant que la marmite de la mémoire percée ne soit définitivement vide.

Passoire © Delcampe

Parfois je fais choux blanc : qui se rappelle que le grand-oncle Frète avait (peut-être) adopté le cousin Robert de son père alors qu’on n’était même pas né (pour en savoir plus sur cet épisode, cliquez ici) ? Mais d’autres fois j’ai plus de chance et les quelques anecdotes que me raconte mon oncle sont un véritable régal pour moi… Mais parfois aussi un véritable casse-tête !

En effet, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les souvenirs des autres :
- Attend ! Attend ! Qui c’est « grand-mère Frète » dont tu me parles ? C’est la mère du boucher Daniel Frète ? Mais je croyais qu’il était orphelin. Ou est-ce sa belle-mère qui habitait avec eux ? Mais non, suis-je bête, celle-ci tu ne l’as pas connue : grand-mère Frète ne peut donc être, logiquement, que l’épouse de Daniel, la sœur de ton arrière-grand-mère, d’accord !
La « grand-mère » n’étant pas du tout sa grand-mère, ça part bien ! Bon, je commence à sentir que les petits noms vont me donner quelques séances de « mal aux cheveux ». Continuons.
Mon oncle reprend le fil de ses souvenirs :
- Suite à leur départ du logement qu’ils occupaient au-dessus de celui de grand-mère Frète, les grands-parents ont habité une cité d’urgence, construite après-guerre, appelée les Frémureau. Du coup, chez nous, on les appelait les grands-parents Frémureau.
- Bon, mais ces grands-parents, ce sont de « vrais » grands-parents cette fois ?
- Oui, c’étaient les parents de notre père. Nos enfants les avaient appelés comme ça pour les distinguer de leurs grands-parents maternels.
- OK, je suis : il s’agit donc d’Augustin et Louise Astié. Ensuite ?
- Et bien cette Louise, justement, on l’appelait Joséphine.
- … ?
- C’était à cause de ses employeurs : elle était domestique. Avant elle, ils avaient une Joséphine. Donc, ils ont décidé de continuer d’appeler la - nouvelle - domestique Joséphine (c’est vrai après tout : pourquoi s’embêter à apprendre un autre prénom !). Il se trouve que c’était, par hasard, son second prénom, mais de toute façon ça n’aurait rien changé. C’est pour cela qu’on l’appelait toujours Joséphine et non Louise.
- ... !!! Merci les patrons ! Et du coup, pourquoi tout le monde appelait sa sœur Célestine « la tante Henriette » ? Parce qu’elle, elle n’était pas domestique, elle, mais ouvrière chez Bessonneau (la grande usine d’Angers).
- Alors ça, je ne sais pas…
Ma louche est percée : personne ne peut me dire pourquoi Célestine est devenue Henriette.

Ma mère, de son côté, appelait sa grand-mère « mémère ».
- Oh ! Oh ! Doucement : laquelle de tes grand-mère appelais-tu ainsi ?
- Ma grand-mère paternelle, voyons ! Elle était domestique et les enfants de ses patrons l’appelaient mémère eux-aussi. Ils la considéraient comme leur propre grand-mère.
Voyons, voyons, c’est pas toujours facile à suivre, vos histoires de petits noms…
En tout cas,  quand ma mère est devenue grand-mère à son tour, alors là pas question qu’elle se fasse appeler mémère ! Ça faisait trop… "mémère" : vous voyez ce que je veux dire ? Mémère, dans le mauvais sens du terme qu’on peut lui donner aujourd’hui.

En tout cas entre les Joséphine qui n’en sont pas vraiment, les Henriette qui n’en sont pas du tout, les grands-parents qui changent de surnoms quand ils changent de domicile, les mémères qui ont de vrais/vrais et des vrais/faux petits-enfants, pas facile de s’y retrouver…


samedi 15 juillet 2017

#RDVAncestral : le mendiant

Je suis avec Suzanne. Nous faisons face à l’enclos paroissial de l’église du Quillio. Suzanne s’est arrêtée, indécise. Je respecte son silence. Son hésitation. Elle regardait fixement l’ensemble de bâtiments de granit. Je savais qu’elle ne voulait pas venir ici ; je lui avais un peu forcée la main. « Je n’en suis pas capable » m’avait-elle dit. Mais j’avais insisté. Et nous étions ici maintenant. Je regardais à mon tour : le muret de pierre, les colonnes de granit supportant le portail en fer forgé surmonté d’une croix, la placette délimitée par le muret et au fond l’église avec sa forêt de pinacles décorant le porche et les angles de l’église. A l’extrémité ouest, le clocher, tout blanc, couvert d’une toiture en ardoise et dominé par un coq en métal.

