« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 24 novembre 2025

U comme union à retardement

Sur les pas de Cécile

 

    Louis Prosper est le fils aîné de Cécile (enfin, le deuxième, mais le premier n’a vécu que 5 ans, donc le deuxième est devenu le premier, vous suivez ?). Il est né en 1877 à Beaufort en Vallée (Maine et Loire) où son paternel était en garnison (voir la lettre G de ce ChallengeAZ si vous vous rappelez pas). Il fait partie des rares enfants qui a été élevé par ses parents et non par un autre membre de la famille (voir la lettre P. Faut suivre, hein, sinon on s'en sort pas.). Il avait les cheveux et sourcils bruns, les yeux gris (perso je trouve ça un peu bizarre cette couleur, mais bon), le visage ovale, le front découvert, le nez et la bouche moyens et mesurait 1,68 m sous la toise. Niveau cervelle, il savait lire et compter, c’était déjà pas si mal pour l’époque. Pas un lettré, mais pas un perdreau non plus. Et il a attendu ses 37 ans pour se marier, dans des conditions un peu particulières. Je vous raconte ça tout de suite !

 

Mariage particulier ©  Création personnelle d'après Bing

 

    À 20 ans, il est scieur de long à Angers. Il demeure toujours chez ses vieux. Comme tous les jeunes gars de son âge, c’est l’heure de la griffe : lors de l’appel militaire, il est désigné « bon dispensé, selon l'article 21 car aîné de 7 enfants ». Ouais, ça c’était un motif valable pour échapper à ses classes à l’époque. Il est encore mineur, travaille et est considéré comme soutien de famille.

    L’année suivante, la situation de Louis est révisée, comme tous les ans dans ces cas-là : devenu majeur, la dispense est annulée. Il est appelé et incorpore aussi sec le 85ème RI à compter du 14 novembre 1898. Il doit user son matricule, pas l’choix. Mais en tant qu’ancien dispensé, il fait un service actif en caserne réduit (une pige seulement). Il sort de là rapidos et il est versé dans la disponibilité. Il peut donc rentrer chez lui, mais reste à la « disponibilité » de l'armée, au cas où... Après ça, il passe dans dans la réserve, en 1901, où normalement il devrait être peinard et ne plus revoir les bidasses.

 

    Un fois son devoir accompli, il se trouve une petite chérie à cajoler. Elle se nomme Augustine Anastasie Garivet. Ancienne couturière elle est, en 1901, devenue ouvrière. Trois ans de plus que lui, elle a déjà un peu roulé sa bosse. Elle a surtout été mariée en 1892 avec un certain Pierre Fauveau, un propriétaire angevin de 5 ans son aîné. Les deux années qui ont suivi ce mariage, elle lui a pondu deux loupiots au gars, Pierre et Augustine (vous remarquerez au passage la super originalité des prénoms, les parents ne se sont pas foulés le ciboulot !) nés à Angers et Paris. Mais y a de l’eau dans le gaz : le type s’est tiré (déjà, lors de la naissance de sa fille il est dit absent). Il s’est fait représentant de commerce et il a carrément abandonné la pauvre Augustine et ses deux minots rentrés à Angers. 

    Pourtant quand le divorce est prononcé en 1897, c’est à ses torts à elle. C'est le pompon ! Pourquoi ? Parce que la « défenderesse est défaillante faute d’avoir constitué avoué » et est, je cite, « demeurant à Angers, faubourg St Michel 96, ci-devant et actuellement sans domicile ni résidence connus ». Alors là, j’ai beau me faire une revue de détail, je n’y entrave que pouic ! Demeure au faubourg ou demeure pas ? Bon, OK dans le recensement de 1896 on ne la trouve pas à cette adresse (ce sont ses parents qui y habitent). Mais cette phrase est chelou quand même. Bon, en tout cas, ils divorcent. Lorsque leur fille se marie en 1915 le père est dit « disparu de son domicile depuis 20 ans ainsi qu'il résulte d'un acte de notoriété dressé par M. le juge de paix du canton Nord Est d’Angers » (donc, depuis que sa fille est née, en gros). En fait, il n’est pas disparu pour tout le monde : il est en banlieue parisienne, où il se remarie en 1916, re-divorce en 1920 et se re-remarie en 1921. Mais avec sa première famille il a tiré le rideau, fermez le ban y’a plus rien à voir.

