« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 5 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre E

 CHAPITRE E

"Épousailles..."

 

Tigeaux, samedi 27 octobre 1900 


« L’an mil neuf cent le dimanche vingt et un octobre, nous Stephen Klein Maire et officier de l’état civil de la commune de Tigeaux, après nous être transporté devant la porte de la maison commune à l’heure de neuf heure du matin, avons publié pour la seconde fois les promesses de mariage enregistrées le Dimanche précédent à la porte de la Mairie pendant les huit jours d’intervalle entre le sieur Macréau Henri, manouvrier demeurant dans la présente commune fils majeur de Macréau Théodore Louis Léon, charretier et de Gibert Marie Louise son épouse, sans profession, tous deux domiciliés dans la présente commune. Et Demoiselle Le Floch Ursule Marie Mathurine, cuisinière, domiciliée à Tigeaux, fille majeure de Le Floch Vincent Marie, cultivateur et de Galerne Marie Mathurine son épouse sans profession, demeurant à Loudéac (Côtes du Nord). De quoi nous avons dressé le présent acte de cette publication et nous en avons affiché de suite un extrait à la porte de la maison commune. Signé Stephen Klein » 

Presque une semaine s’était écoulée depuis la publication des bans. Il faisait encore assez beau ce samedi de fin octobre. Si les températures avaient un peu fraîchi l’atmosphère on avait surtout craint une averse en milieu de matinée. Mais finalement un vent miséricordieux avait chassé les nuages inopportuns. La cérémonie de mariage avait eu lieu à la mairie vers 11h. 

A présent, Henri regardait les noceurs virevolter devant lui : Georges Thiberville avait mis à disposition la cour de son moulin. Tous les voisins et amis pouvaient y danser à l’envi et profiter de la fête. Son ami Léon Vautrain s’avança vers Henri et lui glissa, lèvres serrées :
- Tout de même, faire ça chez un meunier, y a pas idée ! 



Henri balaya la remarque d’un geste. Il ne voulait pas prendre partie dans cette antique querelle entre les gens de l’eau et ceux de la terre. Il ajouta tout de même, pour faire bonne mesure :
- C'est ton employeur, quand même, et c'est bien grâce à lui que tu manges non ?

Léon, haussant les épaules, s’éloigna en bougonnant tandis qu'Henri replongea dans ses pensées. 

La journée avait bien commencé : la bénédiction civile s’était donc déroulée en fin de matinée. Stephen Klein, le maire, avait procédé à la cérémonie. Il y eu juste un petit moment de cacophonie lorsque, lors de la présentation des pièces indispensables (en l’occurrence les extraits d’état civil), le maire s’était aperçu que sur son acte de naissance le patronyme d’Henri était orthographié Maquerau au lieu de Macréau, véritable orthographe de son nom. Ayant un doute légitime sur son identité, il avait déclaré que dans ces conditions il ne pouvait pas les marier. 

Des hauts cris avaient été poussés, protestant que le maire le connaissait bien, que c’était bien lui et qu’il n’y avait pas de doute à avoir. Finalement le premier magistrat avait accepté de terminer la cérémonie, mais tint absolument à mettre un mot à ce sujet dans l’acte de mariage qu’il rédigea lui-même. Maître brodeur dessinateur dans le civil, connu pour son perfectionnisme, le maire ne dérogea pas à sa réputation ce jour-là. 

Henri sourit à ce souvenir, mais sur le moment cela ne l’avait pas faire rire du tout. Peut-être raconterait-il cette anecdote lorsque, vieillard au coin du feu, il occuperait ses soirées à égayer celles de ses petits-enfants. Ses petits-enfants ! Il pensait déjà à eux alors qu’il était tout juste marié. Était-ce l’atmosphère de ce jour de fête qui le conduisait à penser ainsi ? Il faut dire qu’Ursule n’y était pas étrangère. A 26 ans révolus il était un peu tard pour prendre épouse. Et s’il était honnête avec lui-même il faut avouer qu’il n’y croyait plus vraiment. Il avait reporté toute son attention et ses efforts sur son travail. 

Mais lors d’une de ses tournées de livraison de tuiles Ursule et son doux regard étaient entrés dans sa vie. Aujourd'hui il ne regrettait pas son choix. Elle avait quelque chose de singulier qui le touchait particulièrement, bien qu’il soit incapable de le définir précisément. Une façon de se croire toujours en danger qui lui donnait envie de la protéger, de la prendre dans ses bras. Il aimait se laisser aller avec elle. Ce sentiment d’abandon et de partage était nouveau pour Henri, lui qui n’avait jamais eu qu’à se préoccuper que de lui-même.
- Et bien Henri ! Tu rêves ? Alexandre Petit, un charretier qui travaillait pour Abel Leblanc, le ramenait sur terre.
- Oui, je crois bien.
Il scruta l’assemblée et, perplexe, demanda :
- Tu n’as pas vu Ursule ?
Son épouse, en effet, n’était pas parmi les convives.
- Ah ! Le jeune marié ! Il a déjà perdu sa femme ! Eh ! Il va falloir la tenir mieux que ça sinon elle va t’échapper ! 

D’un sourire poli, Henri quitta son voisin avant que ses propos n’empirent et attirent l’attention générale, faisant déraper la conversation sur un terrain où il ne voulait pas aller. Mais où était Ursule ? Il ne la voyait nulle part. Cette petite réflexion anodine prononcée par Alexandre Petit faisait son chemin et Henri était de plus en plus exaspéré de ne pas trouver sa femme. Il fit le tour des danseurs, en vain. Il était maintenant tiraillé entre deux sentiments contradictoires : les devoirs qu’une épouse se devait de tenir en public et sa propre tendance à s’inquiéter pour sa jeune épouse. 

Henri espéra que tout allait bien : Marie Joseph, la sœur d’Ursule, lui avait dit ce matin combien elle regrettait que le mariage se déroule si loin de ses parents, restés là-bas, en Bretagne. Au moins, ils avaient approuvé l’union de leur fille, envoyant leur consentement dûment enregistré devant Me Davy, leur notaire à Loudéac. Mais ils n’avaient pas fait le déplacement, bien sûr, ni Marie Rose, la jumelle d’Ursule. Henri ne l’avait jamais rencontrée, mais Marie Joseph lui avait expliqué qu’enfants elles étaient très proches. Ursule n’avait rien dit de son absence, mais peut-être en portait-elle la blessure secrètement ?
- Albert ! T’as pas vu Ursule ? demanda-t-il le plus discrètement possible à son frère.
Celui-ci ne réfléchit qu’un instant avant de répondre :
- Oui, tout à l’heure je l’ai vu se diriger vers le moulin. 

