« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 21 novembre 2025

S comme stèle fugace

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile a avalé son bulletin de naissance, rayée de l’état civil, doucement, sans râler, à 13h50 le lundi 8 février 1937, en son domicile du 5 de la rue Sthrau, Paris 13ème. Elle était âgée de 79 ans. Son acte de décès a été dressé le lendemain à la mairie dudit arrondissement, sur la déclaration de Gaston Raveneau, son petit-fils âgé de 21 ans, maçon, qui demeure à la même adresse (avec sa mère Marie, alors veuve, et 3 de ses frères et sœurs). J’ai pas de détail sur les causes du décès, mais quand elle a claqué, j’espère que ça a été rapide. Le genre de truc qui surprend même le cœur. Pas une longue agonie à base de yaourts tièdes et d’infirmières qui sourient par contrat. Elle est morte comme elle a vécu : en silence et sans faire chier personne.

    La veuve Astié née Rols a été inhumée le mercredi 10 février, comme l’indique le répertoire annuel d'inhumation du cimetière de Thiais (Val de Marne). 

 

Enterrement © Création personnelle d'après Bing 

 

    Le cimetière de Thiais fait partie des six piaules à macchabées parisiennes appartenant et gérées par la Ville de Paris situés en dehors de la capitale, sur le territoire d'autres communes (avec St Ouen, Ivry, Pantin, Bagneux et La Chapelle). Avec ses 103 hectares, répartis sur 130 divisions, le cimetière parisien de Thiais, c’est pas de la petite pelouse de quartier, hein. C’est carrément le deuxième plus grand cimetière des 20 nécropoles gérées par la Ville, juste derrière Pantin. On parle de 150 000 sépultures, plantées au milieu de 6 000 arbres — érables, tilleuls, cerisiers et compagnie. Un vrai poumon vert, planqué loin du vacarme des voitures et du tintamarre de la ville. Et en plus, c’est un coin sacrément cosmopolite : t’as de tout là-dedans — cathos, protestants, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes… Un vrai conseil des religions sous la pelouse. Ouvert en octobre 1929, à l’emplacement d’une ancienne garenne, c'est aussi le plus récent des cimetières de la capitale.

    Creusons un peu le sujet, sans mauvais jeu de mot. Au début, les Parisiens, ils crevaient et hop, direction le petit cimetière, juste derrière l’église de la paroisse. Et des églises paroissiales, il y en avait plein dans la capitale. Donc plein de cimetières aussi, vous pigez ? À la fin du XVIIIème siècle, les hygiénistes ont commencé à dire : « Bon, là, faut arrêter de vivre et mourir au même endroit. ». Résultat : on ferme les vieux cimetières dégueus, surchargés et insalubres, de même que le grand cimetière des Innocents, situé en plein cœur de la capitale. On transfère les ossements dans les catacombes et on crée trois grandes nécropoles, bien à l’extérieur : le Père-Lachaise (1804), Montparnasse (1824) et Montmartre (1825).

    En 1860, Paris s'agrandit, annexe les communes périphériques et, paf, récupère tous ces cimetières, ainsi que ceux des douze villages de Belleville, Charonne, Bercy, Auteuil et compagnie. D'autres cimetières proches des portes de Paris sont également ouverts entre 1860 et 1929.

    Mais comme la population explose et que tout le monde veut sa petite concession perso, ben, la Ville se retrouve à court de place. Du coup, elle ouvre des cimetières extra-muros. C’est comme ça qu’est né celui de Thiais.

    Au cas où vous vous poseriez la question pour vous-mêmes, je vous explique comment que ça marche le truc des concessions, parce que c’est tout un bazar ! Les personnes ou leurs ayants droit qui veulent s’offrir un bout de terrain pour l’éternité (ou presque), ont la possibilité d’acheter une concession funéraire. Elles sont attribuées en fonction des disponibilités de chaque cimetière. Il y en a plusieurs sortes : 10 ans, 30 ans, 50 ans, ou perpétuelle. Et si t'as pris 10 ans et que t’as envie de rempiler, tu peux. Tu peux aussi les rétrocéder, mais pas question de refourguer le terrain à quelqu’un avec une construction dessus en encore moins tant qu’il reste un macchabée dessous ! Faut rendre le carré vide de tout locataire, si tu vois ce que je veux dire.

