« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 20 novembre 2018

#ChallengeAZ : Q comme querelle

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Est-ce une simple querelle qui a provoqué la Première Guerre Mondiale ? Sûrement pas. Si, au moment des faits, la situation pouvait apparaître simple (l’assassinat de l’archiduc austro-hongrois par un nationaliste serbe), elle est en fait beaucoup plus complexe.

Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire de l’Autriche-Hongrie, est assassiné lors d'une visite dans la ville de Sarajevo. Les réactions sont diverses, allant du soulagement côté hongrois car ils ne l’aimaient guère, à la tristesse pour ses partisans ou la joie pour les Serbes durement éprouvés par le gouvernement austro-hongrois. 

Le Petit Journal, 12 juillet 1914 © Wikipedia

Rapidement cet assassinat n’apparaît pas comme un acte localisé, les Autrichiens souhaitant « régler le problème serbe » notamment grâce au soutient du Reich. En Allemagne, certaines voix se font entendre, pour un règlement définitif de la dispute entre ses voisins. En effet, ils pensent que les autres nations ne réagiront probablement pas : la France est préoccupée par des questions de politique intérieure et la Grande-Bretagne doit gérer ses problèmes avec l’Irlande ; seule la Russie pourrait être tentée d’intervenir, mais elle ne semble pas en mesure de soutenir une guerre contre les puissances centrales européennes. 

L’Autriche-Hongrie envoie donc un texte rédigé de telle façon que c’est plutôt un ultimatum que reçoit le gouvernement de Belgrade. Et son refus entraînerait, de facto, une intervention contre la Serbie. Ce texte n'accuse pas la Serbie d'être responsable de l'attentat, mais simplement d'avoir rompu les accords de 1909, qui l'obligeaient à « des rapports de bon voisinage » avec son voisin septentrional, en laissant se développer sur son territoire des courants nationalistes. Par ailleurs le texte exige que des policiers austro-hongrois doivent pouvoir mener des investigations sur le territoire serbe pour enquêter sur le meurtre, ce qui représente une négation du gouvernement et des pouvoirs serbes. Cet ultimatum est adressé le 22 juillet 1914, avec une réponse attendue dans les 48 heures. Si la plupart des revendications austro-hongroises peuvent être acceptées, ce dernier point est refusé catégoriquement par Belgrade. Les relations diplomatiques sont alors rompues.

Certains veulent toujours croire à un différend local et les grandes nations européennes tentent même une conciliation dans les jours qui suivent. Mais d’autres au contraire veulent s’engager dans ce conflit : la crise locale, puis balkanique devient alors européenne, notamment avec la mobilisation décrétée en Russie le 30 juillet, entraînant en réaction celle de l’Allemagne. 

Cette dernière déclare officiellement la guerre le 1er août à la Russie, le 2 au royaume de Belgique et le 3 à la France. Les mobilisations générales se déclarent en cascade dans tous ces pays. Face à l’invasion du Luxembourg et de la Belgique, le 4 août c’est la Grande-Bretagne qui déclare la guerre au Reich, comme elle s’y était engagée si celui-ci intervenait de façon directe dans le conflit.

Cependant, l’assassinat du 28 juin ne semble être qu’une goutte d’eau dans la poudrière européenne. En effet, depuis le début du XXème siècle plusieurs nations étaient engagées dans une course aux armements (Russie, Allemagne, Grande-Bretagne…). Par ailleurs, de veilles querelles non réglées ont tendance à refaire surface régulièrement : la question de l’Alsace-Lorraine entre la France et l’Allemagne, la péninsule balkanique qui a perdu sa souveraineté au milieu du XIXème siècle (guerre de Crimée), la Serbie annexée  par l’Autriche, les appétits russes sur les petits états balkaniques, etc… Ces querelles s’étendent à l’échelle mondiale par l’intermédiaire des empires coloniaux que les nations européennes se sont taillés, notamment en Afrique, au Moyen-Orient ou en Inde.

La montée des nationalismes entraînent des rivalités nationales exacerbées. A cela s’ajoutent des facteurs économiques (financiers, commerciaux) qui tendent les relations internationales. Pour beaucoup d’intellectuels, le conflit n’est pas une surprise, mais ils considèrent cette guerre comme juste car défensive.

C’est ainsi qu’une querelle, d’apparence locale, est rapidement devenue mondiale. Et a fait plus de 18 millions de morts et 20 millions de blessés.


lundi 19 novembre 2018

#ChallengeAZ : P comme photo

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Je possède une seule photo de Jean-François datant de cette période de guerre. Très abîmée, je l’ai restaurée comme j’ai pu.