Sans même penser à remercier son aîné, Henri se dirigea vers le moulin. L’inquiétude grandissait en lui. Sa mère lui reprochait toujours de s’inquiéter de tout mais il n’y pouvait rien, c’était plus fort que lui. Il aimait bien que tout soit à sa place et pouvait vite s’énerver si ce n’était pas le cas. Il entra dans le moulin. L’atmosphère se fit soudain plus silencieuse, contrastant avec le bruit de la musique et des pas cadencés des danseurs. Au début Henri n’entendit ni ne vit rien. Il allait ressortir lorsqu’un bruissement attira son attention. Il pénétra doucement plus avant dans le moulin. 

Là, près des meules, il vit Ursule et Georges. Celui-ci tenait les mains de la jeune femme entre les siennes et, son visage très près du sien, il lui murmurait quelque chose. Henri ne parvenait pas à distinguer ce qu’il lui disait. Il ne voyait pas davantage le visage de sa femme qui lui tournait le dos. Mais aucun signe, dans son attitude, ne lui indiquait qu’elle n’approuvait pas cette situation. La bienséance aurait voulu qu’elle s’éloigne de lui : ils étaient beaucoup trop proches. Non ! La bienséance aurait voulu qu’à aucun moment sa femme ne soit seule en compagnie d’un homme de huit ans son aîné ! 

Henri, envisageant immédiatement le pire, sentit le sang se retirer de son visage. Il fixait intensément cet homme qu’il n’avait rencontré qu’assez récemment. Il était de taille moyenne, le visage ovale marqué par ses yeux bleus perçants. De sa main droite mutilée (il lui manquait une partie de l’index) il effleurait les cheveux d’Ursule. Dire que cet homme était le témoin de son épouse ! Comment avait-il pu autoriser cela ? Quelle trahison ! Un meunier qui plus est ! Léon avait raison : tous de la mauvaise engeance ces hommes de l’eau ! Comment se faisait-il qu’il n’avait rien vu ? Que se passait-il entre eux ? Il se sentit soudain glacé. Est-ce que sa belle histoire allait se transformer en cauchemar ? Déjà ? 

De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête, toutes plus noires les unes que les autres. Il cherchait des signes qu’il n’avait pas vus, ressassant chaque instant où le nom de cet homme était venu dans la conversation : Ursule s’était-elle empourprée, avait-elle balbutié à son évocation, trahissant un trouble qui cachait un secret bien plus grave encore ? Jamais il n’avait remarqué cela. Sa femme pouvait-elle en fait se révéler une ignoble comédienne, qui l’avait dupé comme un enfant ? Avait-il été si naïf ? Il ne laisserait pas passer ça. Et certainement pas aujourd’hui. 

Cette journée qui avait soi-disant si bien commencé ! Sentant la colère l’envahir, il serra les poings. Il entra, fou de rage.   



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mercredi 4 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre D

CHAPITRE D

"Donc il s'appelait Alexandre..."

 

Donc il s’appelait Alexandre Brassade. Il venait de perdre son grand-père et avait vidé sa maison afin de la vendre. C’est à cette occasion qu’il avait trouvé les papiers concernant Henri Macréau. J’essayai de me concentrer mais je ne voyais toujours pas comment cela était possible. 

- Mais… Euh… Comment avez-vous pu trouver ces documents ?
- C’est simple : ils n’étaient pas cachés, juste dans la table de nuit de mon défunt grand-père.
- Oui, ça j’ai compris. Mais…
- Oh ! Je ne vous ai pas dit : sa maison se situe à Mortcerf, en Seine-et M…
- Ah ! Voilà ! 

Je savais qu’Henri avait habité cette localité de Seine-et-Marne, entre autres parmi de nombreux déménagements.
- Je comprends mieux maintenant ! expliquai-je. Enfin, pas comment votre grand-père a eu ces documents, mais au moins en habitant la même région ça donne une piste.
Alexandre acquiesça.
- Vous voulez que je vous envoie tous les documents ? demanda-t-il avec douceur.
- Oh ! oui !
Quelle question ! J’avais répondu instinctivement, mais je me rendis compte aussitôt de tout ce que cela impliquait.
- Il y en a beaucoup ?
- Une trentaine peut-être… 

Mince. Cela faisait un bon nombre quand même. Je redoutai un peu le contenu de ce paquet. Le cadeau allait-il se transformer en bombe ? Vu le contenu des premiers éléments envoyés, on pouvait le penser. Après un silence, j’ajoutai :
- Vous… Vous les avez lus ?
- … Oui. C’est pour ça que je vous ai demandé si vous les vouliez. Ça ne va peut-être pas vous plaire.
Je me fis philosophe :
- C’est ainsi avec les archives : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Comme dirait l’autre : « c’est comme une boîte de chocolats… » etc…

Nous nous accordâmes pour que les documents me soient envoyés par la Poste, afin que je puisse juger aussi des supports et avoir une vision globale des documents.
- Je n’aurai qu’une faveur, ajouta Alexandre. Si ce n’est pas trop abuser, j’aimerai pouvoir suivre moi aussi les découvertes que vous ferez car cette histoire m’a intriguée.
J’acceptai sans difficulté et raccrochai. Maintenant il ne me restait plus qu’à patienter avant de recevoir cet étrange colis.

Pour tromper le temps, je me penchais sur cette question de proximité géographique. Je compilai mes infos sur les adresses successives d’Henri, tout en les commentant pour Sosa, comme à mon habitude.
- Et bien ! En voilà des adresses : né à Meaux, marié à Tigeaux, ayant donné naissance à des enfants Tigeaux, Serris et Mortcerf.
Le tout se situait en Seine-et-Marne, dans un rayon de 30 km. Globalement il n’avait pas fait beaucoup de déplacements. Il me manquait encore son décès, mais cela me donnait une idée. 

Son épouse avait fait un peu plus de chemin : née dans les Côtes d’Armor et mariée à Tigeaux, soit environ 500 km.
- A la charnière du XIXème et du XXème, une Bretonne arrivée en Ile-de-France et exerçant le métier de cuisinière : il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’Ursule a fait partie de la vague d’émigration vers la capitale et sa région. 

Les Bretons, et en particulier ceux originaires des Côtes du Nord (aujourd’hui appelées Côtes d’Armor) comme Ursule, ont été nombreux à quitter leurs foyer dans l’espoir d’une vie meilleure. L’effondrement de l'industrie textile, jusque-là très importante avec en particulier le tissage du lin et du chanvre, entraîna la fermeture de nombreuses usines et ateliers familiaux. L’émigration de milliers de Bretons (et de Bretonnes car elles ont été plus nombreuses que les hommes) vers la capitale devint une nécessité car, sous la pression démographique, la terre natale ne fournissait plus de possibilité de travail. Fuyant la misère, ne possédant que la richesse de ses bras, les jeunes filles se faisaient bonnes, cuisinières, lingères… 

- Au mieux ! Les pauvres ! Un certain nombre ont fini sur le trottoir, dis-je à mon chat.
Celui-ci me regardait attentivement. Je crois qu’il aimait bien que je lui raconte des histoires d’ancêtres… Quand il n’avait pas décidé de dormir ! 

