« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 25 décembre 2023

#Généathème : Un cadeau de Noël

Symphorien regardait le tas de souilles qu’on avait placé près de la cheminée, une légère moue sur la figure. Il se demandait vaguement pourquoi on en faisait tout un plat, de ces chiffons. Tout d’un coup, ils s’agitèrent. Et, brusquement, un cri fracassant déchira l’atmosphère. Symphorien se boucha les oreilles des deux mains. Rien à faire ! Il entendait encore les rugissements assourdissants. Il n’en revenait pas : comment une aussi petite chose pouvait-elle faire autant de bruit ? 

 

Dessin Saint Joseph et la Vierge contemplant l'Enfant (détail)  d'après Bartolommeo Biscaino © Louvre
Saint Joseph et la Vierge contemplant l'Enfant (détail) 
d'après Bartolommeo Biscaino © Louvre


Aussitôt Guillemine se précipita, le chassant d’un geste, et s'occupa de la petite chose qui vagissait au milieu des chiffons. Haussant les épaules, l’enfant s’éloigna. Il ne savait pas pourquoi sa tante était là, mais ce qui est sûr c’est que, de mémoire, jamais on ne s’était précipité de cette manière pour satisfaire tous ses besoins  !

 

D’ailleurs, c’était toute cette journée qui était bizarre. Symphorien alla se nicher dans son coin préféré, entre le vieux coffre de chêne et le grand lit. Les courtines couleur de musc le cachait à demi et, de là, il pouvait observer toute la salle basse sans qu’on le remarque. Le regard perdu, il suivait du doigt la silhouette de la serrure du coffre et sa grosse clé en fer, le menton dans l'autre main. Il repensait aux événements qui s’étaient succédé depuis hier.  Alors qu’il somnolait, son père l’avait secoué :

- Allez ! C’est l’heure !

Les yeux ensommeillés, il s’était enroulé machinalement dans son grand manteau brun, soigneusement cousu par son père c'était son métier : il était tailleur d'habits. Sa mère lui avait pris la main. Elle faisait un peu la grimace en marchant et soufflait fort. Mais sur le moment Symphorien n’y avait pas prêté attention. A présent fort bien réveillé, il avait hâte de rejoindre l’église. D’abord parce qu’il faisait terriblement froid et qu’il espérait que les murs protecteurs du sanctuaire lui accorderaient la chaleur, en plus de la grâce du Seigneur. Ensuite parce qu'il était impatient d’assister aux événements qui se préparaient. Les fêtes de Noël ! Il ne se souvenait pas bien de celles de l’année dernière, mais les autres garçons ne cessaient d’en parler depuis plusieurs semaines. En particulier de la grosse poignée de noisettes, d’amandes ou de fruits secs, cadeau exceptionnel, qu’ils dévoreraient goulûment. Il en avait l’eau à la bouche. Peut-être y aura-t-il aussi une belle soupe enrichie d’une tranche de volaille bouillie ?

 

Symphorien aimait bien le cérémonial de la messe, les cantiques, la fumée s’échappant de l’encensoir vers les voûtes, les cloches au grand complet sonnant à toute volée. Maitre Nicolas de Paris, le curé de la paroisse, avait fort belle allure à la lumière des bougies dans sa tunique d’un blanc immaculé. Bon, mais c’est vrai qu’au bout d’un moment, ça commençait à être long… Son esprit s’évada vers la maison qu’on avait décorée de branches de houx, avec ses feuilles vert foncé brillant et ses baies rouges vives. Il avait à peine remarqué qu’à un moment sa mère s’était levée et avait quitté l’église. En pleine messe !

Du haut de ses 5 ans, le petit garçon ne se souvenait pas qu’on pouvait faire ça. Machinalement il s’était levé à son tour pour la suivre mais son père l’avait rassis fermement, faisant les gros yeux, montrant d’un signe de tête le curé à l’autel qui officiait. Il ne comprenait pas bien la réprimande de son père, d’autant plus que plusieurs autres femmes s’étaient éclipsées elles aussi. Quoi qu’il en soit,  pas question de désobéir à son père. Il resta donc assis. Son esprit reprit son vagabondage.

