Sur les pas de Cécile
Cécile et Augustin tiraient le diable par la queue. Du coup, même en louchant très fort, je ne les trouve pas dans les matrices cadastrales. Ils n’ont jamais été propriétaires, même du plus pauvre taudis des taudis. Pas de rêve en parpaings entouré de grillage et de certitudes fiscales. C’est ballot.
Mais en 1867, les parents de Cécile, qui n'étaient pas manchots côté affaires et avaient plutôt bien réussi, avaient acheté à Angers deux maisons contiguës à l’angle de la rue de Bouillou (n°12) et de la cour (ou impasse) Saint Christophe, entre la prison et le faubourg Saint Michel pour les locaux. C'est un quartier qui a bien été modifié depuis. Celle donnant sur la rue avait deux pièces au rez-de-chaussée et deux autres à l’étage. L’autre maison, plus petite, donnant sur l’impasse et séparée de la première par un escalier commun, avait une seule pièce à chaque niveau.
Acheter ces maisons, c’est pas juste signer un papier chez le notaire, non. Acheter ces maisons, c’est acheter un rêve. Le rêve d’un toit à soi. C’est pas des briques et du plâtre, c’est du cœur et des espoirs empilés étage par étage. C’est le genre d’achat qui te fait espérer en l'avenir, même si ton portefeuille, lui, fait la gueule. Parce que là, t’achètes pas juste quatre murs : t’achètes un placement, une fierté, une promesse de jours meilleurs. Et rien que pour ça, c’est pas une maison, c’est un petit morceau de bonheur en dur.
Dans l’acte d’achat notarié figure également la cour commune entre les deux maisons et le droit de puiser de l’eau au puits situé dans une cour voisine, alors en indivision. Des lieux d’aisance sont signalés (bonne nouvelle). Le tout meublé, s’il vous plaît. La première bâtisse avait 7 ouvertures imposables (1 porte cochère, charretière ou de magasin et 6 portes et fenêtres ordinaires), la seconde 4 (ordinaires). Les maisons devaient être de bonne qualité car elles sont classées dans la classe 1 (la plus haute valeur). C’est pas du taudis, c’est du costaud.
Ça, c’est les services du cadastre qui me le disent ! Alors, merci Napoléon. C’est le créateur du cadastre en 1807, pour ceux qui l’ignorent. Bon, OK, l’empereur n’a pas créé exprès le cadastre pour que je puisse faire de la généalogie immobilière 200 ans après lui. Il l’a juste fait pour palper plus de blé (et là je parle bien de cash) en fonction de la nature des sols : maisons, vignes, blé (et là je parle bien d’avoine).
Le cadastre c'est le grand livre des secrets, la bible du foncier, le grimoire où sont consignés tous les parcelles, les lopins de terre, les bâtisses et leurs propriétaires. C’est ce grand roman administratif où chaque ligne cache un bout de récit familial. Et le cadastre d’Angers est très bavard :
- Un premier plan dès 1810 et toute la documentation écrite qui l’accompagne, indispensable pour faire ce travail historique.
- Puis un second plan en 1840 et leurs matrices.
- Enfin la mise à jour de la documentation en 1882 (hors plan).
Ces documents permettent de retracer l'histoire de ces parcelles. Alexandre a acheté les parcelles n°1993 et 1994, section B du cadastre d'Angers. Sur le premier plan de 1810, on voit que le coin est encore en mode cambrousse : à peine bâti. D’ailleurs l’une des maisons n’existe pas encore : c’est un jardin.
Alors, je vous la fais courte : la baraque qui donnait sur la rue de Bouillou, ben elle a toujours servi de piaule. Pas de chichis, pas de changement de vocation, ça a toujours été du logement pur jus, avec les rideaux qui pendouillent aux fenêtres et le linge qui sèche à la balustrade. L’autre bicoque tout en longueur, dans la cour St Christophe, créée dans les années 1840, a d’abord abrité sous le même toit une petite maison (2 ouvertures) et une grange. Petit à petit elle se transforme en maison entière, avec pas moins de quinze ouvertures — de quoi aérer les idées, même les plus tordues. Puis, au fil du temps, le bâtiment s’est fait charcuter en petits bouts, morcelé entre plusieurs proprios, jusqu’à ce petit bout de maison qu’achète le couple Rols en 1867.
Les Rols ont aligné 4 000 francs ce petit bout de paradis — une belle somme à l’époque, pas des clopinettes. Lors de cette acquisition, les maisons elles étaient déjà pleines à craquer : des locataires à tous les étages. Les Rols les ont repris avec les murs. Au moment du décès d’Alexandre, en 1879, ces baraques étaient louées verbalement à 5 personnes et deux autres avaient un bail écrit. Chacun payait un loyer dont le montant s’élevait entre 95 et 120 francs par an (en tout, ça faisait dans les 710 balles qui rentraient chaque année).
Entre 1881 et 1896 sa veuve Marie Anne Puissant habite trois adresses différentes : place des Prisons, cour Ayrault et rue de Bouillou. Vu que les recensements ne sont pas toujours précis, je me dis qu’en fait c’est probable que ce soit une seule et même adresse : le 12 rue de Bouillou est en face de la place des Prisons et au cours de son histoire la cour St Christophe a été appelée cour Herault (ce qui ressemble furieusement à Ayrault), probablement du nom d’un ancien propriétaire. Donc Marie Anne n'a peut-être pas changé de trottoir et a peut-être habité l’un des logements qu’elle a acheté avec son mari en 1867.
Elle finira ses jours chez sa fille Élisabeth, qui elle demeure au faubourg St Michel, en 1912. Les logements de la rue de Bouillou ont alors 6 locataires (un appartement étant inoccupé) et valent 7 000 francs. C’est Daniel Frète, l’époux d’Élisabeth Rols, qui héritera ensuite de ces biens immobiliers.
Aujourd’hui tout ça, c’est de l’histoire ancienne : le quartier été refait, retourné, raboté, bref, complètement relooké depuis le temps. Ces maisons n’existent plus, remplacées par une barre d’immeuble des années 1960, longue comme un jour sans pain et moche à pleurer. Difficile de voir à quoi ressemblaient les maisons du couple Rols. J’ai bien retrouvé une photo, mais je vous préviens elle est de mauvaise qualité et plus floue qu'un lendemain de cuite. Je vous la mets quand même, histoire de voir (enfin, façon de parler : on voit pas grand-chose). Le bâtiment tout en bas du cliché, à moitié coupé, c’est la prison (Attention, la photo a la tête à l'envers par rapport au cadastre au-dessus !).



Encore un récit fouillé. Sûrement des heures de recherche et de remue méninges. Super !
RépondreSupprimerJ'adore fouiller dans les méandres des archives du cadastre !
RépondreSupprimer