Était-ce pour éviter un trop grand décalage entre la vie urbaine, un mode de vie et une langue si différente de tout ce qu’elle avait connu jusque là qu’Ursule s’était installée dans une petite localité en Seine-et-Marne et non à Paris directement ?
- Impossible à savoir ! 

Une heureuse surprise vint pimenter mes recherches :
- Oh ! Oh ! Sosa ! Qu’avons-nous là ? Les archives de Seine-et-Marne ont mis en ligne quelques années supplémentaires de recensement. Et dire que je l’ignorai ! Mais c’est bien, ça ! 

Grâce à ces nouveautés en ligne, je pus affiner un peu le parcours d’Henri, sans que je ne puisse néanmoins l’amener jusqu’à son terme puisque j’ignorai toujours où et quand il était mort.
- Il n’est peut-être pas mort ! Hein, Sosa ? Cela lui ferait, voyons voir… 146 ans ! Bon, OK : il est mort. 

Mais où ? Si je savais déjà qu’il avait habité Mortcerf pendant plusieurs années, les recensements me permirent de déterminer qu’il avait beaucoup bougé dans la commune même car à chaque état de la population il changeait d’adresse : les Égyptes, les Vallées, rue des Vallées.
- Tiens ? Est-ce que la population augmentant, le village des Vallées est devenu la rue des Vallées, désormais partie intégrantes de Mortcerf ? Il faudrait que je creuse cette piste. 

Mais pas maintenant, mon chat ayant décidé que c’était l’heure du dîner, il me réclamait bruyamment sa pitance.
- OK ! OK ! On y va… De toute façon moi aussi j’ai faim. Je refermai le capot de mon ordinateur portable et me dirigeai vers la cuisine. D’un bond Sosa m’avait précédée. C’est souvent ainsi que se terminai mes recherches : par l’appel du ventre de Sosa. 



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mardi 3 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre C

CHAPITRE C

"Charretier : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête..."

 

« Charretier » : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête. Mon ancêtre Henri Macréau était charretier. Ça avait été mon premier réflexe : vérifier les infos que j’avais récoltées sur mon aïeul. Il avait vécu en Seine et Marne : né en 1874, marié avec le siècle. J’ignorais encore sa date de décès. Son épouse, Ursule Le Floch, était une Bretonne expatriée. Ensemble ils avaient eu une palanquée d’enfants. Finalement, je n’avais pas énormément d’informations sur eux. Je connaissais mieux leur futur gendre, Jean-François Borrat-Michaud, mon Poilu que j’avais suivi au jour le jour sur mon blog de 2014 à 2019 pour le Centenaire de la Première Guerre Mondiale.

Je n’avais jamais vu le visage d’Henri. Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Devant moi, sur l’écran de mon ordinateur, la carte d’identité de mon arrière-arrière-grand-père était ouverte. C’était le second document envoyé par mon mystérieux contact. Depuis sa photo, Henri me regardait fixement. Il semblait me supplier :
« - Viens tirer cette affaire au clair. Ne me laisse pas tomber. »

C’était sans doute mon imagination qui me jouait des tours, mais je ne parvenais pas à m’ôter cette idée de la tête.

Les doigts suspendus au-dessus de mon clavier, je n’hésitai qu’un bref instant avant de répondre au mail de mon interlocuteur inconnu. Le message fut court : « Pouvez-vous me donner davantage d’explications ??? »

En attendant la réponse, fébrile, je revenais vers la première pièce jointe du message. C’était un papier de couleur brunâtre, avec juste ces deux mots « macreau assassin ! ». L’écriture était malhabile… ou volontairement déformée. Peut-être écrite par la main gauche d’un droitier ? Des traces de petits trous étaient visibles, comme si le papier avait été épinglé à un autre. Y en avait-il d’autres dans le même genre ? J’eus un hoquet. Au bord de la nausée, je restai figée devant l’écran.

Devant mon immobilité et mon silence inhabituels Sosa vit se frotter contre mes jambes et leva la tête vers moi, les yeux grands ouverts, interrogateurs.
- Ça va Sosa, ça va… Du moins je crois…

D’une caresse sur la tête, je tentai d’apaiser l’inquiétude de mon chat. Longtemps, j’ai pensé que ma famille était de celles auxquelles il n’arrive jamais rien. Aujourd’hui les événements semblaient brutalement me prouver le contraire !

J’essayais de me changer les idées en me concentrant sur les faits déjà rassemblés. « Charretier ! Pense charretier ! » me répétais-je à haute voix comme un mantra protecteur.

En fait, en passant en revue tous les documents concernant Henri et ses proches, je m’aperçus que j’en savais un peu plus sur lui que je ne le croyais au début : enfant il avait été vacher (gardien d’un quelconque troupeau, sans doute, à l’heure où les plus aisés apprennent leurs lettres), puis manouvrier pendant une dizaine d’années. Et le fameux charretier. Seul détonnait un « marinier » isolé, en 1920, au beau milieu des 20 ans à travailler avec son attelage. Est-ce qu’il était passé des chemins de halage à la rivière ?

Un tour sur les sites spécialisés me confirmait ce que je soupçonnai : le charretier est celui (ou celle) qui conduit une charrette ou un chariot. Il se dit aussi de celui qui mène une charrue. Le marinier, quant à lui, est celui dont la profession est de conduire les bâtiments sur les rivières, les canaux navigables, les lacs. Dans ce coin de Seine-et-Marne on trouvait les deux en abondance.

Charretier. Marinier. Mais pas assassin !

Son père était aussi charretier : sans doute avait-il appris le métier auprès de lui. Il devait avoir pris la suite, dans une continuité de profession naturelle de père en fils, mais dans une commune voisine néanmoins. Peut-être pour ne pas lui faire concurrence ?


le charretier


Dans les recensements, un certain nombre de charretiers et de mariniers apparaissaient. Je cherchai donc à en savoir plus sur ces métiers si fréquents dans ce coin de Seine-et-Marne. C’était en fait une histoire ancienne, qui prenait ses racines sous le règne de François Ier, lorsque le Grand Morin, un des principaux affluents de la Marne, fit l’objet d’aménagements afin de rendre cette rivière navigable, entre Dammartin-sur-Tigeaux et jusqu’à la confluence avec la Marne. Une succession de barrages assurait de garder un débit constant sur la rivière, nécessaire à la navigation de bateaux de gabarit assez conséquents.