Au retour, il ferait bon dans la salle commune : la grosse bûche bénie qu’on avait allumée l’après-midi aurait réchauffé l’atmosphère. Son père lui avait expliqué qu’elle devait brûler au moins trois jours durant, et plus encore si possible. Puis, on récolterait ses cendres afin de protéger la maison et préserver les récoltes. On racontait que, si les enfants étaient sages, ils auraient des cadeaux. Pierre Joubert, son cousin, avait eu l’année dernière un sifflet en bois, fabriqué par son père. Symphorien, lui, espérait que ce serait plutôt un petit pain blanc et chaud que sa mère enduirait de beurre dégoulinant de gourmandise. Hum. Il s’en léchait les babines par avance. Les temps festifs du Réveillon se prolongerait jusqu’à l’Épiphanie, rythmés par les rencontres, les chants et les danses. C'était également le temps des veillées, où ils se réunissaient avec tous ses cousins et cousines et où mamée Jacquine, sa grand-mère paternelle, racontait de belles histoires qui, parfois aussi, les faisaient frissonner de peur.

 

Enfin la messe avait pris fin. Symphorien attendait la suite des festivités avec impatience. Mais rien ne s’était passé comme prévu. Quand ils étaient rentrés à la maison, il avait entendu sa mère qui criait depuis sa chambre. Il avait voulu aller voir, mais on l’avait durement rabroué. Malgré l’heure tardive plusieurs personnes les avaient rejoints, dont Jacques Voluette, le nouveau mari de sa mamée (son grand-père à lui était mort; ce qu'il faisait qu'il avait trois grand-pères, même s'il trouvait ça un peu bizarre parce que les copains lui avaient dit qu'on ne pouvait en avoir que deux), ce Jacques, donc, qui lui fichait la trouille avec sa grosse voix. On l’avait envoyé au lit sans plus de cérémonie. Symphorien avait cru qu’il ne pourrait jamais s’endormir au milieu des plaintes déchirantes de sa mère. Il avait en fait glissé dans le sommeil presque immédiatement sans même s’en apercevoir. Le lendemain matin il avait été réveillé par d’autres cris. Plus aigus. Stridents. Acérés.

 

Il pénétra prudemment dans la salle commune, où il y avait encore plus de monde que la veille au soir. Au moins les plaintes de sa mère ne déchiraient plus l’atmosphère. Aussitôt cette constatation énoncée, le hurlement tonitruant repris de plus belle. Il n’avait jamais entendu rien de tel. Mais qu’est-ce qui pouvait bien faire un tintamarre pareil ?  Sa tante Guillemine le remarqua. Toute guillerette, elle lui dit :

- Symphorien ! Viens voir par ici mon chéri, le cadeau que Notre Seigneur t’a apporté cette nuit !

De toute évidence ce n’était pas un petit pain blanc ! Ils s’étaient approchés de la cheminée. Au début il avait cru qu’il n’y avait qu’un tas de chiffons dans la caisse. Mais soudain de nouveaux hurlements s’en échappèrent. Ce n’était pas juste une caisse. Ni juste des chiffons. Il n’avait qu’une envie : fuir le plus vite possible de cet enfer retentissant. Mais sa tante ne cessait de l’y pousser davantage. Enfin il l’aperçu. Des petits points serrés qui battaient l’air, une face rougeaude aux yeux clos et un crâne chauve.

- Il est beau, n’est-ce pas ?

Des qualificatifs à propos de cette chose vagissante, Symphorien en avait beaucoup en tête. Mais beau, ça sûrement pas !

- Eh bien ! Tu ne dis rien ? Ce bébé c’est ta petite sœur. Elle est née cette nuit. Devine comment on va l’appeler ?

Mais comment voulait-elle que je devine ça ? se demanda Symphorien. Je suis pas voyant, moi !

- Eh bah alors, nigaud ! Tu trouves pas ?