 

    En 1901 notre Augustine s'est installée avec Louis à Angers. Le recensement la note comme épouse, mais là, y’a baleine sous le caillou : ils sont pas mariés. Soit l’agent recenseur avait trop levé le coude, soit le couple a un peu enjolivé la réalité. Ils vivent seuls : les gosses d'Augustine ne sont pas là. J’ai fini par débusquer la gamine chez ses grands-parents maternels mais pas de trace du gamin (ils ont alors 8 et 7 ans). Finalement, je le retrouve plus tard, mais c'est dans de tristes circonstances : en 1910 il casse sa pipe alors qu'il était domestique à Saint Sylvain d’Anjou (49). Un destin tragique pour le petit.

    En 1911 rebelote : le couple demeure désormais à Ivry mais sont encore dits mariés – alors que non, toujours pas. Quel micmac familial.

 

    Alors que Louis pensait avoir rangé définitivement son fafiot (livret militaire), voilà qu’un péquin de base a décidé d’assassiner un archiduc à l’autre bout de l’Europe !

    Le premier août 1914, c'est le grand branle-bas de combat : la mobilisation générale. Louis, qui est passé dans la réserve en 1901, puis dans la territoriale en 1911, est rappelé à l’activité. Il a 37 ans, une paille pour un jeunot, mais un âge respectable pour un vieux de la vieille. Considéré comme trop âgé pour intégrer l’armée active, il est versé au 11e Régiment Territorial d'Infanterie, où il arrive dès le 6 août, puis ça sera le 296e Régiment d’Infanterie en 1916, et le 109e Régiment d’Artillerie Lourde en 1918. Les territoriaux, c'était pas les têtes brûlées de la première ligne pendant la Première Guerre Mondiale : leur mission principale était la garde des voies de communication (gares, routes, ponts), la surveillance, et les travaux de défense (tranchées, fortifications). Moins glamour que de charger la baïonnette au canon, mais tout aussi essentiel pour que la machine de guerre tourne bien. Et sans doute un peu moins risqué. 

    Sa fiche indique qu’il a fait campagne contre l’Allemagne (aux armées dès le 7 août jusqu’en septembre 1915, à l’intérieur jusqu’en novembre 1916 puis de nouveau aux armées jusqu’en janvier 1919). Un parcours de combattant de l'arrière, parfois envoyé dans des zones proches du front, sans le panache des héros de Verdun, mais avec la sueur et la poussière des travaux forcés. Il a dû en voir des vertes et des pas mûres, même s'il était pas dans l'active.

 

    Et là, 25 jours après le début de la guerre, alors qu’il vient d'être mobilisé, il décide soudain de passer la bague au doigt de la femme avec laquelle il vit depuis une quinzaine d’années. Il bénéficie d’une permission expresse pour revenir à Ivry se maquer avec sa meuf. Simple, efficace, à la bonne franquette. Pas de contrat de mariage, juste deux cœurs et une signature.

    Pourquoi ce mariage soudain ? Je suis dans ce qu’on appelle l’expectative. C’est un patelin où il ne fait pas bon s’éterniser, vu le prix de la taxe de séjour. Un mariage juste après la mobilisation ? Ah ben voilà une question qui trotte dans la caboche des petits malins et des âmes sensibles ! Y en a toujours pour se dire : « Tiens, il a dû se marier pour pas partir au casse-pipe, le bougre ! » Une combine, une entourloupe, un plan foireux pour échapper à la grande boucherie… Alors oui, avant, dans certains cas, les types pouvaient être dispensés s’ils étaient seuls soutiens d’une famille nombreuse, de vieux parents ou d’une veuve. Mais en 1914, avec la mobilisation générale, c’est clair comme de l’eau de roche : tout le monde au front ! Marié, célibataire, veuf, père de dix marmots ou même futur papa — pas de jaloux, tous logés à la même enseigne. Et de toute façon, ce n’est pas de cas de Louis : il n'en n'a pas des minots à lui. 

