« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 18 novembre 2025

P comme proximité lignagère

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile a eu beau déménager 31 fois dans sa vie (voir la lettre C de ce ChallengeAZ), elle est restée très proche des siens, n'a jamais coupé les ponts, et a entretenu des liens étroits avec les membres de sa famille, solides comme des cordes de marins. Son arbre généalogique est un club dont elle n’a jamais résilié l’abonnement.

 

    La famille, c’est sacré. Lorsqu’il faut assurer ses devoirs légaux, et mettre le nez dans les affaires de pèze, on est là. Quand le brave Alexandre Rols claque en 1879, il laisse derrière lui la petite Élisabeth, onze ans au compteur, donc légalement mineure. Selon la loi, le daron est, du vivant des époux, administrateur légal des biens des enfants mineurs du couple. À la mort du père, la mère reprend le flambeau, avec les mêmes pouvoirs que lui. Mais avec un petit détail : elle devient tutrice légale, et faut lui coller un subrogé tuteur dans les pattes, sous trois mois. Et le plus drôle, c'est qu'il doit obligatoirement être choisi dans la lignée à laquelle la tutrice n'appartient pas. Une sorte de contrôleur des comptes, mais de l'autre côté de la famille ! Et devinez qui s'y colle ? Le mari de Cécile, Augustin, a été nommé subrogé tuteur d’Élisabeth, suivant la délibération du conseil de famille tenu sous la présidence du juge de paix d'Angers.  

 

Le subrogé tuteur © Bing

 

    C’est l’heure où je me radine avec mon flaminaire pour éclairer votre lanterne ! Le subrogé tuteur ne peut pas assister ou représenter le mineur, comme le fait le tuteur légal. Il gère pas le pognon lui-même non plus. Non, son rôle est plus subtil. Il surveille les actions du tuteur, et plus particulièrement le pèze de la personne mise sous tutelle, en matant les comptes. S’il constate que le tuteur a fait une faute de gestion ou s’il sent une entourloupe, il ne peut pas régler lui-même le problème. Il peut seulement filer direct voir le juge pour lui dire : « Hé, y’a peut-être magouille dans le cambouis ! ».
    Chaque année, il check les comptes, histoire de s’assurer que personne ne planque de biftons sous le tapis, surtout le tuteur. Un comptable à temps partiel, qui scrute les chiffres. Dans des cas exceptionnels, où le tuteur se retrouvait en position foireuse — genre conflit d’intérêt sur une succession (lorsque le mineur et le tuteur font tous deux partie des héritiers par exemple), c’est le subrogé tuteur qui prend le relais pour représenter le gamin. Les fonctions du subrogé tuteur cessent à la même époque que la tutelle (ici la majorité d’Élisabeth). Une mission temporaire, mais cruciale pour les finances de la petite.

 

    La famille c’est sacré. Alors dans les coups durs, on s’épaule. L’entraide familiale c’est la mutuelle sans cotisation, la sécurité sociale version maison, le coup de pouce qui te sauve la mise quand t’es dans la mouise.

    La légende familiale raconte que si une parente avait besoin d'une aide, Augustin (père) lui laissait un enfant. C'est ainsi qu'Augustin (fils) s'est retrouvé commis boucher boulevard St Michel chez son oncle Frète. Est-ce que c’était vraiment les Frète qui avaient besoin d’aide ou Augustin qui, ne pouvant pas subvenir aux besoins de sa famille, l’avait sollicité ? L’histoire ne le dit pas.

    Élisabeth, la sœur de Cécile, a en partie élevé plusieurs de ses nièce, neveux et petit-neveu, domiciliés chez elle : 

  • Augustin (8 ans) en 1896 
  • Robert Raveneau, le fils illégitime de Marie (alors âgé de 8 ans) et Élie (25 ans) en 1911 
  • Robert encore (18 ans) en 1921 

 

    La mère de Cécile, Anne Marie Puissant, fait de même : 

  • Alexandre (1 an) en 1872  
  • Marie et Élie (13 et 9 ans) en 1896

 

    En 1901 tout le monde vit à la même adresse (mais pas dans le même foyer) : 

  • Marie Anne Puissant et Élie (14 ans) d’une part 
  • Les Frète accueillant Augustin (13 ans) et Marie (19 ans) en 1901 – les deux travaillent pour Daniel, le mari d’Élisabeth (le premier comme commis à la boucherie, la seconde comme lingère) d’autre part

 

     Les Frète et Augustin (fils) et sa famille vivront à la même adresse jusqu’au décès d’Élisabeth en 1949 (Daniel étant décédé en 1913). Les Astié vivaient au-dessus de la boucherie, au 2ème. Le premier étage était réservé à Élisabeth. Ça les a rendus proches, comme collés par une glu invisible qu’on appelle les liens du cœur.

