« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 30 juin 2024

Une famille dans la tourmente

Les guerres de Vendée ont fait de nombreuses victimes (entre 100 000 et 200 000, soit environ 20% de la population vendéenne – chiffres à prendre avec précaution car les historiens ne sont pas tous d’accord). Immanquablement ma famille a été touchée. 

Les Gabard sont originaires de Saint-Amand-sur-Sèvres (Deux-Sèvres), en plein territoire de la « Vendée militaire ». Jacques Gabard a 5 fils, 16 petits-enfants (je descends de Jacques, son fils d’un premier lit et de son petit-fils Jean*). Certains de ses descendants sont restés à Saint Amand tandis que d’autres ont quitté le giron familial pour la Vendée voisine. 

 

Arbre généalogique

Famille Gabard et collatéraux :
en vert clair le prêtre réfractaire, en vert foncé les soldats vendéens identifiés à ce jour

 

La famille est touchée dès 1791. Pierre, le fils ainé du second lit (probablement : les registres de cette période ont disparus et les sources se contredisent quant à l’ordre des naissances des 4 fils), a choisi la religion. Il est nommé curé de Chambretaud (Vendée) en mai 1780. Au début il ne se montre pas hostile au mouvement émancipateur né de la Révolution (comme de nombreux Vendéens qui espèrent beaucoup en la redistribution des richesses promise par les révolutionnaires) : il est nommé électeur du canton des Herbiers et envoyé à Fontenay en 1790 pour élire les députés à l'Assemblée législative. Mais en 1791 c’est la rupture : il refuse de prêter le serment constitutionnel imposé au clergé. 

La Constitution civile du clergé est un décret adopté en juillet 1790 par l'Assemblée nationale, concernant l'organisation de l'Église de France, conséquence notamment de la nationalisation des biens de l'Église en novembre 1789. Adoptée contre son gré par Louis XVI, elle réorganise unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est condamnée par le pape Pie VI en mars 1791, ce qui provoque la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire

Pierre Gabard, curé de Chambretaud, se voit donc sommé de prêter le serment exigé des prêtres par ce décret. Il le refuse et devient, dès lors, un suspect. En 1792, les prêtres, comme tous les Français percevant une pension ou traitement de l'État, doivent prêter un nouveau serment dit serment de "liberté-égalité". A nouveau il le refuse. Aucun prêtre jureur n'ayant été désigné à la cure de Chambretaud pour le remplacer, il peut encore y demeurer, au milieu de ses fidèles et leur procurer les secours religieux dus à son office. On le voit ainsi signer régulièrement les registres paroissiaux. 

La majorité de la population du pays, est très attachée à ses prêtres. Elle reste calme mais proteste seulement par son absence aux cérémonies des prêtres jureurs (dans les paroisses où il y a eu une nomination), qui sont vus comme des intrus. Elle assiste en revanche à la messe que leur véritable pasteur célèbre là où il peut (dans une grange s’il pleut, dans un bois ou un champ s’il fait beau). 

Mais au fur et à mesure, en raison des difficultés qui se multiplient, Pierre Gabard doit cesser l'exercice public de ses fonctions et veiller à sa propre sécurité. La situation, devenue très précaire, se trouve soudain aggravée par le décret du 26 août 1792, ordonnant la déportation de tous les prêtres insermentés, âgés de moins de 60 ans. En vertu de ce décret, exécutable sous quinzaine, Pierre Gabard, qui n'a que 57 ans (rappel : les sources se contredisent à ce sujet), est déportable. Néanmoins, il ne se soumet pas à la loi. Mais, à partir de ce moment, il s’impose une vie clandestine et doit multiplier les précautions ; car, en cas d'arrestation, il sera déporté de force en Guyane. Le contexte s’exacerbant, c’est sa vie même qui est désormais en jeu. Toutefois, malgré le danger, il ne s'éloigne pas de sa paroisse (comme le montrent les registres paroissiaux qu’il continue de tenir clandestinement). Poursuivi et menacé par les révolutionnaires, il persiste à demeurer quand même au milieu de ses ouailles et doit se cacher pour n'être pas arrêté et emprisonné. 

 

En mars 1793, la levée en masse de 300 000 hommes est votée par la Convention. Chaque département de France doit fournir des volontaires, complétés par des hommes requis par désignation ou par tirage au sort. La rébellion se repend dans toute la population, en réaction à cette décision. Si dans la plupart des départements les révoltes sont rapidement réprimées, dans un territoire appelé la « Vendée militaire » (Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Vendée et Deux-Sèvres) la situation s’envenime. Les insurgés (surnommés les « Blancs ») établissent une « Armée Catholique et Royale » qui remporte une succession de victoires au printemps et à l'été 1793. 

