« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 24 juillet 2015

Pierre His... Le Pierris... Le Pierry

Tranquillement je remonte les générations. Il faut dire que suis bien aidée par plusieurs facteurs : la mise en ligne des registres notariés de ce coin de l'Orne (la Ferté Macé, la Ferrière aux Étangs, Briouze...) sur Geneanet [ 1 ] et le défrichage - avant moi - de nos généalogies communes par Bruno Gogel et Odile Halbert. Le site des archives départementales quant à lui n'est, hélas, guère performant et je n'y vais qu'à reculons (aaah ! les systèmes de navigation et de zoom impraticables).
Me voilà donc arrivée à Pierre His, dont je retrouve le contrat de mariage daté de 1648, à la Ferté Macé. Il demeure en la paroisse de Lonlay le Tesson. Les registres paroissiaux ne peuvent plus m'aider : pas de registre antérieur à 1662. Ce sont donc les actes notariés qui me permettent de progresser plus loin dans le temps. Il est le fils de feu Jean et de Julienne Clouet (enfin peut-être, son patronyme est difficile à déchiffrer).
Je ne sais même plus pourquoi je regardais la carte de Cassini, quand soudain, comme souligné par un cercle de relief et de végétation, un lieu-dit nommé Pierre His m'apparaît.


Pierre His / Lonlay le Tesson, carte de Cassini © Gallica

Tilt ! Happy Dance ! Montée d'adrénaline !

Parmi le peuple de laboureurs et de vignerons qui forme ma généalogie, aucun n'a donné son nom à une terre (et inversement).
Bon, pour le moment rien ne prouve qu'il y ait un lien entre les deux. Mais quand même...
D'ailleurs Pierre est dit "de la paroisse de Lonlay le Tesson", sans précision sur son lieu d'habitation.
D'autre part, toujours dans ledit document, il est nommé "Pierre Hayet fils de feu Jean His", même si dans tous les autres documents il est bien nommé His.
Après plusieurs investigations, il apparaît que "mon" Pierre His était crochetier, c'est-à-dire un artisan qui fait des crochets pour les crocheteurs et les portefaix ou les bêtes de somme. Le crocheteur gagne sa vie à charger, décharger et porter des fardeaux sur et avec des crochets. Le portefaix charge et décharge les produits solides, à l'aide de crochets qui sont des instruments à deux grandes branches et à deux crochetons avec une sellette (tandis que ceux des animaux sont des supports fixés sur le bât pour retenir les charges). [ 2 ]
Il était illettré. En effet, sur les actes le concernant, il appose sa marque. L'Orne est le seul endroit de ma généalogie ou les illettrés sont invités à apposer leur marque, tant sur les documents religieux (actes de baptêmes, mariage et décès) que civils (actes notariés). Mais on voit bien que la marque de Pierre est personnelle : elle est identique sur tous les documents et n'est pas faite au hasard, ne ressemble pas aux autres marques.

"Signature" de Pierre His, 1693 © AD61

Je ne sais rien de son père et sa "dynastie" se termine avec sa fille (du moins dans ma généalogie).

La commune de Lonlay-le-Tesson fait actuellement partie du département de l'Orne et du diocèse de Séez, canton de La Ferté-Macé. Sa superficie est de 1 237 hectares. 
Lonlay-le-Tesson comptait, en 1709, 244 feux (ensemble des personnes vivant dans un même foyer). La fabrication et le commerce de la toile tenait une place importante dans l'économie du pays.
Le château, dont il ne reste plus qu'une partie, a été construit en 1773. Il fut vendu en 1825 à M. Clouet qui le convertit en ferme. Une partie du bâtiment abrita un temps la mairie et l'école de garçons.

Quant au village de Pierre His, au fils du temps son nom évolue. En 1881, on le nomme Le Pierris. Sur le cadastre napoléonien il est écrit Pierry. Forme qu'il a gardée de nos jours : Le Pierry.