Il sentit une main sur son épaule. C’était Pépoune, son grand-père maternel et parrain, Symphorien Moloré. Il l’aimait bien, Pépoune. Il lui avait dit un jour que c’était à lui qu’il devait son prénom. Il lui souriait. Il lui dit doucement :

- Vois-tu, comme elle née au petit matin et que nous sommes le jour de Noël, il a été décédé de l’appeler Noëlle. C’est ta petite sœur. Comme tu es l’aîné, ce sera à toi de t’en occuper…

Alors que les grands s’éloignait, Symphorien resta à contempler le tas de chiffon. Il n'avait vraiment pas envie de s'occuper de ça ! En plus, l'horrible bébé se remit à hurler. Guillemine se précipita et chassa Symphorien.

 

De son petit coin secret, l’enfant regardait les grands s’agiter. Ils se réjouissaient de l’arrivée de la nouvelle venue. Allaient dans tous les sens. Parlaient fort. Se tapaient sur l'épaule.

Une petite sœur ! Et alors ? A quoi ça sert, d’abord, une petite sœur ? Elle pourrait peut-être l’aider dans ses tâches quotidiennes ? Mais à condition qu'elle sorte de sa caisse. Et surtout qu’elle se taise ! Il n’allait pas supporter ces cris toute la journée ! Il ne savait pas à quoi servait une petite sœur, mais il espérait qu’elle serait plus utile qu’un petit frère. Parce que Pierre, le petit frère qu’il avait déjà, lui, il ne servait pas à grand-chose. Justement, le voilà qui arrivait, se dandinant sur ses jambes malhabiles. Il avait pris trop d’élan et ne semblait plus pouvoir s’arrêter. Il termina sa cavalcade en s’affalant dans les bras de Symphorien.

- Maman ! gémit-il. Je veux maman !

Et aussitôt il se mit à pleurer. Allons bon ! En voilà un autre qui pleure ! Quels joyeux cadeaux il avait reçu là. Il n’avait pas dû être bien sage pour mériter des présents pareils. Symphorien se demandait combien il y en aurait encore, des petits frères et des petites sœurs.

 

Tout à coup ce fut le branle bas de combat. Comme un seul homme, les grands se levèrent et s’habillèrent chaudement. Voyant son désarroi, Pépoune s’approcha :

- Il faut aller tout de suite à l’église pour la faire baptiser afin qu’elle soit mise sous la protection du Seigneur.

Symphorien ne répondit rien.

- Mais l’as-tu regardée au moins ?

Regardée, il ne se rappelait plus, mais entendue ça oui. Et il ne voulait pas renouveler l’expérience, merci bien.

D’un air entendu, le grand-père s’éloigna avant de revenir immédiatement. Il portait dans ses bras le tas de souilles, désormais emmitouflé dans une couverture. Délicatement, il le lui mit dans les bras. Symphorien n’était pas sûr d’en avoir envie. Mais tout aussi doucement, le grand-père écarta un pan de la couverture. A regret, Symphorien pencha les yeux vers le « cadeau ». C’est le moment que choisit la petite fille pour agripper son doigt fermement. Puis, surtout, elle planta ses yeux au fond des yeux de Symphorien. Sans qu’il ne comprenne comment ni pourquoi une espèce de vague de bien-être l’envahit. Plus chaude qu’un bon feu de cheminée. Il ne pouvait plus détacher ses yeux des deux grands lacs bleus qui ornaient le petit visage. Un visage d’ange.

C’est décidé ! La petite sœur, je l’aime ! décréta Symphorien. C’est le plus beau des Noëls, ma Noëlle !

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Symphorien Saulnier, né en 1625 à Villevêque (49), aura encore deux petits frères et deux petites sœurs supplémentaires, de quoi écorcher ses oreilles et étancher sa soif d'amour fraternel...



 

jeudi 30 novembre 2023

Z comme Zoom sur les témoins

Dans les registres de Conques certains témoins réapparaissent régulièrement. Très régulièrement.

L'accordée de village, JB Greuze © Louvre

 

Les personnalités importantes de la paroisse sont sollicitées à de nombreuses reprises pour être témoin lors de mariage et décès ou parrain de nouveau-nés. L’organiste Jean Avalon (voir la lettre I de ce ChallengeAZ) est 3 fois témoin, 4 fois parrain et représentant 3 autres fois (voir la lettreA de ce ChallengeAZ).
Mais ce ne sont pas les notables les plus présents. 