    Faut dire que certains ont quand même essayé de gruger le système : certificats médicaux bidons, faux dossiers, mariages arrangés… des petits malins, y en a toujours eu. Mais c’était marginal et illégal, et souvent, ça finissait mal. On rigole pas avec la patrie en danger, même si l'envie est grande de se tirer de ce merdier ! Dans la mémoire collective, des récits de mariage au moment de la mobilisation ont parfois été enjolivés ou transformés en stratégies d’évitement du front. Des légendes familiales qui sentent bon le mensonge pieux. Mais contrairement à certaines idées reçues ou à des légendes familiales, se marier n'était pas une solution pour éviter le service militaire. C'était même parfois le contraire : un dernier baiser avant d'aller au casse-pipe, histoire de laisser un souvenir à la future veuve.

    Ce n’est donc pas pour se défiler que Louis officialise sa situation. P’têt ben que c’était tout l'inverse : pour la mettre à l’abri, au cas où il reviendrait pas du champ d’horreur, vous voyez ? Un geste du cœur. Officialiser la situation, lui donner un statut légal, pour la protéger. Un dernier acte d’amour avant de monter dans le train pour l’inconnu. Vaux mieux être veuve de guerre que fille perdue. Je jette ma langue aux chiens, mais j’en sais pas plus.

    Vu les âges respectables des « jeunes mariés » (lui 37, elle 40), ils n’ont pas eu de descendance. Mais Louis est resté proche de sa belle-fille, qui est demeuré dans le même immeuble même après son mariage et dont il a déclaré la naissance du premier-né.

 

 

 

 

samedi 22 novembre 2025

T comme transmission de rien

Sur les pas de Cécile

 

    C’est con, j’aurais bien aimé trouver le testament de Cécile (voir la lettre D de ce ChallengeAZ) pour voir comment elle a distribué ses dernières (maigres) possessions. Mais elle a cassé sa pipe sans même me dire où elle l’avait rangé. Résultat : ni tabac, ni testament. Juste l’odeur du silence. En même temps, question patrimoine on repassera : elle avait si peu de choses, que le bureau de l’enregistrement lui a collé la mention « Pas de fiche » ! Elle devait être si fauchée que si elle avait eu des puces elles l’auraient probablement quittée pour aller s’installer sur un type solvable.

    Dire qu’elle était née dans un château (un peu par hasard, il est vrai, mais quand même). À la fin de sa vie elle avait tellement rien que le vent, chez elle, entrait sans frapper.

    Du coup, j’ai rien à dire aujourd’hui. Nan, j’déconne. Je vais vous causer de l’enregistrement.


Bureau de l'enregistrement © Création personnelle d'après Bing

 

    L’enregistrement ? Votre cervelet émet du point d’interrogation à la cadence où les usines Ford débitent des bagnoles ? Calmez-vous, je vais vous éclairer. L’enregistrement, c’est pas un vieux vinyle, hein, c’est le petit nom de l’administration qui palpe un peu de flouze à chaque fois que les actes juridiques sont transcrits sur un registre public (ce qui est obligatoire). Mariage, héritage, procès, tout y passe. Au départ, c’était surtout pour donner une valeur légale aux papiers, mais très vite, le côté « ça rapporte du blé » a pris le dessus.

    Les tables de successions et absences sont des papelards qu’on trouve à partir de 1825. En général ils sont classés aux archives dans une série qui porte le nom choupinou de 3 Q. Derrière ce nom de code un peu coquin se cachent de vrais trésors pour les fouineurs de familles.