Le Pierry / Lonlay le Tesson © Geoportail

Le Pierris est dit "appartenant à la famille His" dans la Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson [ 3 ]. Ce village relevait de la seigneurie du Bois-Manselet dont il formait une des "aînesses".
Le Bois-Manselet était un petit fief tenu noblement de la baronnie de Briouze, et ce dès le XVème siècle. Il s'étendait à la fois sur les paroisses de Ménil de Briouze et de Lonlay le Tesson. Sur le registre de ses pleds et gages-plèges [ 4 ] étaient inscrits, notamment, les tenants du Pierris.
Le manoir du Bois-Manselet était une sorte de vieux logis normand, construit au pied des collines boisées du Mont d'Hère. Le fief tomba en désuétude à l'extinction de la famille dans les années 1840.

En conclusion, difficile de dire que "mon" Pierre His avait un lien avec le lieu-dit dont les tenants semblent être plus élevés que de simples crochetiers. Néanmoins il n'est pas exclu qu'il soit apparenté à cette famille... En bref : p'tète ben qu'oui, p'tète ben qu'non
D'accord c'est une conclusion de Normand, mais après tout leur sang coule dans mes veines aussi...


[ 1 ] Notamment par titep48/Michel Petit et dozeville/Jean-Pierre Bréard, qu'ils en soient chaleureusement remerciés.
[ 2 ] Source : www.vieuxmetiers.org 
[ 3 ] Source : Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson par le comte Gérard de Contades, Le Mans, 1881; via Odile Halbert).
[ 4 ] Le plaid est une audience du tribunal. Le gage-plège était, en Normandie, une convocation extraordinaire que faisait le juge dans le territoire d'un fief pour différents motifs (élection d'un prévôt ou d'un sergent, règlement de rentes et redevances seigneuriales...).


vendredi 17 juillet 2015

Mon beau-fils est mon gendre

Cerdon, le 29 septembre 1719.
Jour triste et gris. Nous sommes tous réunis. Après qu'il ait reçu le viatique et l'extrême onction [ 1 ], nous voici suivant le cortège funéraire de mon époux Benoît Morel, montant en direction de l'église saint Jean-Baptiste. Après la cérémonie menée par le curé Ferrières, nous irons au cimetière attenant. Ce n'est pas une situation inédite pour moi : je suis veuve pour la deuxième fois.
Nos enfants se serrent contre moi. Du haut de ses 13 ans, mon aînée Félicité va pouvoir m'aider dans les tâches quotidiennes. Mais les autres sont si petits : les trois filles de 10 à 6 ans et le bébé, Charles, qui n'a qu'un an. Il dort tranquillement dans mes bras, innocent et étranger à tout ce qui l'entoure. Claude et Joseph, les frères de Benoît, sont ici aussi bien sûr. Leur soutien est précieux. Après le chagrin, l'inquiétude me gagne : comment va-t-on vivre tous sans son salaire de maître maçon et tailleur de pierre ?

Acte de décès de Morel Benoît, 1719 © AD01
"Le vingt neuf septembre est décédé Benoit Morel Maître Maçon aagé denviron quarante ans après avoir reçu le viatique et lextreme onction la sepulture de son corps été faitte le meme jour au cimetiere de cette paroisse et en la presance de Claude et joseph Morel freres dudit defunt de Cerdon illetres enquis
Ferrieres curé"


Cerdon, le 17 février 1722.
Jour gai et clair. Nous sommes tous réunis. A 41 ans me voilà encore jouant le premier rôle à la noce. J'épouse aujourd'hui Joseph Mermet. Mon troisième époux. La famille Mermet est une des familles éminente de Cerdon. Son père a même eu le privilège d'être inhumé dans la nef de l'église. Nous nous connaissons depuis longtemps, en particulier par sa première épouse, Françoise Chavent (son frère a été témoin de la naissance de plusieurs de mes filles).
Nos promesses de mariage ont été préalablement publiées aux prônes de nos messes paroissiales suivant les ordonnances de l’Église sans n'y apprendre aucun empêchement. Mon beau-père André Comte David m'a menée à l'autel, mon père nous ayant quitté alors que je n'étais qu'une petite fille. D'autres sont présents, parents et amis : Joseph, le frère de Benoît feu mon deuxième époux, toujours fidèle. Jean et Jean-Baptiste Mermet, les cousins de Joseph. Nous réunissons nos deux foyers : de mon côté, il me reste mes quatre filles, âgées de 15 à 7 ans. Du sien, il y a ses sept enfants, âgés de 17 à 3 ans. Nous voilà une nombreuse famille ! Les plus petits ont à peine connu leur mère, décédée des suites de couches du dernier-né en 1717.