Le Quillio, enclos paroissial © le-quillio.fr

Brusquement Suzanne fit demi-tour, me laissant seule sur la place. Je ne lui en voulais pas. Je pensais ne même pas que nous arriverions jusque là, pour tout dire. Elle avait quitté cette paroisse depuis longtemps : étaient-ce les hasards de la vie ou les mauvais souvenirs qui s’y rattachaient ? Je n’avais pas osé lui poser la question.
Finalement, je traversais la place et franchis le portail. L’office était terminé mais quelques personnes flânaient encore ici et là, par petits groupes, devisant tranquillement, s’accordant un moment de repos avant le reprendre le labeur quotidien. 

Je ne le vis pas tout de suite, mais je savais où le trouver : il était toujours au même endroit, m’avait dit Suzanne. Je pris mon temps pour m’approcher. Effectivement, dans la pénombre profonde du porche, je commençais à le distinguer. Au début ce n’était qu’une ombre, puis la silhouette se fit plus nette. Il était assis, le dos au mur, les jambes repliées sous lui. Il était si concentré qu’il ne me remarqua pas au début. Il comptait les quelques piécettes que la charité des paroissiens lui avait octroyée au sortir de la messe. Je m’arrêtais à bonne distance pour le contempler sans l’offenser. Ses vêtement n’étaient que guenilles, la barbe lui mangeait les joues, ses cheveux étaient hirsutes et sales. Un profond sentiment de tristesse m’envahit. J’avais sous les yeux la misère. Non pas la misère ordinaire, mais celle d’un de mes ancêtres. Etait-ce pour cela qu’elle me touchait particulièrement ? 

Yves le Corre était le frère de la grand-mère de Suzanne. Il mendiait là depuis plusieurs années. L’affaire était un peu compliquée, et je n’avais pas su démêler le vrai du faux dans les différentes versions de son histoire que j’avais entendues : est-ce que sa famille l’avait abandonnée ? Est-ce lui qui avait refusé leur aide ? Y avait-il eu fâcherie irrémédiable ? Ou juste un désespoir qui vous entraîne vers l’abîme ? Il n’avait pas dû avoir une enfance très heureuse. Ses parents avaient été mariés 10 ans et avaient eu 4 enfants, dont une petite fille qui n’avait pas vécu. Puis sa mère mourut des suites d’une longue maladie alors qu’Yves n’était âgé que de 7 ans. Son père s’était rapidement remarié et un garçon était venu agrandir la fratrie dès l’année suivante. Les années avaient passées et ce n’était qu’à 43 ans qu’il s’était finalement lui-même marié. Puis il était devenu veuf à son tour.
Et aujourd’hui, à près de 80 ans, il était là. Seul. A mendier sous le porche de l’église. 

Je comprenais Suzanne qui ne voulait pas venir. Ne pas voir ce spectacle désolant. C’était le frère de sa grand-mère - un parent relativement éloigné, donc - mais ça devait lui déchirer le cœur de le voir ainsi.

Est-ce parce qu’il avait fini de compter ses pièces, ou m’avait-il aperçu du coin de l’œil ? Il releva la tête et tendit son bras vers moi. Sans un mot. Juste un pauvre sourire qui n’éclairait pas sa triste face. Dans sa main, une coupelle en argile dans laquelle tintaient quelques pièces. Je me penchais vers lui. Nos regards se fixèrent, intensément. Je lui mis dans la main de la monnaie que j’avais prévue à cet effet. Je gardais un moment sa main dans les miennes, sans que mes yeux ne quittent les siens un seul instant. Combien de temps cela a duré, je ne saurais le dire. Mes émotions se bousculaient. C’était un moment très fort. Est-ce qu’il perçu quelque chose de particulier, moi qui étais sa descendante ? Nous avons l’air aussi ému l’un que l’autre. 

Finalement c’est l’arrivée du curé, un quignon de pain à la main, qui nous sépara. Je partis vite, écrasant une larme au coin de l’œil : je savais que d’ici la fin de l’année il trouverait la mort, par une nuit froide de décembre. Le curé de la paroisse écrirait sur le formulaire pré-rempli du registre de décès qu’il n’avait pas survécu au-delà de quatre heures du matin, il mettrait « mendiant » à côté de « profession » et que les deux témoins cités dans cet acte seraient un colporteur et un laboureur.

Ces quelques lignes ne disaient rien. Et pourtant elles disaient tout : la pauvreté, la solitude, l’absence familiale…La triste fin d’une pauvre vie.


Rencontre avec Yves le Corre, frère de mon ancêtre Marie, mendiant, décédé le 30 décembre 1815 au Quillio (Côtes d’Armor).