Jean-François Borrat-Michaud entouré de sa famille © Coll. personnelle

Il figure entouré de sa famille : 
- sa demi-sœur Félicie, seule rescapée de deux paires de jumelles nées en 1881 et 1889 de père(s) inconnu(s) ; 
- son autre sœur Marie-Louise née un an avant le mariage de ses parents (toutes deux légitimées lors dudit mariage) ; 
- ses parents Joseph et Adélaïde ; 
- et un petit garçon, probablement Armand, mais qui reste entouré de mystère – frère ou neveu ? - (qui fera très certainement l’objet d’un billet un jour prochain). 

Quand aux deux sœurs, je ne sais pas laquelle est laquelle mais je dirais que Félicie est à droite sur la photo et Marie-Louise à gauche : mes retouches ne sont pas parfaites mais je pense que celle de gauche ressemble davantage à Jean-François.

Jean-François est au centre, en haut de la photo. Il est habillé en costume de Chasseur alpin (pour en savoir plus, voir la lettre C) : il porte la "tarte" sur la tête, la vareuse dont le col est marqué du corps de chasse, symbole des chasseurs, et son numéro de bataillon, le 51ème. Le reste du costume n’est pas identifiable compte tenu de sa position au milieu de sa fratrie et des couleurs assez sombres du cliché.

Cette photo n’est pas datée, mais en la regardant attentivement, et notamment le col de sa vareuse, on peut émettre certaines hypothèses. En effet, celui-ci est  frappé du cor de chasse et du numéro de bataillon auquel il appartient, le tout surmonté de pattes losangées ornées de deux soutaches (galon étroit et plat, à deux côtes).

Grâce à ce numéro 51, marquant son affectation au 51ème Bataillon de Chasseurs Alpins, on peut émettre une fourchette de temps pendant laquelle cette photo a dû être prise ; c'est-à-dire entre le 9 septembre 1916 et le 10 juillet 1918. Le fait qu’il soit entouré de sa famille signifie sans doute qu’il a eu une permission durant cette période, qu’il soit retourné dans son foyer et pris le cliché à cette occasion. C’est quasiment la seule preuve tangible qu’il a bien eu une permission pendant la guerre (même si on peut supposer qu’il en ait eu plusieurs) car je n’en ai nulle trace par ailleurs - hormis une mention "post conflit" en août 1919 (car à cette époque il est toujours sous les drapeaux : pour en savoir plus à ce sujet voir la lettre U). 

On ne voit pas ses bras, sur lesquels devraient être cousues des brisques [*] : un chevron sur le bras gauche pour un an au front (les 6 mois suivant ne sont pas comptabilisés car il les a passés à l’arrière en hospitalisation), puis 4 autres pour les 2 ans passés aux armées (la 5ème  devrait logiquement lui être donnée en septembre 1918, époque postérieure à la photo puisqu’il aura alors changé de bataillon). Et une autre brisque sur le bras droit pour blessure de guerre.

Enfin, on remarque qu’il arbore la croix de guerre à son revers; distinction lui qui a été attribuée par ordre général n°167 signé du 18 août 1917. Le petit éclat plus clair sur le ruban correspond à l’étoile de bronze qui lui a été accordée en même temps (voir la lettre M pour en savoir plus). La photo est donc forcément postérieure au mois d'août 1917 et antérieure à juillet 1918.

Enfin, est-ce qu’il porte, à côté de la croix de guerre, une barrette dixmude [*] ? Hélas la photo est trop sombre pour pouvoir le dire.

Néanmoins je ne peux pas préciser davantage la date de la photo : j’ignore combien de temps s’est écoulé entre la signature de l’ordre lui attribuant la croix de guerre (le 18 août 1917 donc) et quand il l’a reçue réellement, physiquement. D’autant plus qu’entre novembre 1917 et avril 1918 il était en Italie (voir la lettre I) : a-t-il eu une permission depuis le front italien ?

J’ai tenté de me baser sur les vêtements, pour avoir au moins une idée de la saison, mais autant les robes des filles peuvent paraître légère (pour la Haute-Savoie), autant les manteaux des parents semblent plus chauds. Quand au vêtement du jeune homme, difficile de trancher : on dirait une vague « copie » de vareuse militaire… ou peut-être était-ce le genre de vêtement qu’on portait à l’époque, tout simplement. C'est, par ailleurs, la seule photo de la famille que je possède et la seule de Jean-François en uniforme militaire.