Acte de mariage de Mermet Joseph, 1722 © AD01
"Le dix septieme fevrier mil sept cent vingt deux Joseph fils de feu Jean Aymé Mermet veuf de Françoise Chavent aagé denviron quarante trois ans, et Jeanne Claudine Chaney veufue en premieres nopces de jean Aymé Ravet et en secondes de Benoit Morel aagé denviron quarante cinq ans ont reçu la benediction nuptiale leurs promesses de Mariage prealablement publiees trois fois aux prônes de nos messes paroissiales suivant les ordonnances de Leglise sans apprandre aucun empechement civil et canonique audit mariage auquel ont este present Jean Mermet et Jean Baptiste Mermet cousins de lespoux et andré Contoz David beau pere de lespouse et Joseph Morel son beau frere tous de Cerdon, ledit espoux avec Jean Mermet et ledit Contoz David ont signe"


Cerdon, le 13 août 1722.
Jour terne et sombre. Nous sommes tous réunis. Le curé Ferrières est à nouveau passé à la maison pour administrer viatique et extrême onction. Joseph nous a quittés si brutalement. Nous n'avons même pas été mariés durant un an ! Je te garderai dans mes prières, Joseph. Me revoilà portant le deuil, montant vers le cimetière. J'ai à peine plus de 40 ans et je me sens bien vieille aujourd'hui. La chaleur de mon sang semble s'être dérobée. Claude et Joseph Chavent, les oncles des enfants du premier lit de feu Joseph, m'accompagnent. Je me retrouve à la tête d'une famille de onze enfants. Je ne pense pas que je me remarierai à nouveau. De toute façon, j'ai maintenant beaucoup trop de travail pour aller chercher un mari comme une jeune fille de 20 ans !

Acte de décès de Mermet Joseph, 1722 © AD01
"Le treizieme d'aout mil sept cent vingt deux est décédé Joseph Mermet qui etoit fils de feu Jean Aymé Mermet aagé denviron quarante trois ans apres avoir été muni du saint viatique et du sacrement de lextreme onction dont le corps a este le lendemain inhumé au cimetière de cette paroisse en presence de Claude et Jean Chavent tous de Cerdon illetrés enquis 
Ferrieres curé"


Cerdon, le 28 février 1724.
Jour radieux et éclatant. Nous sommes tous réunis. Cette fois, ce n'est pas moi qui joue le premier rôle : je marie ma fille première-née, Félicité. Elle épouse... Jean Louis Mermet, le fils de feu Joseph. Mon beau-fils est devenu mon gendre. Au moins, je sais où ils se sont rencontrés : sous notre propre toit ! A force de se côtoyer, ils ont noués de solides liens. On peut qu'ils ont eu tout le temps de se découvrir et que leurs sentiments sont sincères. Ils ont 18 et 19 ans. Toute la famille est réunie pour fêter ce joyeux événement. Même le sieur Berard, le châtelain de Mérignat est venu : tous les curateurs ne s'occupent pas aussi bien de leurs protégés... Ma mère aussi, bien qu'âgée de près de 70 ans, a tenu à suivre la noce et de monter jusqu'à l'église. Heureusement Jean et Antoine, les frères du marié, l'ont soutenue dans ce périple ! J'espère que ma fille aura meilleur destin dans son union que dans les miennes.