 

  • Jacques Alran

Il est sollicité 39 fois : 3 fois parrains, 1 fois témoin à une naissance et 35 fois témoin à un décès ; notamment lors du décès de mon sosa 256, Pierre Astié.

 

Sépulture Pierre Astié, 1786 © AD12

"Pierre Astié veuf de Catherine Soutouly âgé d’environ 90 ans décédé le jour d’hier a été inhumé ce 12 mai 1786 en présence de Jacques Alran soussigné et de François Roux cordonnier qui n’a su signer de ce requis"

Originaire de la Vinzelle, habitant de la ville de Conques depuis environ 17 ans lors de son mariage en 1757 avec Marianne Vernhes, il est alors travailleur, c'est-à-dire manouvrier ou journalier. Ensemble ils auront au moins trois enfants. Lors de la décennie étudiée il est d’abord dit fournier (propriétaire ou gérant d'un four à pain) en 1780, puis restant (1788) et hospitalier (1788) : il a donc fini sa vie à l’hospice. Il est, en tant que témoin, souvent associé à d’autres restants de l’hôpital sans que les personnes pour lesquelles il est témoin n’y soient forcément dites décédées (comme mon ancêtre Pierre ci-dessus) : est-ce une simple omission ou sont-ils décédés en dehors de l'hospice ? Dans ce cas, pourquoi ces témoins hospitaliers sont-ils sollicités si souvent : était-ce un rôle particulier qui leur était demandé en tant que restants ? Jacques Alran meurt âgé d’environ 70 ans en 1789. Il a lui-même pour témoin deux hospitaliers.

 

  • Pierre Chatelier 

Il est témoin 42 fois (33 décès, 5 naissances et 4 unions).

Sépulture Martial, 1789 © AD12

"L’an 1789 et le 7ème juillet a été inhumé Martial fils à père et mère inconnus décédé le jour d’hier âgé d’environ dix jours, en présence de Pierre Chatelier soussigné et de Joseph Delagnes tous restants audit hôpital qui n’a su signer de ce requis"

Fils d’un cordonnier devenu huissier (sic) il se trouve allié par le mariage de sa sœur à la famille Vernhes ; parmi lesquels on trouve un cordonnier, des teinturiers, un meunier et, par alliance, Pierre Bories praticien et Jacques Alran cité ci-dessus. Son oncle maternel était praticien. Lettré, il signe tous les actes. Il ne semble pas s’être marié.

Il est restant à l’hôpital : en 1764 il est qualifié de « garçon* de la présente ville » (il a alors 28 ans) puis en 1767/1768 « garçon de l’hôpital »; dès 1762, puis en 1764 et à partir de 1769 et pendant toute la décennie suivante, il est dit « pauvre de l’hôpital ». Entre 1780 et 1790 il est alternativement dit demeurant à l’hôpital ou restant et à nouveau pauvre en 1793. Mais curieusement en 1789 il est qualifié de praticien et à nouveau, un peu plus tard en l'an II « praticien de la maison communale de l'hôpital ». S’il ne fait aucun doute qu’il demeurait et « travaillait » à l’hôpital peut-on en conclure qu’il en était le médecin ? Qu’il avait fait des études de médecine ? Ou s’agit-il d’un savoir empirique hérité de sa longue expérience à l’hospice (il y est associé depuis une trentaine d’année) ?

 

  • François Roux

François Roux est – ou sont – régulièrement sollicité(s). Mais combien sont-ils ? Je compte un François Roux qui ne sait pas signer, un François Roux qui sait signer, un autre qui est cordonnier sachant signer, un cordonnier ne sachant pas signer et encore un dernier François Roux maître cordonnier ne sachant signer.

Un François Roux, cordonnier, est décédé en 1801. Dans la marge il est noté « cet individu ne laisse personne de sa famille ». Il demeure au faubourg de Conques. C’est celui qui signe.

Au total ce(s) François Roux sont sollicités 48 fois (45 décès, 2 unions, 1 naissance).

