Sur les pas de Cécile
Cécile remise son fiacre en 1937, à l'âge respectable de 79 ans. Depuis une demi-douzaine d’années elle demeurait rue Sthrau (Paris 13ème), chez sa fille Marie. C’est bien pratique les filles quand on est âgée. Elles permettent d’entretenir nos vieux jours, une sorte de plan B quand le corps lâche et que les économies font la grève. N’oublions pas que dans la deuxième moitié du XIXème, on commençait à trimer à 8 ans parfois (puis un peu plus tard quand l’école devient obligatoire jusqu’à 13 ans en 1882), pendant 12 à 15 heures par jours (limité à 8 heures en 1919), sans repos (le repos dominical supprimé en 1880 n’est rétabli qu’en 1906) ni vacances. Jusqu’à la mort.
Contrairement à son mari Augustin (mort en 1914) qui était encore journalier à 62 ans, Cécile était sans profession au moment de son décès. Comment fait-on quand on est âgée et sans revenu ?
C’est bien joli la vieillesse, ce grand port où on amarre son rafiot après une vie de tempête (et quelques accalmies, faut espérer), mais on ne peut pas vivre que d’amour et d’eau fraîche. Les pensions de retraite ça n’a pas toujours existé ! Même si c’est sans doute plus ancien qu’on ne le pense, du moins pour certaines professions. Allez, je vous convoque pour un petit topo sur les retraites, histoire de vous cultiver un peu : Colbert a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673 en instituant la Caisse des Invalides de la Marine Royale, ancêtre de tous les régimes de retraite français. Un bon début, pour les loups de mer. Ensuite, d’autres régimes de retraite ont été mis en place, pour des métiers particuliers : la première caisse de retraite des fonctionnaires de l’État a été mise en place en 1790 avec un départ en retraite à l’âge de 60 ans, après 30 ans de service.
Avec la révolution industrielle et le développement du salariat ouvrier se mettent en place des caisses de prévoyance privées, à gestion ouvrière, patronale ou mutualiste. Un peu de solidarité, histoire de ne pas crever la dalle une fois usé par le travail. C’est ensuite la création des pensions militaires (1831), des mineurs (1894), des cheminots (1909), etc… D’ailleurs, ces catégories forment encore les régimes dits « spéciaux ».
En 1910 une première loi sur les retraites des ouvriers et paysans est votée, prévoyant le versement d’une pension à partir de 65 piges… Pour des travailleurs qui claquaient souvent avant 60. Oups. Autant dire que c’était la retraite... posthume. En plus c’est un système de retraite par capitalisation (par prélèvement sur le salaire) mais le niveau de vie misérable des ouvriers ne les incite pas à cotiser pour leurs éventuels vieux jours. Difficile de penser à demain quand on crève la dalle aujourd'hui. La retraite c’est cette période bénie où t’as enfin le temps de vivre, mais plus les genoux pour courir après.
Faut attendre 1928 pour qu’on se décide à faire un vrai système complet d’assurances sociales — maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès — mais seulement pour les salariés de l’industrie et du commerce. Et encore, on avait qu’un demi-siècle de retard sur les Allemands, qui avaient déjà tout ça depuis 1881. Pas pressés, les Français, hein.
En 1941, on crée une allocation aux vieux travailleurs salariés, l'ancêtre du fameux minimum vieillesse (institué en 1956), qui existe encore de nos jours. Un truc qui aurait sans doute bien arrangé Cécile, mais créé une dizaine d’années trop tard pour elle. Le destin est farceur, parfois.
Et puis là, arrive le grand chambardement : répondant aux objectifs sociaux du programme du Conseil national de la Résistance, les ordonnances d'octobre 1945 créent la Sécurité sociale. C’est la naissance du régime général, unifié et universel. Le truc qui change tout. Cette fois, ça fonctionne par répartition : les cotisations des actifs servent à financer les pensions des retraités de la même année, tout en créant des droits pour leur future retraite. L’âge légal de départ à la retraite est fixé à 65 ans. Une vraie révolution, pour des millions de travailleurs qui, pour la première fois, pouvaient rêver de vieillir sans crever de faim !
Par la suite, confronté au vieillissement de la population, le système de retraite fait l'objet de nombreuses réformes : durée de cotisation, âge de départ, catégories de métiers... (et quelques chose me dit que c'est pas fini...). Il y en a beaucoup, vraiment beaucoup, mais j’ai la flemme de vous les lister toutes alors si le sujet vous passionne absolument, rendez-vous sur Google.
Quoi qu'il en soit, ce droit à la retraite, ce système de protection, est arrivé trop tard pour Cécile. Elle n'aura jamais pu en profiter. Une vie de labeur, sans la douceur des vieux jours assurés.

C'est sûr qu'à l'époque ce sont simplement les enfants qui assuraient la retraite de leurs parents. J'ai plusieurs cas de rentes mises en place pour la fin de vie de mes ancêtres au moment des partages et donations anticipées.
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