Acte de mariage de Mermet Jean Louis, 1724 © AD01
"Le vingt huitieme fevrier mil sept cent vingt quatre Jean Louïs fils de feu Joseph mermet assiste de sieur françois Berard chatelain de Merigna son curateur judiciellement pourvu agé d'environ vingt deux ans et felicité fille de feu Benoit Morel et de Jeanne Claudine Chaney sa curatrice agée denviron vingt ans ont reçu la benediction nuptialle attendu pour trois publications il ne nous a apparu aucun empechement ny civil ny canonique faitte au moins au deux des conciles et ordonnances du diocese, ont etes presents Jean Mermet oncle dudit jean Louïs avec Jean Baptiste Mermet son fils, ladite Claudine Chaney avec Andre Comte David marié en troisieme nopces avec Marie Berard ayeule de ladite epouse qui ont tous signes
Ferriere chanoine"

Cerdon © AD01

  • Jeanne Claudine Chaney est née en 1680 à Cerdon (01), mariée trois fois (avec Jean Aymé Ravet en 1698, dont elle a eu une fille - décédée en bas âge; Benoît Morel en 1704, dont elle a eu 4 enfants - dont un fils mort en bas âge - et Joseph Mermet en 1722), décédée en 1762.
  • Joseph Mermet est né en 1680 à Cerdon, marié deux fois (avec Françoise Chavent en 1703, dont il a eu 7 enfants; et avec Jeanne Claudine Chaney), décédé en 1722.
  • Félicité Morel est née en 1705 (décédée en 1781), mariée avec Jean Louis Mermet, né en 1704 (décédé en 1781). Ils ont eu 10 enfants.
  • Maître Jean Ferrieres, ancien chanoine et curé de Cerdon, fut enseveli le 10 février 1727.

[ 1 ] Viatique : Sacrement de l'eucharistie (corps du Christ) administré à un mourant : le pain de vie qu'est l'eucharistie est donné à un mourant qui se prépare au "voyage" qu'est le passage de la vie terrestre à la vie éternelle.
Extrême onction : Un des sept sacrements qui se confère en oignant des saintes huiles un catholique en péril de mort.

vendredi 10 juillet 2015

L'appel de ses ancêtres

Pendant plusieurs années consécutives, mes parents et moi avons pris l'habitude de partir en vacances sur les traces de nos ancêtres. Chacun avait sa tâche : je préparais les recherches généalogiques en amont, ma mère s'occupait du gîte qui nous accueillerait et mon père nous conduisait.
Nous avons ainsi visité Conques (Aveyron), berceau des ancêtres de mon père, puis Samoëns (Haute-Savoie) et Loudéac (Côtes d'Armor), ceux de ma mère. Pour les deux premiers, le but était surtout de dénicher les actes d'état civil qui n'étaient pas en ligne. Le dernier était purement touristique, avec l'idée tout de même de voir les lieux où mes aïeux maternels avaient vécu.

Or donc, en cette "année bretonne", ma mère avait présélectionné plusieurs hébergements possibles et me les avait envoyés pour me demander mon avis. Parmi eux, un gîte situé sur la commune de Saint-Caradec, au lieu-dit La Theilo (à une dizaine de kilomètres de Loudéac).

Je me suis toujours demandé si l'appel de ses ancêtres avait résonné en ma mère. Parce que oui, ses ancêtres ont bien habité La Theilo à Saint-Caradec ! Parmi tous nos ancêtres bretons habitant Loudéac ou les environs (Saint-Caradec, Cadélac, Le Quilio, Merléac, Mûr de Bretagne, Saint-Guen, Trévé), parmi tous les hébergements possibles, comment a-t-elle sélectionné ce gîte situé précisément dans ce lieu-dit ? Est-ce un simple hasard ? Ou y a-t-il autre chose ? Cela, nous ne le saurons jamais...

Extraits carte Cassini et vue aérienne La Theilo / Saint-Caradec © Geoportail

A partir de là, plus question d'aller voir ailleurs. Nous avons logé sur le lieu même où Corentin Le Goff a vu le jour en 1779. Je connais peu de chose sur ses parents, Olivier Le Goff et Marie Etienne. Mariés en 1775, ils auront (au moins) cinq enfants. Ils meurent tous deux en 1817, à sept mois d'intervalle. Corentin sera maçon, comme son père. 

Pourtant, en ce pays, beaucoup de nos ancêtres étaient tisserands ou tailleurs d'habit. On y travaillait "les toiles de Bretagne". Ce voyage nous a permis de découvrir cette activité (entre autres).