[*] Pour en savoir plus sur la définition de ce mot, rendez-vous sur la page du lexique de généalogie sur ce blog.


samedi 17 novembre 2018

#ChallengeAZ : O comme ordres

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Après avoir suivi pas à pas mon arrière-grand-père pendant toute la guerre, après avoir compulsé tous ces documents donnant un aperçu de ce que cela pouvait être (et un sans doute un faible aperçu), je me pose souvent la question suivante : comment ces hommes pouvaient-ils obéir aux ordres 

Lorsqu’on est monté une fois au front, baïonnette au canon, traversant le no man’s land dans un déluge de feu, de flamme, de terre, sous le vacarme des bombardements, les corps déchiquetés des camarades, pour des charges totalement inutiles ; comment pouvaient-ils y retourner ?

Bien sûr il y a la hiérarchie militaire : les ordres sont les ordres. Mais quelques mois auparavant ces hommes, à peine sortis de l’enfance pour certains, n’étaient que de simple paysans, artisans ou ouvriers. Ce n’étaient pas des militaires de carrière. Et s’ils croyaient à la défense de la Patrie lorsqu’ils ont été appelés, qu’en était-il au bout de quatre ans de tueries où chaque mètre carré de terrain pris un jour tombait le lendemain, au prix d’une terrible boucherie ?

Sous les drapeaux, toute désobéissance est soumise au code de justice militaire. Celui-ci, daté de 1857 (et amendé en 1875) définit les délits et peines encourus. La justice militaire est alors indépendante de la justice civile. La procédure des conseils de guerre est simplifiée par rapport à ceux tenus en temps de paix : seulement cinq juges et les accusés peuvent être traduits devant les conseils de guerre dans un délai de vingt-quatre heures et sans instruction préalable. 

Mais la nature particulière du conflit entraîne toutefois rapidement un durcissement des modalités d’action de la justice militaire : les sentences de mort peuvent être appliquées sans attendre l’avis du Président de la République, puis des conseils de guerre spéciaux à trois juges sont institués pour juger, suivant une procédure simplifiée et sans possibilité de recours, les auteurs de crimes pris en flagrant délit.


Conseil de guerre © guerre1418.org

Es-ce que les voix pacifistes, comme celle de Romain Rolland dénonçant l'absurdité de toutes les guerre qui emporte la jeunesse (dans le texte "Au-dessus de la mêlée"), ont eu un écho jusque dans les tranchées ? L'exceptionnelle trêve de Noël 1914 n'aura pas de seconde chance. D'autant plus que le choix est terrible : se mutiner, refuser de retourner se faire massacrer aux tranchées, c'est laisser les Allemands avancer et prendre le pays. Par ailleurs, à une époque où parler de paix était synonyme de défaitisme et de trahison, ne pas obéir aux ordres c'est la mort.

Pourtant certains soldats se sont quand même rebellés. Mais ils ont été fusillés pour l’exemple aussitôt ; de peur que la rébellion se propage sans doute. Mais l’exemple a-t-il servi ? Jean-François a été témoin, au cours de sa première année de combat, d’un événement de ce type : le soldat Marsaleix, ayant abandonné son poste le 21 octobre 1915 au matin, une compagnie s’est lancée à ses trousses, le soupçonnant de vouloir passer à l’ennemi. Était-ce véritablement son intention ? Surpris par une des sentinelles du bataillon, il l’a tuée à bout portant de deux coups de fusil. Réflexe ? Peur ? Intention de donner la mort ? Finalement pris en fin d’après-midi un conseil de guerre se réuni à 23h et le condamne à mort : il est exécuté à 7h30 le lendemain matin. Ayant devancé l’appel, il n’avait pas encore fêté ses 19 ans. Sans doute était-il simplement terrorisé. 


Extrait dossier et fiche du soldat Marsaleix © Mémoire des Hommes

Sans parler d’acte aussi terribles, j’ai « vu » mon arrière-grand-père faire de longues marches, voire des déplacements motorisés de plus d’une centaine de kilomètres, être au repos deux jours et revenir à son point de départ. Quel est le but de ce type d’ordre ? Bien sûr il me manque sans doute des éléments pour comprendre de telles décisions, mais quel est l’intérêt ?

Et je ne parle pas de ceux qui étaient rétifs à tout ordre ou discipline dans la vie civile : pour eux, l’ordre militaire est compliqué à subir et absences, ivresses, bagarres sont courantes… et les punitions leurs lots quotidiens.