    Pour faire plus simple, et pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, ces archives permettent de fliquer les successions. Y est noté chaque décès survenu dans le territoire couvert par un « bureau d’enregistrement » (zone proche de nos cantons actuels). Que t’aies laissé un magot, trois casseroles ou juste des dettes, tu y passes. Pas d’exception, tu y es répertorié !

    Bon, les tables de successions, comme leur nom l'indique, c'est juste des tables, pas les dossiers complets. Donc si votre ancêtre possédait quelque chose, faudra aller voir plus loin dans les registres de succession, dans un deuxième temps, pour en avoir le détail. Les tables sont classées par lettres alphabétiques puis par date d’enregistrement du décès. Le défunt est recensé dans le bureau dont dépend la commune où il créchait et/ou il a cané. Sur la page de gauche des tables, on trouve les infos de base : le nom, le prénom, la date et le lieu du décès (super pratique quand on ne sait pas exactement où sont décédés ses ascendants), l’âge, le conjoint éventuel, la résidence. Puis sur la page de droite, c’est le menu du jour : date et numéro de succession (s’il y a des biens à transmettre), parfois une petite description des biens transmis, les héritiers et d’autres mentions éventuelles comme un testament ou s’il y a des biens dans un autre bureau. Un vrai CV post-mortem.

    Avant 1825, c’était un peu le bazar. Il y avait plusieurs sortes de tables indiquant les dates de déclaration de succession : tables des successions acquittées, tables des mutations arrivées par succession collatérale, et tout le tremblement. Quand t’as pas ça (elles n’ont pas toujours été conservées) on peut fouiller dans les tables des testaments ou des donations à cause de mort. En clair, les ancêtres laissaient des miettes partout, faut juste savoir où chercher.

    À partir de 1866, l’administration se dit qu’il serait temps d’arrêter le foutoir. Du coup, elle met un peu d’ordre : on garde toujours le nom du défunt et le lieu de décès, mais on ajoute plein de colonnes pour noter tout ce qui s’est passé après sa mort : scellés, inventaire, tutelle, vente de meubles, etc. Au bout de la ligne, t’as la partie succession avec date, héritiers, observations… Bref, le résumé de la vie d’un mort bien administré.

    Mais des fois, votre ancêtre nageait dans la misère. Les héritiers pouvaient se brosser et en étaient pour leurs frais (sans mauvais jeu de mot). Dans ce cas, l’administration notait un « pas de bien » ou « pas de fiche ». Comme ça arrivait souvent, et que l’administration n’est jamais à court d’idée, elle a fait éditer un tampon spécial avec les mentions « pas d’actif » ou « S.B.M. » (nom de code qui signifie « Sans Bien Meuble »), pour éviter d’avoir à l’écrire sans cesse. La preuve que même la bureaucratie avait le sens de l'économie, surtout quand il s'agissait de constater la pauvreté !

    Donc, pour Cécile la table indique « pas de fiche ». C’était une pauvre fleur de misère. La pauvresse ne possédait rien : elle n’était pas propriétaire (elle vivait chez sa fille au moment de son décès, vous vous souvenez ?), n'avait pas de meubles. Bon, elle devait avoir quelques fringues quand même (elle n’allait pas cul nu, on est d’accord ?), un ou deux bijoux peut-être (une alliance au moins ?) mais cela ne devait rien valoir. En tout cas, pas suffisamment pour donner lieu à un inventaire ou à des frais de succession. En même temps heureusement, parce que chez les héritiers c’était pas le Pérou non plus, donc si on peut éviter de payer pour recevoir presque rien, c’est tant mieux.

    Et devinez quoi, son époux décédé en 1914 n’avait rien non plus. Que dalle. Il a fini dans un cercueil plus neuf que ses chaussures. Comme quoi la mort, des fois, c’est l’unique occasion d’avoir du bois de qualité. Sur sa fiche y’a pas plus d’info que d’intelligence dans les yeux d’une poule. Tellement rien que le fonctionnaire enregistrant son décès n’a même pas pris la peine d’écrire la mention « pas de fiche » ! C’est pas très sympa quand même, même pour un mort sans le sou.