Un système ingénieux de pertuis permettait de franchir les nombreux moulins qui émaillaient la rivière. Ces pertuis étaient aussi appelés « portes à bateaux » ou « portes marinières » et étaient actionnés par les meuniers. Ce qui ne se fit pas toujours sans heurts, comme je l’appris en suivant le fil de mes lectures, car à cette occasion ils devaient mettre à l’arrêt les roues de leurs moulins. C’est sans doute ainsi que naquit les tensions ancestrales entre meuniers et mariniers.

C’était le flottage du bois qui occupait principalement cet acheminement batelier, avant que le développement industriel dans les années 1890 ne diversifie les cargaisons (briques, tuiles, chaux, lin…).

En parallèle de cette vie sur l’eau s’était développé le halage, méthode consistant à tirer un bateau depuis la rive avec une corde reliée au mât. Ce métier se faisait soit « à col d’homme », c’est alors le haleur qui tirait directement le bateau avec ses propres forces, soit avec un attelage de chevaux, d’ânes, ou de bœufs, quand le passage était suffisamment large. L’invention du bateau à moteur a fait tomber en désuétude ce métier si éprouvant.

A Tigeaux, où Henri et Ursule se sont mariés en 1900, il y avait un port assez important mais en 1906 un observateur de la France rurale et urbaine à la charnière du siècle le note « désert » (note).

Cette recherche inattendue m’avait fait découvrir une tradition inconnue, moi une fille de la terre. J’en remerciai le destin. Cela me permettait de mieux comprendre ma généalogie, de l’étoffer, lui donner chair.

Néanmoins, je n’oubliai pas mon objectif premier. Je ne cessai de jeter un œil sur la boîte mail, qui se relevait automatiquement à intervalle régulier. Jusqu’à présent elle demeurait vide. J’examinai à nouveau la carte d’identité d’Henri arrivée avec le premier mail. C’était toujours émouvant de se trouver face à ce genre de document.

Une sensation un peu étrange aussi : ce n’était qu’un document administratif, dénué de toute charge émotionnelle comme peuvent en avoir des photos ou de la correspondance privée. Mais lorsque c’est la seule source à notre disposition il prend un relief bien différent. Par ailleurs ce document quelconque en apparence, contenait tout de même l’identité (bien sûr) mais aussi une photo, une signature, une empreinte. Bref, une connexion directe avec mon ancêtre.

Tout à coup, je découvris au bas du document une mention que je n’avais pas l’habitude de voir sur ce type de pièces déjà en ma possession : le tampon « aryen ou non aryen». Les trois derniers mots avaient été rayés, adoubant mon ancêtre parmi la race des « vainqueurs ». Cela me faisait froid dans le dos, rien que de penser à cette période sombre de notre histoire.

Enfin la petite enveloppe notificative de ma messagerie virtuelle m’apporta la réponse de mon interlocuteur. Je fus quelque peut déçue par son caractère laconique (il faut dire que je n’avais pas été très prolixe non plus). Mais il y avait une ouverture : il me donnait son numéro de téléphone. Sans plus attendre, je le composai tout en mettant au point un bref laïus. En effet, je ne voulais paraître ni trop empressée d’en savoir plus sur cette affaire, ni trop brutale s’il s’avérait que, finalement, c’était bien un arnaqueur. Doué certes, mais arnaqueur quand même. Quand j’entendis le déclic de mon correspondant, je pris une grande inspiration et me lançai.

 

 

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lundi 2 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre B

CHAPITRE B

"Bien sûr j'aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu'il se passait n'était pas ordinaire..."

 

 

Bien sûr j’aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu’il se passait n’était pas ordinaire. Lorsque, au cœur de l’été, je déambulai dans la maison de famille d’Alexandre, en pays briard, guidée par la nostalgie, ignorant l’ombre menaçante. Cependant j’étais bien loin de me douter de ce qu’il allait m’arriver.


Mais au fond est-ce que tout cela n’avait pas commencé bien avant ? Quand, en début d’année, dans ma maison de Limoges, je reçu un message dont je me rappelle encore aujourd’hui chaque mot : « Bonjour, je suis en train de débarrasser la maison de mon grand-père suite à son décès et j’y ai trouvé des documents mentionnant votre famille Macréau ; je vous ai retrouvée après une recherche sur internet d’où est ressorti votre blog. Peut-on prendre contact pour en parler ? ».


En cet hiver 2020 j’avais décrété qu’il faisait trop froid pour sortir et je tentai de me distraire du long après-midi qui s’étirait dans la pénombre en me plongeant dans ma généalogie. A vrai dire j’y arrivai très bien - et très souvent : c’était mon péché mignon. Puisque la vie ne m'avait pas permis d'être généalogiste professionnelle, j'avais décidé d’être généalogiste amateur à plein temps ! Ce loisir m’absorbait toute entière. Je pouvais y passer des heures et des heures dans mon bureau, sur mon canapé ou aux archives, à éplucher des documents, classer des photos, débusquer un ancêtre. Lorsque j’avais un registre entre les mains j’étais hypnotisée par les images qui défilaient et les parcelles d’histoire qu’elles recelaient. Difficile alors de détourner mon attention dans ces cas-là !


Ce dimanche de janvier, comme souvent, j’avais réveillé mon ordinateur de son sommeil nocturne, accédant en un geste à l’ensemble des fichiers laissés ouverts la veille pour reprendre au plus vite le cours de mes investigations. Je n’éteignais jamais complètement mon ordinateur, c’était une habitude que j’avais prise sans même en avoir en conscience. Sur le fauteuil, Sosa, mon chat  blanc et noir, n’avait pas daigné se lever à mon arrivée.

- Bonjour Sosa !


chat de généalogiste

Source image

 

Le matou ouvrit finalement un œil… pour le refermer aussitôt. De toute évidence, ce n’était pas encore l’heure des croquettes. Cela ne servait donc à rien de se réveiller complètement. Mon chat ne se levait que pour les croquettes. A croire qu’il n’allait même pas jusqu’à sa litière. Comment se soulageait-il ? C’était un mystère pour moi. Je levai les yeux au ciel devant tant de fainéantise, mais il faut bien avouer que j’admirai secrètement sa vie de chat. Je m’installai confortablement à mon bureau et demandai à voix haute :

- Alors, où vont nous mener les recherches du jour ? 


En général je parlai au chat jusqu’au moment où, complètement absorbée par mes investigation je finissais par l’oublier. Dans le silence, il en profitait pour continuer sa sieste.