Mort du général Moulin, 1794 - Jules Benoit-Levy © Musée de Cholet


Parmi les 5 frères Gabard, outre le curé de Chambretaud, un seul semble avoir pris les armes. Son frère Jacques pourrait avoir servi dans l'Armée Royale entre 1793 et 1800, identifié dans l’ouvrage de Françoise de Chabot « Un canton du bocage Vendéen » : « Gabard Jacques, né à Saint-Amand, 1740, commissaire en 1794, 1795 et 1799 ». Cependant il existe de nombreux homonymes, donc ce n’est peut-être pas lui. Par contre, la génération suivante, elle, a largement pris les armes. On raconte d'ailleurs que, dès le début de l'insurrection, presque tous les hommes valides de Saint-Amand s'empressèrent d'aller combattre dans les rangs de l'armée vendéenne. 

Le 9 avril 1793 le commandant des forces Républicaines (les « Bleus ») à Angers a reçu l’ordre de lancer une offensive contre les territoires insurgés. En route, les soldats Républicains brûlent un village et massacrent plusieurs habitants. Le 11 avril ils sont devant Chemillé. La petite ville a été fortifiée par les Blancs. Après un combat de 10 heures les Bleus ont réussi une percée, mais ils doivent finalement battre en retraite et Chemillé reste aux mains des Royalistes. S’il est difficile de déterminer les pertes de chaque camp, la mémoire familiale a été marquée par cette bataille : Jean Mathurin, l’un des neveux de Pierre Gabard, le curé de Chambretaud, âgé de 16 ans seulement, « est resté devant Chemillé » où un témoin « l’a vu sabré ». Joseph Amant Barret, un collatéral de notre famille, alors âgé de 20 ans, est lui aussi tombé à Chemillé, plusieurs témoins affirmant l’avoir vu « tomber en expirant ».

 

La ville de Chemillé - Thomas Drake, L'album vendéen © Wikipedia

 

En mai les insurgés s'emparent de Parthenay, sans combat. La Chataigneraie, petite ville à 40 km à l’Ouest de Parthenay, est alors défendue par les Républicains. Le 13 les Vendéens réussissent à reprendre la ville. Pierre Mathurin Gabard (cousin de mon ancêtre Jean) a servi en qualité de capitaine dans l'Armée Royaliste vendéenne et a été blessé à la Chataigneraie lors de cette bataille de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit; les balles ayant porté sur les tendons lui occasionnant une difficulté dans le mouvement et la flexion. Son dossier de demande de pension précise « qu’en toutes occasions il a toujours montré un attachement majeur à la royauté. » 


La ville de Saumur abrite un important quartier-général Républicain. Devant l’avancée des Blancs, la ville se fortifie. Le 2 juin l'Armée Catholique et Royale sort de Cholet et commence sa marche sur Saumur. Quelques jours plus tard, les Vendéens entrent en contact avec l'avant-garde Républicaine. Le 9 Saumur est prise. Parmi ces soldats Royalistes se trouve Louis Baudry, 19 ans. Après le conflit, il épousera Marie Jeanne Gabard, cousine de notre ancêtre direct Jean Gabard. Les sources signalent qu’il a fait 4 ans de guerre. Il a eu le grade de capitaine et il fut blessé à Saumur. Après guerre il demanda un secours en tant qu’ancien militaire, « blessé au service du Roi ». Mais son cas n’a pas été jugé mériter la pension pour lesquels il avait été proposé et en conséquence il ne recevra rien. 

 

La ville de Saumur - Thomas Drake, L'Album vendéen © Wikipedia

 

En tant que veuve de militaires de l'armée vendéenne auxquelles sa majesté a accordé des pensions par ordonnance du 10 novembre 1815, Modeste Boissinot a obtenu 40 francs annuels. Cette aide est accordée tant que la veuve ne se remarie pas : elle touchera la somme jusqu’à son remariage en 1817. Son premier mari, Jacques Alexis Barret était concierge du château de la Guierche, à Saint-Amand. Ce château appartenait à Françoise Alexie Petit de la Guierche marquise de Saint-Mesmin, qui était sa marraine, et Jacques François René Marie de Vasselot son mari (leur fils était le parrain de Jacques Alexis Barret). La famille Barret était originaire de Jazeneuil (Vienne) où les parents de Jacques Alexis étaient au service de cette puissante famille. C’est sans aucun doute grâce à eux qu’ils sont arrivés à Saint-Amand puis le couple y deviendra concierge ou régisseur de leur château de la Guierche. 