Je ne suis pas militaire et n’ai pas connu de conflit armé, mais mes lectures sur la Grande Guerre ont renforcé, s’il en était besoin, le profond respect et le courage qu’ont eu ces hommes d’obéir aux ordres qu’on leur donnait… quels qu’ils soient.


vendredi 16 novembre 2018

#ChallengeAZ : N comme numéros

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Dans le parcours de Jean-François on trouve beaucoup de numéros (ou pas) :
  • Sur sa fiche matricule :
- le numéro matricule du recrutement : le n°1822

Extrait fiche matricule © AD74

- l'année de naissance : 1894.
- le numéro d’inscription dans la liste cantonale du conseil de révision (pour en savoir plus, voir la lettre R) : Jean-François Borrat-Michaud est inscrit sous le n°3 de la liste du canton de Samoëns (depuis 1905 le recensement est basé sur l’ordre alphabétique des conscrits : avec un patronyme commençant par B il est logique que son numéro soit proche du 1), puis classé dans la 1ère partie de la liste en 1914 (donc classé bon pour le service armé).
- le degré d’instruction : il est théoriquement évalué lors du recensement ou peut être renseigné par le maire ou le représentant de l'homme. Mais cette case n’est pas toujours renseignée : cela dépend à la fois de la rigueur du secrétaire et de la présence de la recrue. En l’occurrence, ici elle ne l’est pas.
- le poids et la taille : même remarque que ci-dessus. On peut supposer que les détails non renseignés sur la fiche de Jean-François le sont car il est classé « Bon absent » (pour en savoir plus, voir lettre R), c'est-à-dire non présent au conseil de révision ; ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il réside à Paris alors qu’il est recensé militairement selon son domicile en Haute-Savoie (pour en savoir plus, voir la lettre E).
- les corps d’affectation : les numéros des bataillons sont inscrits au fur et à mesure de ses affectations (pour en savoir plus, voir la lettre B) : 97, 23, 51, 54, 81, 84, 154, 114, 27.
- 10% : c’est la proposition du taux de pension temporaire proposé par la commission de réforme en 1936 pour Jean-François, en raison de la blessure reçue en 1916 (pour en savoir plus, voir la lettre K). On notera que la décision de ladite commission n’est pas inscrite.
- les dates de ses différents domiciles : en 1919, 1928, 1935.
- les dates de ses citations et blessures : 1917, 1916.
- les dates détaillées de sa campagne contre l’Allemagne, de 1914 à 1919.
- les dates des grandes batailles auxquelles il a participé, bien sûr.
- les 7 dates des rencontres avec les grands hommes (militaires et civiles) de son temps :
Le 11 février 1915, en tenue de campagne complète, son bataillon est réuni dans la cour de l’usine de Wesserling où il est en cantonnement pour être passé en revue par le Président de la République, M. Poincaré, le Ministre de la Guerre, M. Millerand et plusieurs hauts gradés, dont le Général de Division.
Le 1er mars 1917 le bataillon défile devant le Général Deveney commandant de la VIIème Armée.
Le 20 juin 1917 visite du Général Pellé commandant le Vème Corps d’Armée.
Le 19 août 1917 le Général Pétain et le Général Pershing, commandant les troupes américaines en France, passent en revue les chasseurs alpins de la 47e DI.
Le 25 octobre 1917 la compagnie de Jean-François représente le 51ème Bataillon lors de la revue passée par le Général Gouraud près de Somme-Suippe.
Le 6 novembre 1917, le bataillon défile devant le général Dillemann à Peschiera en Italie, derrière lequel il a fait son entrée en ville.
Le 19 janvier 1918 le Général Fayolle, commandant supérieur des Forces Françaises en Italie, passe en revue le bataillon, à Cartigliano. Il donne lecture de la citation à l’ordre de l’armée du 51ème et décore son fanion.

Il a raté la visite du Roi d’Angleterre sur le front français en 1915, mais on a lu à son bataillon le message qu’il a adressé aux armées à cette occasion (Ordre général n°44 du 30 octobre 1915). De même que le roi d’Italie, qui passe en revue le Bataillon le 10 mars 1918, suite à la victoire du Monte Tomba, puisqu’il est alors hospitalisé.


jeudi 15 novembre 2018

#ChallengeAZ : M comme médaille et citations

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La bravoure et le courage des Chasseurs Alpins ont été reconnues et récompensées à plusieurs reprises pendant toute la durée du conflit ; que ce soit à titre personnel ou pour distinguer l’ensemble du Bataillon. Au fur et à mesure des affectations de Jean-François, voici les principales récompenses, félicitations et citations :