Sur mon bureau étaient éparpillés des dossiers, une boîte de photos, plusieurs listes de projets en cours. Parfois on pouvait voir un petit papier où j’avais griffonné « p17 ». Cela signifiait que je m’étais arrêtée à la page 17 d’un registre lors d’une recherche et que, sans doute, ayant rebondi sur autre chose j’avais stoppé là le cours de ma prospection. Le tout était de savoir de quel registre on parlait ! En général, quand le petit papier prenait la poussière depuis trop longtemps, je finissais par le jeter, vaguement honteuse de n’avoir pas fini ce que j’avais commencé. Peut-être qu’un jour, en arrivant à la page 17 d’un quelconque document, j’aurai un éclair de génie en me disant « c’était ici que je m’étais arrêtée ! ». On peut rêver.


Cette passion de la généalogie qui accaparait tous mes temps de loisir, c’est mon grand-père qui me l’avait transmise. Et je ne reprenais jamais mon travail de la veille sans avoir une pensée émue pour lui. Mon seul regret est qu’il n’était plus là pour partager mes découvertes, identifier des visages inconnus sur les photos anciennes ou me raconter des anecdotes familiales. 


Bref, ne sentant ni le froid ni la faim qui commençait à poindre, j’explorai avec gourmandise une époque révolue, un siècle passé - le XVIIIème si je me souviens bien - lorsqu’une notification retentit. Un mail venait perturber le siècle des Lumières !

- Parbleu ! Allons donc ! Qu’est-ce donc que cela mon ami ? Quel est le maraud, le faquin, qui ose troubler ainsi ma retraite ? Ah, ça ! J'enrage en vérité...

Bon, mon chat n’était pas sensible à la langue de Voltaire. Vaguement dépitée de mon insuccès, je cliquai sur la petite enveloppe qui clignotait sur mon écran.


« Bonjour, je suis en train de débarrasser la maison de mon grand-père suite à son décès et j’y ai trouvé des documents mentionnant votre famille Macréau ; je vous ai retrouvée après une recherche sur internet d’où est ressorti votre blog. Peut-on prendre contact pour en parler ? ».

Mon premier réflexe fut je jeter cet indésirable à la corbeille.

- Non mais ! Des arnaques du genre « j’ai trouvé un trésor, on peut en parler ? » merci bien ! Ils ne peuvent pas faire preuve d’un peu d’imagination, les escrocs ! pensai-je in petto.

Et puis quand même, à la réflexion, c’était curieux ce message qui mentionnait mon blog. Voilà un arnaqueur bien averti finalement.


Circonspect Sosa m’observait, sa tête majestueuse penchée de côté.

- Une maison familiale ? Des documents inédits ? Qu’en dis-tu Sosa ?

Rien en l’occurrence, mon chat de généalogiste (#chatdegenealogiste comme on dit sur les réseaux sociaux) ne disait rien. Je ne connaissais pas très bien cette branche de mon arbre : c’étaient les ascendants de mon grand-père maternel, que je n’avais pas connu. Ma grand-mère, sa veuve, n’avait jamais pu m’en parler. Je crois qu’elle n’appréciait pas beaucoup sa belle-famille. Ils constituaient une zone d’ombre énigmatique de notre histoire familiale que je ne cherchai ni à percer ni à comprendre. Cela ne me concernait pas. 


Mais de mon côté, comment aurai-je pu résister à cet appel, d’autant plus que le chemin était environné de ténèbres et de mystères ? Déjà je sentais mon regard qui louchait sur la boîte mail fermée : une énigme dormait là. Serais-je capable de l’y laisser ? Finalement, n’y tenant plus, je repris le mail et découvrit deux pièces jointes que je n’avais pas remarquées auparavant. J’ouvris la première et j’en restai stupéfaite.

- Nom de Dieu !

Cette fois, Sosa se réveilla tout à fait et se tourna vers moi.


C’est ce simple document joint au message qui emporta mon adhésion pleine et entière, en une fraction de seconde : sur l’ordinateur venait de s’afficher l’image d’un petit papier brun rectangulaire sur lequel figurait le nom  de mon arrière-arrière-grand-père accolé à cette mention « assassin ! ». 



 

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dimanche 1 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre A

CHAPITRE A

"Au petit matin de ce jour..."

 

carton de déménagement


Mortcerf (Seine et Marne), janvier 2020.


Au petit matin de ce jour froid de janvier débuta le tri dans la maison familiale.

Ils s’étaient réunis en pays briard, toute la famille, venant chacun d’horizons différents : Martine, l’aînée, venue des rives de la Méditerranée, Alain qui habitait dans les Alpes, Jacqueline la citadine jusqu’au bout des ongles et même Claude, l’ermite de la famille. Ensemble ils formaient le premier cercle, celui installé dans les fauteuils disposés autour de la table basse. Ils étaient les enfants du Grand-Père. Derrière eux, le deuxième cercle, les petits-enfants. Eux aussi avaient été saupoudrés un peu partout à travers le pays et se retrouvaient tous pour la première fois depuis longtemps. Alexandre faisait partie de ce groupe. Derrière eux jouaient les petiots du troisième cercle - l’avenir - indifférents aux causes réelles de la réunion familiale. 

Leur aïeul à tous, qu’ils surnommaient affectueusement « le Grand-Père » quelque soit la génération à laquelle ils appartenaient, était décédé quelques jours plus tôt. Ils étaient venus à la fois pour l’enterrement mais aussi pour trier et vider la maison du disparu. La mise en terre avait eu lieu la veille. Maintenant ils devaient régler le problème de la demeure familiale. De manière informelle ils s’étaient mis d’accord pour la vendre. Une fois débarrassée des meubles du Grand-Père, des travaux seraient engagés pour rafraîchir un peu cette demeure en pierre meulière qui était dans la famille depuis trois générations.

- Avant d’être mise en vente puisque personne n’est vraiment intéressé pour la reprendre et racheter leurs parts aux autres, n’est-ce pas ? demanda Martine.

Tout le monde manifesta son accord. Tout devait disparaître. Ou plus exactement tout devait être attribué. Chacun devrait coller un post-it avec son nom sur ce qu’il souhaitait emporter. S’il y avait plusieurs papiers collés, on se réunirait à nouveau et entamerait des pourparlers en vue d’une attribution définitive.

Ce « dernier tri » se faisait dans la bonne humeur et les couleurs des post-it, malgré le caractère un peu triste de la réunion. Il y avait beaucoup à jeter, mais certains voulaient garder aussi. Comme ils étaient de générations différentes, chacun y trouvait son intérêt : les jeunes, qui n’étaient pas encore en ménage, privilégiaient l’électroménager et les meubles pour s’installer ; les plus âgés, davantage portés sur la nostalgie, préféraient les souvenirs : vieilles photos, objets ayant une charge émotionnelle et familiale forte.