    Et puis, c’est pas open bar non plus. T’as pas le droit d’y enterrer n’importe qui. Seuls le concessionnaire, son conjoint, ses parents, ou ses gosses peuvent y finir leur sieste éternelle. Bon, à la rigueur, un ami très cher, avec lequel t'avais un lien particulier d’affection ou de reconnaissance, mais pas la belle-sœur du cousin de la concierge, faut pas pousser mémé dans la tombe.

    En raison de sa destination particulière, la concession funéraire c'est hors commerce. Tu peux pas la vendre comme un appart. Mais elle peut se transmettre, par voie de succession, au sein de la famille. Tu peux même la donner, à condition qu’elle n’ait pas encore servi. Mais faut passer par un notaire, c’est pas le genre de paperasse qu’on règle au comptoir.

    De son vivant, le concessionnaire est le seul autorisé à rempiler et renouveler son contrat de concession funéraire. Si le concessionnaire est décédé, leur ayants droits doivent justifier de leurs liens familiaux pour pouvoir le faire. Une vraie affaire de famille, même après la mort !

    La sépulture de Cécile était située 65e division, 10e ligne, au n°29. Je parle au passé, car elle a été « reprise » comme l’indique le registre journalier dudit cimetière. 

    Les sépultures, ces petits bouts de terrain où l'on dépose nos macchabées, sont la propriété privée des familles. Mais elles retombent dans le domaine public municipal à leur échéance, si elles sont de durée limitée et si elles ne sont pas renouvelées. Et c'est le cas d'office si on voit que la tombe a carrément été abandonnée (monument délabré, envahis de ronces et de lézards, qui présente un risque pour les tombes avoisinantes, etc…), même si sa concession était perpétuelle ou centenaire. La « reprise » signifie que la mairie reprend possession de la parcelle de terrain communal. C’était le cas de Cécile : une concession trentenaire, qui n’a pas été renouvelée. Du coup, je peux toujours me radiner au cimetière avec mon bouquet, sûre qu’elle n’y sera plus. Son petit coin de terre a été réattribué. Elle qu'a passé sa vie à déménager, ben dans la mort aussi elle a dû changer de thurne ! Heureusement son souvenir, lui, est dans nos cœurs, pas sous un bout de marbre.

    Quand la mairie reprend, tout doit être enlevé  : monuments, ouvrages, pardessus en planches avec ou sans poignées en métal argenté, signes funéraires et objets divers. Le caveau, s’il en existe un, peut être démoli. Fini le palace souterrain ! Les restes mortels, provenant des concessions perpétuelles et centenaires abandonnées et reprises, sont placés dans des reliquaires et sont soit conservés dans un ossuaire spécial, soit incinérés et déposés dans l’ossuaire du Père Lachaise. Leurs noms sont notés dans un registre, consultable par tout le monde.

 

    Bon, OK, c’était pas jouasse cet article et on n'a pas eu la rate qui se dilate aujourd'hui. Mais la mort ça fait aussi partie de la vie. J’espère que les détails vous aurons pas fait avaler votre chique. Merci au passage de m’avoir lue jusqu’au bout. Pour ça, vous irez sans doute au paradis, ou au moins dans un cimetière bien entretenu.

 

 

jeudi 20 novembre 2025

R comme rente inacessible

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile remise son fiacre en 1937, à l'âge respectable de 79 ans. Depuis une demi-douzaine d’années elle demeurait rue Sthrau (Paris 13ème), chez sa fille Marie. C’est bien pratique les filles quand on est âgée. Elles permettent d’entretenir nos vieux jours, une sorte de plan B quand le corps lâche et que les économies font la grève. N’oublions pas que dans la deuxième moitié du XIXème, on commençait à trimer à 8 ans parfois (puis un peu plus tard quand l’école devient obligatoire jusqu’à 13 ans en 1882), pendant 12 à 15 heures par jours (limité à 8 heures en 1919), sans repos (le repos dominical supprimé en 1880 n’est rétabli qu’en 1906) ni vacances. Jusqu’à la mort. 