  • Croix de guerre :
Sur sa fiche matricule, comme sur son acte de mariage, il est mentionné que Jean-François a reçu la croix de guerre. La « croix de guerre est une décoration militaire attribuée pour récompenser l'octroi d'une citation par le commandement militaire pour conduite exceptionnelle » au cours du conflit. Celle de Jean-François fait suite à la citation n°167 d’août 1917 figurant sur la fiche de matricule militaire (cf. plus bas).
La croix de guerre vient renforcer, physiquement si l’on peut dire, les citations à l’ordre du jour qui existaient déjà, mais qui n’étaient que des mentions administratives, une ligne sur un papier. En 1915, la création de la croix de guerre est instituée officiellement. Elle est composée d’une croix de bronze clair, à quatre branches, due au sculpteur Paul-Albert Bartholomé, de 37 mm, et deux épées croisées. Le centre représente une tête de République au bonnet phrygien ornée d'une couronne de lauriers avec en exergue « République française ». Elle est suspendue à un ruban vert (couleur de l’espérance) et de fines rayures rouges (évoquant le sang versé). Elle vise « à récompenser les belles actions » commises durant le conflit.
La fiche matricule précise : « croix de guerre, étoile de bronze ». En effet, le ruban peut comporter une ou plusieurs étoiles et/ou palmes, en fonction du nombre de citations et de son degré d’importance (régiment, division, armée). Sa « couleur » (bronze, argent, vermeil) désigne le degré de la citation : l’étoile de bronze reçue par Jean-François est le symbole d’une citation à l'ordre du régiment ou de la brigade.


Croix de guerre © militaria-medailles.fr

  • Citations et félicitations :
Les JMO (pour en savoir plus, voir la lettre J) sont émaillés d’ordres de bataillon, faisant état de citations ou de félicitations mettant en valeur « le courage, les actions héroïques et la belle attitude au feu des Chasseurs ». En voici quelques exemples :

- 6/9 mars 1915 – 23ème BCA – Attaque du Reichakerkopf :
En trois jours de combats (victorieux), le Bataillon perd plus de la moitié de son effectif, dont presque tout ses gradés et en particulier son commandant.
Ordre de Bataillon n°9 : félicitations.
« Vous avez répondu admirablement à l’appel que vous faisait votre chef de Bataillon le 21 février 1915 […].
Le magnifique élan de votre assaut, la résistance opiniâtre que vous avez opposée, sur la position conquise, aux efforts puissants et sans cesse renouvelés de l’ennemi, sont des faits glorieux dont le Bataillon a le droit de s’enorgueillir.
Je  fais des vœux pour le rétablissement de tous ceux qui ont été blessés en faisant bravement leur devoir […].
Gardons pieusement à cœur, avec le désir de les venger, le souvenir de tous nos camarades tombés dans cette gloire.
N’oublions pas que demain exigera encore de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices ; que la victoire est faite non seulement des assauts brillamment emportés, mais de l’effort patient, rude, ininterrompu, pour surmonter les fatigues, les privations et les dangers journaliers, et qu’elle restera en définitive à celui qui aura tout supporté résolument avec le plus d’endurance, d’énergie et de cœur.
Au Gaschney le 9 mars 1915, le Capitaine Commandant provisoirement le Bataillon, signé : Vergez »

- Juin 1915 – 23ème BCA – Bataille de Metzeral :
Ordre de bataillon n°57 : félicitations.
«  Tous les disparus du 15 juin ont été retrouvés morts à leur poste d’honneur, prouvant une fois de plus qu’au 23ème on ne se rend jamais !
On sait faire son devoir jusqu’au bout. […]
Soyez fiers de votre succès.
 Tous vos chefs sont fiers de vous et la Patrie sera contente ! […]
Signé le Chef de Bataillon Rosset. »

Ordre général n°32 de la VIIème Armée du 9 juillet 1915 : est cité le 23ème Bataillon de Chasseurs car il « a fait preuve d’une vaillance et d’une énergie au-dessus de tout éloge, en enlevant une position très solidement organisée dans laquelle l’ennemi se considérait comme inexpugnable, d’après les déclarations mêmes des officiers prisonniers, lui a fait subir des pertes considérables et malgré un bombardement des plus violents, n’a cessé de progresser pendant plusieurs journées consécutives pour élargir sa conquête. »

Ordre spécial 23ème BCA, 1915 © alpins.fr

- le 18 août 1917 :
Citation à l’ordre de bataillon n°167 : pour la première fois Jean-François est nommé lors d’une citation en tant que « bon chasseur, brave et courageux, a été blessé à Metzeral le 28 janvier 1916 en faisant bravement son devoir. » (pour en savoir plus sur cette blessure, voir la lettre K).
Cette citation apparaît sur sa fiche de matricule militaire ainsi que dans le JMO du Bataillon (bien que celui-ci ne détaille pas l’ordre de citation).