De temps en temps une dispute feutrée éclatait :
- Le lustre ? Tu veux prendre le lustre ? Ce truc ignoble qui ferait s’évanouir même les mouches ? interrogea Valérie, la compagne de David.
- Mais oui, il a quelque chose de beau. Il fait un peu ancien, je trouve.
- Un peu ? Tu rigoles ? On dirait qu’il est moyenâgeux !

Et dans ce terme inadapté (c’était juste un immense lustre qui avait pour seul tort d’être démodé) Valérie y mit tout son mépris. Puis tenta le tout pour le tout, l’argument qui tue :

- Je te préviens, moi vivante, ce machin ne franchira jamais la porte de ma maison !

Pivotant sur ses talons, elle mit fin à la conversation - une fin de non recevoir - et quitta le grand salon.

Dans la salle à manger, Lucas et Gabriel se tenaient en embuscade à l’abri du grand bahut. Gabriel pouffa de rire.
- Chut ! lui intima Lucas. Tu vas nous faire repérer !

Ils attendirent que Claude sorte de la pièce d’un pas traînant pour quitter leur cachette. Maintenant le plus dur restait à faire : échanger les post-it sans que personne ne s’en aperçoive. Dommage qu’ils soient trop petits pour atteindre le lustre de la pièce d’à côté, se dit Lucas qui avait lui aussi entendu la dispute. Quelle bonne blague cela aurait fait !

Ignorant les enfants, Solène se dirigea vers Alexandre une boîte à la main. C’était une boîte cartonnée épaisse de 3 cm environ. Le dessus était assez abîmé, indiquant que le contenu d’origine était composé de feuilles de couleurs, de format A4. Mais en l’ouvrant, l’intérieur révéla un tout autre contenu n’ayant rien à voir ; la boîte élimée avait été récupérée pour conserver un ensemble hétéroclite de documents.

- Tiens Alexandre, toi qui aime bien les vieux trucs : regarde donc si tu trouves ton bonheur là-dedans.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Alexandre.
- Je sais pas trop, répondit Solène.

Elle plaça la boîte rapportée de la chambre du défunt sur la table. Précautionneusement, Alexandre l’ouvrit et en sortit une liasse qu’il étala devant lui.

- J’ai trouvé ça dans sa table de nuit. Ça devait être important pour qu’il le garde-là, près de lui. Tu sais qu’il ne quittait presque plus son lit dans les derniers temps ?

Alexandre hocha la tête et porta son attention sur les papiers de différentes tailles qui étaient posés devant lui. Ils comprirent presque immédiatement qui ne s’agissait pas de documents ordinaires. Plusieurs cousins s’approchèrent et commencèrent aussi à examiner la trouvaille de Solène.

- Un trésor ?
- En me fiant à mon expérience, je peux dire que cela concerne une période ancienne. La Seconde Guerre Mondiale sans aucun doute.

Sur certains documents la langue allemande et la croix gammée vinrent confirmer cette hypothèse. Il y avait des coupures de journaux, des photographies et des feuillets manuscrits ou tapés à la machine. Certains portaient l’en-tête de la Préfecture du département, la Seine et Marne.  Mais les noms cités leurs étaient inconnus : Henri Macréau, Ursule Le Floch… Tout ça ne leur disait rien. La plupart, les jeunes surtout, se désintéressèrent vite de la trouvaille miraculeuse : plutôt qu’un trésor, c’était juste un tas de paperasses poussiéreuses. Aucun intérêt !

Solène resta néanmoins avec Alexandre : leur curiosité était piquée.
- Tu crois que ça peut être intéressant ? demanda-t-elle.
- Oh oui, sans doute : il suffit de chercher un peu… et d’écouter ce que ces gens ont à nous dire. En tout cas ça se passe bien par ici : regarde, il y a les villes de Tigeaux et Mortcerf qui sont citées.
- Oui, c’est vrai. Mais qui sont ces gens ?
- Je ne sais pas : allons faire un tour sur internet !

Les pouces agiles d'Alexandre pianotèrent sur son téléphone les noms de Macréau et Le Floch. Presque aussitôt son moteur de recherche afficha les premières réponses.

- Rien ne ressort vraiment du côté des archives apparemment…

Cependant parmi les résultats, tous avaient en commun un nom, une adresse sur le net, le blog Murmures d’ancêtres.

- Et bien c’est là qu’il faut se renseigner !


Vers le chapitre B ->


samedi 24 octobre 2020

#ChallengeAZ 2020 : Présentation

C'est bientôt l'heure du ChallengeAZ. Ce défi d'écriture se déroule sur un mois : tous les jours (hors dimanche*) un article est publié avec l'alphabet en fil rouge. Ainsi, le 1er jour du mois le premier article a pour sujet un mot commençant par la lettre A, puis le 2 un mot commençant par la lettre B, et ainsi de suite... 

 

Planning ChallengeAZ 2020
 

En cette année 2020 un peu particulière j'ai éprouvé le besoin d'évasion. Ce ChallengeAZ prendra donc le format... d'un polar ! Chaque jour un nouveau chapitre, qui suivra l'alphabet bien sûr; c'est pourquoi je vous invite à lire ce ChallengeAZ dans l'ordre ! 

Mais c'est aussi un projet global : c'est un projet d'écriture, avec les doubles codes du polar et du ChallengeAZ. C'est aussi un projet généalogique, bien sûr, et ce sera l'occasion d'explorer différentes sources généalogiques et tout ce qui permet d'étoffer son arbre. Enfin, c'est un projet graphique, depuis la conception du livre jusqu'au "dossier" au centre de l'affaire. En effet, je vais mettre à votre disposition cette pièce essentielle de l'histoire : ainsi vous pourrez jouer au détective et mener l'enquête de votre côté, si le cœur vous en dit.

Sans oublier le crime, évidemment.

Voici un aperçu et de quoi - j'espère - vous donner des envies de lecture... 



Cette histoire est basée sur des faits (presque tous) réels.

 

* Exceptionnellement le dimanche 1er novembre est inclus afin d'avoir nos 26 jours pour nos 26 lettres.

jeudi 1 octobre 2020

Le grenadier disparu

Noël Puissant naît en 1780 à Candé (Maine et Loire). Son père, Joseph, est concierge des prisons. Lui-même est tailleur d’habits. Lorsqu’il a 21 ans, il épouse Cécile Chaillou. Celle-ci a un enfant né de père inconnu l’année précédente… prénommé Noël. Est-ce que le père inconnu ne serait pas si inconnu que ça ? En effet, lors du mariage les deux jeunes mariés reconnaissent que ce petit garçon est "véritablement leur fils". Noël Puissant épouse donc Cécile en 1801. En 1803 ils donnent naissance à un autre fils prénommé Charles Prosper. Je ne leur ai pas trouvé d’autre enfant. 