Le(s) François Roux qui ne signe(nt) pas est celui qui est majoritairement sollicité (44 décès et 1 naissance à lui « tout seul »). Je pense que ceux qui sont cordonnier, maître cordonnier et sans métier précisé, mais ne signent pas, ne forment qu’une seule et même personne. Il est souvent associé à des restants de l’hôpital (Guillaume Alary, Alexis Lacombe, Pierre Chatelier). Dans la décennie suivante il est dit travailleur (ou est-ce un nouveau François Roux ?).

"L’an 1788 et le 27ème juillet a été inhumée Catherine Carles décédée de la veille âgée d’environ 60 ans épouse de Pierre Anterrieux vigneron mariés du village de la Capelle, en présence d’Antoine Anterrieux vigneron et de François Roux cordonnier tous de Conques soussignés"

"L’an 1789 et le 5ème décembre a été inhumé Antoine Bruguière du lieu de la Salesse décédé de la veille âgé d’environ 72, en présence d’Antoine Vidal vigneron et François Roux cordonnier tous de Conques qui n’ont su signer de ce requis"

 

  • Alexis Lacombe

Il est sollicité 40 fois (34 décès, 1 union, 4 naissances).

Sépulture Alexis Lacombe, 1789 © AD12

"L’an 1789 et le 10 mars a été inhumé Alexis Lacombe affidé à l’hôpital natif de la paroisse de Noailhac décédé de la veille âgé d’environ 48 ans, en présence d’Antoine Flaugergues et de Joseph Bonal restants audit hôpital qui n’ont su signer de ce requis"

D’abord juste dit tisserand, il est qualifié de restant à l’hôpital à partir de 1783. Lors de son décès il est « affidé » (attaché à l’hôpital). Il est clair qu’à la fin de sa vie il compte parmi les personnes auxquelles l’hôpital donne un emploi. Concernant le début de la décennie, il est difficile de savoir s’il est un tisserand employé par l’hôpital ou simplement à son compte.

Son acte de décès le dit originaire de Noailhac, paroisse voisine de Conques (environ 8 km de distance). Le seul que j’ai trouvé né là-bas est plus vieux de 7 ans par rapport à l’âge au décès ; ce qui peut correspondre. Il ne semble pas marié à Conques.

 

  • Les femmes

Les femmes, elles, ne sont pas demandées de cette manière. Je mets à part les sages femmes (voir la lettre S de ce ChallengeAZ) qui sont plus présentes à cause de leur métier. 

Celles qui sont citées le plus de fois sont marraines de trois nièces, comme les deux sœurs Cussac, Marie Jeanne et Marianne, ou trois enfants sans lien de famille, comme Elisabeth Delagnes, Madeleine Servières ou Agnès Garric. Ces deux dernières sont restantes à l’hôpital ; ce sont les seules parmi ces femmes dont je connais le « métier » (si l'on peut dire que restant(e) soit un métier). 

Aucune n’est citée comme témoin lors d’un décès.

 

 

* Le terme garçon peut signifier qu’il n’est pas marié mais désigne aussi un employé subalterne travaillant dans une administration, dans un commerce ou pour le compte de quelqu'un.

 

 

mercredi 29 novembre 2023

Y comme Ytier

Les noms dans les registres de Conques, c’est parfois un peu compliqué ; certains n’en n’ont pas (voir la lettre P de ce ChallengeAZ).


Livret de famille © abebooks.com

 

D’autres en changent car, on le sait, les patronymes n’ont pas d’orthographe. Si les noms de familles se sont fixés à la fin du Moyen Age, ce n’est pas le cas pour leur orthographe. En effet, le porteur de patronyme, souvent illettré, n’est pas capable d’épeler son nom. On dit aussi que les accents locaux pouvaient perturber les rédacteurs, pour peu qu’ils ne soient pas du coin. Par ailleurs sous l’Ancien Régime, il n’y a ni loi ni obligation en la matière.

 

Elisabeth Ytié devient Ityé lors de son décès en 1782. Elle était nommée Itié en janvier 1781 et Ytié en novembre de la même année. Marchande, elle savait signer : elle orthographiait elle-même son nom Itié. Son père était né sous le patronyme d'Ithié.

Sépulture Elisabeth Ytié, 1782 © AD12

" Elizabet ityé veuve de jean vidal marchand mourut agée d'environ 22 ans et fut inhumée le lendemain par nous curé soussigné..."