- le 30 décembre 1917 – 51ème BCA – Monte Tomba/Italie :
Comme le 23ème BCA, le 51ème reçoit l’une des distinctions les plus importantes, sans doute, reçues lors du conflit : la citation à l’ordre de l’armée. Celle-ci fait suite aux violents combats qui ont abouti à la prise du Monte Tomba en Italie le 30 décembre 1917. La Citation elle-même est datée du 18 janvier 1918 et lecture en est faite au Bataillon le 1er février.
Ordre de la Xe Armée n°325. « Le Général commandant la Xe Armée cite à l’ordre de l’armée le 51e Bataillon de Chasseurs : après être venus s’installer en face de l’ennemi sur une position difficile qu’il a dû organiser sous un bombardement violent et continu, s’est élancé brillamment à l’attaque sous les ordres du Commandant de Fabry Fabrègues, le 30 décembre 1917. A enlevé tous ses objectifs, faisant 550 prisonniers, prenant 2 canons, 4 mortiers, 16 mitrailleuses et un matériel important. QG, le 18 janvier 1918, le Général commandant la Xe Armée,  signé Maistre »

Citation à l’ordre de la Xème Armée © Coll. personnelle

Dans les archives familiales, c’est le seul document militaire que nous avons pu conserver. Outre la citation ci-dessus, il y est attesté que Jean-François comptait bien à l’effectif au moment de ces attaques.

 - le 30 septembre 1918 – 54ème BCA – Somme :
Le 54ème BCA de Jean-François reçoit une citation à l’ordre de l’Armée (Ordre de la Ière Armée n°137) : les trois bataillons de Chasseurs auxquels Jean-François a été affecté durant la guerre ont donc tous reçu cette distinction.


mercredi 14 novembre 2018

#ChallengeAZ : L comme Le Linge

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Au printemps 1915 la 47ème Division est stationnée dans la vallée de Munster avec comme objectif final de reprendre l’Alsace, alors sous domination allemande depuis 1871 (comme évoqué dans la lettre K). Munster est une petite ville nichée dans la vallée de la Fecht,  débouchant à l’Est à Colmar et barrée à l’Ouest par les hauts sommets de la crête des Vosges. La ville comptait près de 6 000 habitants en 1910 (et seulement 4 000 en 1921). Du fait de sa position géographique, les Vosges se sont retrouvés, bon gré mal gré, frontière entre les deux belligérants de la Première Guerre Mondiale : les combats se sont concentrés sur la ligne de crêtes et les sommets ou les cols stratégiques du massif vosgien.

Le Linge, comme l'Hartmannswillerkopf, furent tous les deux des champs de bataille résultant d'une conception tactique dite "manœuvre de débordement par les hauts", chère aux théoriciens du Haut Commandement des années 1914. Une telle manœuvre par le haut n'est valable que dans la mesure où elle bénéficie exceptionnellement d'un rapide effet de surprise. Elle est inopérante, si elle se transforme en opération lente, de longue haleine, prévisible par l'ennemi organisé et retranché alors sur des positions fortes.

Le but immédiat, en cette fin juillet 1915, est de s’emparer de Munster en agissant donc par les sommets, d’une part sur le front Eichwald-Reichackerkopf, et d’autre part avec la 129ème Division qui attaquera sur la ligne de front Lingekopf-Barrenkopf, en vue de descendre ensuite sur Munster.
La bataille du Linge est en fait un ensemble de combats concentrés sur les sommets vosgiens. Ainsi, quittant le Braunkopf  où il était positionné, le 23ème Bataillons de Chasseurs (celui de Jean-François) vient en soutient sur le massif du Reichakerkopf et contribue de leurs positions à inquiéter l’ennemi et à lui faire craindre une attaque éventuelle sur Muhlbach. 

Vers midi, le 19 juillet 1915, l’attaque s’étant déclenchée un feu d’une extrême violence part des tranchées du 23ème Bataillon dans les directions données. En effet, pour mener à bien la prise de Munster décidé par l’État Major français, il faut préalablement prendre les sommets dominant le cirque au fond duquel est blottie la ville. Sommets que les Allemands ont fortifiés par un réseau de tranchées bétonnées, fortins et abris.

Le 20 juillet le 23ème BCA coopère à l’attaque dans les mêmes conditions que la veille. Les combats sont d’une extrême violence. Des vagues d’assaut, on discerne à peine les soldats qui chargent, à bout de souffle, dans des pentes abruptes sous un bombardement infernal. Elles sont criblées de balles dès qu’elles débouchent et viennent mourir, mitraillées à bout portant, devant d’infranchissables réseaux de barbelés et des blockhaus bétonnés, où les attendent les corps des cisailleurs tués. Des monceaux de morts gisant mêlés aux blessés entre les lignes.