 

    Bon, pour ceux qui pataugent un peu dans la parentèle de notre Cécile, j'ai ajouté un arbre généalogique dans l'article de présentation (ici quoi).

 

    La famille c’est sacré. Et c’est sans aucun doute le père d’Augustin qui le fait venir en Aveyron en 1882 et lui trouve un travail comme garde mine. Plus tard, en 1905, lorsque le couple Astié met les bouts à Ivry, c’est probablement l’un des frères d’Augustin, Adrien ou Louis, qui l’a incité à venir en région parisienne. Le premier l’a en effet précédé dans cette ville dès 1889, le second en 1901. Pour moi, c’est plié : le réseau familial a joué à plein, et à plusieurs reprises, pour aider Cécile et Augustin alors qu’ils devaient être dans une impasse niveau boulot.

 

    La famille c’est sacré. On est là pour les événements heureux ou malheureux de la vie. Lors de sa période parisienne, on voit encore Cécile très proche des membres de sa famille : elle est témoin à la mairie de la naissance de trois de ses petits-enfants entre 1909 et 1916 et du décès de deux d’entre eux (en 1913 et 1914). En 1914 elle est encore présente pour le décès de l’un des enfants illégitimes de Louise Rosala, la future compagne de son fils Benoît (je vous ai déjà affranchi sur son compte à la lettre I de ce ChallengeAZ, vous la remettez ?). Et c’est elle et sa bru, Françoise Bodin, qui déclarent la naissance du fils illégitime de Louise et de Benoît en 1916.

 

    La famille c’est sacré. On s’entraide, on vit sous le même toit. Louise habite chez Cécile route de Choisy à Ivry dès 1913, puis à Paris 13e rue Damesme (1914) et encore rue de Clisson (1916/1926).

    Et Louise n’est pas la seule à partager son adresse avec Cécile : route de Choisy en 1913 on trouve son fils François et sa famille. On les retrouve tous rue Clisson en 1918/1927. En 1914/15 Cécile a demeuré cité Jeanne d’Arc… où était aussi sa fille Marie et sa famille. Plus tard on les retrouve rue de Tolbiac à Paris 13e (en 1931) et enfin rue Sthrau Paris (1937) où Cécile finit ses jours.

 

    Dans les campagnes, tu vois, c’était pas rare de voir trois générations sous le même toit : les grands-parents, les parents, les marmots, tout ce petit monde à se marcher sur les sabots. Mais en ville, avec l’industrialisation qui déboule et les usines qui crachent noir, c’est une autre paire de manches. Là, les familles, elles se rétrécissent comme des chaussettes lavées trop chaud. On appelle ça la « famille nucléaire » : le couple et ses gosses, serrés comme des sardines dans un appartement qui sent la misère et le charbon. On a dit que ce modèle cassait les liens d’avant, les solidarités qui faisaient la force des anciens, les coups de main du voisin, le soutien des générations. Que la ville, ça débranchait les cœurs. On voit ici que Cécile a fait mentir cette vision des choses. Elle a pas jeté ses vieux à la benne, elle a pas oublié ses frères et sœurs sous prétexte qu'elle vivait en ville et qu'elle voyait des cheminées fumer. Elle a gardé les liens étroits avec sa mère, les beaux-parents, les beaux-frères, et bien sûr, ses propres enfants et petits-enfants. Elle a prouvé que la solidarité, ça n'a pas de géographie, pas de code postal. Que même au milieu du bruit des machines et de la poussière des usines, le cœur de la famille, ça continue de battre. Et ça me rassure de savoir que, malgré la vie difficile qu’elle a eue, Cécile n’était pas seule, qu’elle avait ses ancrages, ses piliers, ses gens à elle. Parce que seul, on est rien.

 

 

 

5 commentaires:

  1. Quand on étudie les recensements de certaines familles, on a parfois du mal à comprendre comment sont répartis les enfants dans les différents foyers, je confirme.

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  2. Bel exercice de langue verte Mélanie !
    M@g.

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  3. J'avoue avec honte que je commence à m'y perdre...bon, je vais relire tranquillement et réviser les lettres précédentes. Promis ! Et encore bravo pour ces merveilleux récits.

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    1. J'ai ajouté un arbre généalogique dans la page de présentation du challenge au cas où... 😉
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

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    2. Merci Mélanie. Cela va me soulager les neurones. 🤒

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