    Il faut bien me rendre à l’évidence ce couple c’était un peu Jo le clodo. Ça devait pas être la teuf tous les jours, ça c’est sûr. Quand je pense à leur situation, je me sens aussi déprimée qu’un cachet d’aspirine dans un verre d’eau chaude. Mais je les aime quand même.

 

 

 

 

vendredi 21 novembre 2025

S comme stèle fugace

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile a avalé son bulletin de naissance, rayée de l’état civil, doucement, sans râler, à 13h50 le lundi 8 février 1937, en son domicile du 5 de la rue Sthrau, Paris 13ème. Elle était âgée de 79 ans. Son acte de décès a été dressé le lendemain à la mairie dudit arrondissement, sur la déclaration de Gaston Raveneau, son petit-fils âgé de 21 ans, maçon, qui demeure à la même adresse (avec sa mère Marie, alors veuve, et 3 de ses frères et sœurs). J’ai pas de détail sur les causes du décès, mais quand elle a claqué, j’espère que ça a été rapide. Le genre de truc qui surprend même le cœur. Pas une longue agonie à base de yaourts tièdes et d’infirmières qui sourient par contrat. Elle est morte comme elle a vécu : en silence et sans faire chier personne.

    La veuve Astié née Rols a été inhumée le mercredi 10 février, comme l’indique le répertoire annuel d'inhumation du cimetière de Thiais (Val de Marne). 

 

Enterrement © Création personnelle d'après Bing 

 

    Le cimetière de Thiais fait partie des six piaules à macchabées parisiennes appartenant et gérées par la Ville de Paris situés en dehors de la capitale, sur le territoire d'autres communes (avec St Ouen, Ivry, Pantin, Bagneux et La Chapelle). Avec ses 103 hectares, répartis sur 130 divisions, le cimetière parisien de Thiais, c’est pas de la petite pelouse de quartier, hein. C’est carrément le deuxième plus grand cimetière des 20 nécropoles gérées par la Ville, juste derrière Pantin. On parle de 150 000 sépultures, plantées au milieu de 6 000 arbres — érables, tilleuls, cerisiers et compagnie. Un vrai poumon vert, planqué loin du vacarme des voitures et du tintamarre de la ville. Et en plus, c’est un coin sacrément cosmopolite : t’as de tout là-dedans — cathos, protestants, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes… Un vrai conseil des religions sous la pelouse. Ouvert en octobre 1929, à l’emplacement d’une ancienne garenne, c'est aussi le plus récent des cimetières de la capitale.

    Creusons un peu le sujet, sans mauvais jeu de mot. Au début, les Parisiens, ils crevaient et hop, direction le petit cimetière, juste derrière l’église de la paroisse. Et des églises paroissiales, il y en avait plein dans la capitale. Donc plein de cimetières aussi, vous pigez ? À la fin du XVIIIème siècle, les hygiénistes ont commencé à dire : « Bon, là, faut arrêter de vivre et mourir au même endroit. ». Résultat : on ferme les vieux cimetières dégueus, surchargés et insalubres, de même que le grand cimetière des Innocents, situé en plein cœur de la capitale. On transfère les ossements dans les catacombes et on crée trois grandes nécropoles, bien à l’extérieur : le Père-Lachaise (1804), Montparnasse (1824) et Montmartre (1825).

    En 1860, Paris s'agrandit, annexe les communes périphériques et, paf, récupère tous ces cimetières, ainsi que ceux des douze villages de Belleville, Charonne, Bercy, Auteuil et compagnie. D'autres cimetières proches des portes de Paris sont également ouverts entre 1860 et 1929.

    Mais comme la population explose et que tout le monde veut sa petite concession perso, ben, la Ville se retrouve à court de place. Du coup, elle ouvre des cimetières extra-muros. C’est comme ça qu’est né celui de Thiais.