Le Linge © linge1915.com

Les combats vont ainsi se succéder pendant plusieurs jours. Entre deux bombardements, les soldats tentent de redresser les tranchées éboulées. Le 23 juillet les Chasseurs partis à l'assaut en quatre vagues le 20 juillet sont repoussés dans leurs tranchées. Retour à la case départ. Le Lingekopf est repris par les Allemands. Le 26 juillet, nouvelle action limitée au Linge, sous un méthodique feu roulant de l'artillerie et des conditions météo rendant la tâche encore plus ardue (brume, pluie, boue) : la crête est conquise mais au prix de lourdes pertes.  

Dans la nuit du 26 au 27 juillet, trois assauts de contre-attaques allemandes sont repoussés. Les combats n’ont pas cessé avec le lever du jour. Les Français sont obligés d’abandonner le Barrenkopf, trop exposé. Mais Joffre n'entend pas rester sur cet échec : il ordonne la reprise de la crête coûte que coûte. Les chasseurs repartent. La lutte est dantesque, souvent au corps à corps. Entre les lignes, les cadavres s'amoncellent.

Le 29 juillet, nouvel assaut des armées françaises, mais le sommet du Linge est toujours tenu par les Allemands. Début août les bombardements allemands sont d'une violence inouïe : 40 000 obus ont été lancés sur un front de 3 km, ensevelissant morts et vivants. Les chasseurs s'épuisent.
Le 5 août, assauts et contre-attaques de part et d'autre. Le sommet du Linge change plusieurs fois de main. Le 23ème BCA est finalement relevé et retourne à l’arrière. 

Mais l’histoire n’est pas finie : devant les contre-attaques allemandes, Joffre décide d’une nouvelle offensive, tout en refusant des renforts supplémentaires. Le 12 août le Bataillon reçoit l’ordre d’aller relever dans la nuit le 12ème BCA au Barrenkopf. Attaques et contre-attaques s’y sont heurtées sans arrêt depuis plusieurs semaines. Et le feu ne faiblit pas : le premier jour Jean-François perd 10 hommes de sa compagnie. Les tranchées sont gravement endommagées, malgré les travaux de réparations effectués à la hâte, le séjour est pénible, les communications difficiles.

Le 17 août l’artillerie française inonde littéralement les positions ennemies. C’est un vacarme ininterrompu. Cette action d’artillerie devait servir de prélude à une attaque au Lingekopf. Après la terrifiante canonnade des blockhaus allemands ébranlés mais non démolis partirent des feux nourris qui prouvèrent que la garnison avait été épargnée par les obus. L’attaque fut donc remise. Le lendemain le 23ème a pour mission de s’emparer d’un blockhaus ennemi situé sur la crête du Linge et, si possible, gagner le sommet du Barrenkopf. Les objectifs sont atteints. On envisage de pousser l’avantage, mais malgré des débuts brillants, la situation vire au médiocre. 

Les tranchées sont si proches que, le 23 août, les Français doivent évacuer leurs propres lignes pour éviter le tir de leurs obus visant les lignes adverses ! Après l’artillerie, une nouvelle charge, baïonnette au canon, est effectuée. Comme les jours précédents, si les troupes atteignent le sommet, elles doivent finalement abandonner le terrain et revenir dans leurs tranchées de départ en fin de journée. Puis c’est la grande contre-offensive allemande, qui lance notamment des obus à gaz. Le yo-yo attaques/contre-attaques, succès/échecs continue ainsi jusqu’en octobre. L’ultime attaque allemande sera repoussée le 16 octobre.
Finalement, le front se fige et s'éteint au collet du Linge (ou col du Linge). Chacun s'organise défensivement : coups de main ou duels d'artillerie d'intensité variable. Français et Allemands y restèrent face à face jusqu'au 11 novembre 1918 !

Les maigres résultats acquis au Linge furent sans commune mesure avec les pertes subies : 10 000 morts de juillet à octobre 1915 (côté français), 17 bataillons de Chasseurs engagés connurent jusqu'à 80% de pertes. C’est ce qui lui valu le terrible surnom de « tombeau des Chasseurs ».
C’est là un (terrible) exemple d’une bataille ordinaire – si l’on peut dire – de la Première Guerre Mondiale ordonnée par un État-major inconscient (incompétent ?) et qui coûta la vie à tant de braves soldats… pour rien.


mardi 13 novembre 2018

#ChallengeAZ : K comme Kiosque (Le)