 

Les vieux au coin de la rue © Création personnelle d'après Bing

 

    Contrairement à son mari Augustin (mort en 1914) qui était encore journalier à 62 ans, Cécile était sans profession au moment de son décès. Comment fait-on quand on est âgée et sans revenu ?

    C’est bien joli la vieillesse, ce grand port où on amarre son rafiot après une vie de tempête (et quelques accalmies, faut espérer), mais on ne peut pas vivre que d’amour et d’eau fraîche. Les pensions de retraite ça n’a pas toujours existé ! Même si c’est sans doute plus ancien qu’on ne le pense, du moins pour certaines professions. Allez, je vous convoque pour un petit topo sur les retraites, histoire de vous cultiver un peu : Colbert a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673 en instituant la Caisse des Invalides de la Marine Royale, ancêtre de tous les régimes de retraite français. Un bon début, pour les loups de mer. Ensuite, d’autres régimes de retraite ont été mis en place, pour des métiers particuliers : la première caisse de retraite des fonctionnaires de l’État a été mise en place en 1790 avec un départ en retraite à l’âge de 60 ans, après 30 ans de service.

    Avec la révolution industrielle et le développement du salariat ouvrier se mettent en place des caisses de prévoyance privées, à gestion ouvrière, patronale ou mutualiste. Un peu de solidarité, histoire de ne pas crever la dalle une fois usé par le travail. C’est ensuite la création des pensions militaires (1831), des mineurs (1894), des cheminots (1909), etc… D’ailleurs, ces catégories forment encore les régimes dits « spéciaux ».

    En 1910 une première loi sur les retraites des ouvriers et paysans est votée,  prévoyant le versement d’une pension à partir de 65 piges… Pour des travailleurs qui claquaient souvent avant 60. Oups. Autant dire que c’était la retraite... posthume. En plus c’est un système de retraite par capitalisation (par prélèvement sur le salaire) mais le niveau de vie misérable des ouvriers ne les incite pas à cotiser pour leurs éventuels vieux jours. Difficile de penser à demain quand on crève la dalle aujourd'hui. La retraite c’est cette période bénie où t’as enfin le temps de vivre, mais plus les genoux pour courir après.

    Faut attendre 1928 pour qu’on se décide à faire un vrai système complet d’assurances sociales — maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès — mais seulement pour les salariés de l’industrie et du commerce. Et encore, on avait qu’un demi-siècle de retard sur les Allemands, qui avaient déjà tout ça depuis 1881. Pas pressés, les Français, hein.

    En 1941, on crée une allocation aux vieux travailleurs salariés, l'ancêtre du fameux minimum vieillesse (institué en 1956), qui existe encore de nos jours. Un truc qui aurait sans doute bien arrangé Cécile, mais créé une dizaine d’années trop tard pour elle. Le destin est farceur, parfois.

    Et puis là, arrive le grand chambardement : répondant aux objectifs sociaux du programme du Conseil national de la Résistance, les ordonnances d'octobre 1945 créent la Sécurité sociale. C’est la naissance du régime général, unifié et universel. Le truc qui change tout. Cette fois, ça fonctionne par répartition : les cotisations des actifs servent à financer les pensions des retraités de la même année, tout en créant des droits pour leur future retraite. L’âge légal de départ à la retraite est fixé à 65 ans. Une vraie révolution, pour des millions de travailleurs qui, pour la première fois, pouvaient rêver de vieillir sans crever de faim !

    Par la suite, confronté au vieillissement de la population, le système de retraite fait l'objet de nombreuses réformes : durée de cotisation, âge de départ, catégories de métiers... (et quelques chose me dit que c'est pas fini...). Il y en a beaucoup, vraiment beaucoup, mais j’ai la flemme de vous les lister toutes alors si le sujet vous passionne absolument, rendez-vous sur Google.

    Quoi qu'il en soit, ce droit à la retraite, ce système de protection, est arrivé trop tard pour Cécile. Elle n'aura jamais pu en profiter. Une vie de labeur, sans la douceur des vieux jours assurés.