Cécile décède en 1863, toujours à Candé. Elle est alors dite veuve. Mais Noël (ou Jean Noël), lui a disparu depuis longtemps. En effet, lors du mariage de Charles en 1829, il est dit "absent" et dont l'absence a été constatée par le tribunal d'Angers, sans qu'il soit possible "de procurer le consentement" audit mariage. J’ai longtemps cherché le décès de Noël, à Candé et dans les communes environnantes. Hélas en vain. Sa disparition (date, lieu) restait "environnée de ténèbres". 

Ce n’est que récemment que son nom est apparu dans les relevés des soldats napoléoniens sur Geneanet (source : Mémoire des hommes - Registres matricules des sous-officiers et hommes de troupe de l'infanterie de ligne, 1802-1815, SHD/GR 21 YC 176). J’y ai découvert son matricule (n° 14 157) et sa description : il mesurait 1,71 m, avait un visage ovale, le front haut, les yeux gris, un gros nez, une bouche moyenne, le menton long, les cheveux et sourcils châtains. Il y est dit conscrit de l'an X (1802) mais je suppose qu’il a alors tiré un bon numéro. 

En effet : il procrée un fils en mars 1801, se marie en mars 1802, conçoit un second fils dans la foulée et déclare sa naissance en janvier 1803. Il est donc indubitablement en Maine et Loire à l’époque de sa conscription et n’est pas parti au service militaire qui est alors d’une durée de 5 ans. 

Cependant sa fiche militaire nous indique qu’il est ensuite remplaçant d’un "conscrit de 1814", Guillot Jean Mathurin de Gené (canton du Lion d'Angers). Celui-ci n’a pas encore été retrouvé, j’ignore donc tout de lui. Noël Puissant s'est porté volontaire pour remplacer le mauvais numéro tiré par Jean Mathurin. Pourquoi ce choix ? Difficile de répondre à cette question. A première vue, la situation du couple est plutôt favorable : il a un métier qualifié, elle est lettrée (elle signe), ils connaissent une stabilité de domicile sur plusieurs générations, ils portent les titres distinctifs de Sieur et Dame. Mais peut-être connaissent-ils des problèmes d’argent ? Ou le goût de l’aventure tenait-il Noël ? En l’état actuel des connaissances, je n’ai pas de réponse à cette question. 

Toujours est-il que le 2 avril 1813 Noël Puissant s’engage devant notaire à remplacer Jean Mathurin Guillot pour effectuer son service militaire contre une somme de 6 000 francs à 5% d’intérêt. Le 12 avril il est affecté au 19ème régiment de ligne en tant que grenadier. Le 25 avril la somme est versée à Noël, alors sous les drapeaux. 

Mais dès le mois de juin il ne donne plus signe de vie, soit deux mois seulement après son incorporation. 

En janvier 1818 Cécile fait des démarches pour retrouver son époux disparu. En effet, les dernières nouvelles de Noël datent du 8 juin 1813. Elle dépose une requête au tribunal conformément à la loi du 13 janvier 1817, afin de faire reconnaître officiellement l’absence de son époux. L’absence est l’état d’une personne dont on ignore la résidence, dont on n’a plus de nouvelles, et dont l’existence peut paraître douteuse. La loi du 24 ventôse an XI (15 mars 1803) établi la procédure à suivre pour attester de manière officielle l’absence d’un proche. Elle ne peut être entamée qu’après un délai de 4 ans, auprès du tribunal de première instance qui ordonnait alors une enquête. Mais entre le début de la procédure et la réelle possession des biens du disparu il peut s’écouler une trentaine d’années ! 

C’est pourquoi la loi du 13 janvier 1817 établit des catégories spéciales de disparus, notamment celle des militaires absents. Une requête accompagnée de pièces justificatives doit être présentée par les parties requérantes (héritiers, épouse) au parquet du dernier domicile connu du disparu – ce que fait Cécile à Angers le 29 janvier 1818 - qui la transmet au ministère de la Justice. Celui-ci envoie le dossier au ministère de la Guerre pour obtenir des renseignements complémentaires ou pour un supplément d'enquête sur la disparition ou le décès du militaire disparu. Ainsi complété, le dossier est ensuite transmis au tribunal de première instance qui prononce le jugement déclaratif. La procédure prévoit un avis de recherche : la publicité est assurée par le Moniteur universel (dans le cas de Cécile, le 26 novembre 1818). 

Le Moniteur Universel, 26 novembre 1818 © Retronews Gallica

S’il n’y a toujours aucune trace du disparu le tribunal peut prononcer son jugement et l’entrée en possession provisoire puis définitive des biens par les parties requérantes. L’enquête diligentée montre que Noël a bien été engagé, sous le matricule 14 157, au 19ème régiment de ligne (attesté par un certificat daté du 13 février 1819). Elle révèle en outre "qu’il était à l’hôpital le 14 août 1813, mais qu’il n’existe dans les bureaux aucun extrait mortuaire applicable audit Puissant". En d’autres termes, on sait qu’il a été hospitalisé mais on n’a aucune preuve qu’il y soit décédé. Ni à l’hôpital, ni ailleurs : il a disparu. 

En conséquence, le tribunal déclare officiellement l’état d’absence dudit Noël Puissant. L’épouse du disparu est autorisée à entrer en possession de ses biens, tant en son nom d’épouse qu’en celui de tutrice de ses enfants (jugement du 14 décembre 1919, enregistré le 3 janvier 1820). 

Fiche matricule Noël Puissant © Mémoire des hommes

La fiche matricule de Noël Puissant précise que lorsqu’il était à l’hôpital il était prisonnier. Cependant il n’y a pas plus de détail : où est situé l’hôpital ? Quand a-t-il été fait prisonnier ? Si on se rapproche du 19ème régiment d’infanterie, on voit qu’en 1813 il était engagé dans la campagne d’Allemagne. Si les États allemands ont d’abord été soumis par Napoléon, devant ses premières défaites (comme la Berezina en décembre 1812) ils se retournent contre lui l'un après l'autre et se joignent à la Sixième Coalition autour de la Russie. Napoléon rejoint précipitamment la France pour réunir une nouvelle armée de jeunes conscrits tandis que les Russes se lancent à la poursuite de la Grande Armée en Europe centrale. Pour parer la menace, la mobilisation de 1813 est décrétée : une armée de 400 000 soldats est réunie, composée majoritairement de jeunes conscrits inexpérimentés issus des classes 1814 et 1815. Au printemps, ils rejoignent les restes de la Grande Armée. 