De même Rols devient Raouls (voir la lettre S de ce ChallengeAZ) ou Vaurs devient Baurs.

 

"…Marie Anne Benazech fille légitime et naturelle de Monsieur Jean Benazech et de demoiselle Marie Vaurs…"

"…Joseph Benazech fils légitime et naturel de Me Jean Benazech notaire royal et de demoiselle Maris Baurs…"

 

Pierre Vigouroux a du avaler la moitié des lettres qui composent son nom lorsqu’il a déclaré le mariage de sa fille…

Pierre Vigouroux, janvier et juillet 1781 © AD12

"...Pierre Vigouroux fils legitime de Pierre Vigouroux aubergiste et Catherine Carles..."
"…Antoinettre Vigroux fille de Pierre Vigroux et de Catherine Carles…"

 

Parmi les témoins se trouvent souvent cités Joseph Delagnes et Joseph Delannes…. Jusqu’à ce que je rencontre Marie Delagnes, épouse Pradalier, aussi nommée Marie Delannes : les deux Joseph ne formaient sans doute qu’une seule et même personne !

"… son parrain a été Joseph Delagnes pauvre audit hôpital…"

"… son parrain a été Joseph Delannes restant audit hôpital …"

Le fait qu’on le rencontre souvent associé à Alexis Lacombe, François Roux et autres restants à l’hôpital renforce cette hypothèse.

 

Il est parfois difficile de reconnaître le nom de ses ancêtres…

"…fils légitime à Antoine Selves vigneron dit Romigou et à Jeanne Prodensis…"

En fait Jeanne se nomme Pradellis : c’est la fille et la sœur de mes sosas Pradellis (271 et 133).

 

Quant à Antoine Cibie, son patronyme a été quelque peu malmené au cours des années…

Antoine Cibie, 1781, 1782, 1785 © AD12

"… avons donné la bénédiction nuptiale à Antoine Sivie fils naturel à Jean Sivie…"

"…Anne Sevie fille à Antoine Sevie…"

"…Jeanne Cibie âgée de dix huit mois fille légitime et naturelle d’Antoine Cibie…"

 

La loi du 6 fructidor an II (« Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quitté sont tenus de les reprendre ») n’a guère fait changer la situation.

Si, dans une société à dominante orale, les erreurs d’orthographes n’avaient que peu d’incidence, l’apparition d’une administration toujours plus exigeante a créé de réelles difficultés pour certaines personnes dont le nom (et donc l’identité) avait « changé ».

Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que l’orthographe du nom se fixe, grâce à l'apparition du livret de famille (en 1877). Lors du mariage, le nouveau couple reçoit un livret officiel. Il reprend les extraits des actes la concernant (naissances, mariage) et il est mis à jour à l’occasion de tout nouvel événement qui le concerne (naissances d’enfants, séparation/divorce, décès). Il contient également des rappels de la législation liée à la famille (mariage, filiation, adoption, autorité parentale, etc…).
Ces livrets de familles ont été créés à Paris pour servir d’état civil bis, en cas de besoin, car la mairie avait brûlé au moment de la Commune. Conservé par les personnes à leurs domiciles, cela permet d’éviter que la catastrophe de 1871 ne se reproduise. Tout l’état civil ancien parisien de 1530 à 1870 était parti en fumée et pendant des années, chaque fois qu’ils devaient prouver leur identité, les Parisiens ont dû apporter les contrats notariés ou les duplicatas d’état civil qu’ils conservaient chez eux. Les livrets de famille constituent un résumé certifié conforme des actes concernant chaque personne. Ils seront généralisés dans le reste de la France en 1884 : chaque mairie doit fournir gratuitement le livret de famille à tous les couples (lors du mariage pour les couples mariés ou lors de la naissance du premier enfant pour les non mariés ; et de façon plus récente lors de l’adoption d’un enfant par un parent célibataire).

A la naissance de chacun de ses enfants, le couple rapporte un document écrit : par copie des événements précédents, le nom reste donc identique tout au long de la vie.

Par ailleurs, avec les progrès de l’alphabétisation, les déclarants sont désormais capables de corriger l’orthographe de leurs noms si besoin est.