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Le Kiosque c’est le nom du lieu où Jean-François a probablement cru mourir. En fait il n'a été "que" gravement blessé.
Depuis un an, c'est-à-dire sa première affectation, Jean-François combat au sein du 23ème BCA (pour plus de détails, voir la lettre B), dans « l’armée des Vosges ». Début décembre 1915, il est de retour sur la ligne de front près de Metzeral (il y avait déjà combattu en juin). Du 15 au 24 juin 1915, en effet les combat détruisirent quasi-intégralement la vallée de Munster (près de Colmar) où se trouve la ville de Metzeral et saigna les armées: 5 000 à 7 000 morts français et autant du côté allemand. L’enjeu était de reprendre l’Alsace, alors allemande, comme la Moselle, depuis 1871 (voir la lettre L).
En décembre 1915, l’ennemi est si proche que l’on peut le distinguer à l’œil nu : ainsi le 10 décembre on peut lire dans le JMO (voir la lettre J) : « Un Boche très jeune portant une casquette a été tué sur le parapet de la tranchée ennemie. » ou le 22 : « On voit se croiser environ 2 sections, probablement en cours de relève. ».


Extrait carte d'état-major Metzeral/Le Kiosque © AD68

Jean-François est basé dans les tranchées du Kiosque, situées au Nord Est de Metzeral. Il subit plusieurs bombardement, comme le 13 décembre : « l’ennemi envoie sur nos tranchées environ 25 bombes et une dizaine d’obus. Deux Chasseurs [sont] blessés par éclat d’obus ». Le largage de bombes (obus de gros et petits calibres) est quotidien, mais le bataillon subit aussi des attaques à la grenade ou à la mitrailleuse. Les tranchées subissent de nombreux dégâts. Ces tirs de harcèlement ont lieu indifféremment dans la journée (matin, après-midi, soirée)  mais également la nuit. Le JMO fait état de pertes régulières parmi les Chasseurs, qu’ils soient blessés ou tués.

Le 28 janvier 1916, l’ennemi envoie dans la journée une trentaine d’obus de 105 sur les tranchées du 23ème. Jean-François en recevra un éclat, lui provoquant une « plaie pénétrante dans la région claviculaire gauche sans lésion osseuse ». Il est évacué pour faire soigner sa blessure.
A la date du 28 janvier figure dans le JMO, après le détail des combats du jour, la mention suivante : « Pertes : 1 Chasseur tué par grenade à fusil, 1 Chasseur blessé ». Si son nom n’est pas mentionné, je suppose qu’il s’agit là de mon arrière-grand-père (peut-être).

Grâce au SAMHA (Service des Archives Médicales et Hospitalières des Armées), j’ai retrouvé la trace de Jean-François après sa blessure. Je sais qu’il a été transporté par l’ambulance alpine n°2/64. Celle-ci est stationnée dans la mairie-école de Mittlach, à quelques kilomètres de Metzeral. Ce que le service des armées nomme « ambulance alpine » est un poste de secours qui accueille une cinquantaine de médecins, infirmiers, brancardiers… Bref un hôpital de campagne (l’utilisation du terme ambulance pour définir le véhicule d’évacuation n’est que plus tardive). Le massif des Vosges en comptera 6 au total. Initialement conçu comme un lieu d’accueil des blessés venant du front, il a pour fonction de les trier, de remettre sur pieds ceux qui peuvent l’être et de stabiliser les plus gravement touchés avant de les transférer vers les hôpitaux de campagne situés à l’arrière.
Toutefois, en raison des conditions climatiques, notamment en hiver, le rôle de l’ambulance va évoluer. En effet, les cols devenant impraticables à cause de la neige, il est impossible de transférer les blessés. Les soins et les traitements sont donc administrés parfois directement sur place. A Mittlach, suite à de très violents bombardements et à la destruction partielle des parties hautes de la mairie-école, l’ambulance s’est retranchée au sous-sol du bâtiment. Elle a aussi installé des infrastructures creusées dans le sol alentour. Elle fonctionnera pendant toute la guerre.
Extrait du registre des carnets de passage et entrées de l'ambulance alpine n°2/64 © SAMHA

Finalement Jean-François est évacué dès le 29 janvier par l’ambulance 2/58. Cependant, il disparaît ensuite des radars : le SAMHA n’a pas pu le suivre davantage et ignore vers quel hôpital à l’arrière il a été emmené et soigné. 

Quoi qu’il en soit, cette blessure devait être sérieuse car il est resté éloigné du front jusqu’au mois de juillet. Par ailleurs, une pension à hauteur de 10% sera proposée en sa faveur après la guerre, suite à cette blessure. Néanmoins elle ne l’handicapera pas profondément puisque, à court terme, il revient se battre sur le front, et à plus long terme il exercera les professions de camionneur (années 1920) et de déménageur (1934).