 

 

mercredi 19 novembre 2025

Q comme queue de vache

Sur les pas de Cécile

 

    Le beau-frère de Cécile, Daniel Frète, était boucher au faubourg Saint Michel à Angers. 

 

Boucherie © Création personnelle d'après Bing

 

   C'était même un boucher détaillant, le gars ! Pas n’importe quel découpeur de barbaque. À cette époque, le métier de boucher connaît un vrai tournant façon révolution des entrecôtes : la séparation entre deux branches du métiers. L’abattage des gros bestiaux revient aux bouchers de gros (les costauds du couperet, qu’on appelle les chevillards ou bouchers abattants) tandis que la vente au détail de la viande revient aux bouchers de boutique (les détaillants, les rois de la vitrine). Avant, les types tuaient leurs bestiaux dans l’arrière-boutique, peinards, entre deux clients (dans des espaces appelés « tueries ») — un vrai carnage version trottoir. Mais bon, parce que la population trouvait ça carrément dégueu (faut dire, le sang qui coule dans le caniveau, c’est pas hyper glamour), on a dit stop : place aux abattoirs publics ! Fini les tueries privées, bonjour l’hygiène et les tabliers plus ou moins propres. Mais attention, pas question de mélanger torchons et andouillettes : à cette époque, le boucher se distingue encore des charcutiers, tripiers ou rôtisseurs. Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.

    Ce sont les bouchers abatteurs qui gardent les revenus liés au cinquième quartier (cuir, suif, abats, sang, boyaux, os, crins; bref, tout ce qui n'est pas la viande…). Du coup les bouchers détaillants perdent un maximum de blé à cause de ça. Terminoche le Pérou ! À partir des années 1870, et le tournant libéral du Second Empire, ils cherchent donc à diversifier leur activité, ces gaillards. Les frontières entre boucher, charcutier, tripier, volailler et traiteur commencent à se faire plus floues. À partir du moment où le boucher détaillant se définit plus comme un artisan-commerçant, il doit améliorer ses techniques de vente. Il se fait conseiller et fidélise sa clientèle. Il bichonne ses étals et fait briller la viande. Pour un peu, il te vendrait un gigot comme on vend un bijou de chez Cartier (un bijou de chez Quartier de viande, quoi !). Les premières vitrines apparaissent dans les boucheries vers 1904. Comme les autres commerçants, les bouchers utilisent différentes techniques pour augmenter la clientèle (publicité, coupons de fidélité, etc…). Un vrai marketing avant l'heure, pour vendre du gras !

    Au XIXème la formation professionnelle s’organise, sur un modèle maître/apprenti, avec un paternalisme qui ferait loucher aujourd'hui. Les garçonnets de 13 ou 14 ans sont placés chez leurs patron au pair (nourris/logés ou avec un salaire minime). Ces enfants « font les courses », tenant le rôle du commis-livreur. C’est le rôle que remplissait Augustin, le fils de Cécile. L’adolescent qui aborde le métier boucher ensuite est guidé par son patron qui installe à l’atelier une ambiance morale (évidemment) et un climat proche de celui qu’il trouverait au sein de sa propre famille. D’ailleurs en général le contrat d’apprentissage notait bien que le patron devait se comporter, vis-à-vis de ses apprentis, « en bon père de famille ». C’est sans doute ce qui explique les liens étroits tissés entre Augustin et les Frète. Une vraie famille de substitution, avec l'odeur du sang en prime !

    Dans les boucheries d'antan, en général, les rôles étaient bien partagés : les femmes vendaient la viande, aidées de leurs filles, tandis que les hommes partaient chercher le bétail avec les fils. Des domestiques ou employés complétaient le personnel. Une vraie entreprise familiale, avec son lot de petites et de grandes mains.