Reconstitution historique de tissus © auxfilsdelarz.fr

Du XVI au XVIIIème siècle, la culture du lin et du chanvre, la fabrication des toiles et leur exportation vers l’Angleterre, l’Espagne et ses colonies d’Amérique ont occupé une main-d’œuvre considérable et ont fait la richesse de toute la Bretagne [ 1 ].

Cette activité toilière a eu des conséquences importantes sur le plan économique (prospérité), démographique (augmentation de la population) et artistique (maisons de marchands, enclos paroissiaux, etc.).

Elle a placé la Bretagne au cœur d'un vaste système d'échange planétaire. Les graines de lin étaient importées de Lituanie, via la Baltique et les Flandres, par le port de Roscoff ; les toiles étaient exportées vers l'Angleterre et l'Espagne par les ports de Saint-Malo, Morlaix, Landerneau… De l'Espagne, où étaient implantés des marchands français, les toiles de lin et de chanvre gagnaient les colonies d'Amérique.

Lin en fleur © Wikipedia

La production des toiles de Bretagne a constitué une activité massive pendant tout l'ancien Régime et encore au début du XIXème siècle. Elle prenait la forme particulière d'une "manufacture dispersée" faisant appel à une main d'œuvre rurale travaillant à domicile à partir de matériaux cultivés dans les jardins.

Dans le pays de Loudéac le lin tissé prenait le nom de « Bretagnes légitimes ». Longtemps les ateliers sont demeurés traditionnels. Ils se composaient de métiers à tisser, installés dans la maison près d'une source de lumière, de bobineuses ou de mécanismes à préparer les canettes.

Le travail du lin commence à la mi-juillet par l’arrachage des plants par la racine. Le lin est ensuite mis à rouire au ruisseau ou dans des cuves maçonnées. On fait tremper les plants une dizaine de jours afin que l’eau dissolve la gomme et agglutine les fibres. Ensuite on égrène le lin à l’aide d’un peigne en acier puis les tiges sont liées en bottes. L’égrenage se pratiquait parfois avant le rouissage. Les graines servent à la semence suivante ou à la fabrication d’huile. Puis on procède à l’écouchage, qui consiste à gratter les fibres avec un morceau tranchant de verre ou de fer pour en éliminer les impuretés. Les fibres courtes servent d’étoupe pour le calfatage des bateaux ou, mélangées à de l’huile, au bouchage des bouteilles de vin (à une époque où le bouchon de liège n’existe pas encore). Les filassiers vont ensuite, de ferme en ferme, mettre en place les filasses sur des cadres de bois. Les femmes filent au fuseau dans un champ ou près d’un de la cheminée et parfois au rouet à main ou à pédale. Les bobines sont alors mises bout à bout et posées sur un dévidoire qui permet de confectionner des écheveaux. Ces derniers sont acheminés chez le teilleur qui confectionne la toile.

Tisserand © tibihan-locronan.com

A Loudéac, l’industrie du lin et le commerce qui y était lié connurent leur apogée au XVIIIème siècle puis déclinèrent pour disparaître à la veille de la guerre 1914/1918.

A la simplicité de cette production succédait une intense activité d'exportation reposant sur des marchands dont la prospérité se repère aujourd'hui encore dans des constructions ostentatoires. Il peut être classé selon trois catégories :
  • un patrimoine lié à la production et au traitement des plantes à fibre, ainsi qu'à la production de toiles : routoirs, maisons buandières (ou « kanndi »), maisons de paysans-tisserands, manufactures, etc. 
  • un patrimoine lié au commerce des graines et des toiles : maisons de marchands toiliers, hôtels de négociant, halles, etc. 
  • un patrimoine indirectement lié à cette activité.

Outre une richesse individuelle, l'activité toilière est à l'origine d'un enrichissement collectif par le biais des offrandes faites aux fabriques des paroisses. Cet enrichissement et la concurrence entre paroisses expliquent notamment l'édification d'églises somptueuses et d'enclos paroissiaux dans le Finistère.

L’essoufflement de cette activité est sans doute aussi une des causes de l'émigration des Bretons. C'est ainsi que trois générations plus tard la descendante de Corentin Le Goff, Ursule Le Floch, s'installera en Ile de France. Mais ça, c'est une autre histoire...



[ 1 ] Source : www.linchanvrebretagne.org