Une partie se porte en Pologne, une autre en Allemagne et d’autres encore jusqu’aux frontières suédoises. Un vaste champ de bataille ! Le courage des jeunes conscrits ne compense pas leur inexpérience : 18 000 d'entre eux meurent dès les premiers combats. Si Noël a été blessé au cours des ces batailles le champ d’investigations pour retrouver son hôpital est aussi vaste que le champ de bataille ! D’autant plus que, sous l’Empire, mourir à l’hôpital est beaucoup plus fréquent que sur les champs de bataille ! Alors chercher la trace d’un soldat blessé dans un hôpital que l’Armée n’a pas retrouvé elle-même… 

Bref, je sais maintenant pourquoi Noël a disparu. Et en attendant d’en savoir plus, je pense que je peux ramener la date de décès de Noël à 1813 et je peux arrêter de chercher son acte de décès en Anjou ! 

 

Sources :  Centre historique des archives nationales, wikipedia, napoleon.org, retronews, Mémoire des hommes, Geneanet

mardi 8 septembre 2020

Marié deux fois

Tout commence par un mariage, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79). Il est assez bizarrement formulé, mais on est en période révolutionnaire : les nouveaux maires, en plus de leurs diverses responsabilités communales, sont en charge de l’état civil – jusque là chasse gardée des curés.

Donc une Révolution, un nouveau calendrier, des nouveaux citoyens… on peut comprendre que le maire soit perturbé que son style s’en ressente.

 

Mariage Ribouleau Jacques, 1801 © AD79

 

LE BEL maire de la commune de St Amand sur Sèvre arrondissement communal

de Thouars le nommé JACQUES RIBOULEAU maréchal

talandier demeurant au village de la Gidalière  commune de

Saint-Amand fils de CHARLES RIBOULEAU bordier né commune de

Saintes ( ?), son père est CHARLES RIBOULEAU ; et sa mère

est JEANNE JADAU, décédée de l'an huit, son frère

est PIERRE RIBOULEAU, et sa femme du dit

RIBOULEAU talandier de la Gidalière est

 MARIANNE GABARD femme du dit citoyen RIBOULEAU

demeurant au village de la Gidalière commune

de Saint-Amand fille de feu GABARD, sa mère

est HANNE GOBIN vivante demeurante commune de Saint

Amand, les témoins est le beau-frère de la femme

de JACQUES RIBOULEAU, son oncle est JACQUES

GABARD qui m'ont déclaré savoir signer et

ont signé avec moi. Louis Martineau,

J Gabard, Le Bel maire, Jacques Ribolleau,

Marie Anne Gabard,

 

Bon, Monsieur le Maire n’aurait sans doute pas reçu le grand prix de grammaire et de conjugaison. Passons cela.

Ce qui m’a interpellé d’abord c’est la façon de désigner les fiancés que l’on marie : « le nommé X (son nom n’a pas d’importance ici), son père est X et sa mère est X ». Jusqu’à présent, ici et ailleurs, même en période révolutionnaire, on ne dit pas que untel « est ». On dit plutôt Untel « fils de ». Ceci dit pourquoi pas ? Cela ne change pas grand-chose à l’affaire, me suis-je dis au début.

Par ailleurs, les lecteurs attentifs auront remarqué qu’il n’y a pas de date non plus. Ça arrive aussi parfois. L’acte précédent est daté du 7 thermidor an IX, le 28 juillet 1801. Les deux suivant n’ont pas de date, le troisième est du 2  thermidor an IX. Bon le calendrier est peu chamboulé, passé au shaker de la Révolution. Les personnes ayant déposé leurs arbres sur Geneanet sont un peu perdus aussi : ils ont parfois daté le mariage du 20 mai (30 floréal). D’autres ne s’y sont pas risqué et sont resté sur un prudent « 1801 » tout court.

Et puis aussi il y a cette mention particulière : la fiancée, future épousée (normalement) est désignées deux fois de suite par le terme « femme de », ce qui sous-entend qu’elle est déjà mariée.

Enfin, dans l’acte de décès du père de la mariée, une autre mention tire carrément la sonnette d’alarme : l’un des témoins est Jacques Ribouleau, qualifié de gendre du défunt. Or Jacques Gabard est décédé en 1798, trois ans avant le fameux mariage bizarre. On peut tout accepter : des mariages sans date, des mariages libellés curieusement, mais des gendres avant mariage, ça non.

Et quand on découvre un enfant né en 1799 du couple Ribouleau/Gabard, là c’est la goutte d’eau. Bon d’accord les enfants nés avant mariage arrivent quelques fois, mais là c’est n’est plus un péché c’est une anomalie spatio-temporelle. En examinant bien cet acte de 1799 on s’aperçoit que Marianne est dite « sa femme en légitime mariage ». Plus de doute possible. Un mariage a eu lieu avant 1801 (acte de confirmation ?). Avant 1799 (naissance du fils). Avant 1798 (décès du père).

Pourquoi ne pas feuilleter les registres, me direz-vous ? Et bien parce que nous sommes en pleine Deux-Sèvres vendéenne, que les registres paroissiaux ont subi les foudres des colonnes infernales. Que dans la décennie 1790 ont est davantage occupé à ne pas se faire embrocher par un sabre qui traîne plutôt que de remplir des lignes dans un registre.

Mais dans la décennie suivante on régularise les choses. Et c’est ce qui a du se passer pour Jacques et Marianne. C’est ce qui explique que Marianne soit dite « femme de » Jacques dans cet acte de 1801. Reste à trouver le véritable acte de mariage.

C’est le relevedu79 qui me met sur la piste : un acte daté du 20 janvier 1796, filiatif, avec des informations complémentaires du genre parmi les témoins on compte le frère du marié et l’oncle et parrain de la mariée. Hum… ça donne envie de voir cet acte en vrai. Il précise même « Mariage célébré par Pierre GABART curé de Chambreteau » : ah ! l’ancêtre mythique qui ferait partie de la famille et qui permettrait de compléter une génération supplémentaire car ses parents à lui sont connus (contrairement « aux miens »).

Le Cercle Généalogique des Deux-Sèvres confirme cette pépite. Hélas ni l’un ni l’autre ne donne la cote du document : ça se complique pour « le voir en vrai ».

Bref, quoi qu’il en soit Jacques et Marianne ne se sont pas vraiment mariés deux fois. Ils ont simplement fait confirmer ce qui s’était sans doute perdu. Et les petites lumières qui ont clignoté à la lecture de l’acte de 1801 avaient bien un sens caché. Toujours faire confiance à son instinct.