    Les boucheries traditionnelles s’organisaient souvent de la même façon, leur conception répondant à l’usage spécifique du métier : le magasin au rez-de-chaussée, le logement du boucher et de sa famille dans les étages, des pièces sombres pour éloigner les parasites et faciliter la conservation de la viande, souvent bien aérées. La bidoche était présentée sur un étalage à l’extérieur, et/ou pendue à des crochets en façade, rouge et luisante, le saucisson accroché comme un pendu bien nourri. Voilà un tableau bien appétissant pour le chaland ! De grandes tentes protégeaient la viande de l’ardeur du soleil. C’était au poil (et les mouches devaient bien faire bombance à mon avis).

    Pour s’assurer de leur bonne conservation, les bouchers bichonnaient la viande et entretenaient une atmosphère sèche autour des carcasses. Une fois la bête tuée et dépouillée, sa viande n’était pas lavée. Elle était juste ressuée (assèchement partiel des carcasses par une phase lente de descente en température), simplement à la fraîcheur de la nuit jusqu’au morninge (à l'heure des croissants), puis était bien égouttée. La viande, cette diva du bifteck, était de préférence « rassie » : fallait la laisser maturer pour l’attendrir et la bonifier. Tournez pas de l’œil, faut ce qu’il faut. Pour la conserver, on misait sur le courant d'air, froid et sec. En été, c'était plutôt l'armoire-glacière (meuble composé de deux compartiments : dans l’un on mettait de la glace, dans l’autre la viande à conserver). Et puis la couche de graisse qui entourait la barbaque la protégeait naturellement. C'était cool : la nature a bien fait les choses. Une science de la conservation qui n'avait rien à envier à nos frigos modernes !

     Mais voilà, le froid artificiel débarque. Il retarde l’apparition des phénomènes d’altération, mais il a surtout bousculé les pratiques de boucherie. Grâce à la congélation, les denrées alimentaires voient leur durée de vie allongée. Les premières expérimentations de transport de viande conservée par le froid se font dans les années 1870. Zones de production et zones de consommation peuvent désormais être éloignées sans que cela ne pose problème et empoisonne les ménagères. Mais contrairement aux Angliches, en France bouchers, abatteurs et même médecins rechignent à utiliser le froid à la fin du XIXème siècle. En fait ils aimaient pas du tout ça à l’époque. Le goût des Français pour la viande « fraîche » et « naturelle » expliquerait la très lente introduction du froid dans le secteur de la boucherie. Ça heurtait les habitudes des bouchers qui considéraient qu’elle fragilisait le produit plus qu’autre chose. Le froid, ça les refroidissait ! Bon les professionnels de la profession ont fini par céder, et j’me dis qu’heureusement pour nous aujourd'hui, on a des steaks qui ne sentent pas le renard mort !

    J’ai plusieurs photos de Daniel Frète car il était notamment témoin au mariage de mon arrière-grand-père Augustin (fils de Cécile) et Louise Lejard en 1912 (voir la lettre E de ce ChallengeAZ). Les deux couples étaient très proches : ils ont longtemps vécu ensemble au faubourg Saint Michel (comme on l’a vu à la lettre P pour ceux qui ont la mémoire qui flanche). Et tiens donc ! leur fils unique se prénommait Daniel. Coïncidence ? Je ne crois pas !

 

Boucherie Frète © Collection personnelle
A gauche Élie, l'un des fils de Cécile. Sur la table Robert Raveneau, le fils de Marie. A sa droite Élisabeth Rols, puis Marie Anne Puissant sa mère et Daniel Frète. 

  

    Selon la mémoire familiale, le bâtiment qui abritait la boucherie était en partie creusé dans l'ardoise. Le premier étage était réservé aux Frète. L'étage au sommet du rocher était une petite cour avec le logement d’Augustin Astié (mon AGP), son épouse Louise Lejard et leur fils unique Daniel. Il y avait aussi un cabinet d'aisance. Dans ces vieux bâtiments les logements étaient imbriqués les uns dans les autres. L'escalier était taillé dans le rocher d'ardoise. L'appartement était petit et sombre, pas le grand luxe, mais c'était la vie ! La cuisine donnait sur la cour et la chambre donnait sur la rue. Dans cette chambre une cloison séparait le lit de Daniel du lit des parents. Chacun son petit coin, même dans la promiscuité.