    Au cas où vous vous poseriez la question pour vous-mêmes, je vous explique comment que ça marche le truc des concessions, parce que c’est tout un bazar ! Les personnes ou leurs ayants droit qui veulent s’offrir un bout de terrain pour l’éternité (ou presque), ont la possibilité d’acheter une concession funéraire. Elles sont attribuées en fonction des disponibilités de chaque cimetière. Il y en a plusieurs sortes : 10 ans, 30 ans, 50 ans, ou perpétuelle. Et si t'as pris 10 ans et que t’as envie de rempiler, tu peux. Tu peux aussi les rétrocéder, mais pas question de refourguer le terrain à quelqu’un avec une construction dessus en encore moins tant qu’il reste un macchabée dessous ! Faut rendre le carré vide de tout locataire, si tu vois ce que je veux dire.

    Et puis, c’est pas open bar non plus. T’as pas le droit d’y enterrer n’importe qui. Seuls le concessionnaire, son conjoint, ses parents, ou ses gosses peuvent y finir leur sieste éternelle. Bon, à la rigueur, un ami très cher, avec lequel t'avais un lien particulier d’affection ou de reconnaissance, mais pas la belle-sœur du cousin de la concierge, faut pas pousser mémé dans la tombe.

    En raison de sa destination particulière, la concession funéraire c'est hors commerce. Tu peux pas la vendre comme un appart. Mais elle peut se transmettre, par voie de succession, au sein de la famille. Tu peux même la donner, à condition qu’elle n’ait pas encore servi. Mais faut passer par un notaire, c’est pas le genre de paperasse qu’on règle au comptoir.

    De son vivant, le concessionnaire est le seul autorisé à rempiler et renouveler son contrat de concession funéraire. Si le concessionnaire est décédé, leur ayants droits doivent justifier de leurs liens familiaux pour pouvoir le faire. Une vraie affaire de famille, même après la mort !

    La sépulture de Cécile était située 65e division, 10e ligne, au n°29. Je parle au passé, car elle a été « reprise » comme l’indique le registre journalier dudit cimetière. 

    Les sépultures, ces petits bouts de terrain où l'on dépose nos macchabées, sont la propriété privée des familles. Mais elles retombent dans le domaine public municipal à leur échéance, si elles sont de durée limitée et si elles ne sont pas renouvelées. Et c'est le cas d'office si on voit que la tombe a carrément été abandonnée (monument délabré, envahis de ronces et de lézards, qui présente un risque pour les tombes avoisinantes, etc…), même si sa concession était perpétuelle ou centenaire. La « reprise » signifie que la mairie reprend possession de la parcelle de terrain communal. C’était le cas de Cécile : une concession trentenaire, qui n’a pas été renouvelée. Du coup, je peux toujours me radiner au cimetière avec mon bouquet, sûre qu’elle n’y sera plus. Son petit coin de terre a été réattribué. Elle qu'a passé sa vie à déménager, ben dans la mort aussi elle a dû changer de thurne ! Heureusement son souvenir, lui, est dans nos cœurs, pas sous un bout de marbre.

    Quand la mairie reprend, tout doit être enlevé  : monuments, ouvrages, pardessus en planches avec ou sans poignées en métal argenté, signes funéraires et objets divers. Le caveau, s’il en existe un, peut être démoli. Fini le palace souterrain ! Les restes mortels, provenant des concessions perpétuelles et centenaires abandonnées et reprises, sont placés dans des reliquaires et sont soit conservés dans un ossuaire spécial, soit incinérés et déposés dans l’ossuaire du Père Lachaise. Leurs noms sont notés dans un registre, consultable par tout le monde.

 

    Bon, OK, c’était pas jouasse cet article et on n'a pas eu la rate qui se dilate aujourd'hui. Mais la mort ça fait aussi partie de la vie. J’espère que les détails vous aurons pas fait avaler votre chique. Merci au passage de m’avoir lue jusqu’au bout. Pour ça, vous irez sans doute au paradis, ou au moins dans un cimetière bien entretenu.