Dans les documents concernant sa pension de veuve, Jacques Alexis est dit décédé à Luçon en 1793. Pendant que le gros de l'armée vendéenne préparait l'attaque de Nantes, l'armée du centre, tenta de lancer une diversion en s'emparant de Luçon. La place fut attaquée le 28 juin. Les Républicains s’étaient déployés devant la ville mais ils étaient en nette infériorité numérique, et une partie des troupes prit la fuite. Cependant 150 soldats de l'ancien régiment de Provence, qui avaient déserté pour rejoindre les Vendéens, changèrent une nouvelle fois de camp et retournèrent leurs armes contre les Blancs. Ce mouvement jeta la confusion chez ces derniers qui prirent la fuite à la tombée de la nuit, poursuivis par les Républicains. 

 

Bataille de Luçon - Thomas Drake © Wikipedia

Jacques Alexis ferait donc partie des nombreuses victimes de ce jour. Or les registres clandestins de Saint-Amand (tenu par des prêtres réfractaires) indiquent qu’il était présent au décès de sa mère (décédée le 25 juin, enterrée le 27). Rappelons qu’il faut environ 14h à pied pour rejoindre Luçon depuis Saint-Amand (sans compter toutes les fois où il faut se cacher des patrouilles républicaines dans un fourré). Le timing paraît un peu juste. Par ailleurs il n’est pas dit décédé lors des décès de ses filles en 1794 et 1795 (ce qui pourrait être un oubli… ou pas). 

Le frère de son parrain, Joseph Amand de Vasselot, un des chefs vendéens (tardif) en 1795 (arrêté et fusillé en 1796) l’a-t-il entraîné dans des combats postérieurs à février 1795 qui ont provoqué sa mort ? 

Françoise de Chabot dans « Un bocage vendéen » le dit décédé à Noirmoutier (sans date). Je ne l’ai pas trouvé dans les listes concernant la campagne de Noirmoutier (qui, de toute façon, a eu lieu en 1793/1794) même si je n’exclue pas d’avoir loupé le document où il figurerait. Ce qui est sûr c’est que Jacques Alexis est décédé avant 1800 puisque sa veuve fait son deuxième mariage (elle en fera trois au total) en octobre 1801. Pour cela, une attestation a été cherchée auprès de Mgr Supiot, vicaire général de La Rochelle, pour la déclarer veuve de Jacques Barret, mort à la guerre : "nous soussignés le 12 may 1800 d'après les informations de l'enquête faite par Mr Le François prêtre desservant de St Amand chargé par nous de cette commission pour prendre les connaissances propre à s'assurer de la mort de Jacques Barret, à déclarer Modeste Boissinot son épouse veuve et libre, si elle le juge à propos de convoler à de secondes nopces vu les raisons alignées et le tout bien considéré nous joignons par les présentes le dit Jacques Barret est mort à Noirmoutier et Modeste Boissinot son épouse veuve et libre de s'unir par les liens sacrés du mariage à qui bon lui semblera si elle veut se remarier, supposé qu'il n'y ait pour d'autres empêchements, et sans la dispense des règles ordinaires de l'évêque"

Noirmoutier ? Luçon ? 1793 ? 1795 ? Le mystère reste entier mais il ne fait cependant aucun doute que le décès de Jacques Alexis doit être imputé aux guerres de Vendée. 

 

Jean Gabard (mon ancêtre direct, sosa 112) fait lui aussi partie des blessés vendéens. Cela s’est passé à la bataille de Châtillon. Lors de la Restauration, le roi Louis XVIII s'intéresse au sort des soldats qui se sont battus pour sa cause. Le 3 décembre 1823, il adresse à tous les préfets une ordonnance prescrivant de rechercher les soldats vendéens nécessiteux, dans le besoin, ou ne pouvant plus travailler en raison de leurs infirmités ou de leurs blessures reçues au cours des batailles pour la cause des Bourbons. Quelques mois après, Jean Gabard dépose un dossier de demande de pension. Il y explique qu’il fut blessé « lors de l'affaire de vestherman à l'articulation de l'humérus d'un coup de bayonnette, blessure qui fut guérie mais qui le gêne pour travailler et gagner l'existence ». 

Le général Westermann est resté célèbre pour les atrocités qu'il commit lors des guerres de Vendée. Il s’y montre implacable et pratique une politique de terreur à l'égard des contre-révolutionnaires. Le 3 juillet 1793 il prend Châtillon. Avec les Républicains ils étaient stationnés sur le plateau ouest de Château-Gaillard surplombant la ville. Le 5 juillet les Vendéens les attaquèrent par surprise. Les Républicains prirent la fuite et dévalèrent en grand désordre les pentes abruptes du plateau. En se repliant sur Châtillon, ils tombèrent sur une deuxième colonne vendéenne. Les combats firent rage dans les ruelles de la cité. Westermann s’enfuit à cheval mais il y eu de nombreux morts et blessés, dans les deux camps. En octobre les Royalistess reprennent la ville, considérée comme la capitale de la Vendée militaire. Mais Westermann rallie de nouvelles troupes et revient à Châtillon à la faveur de la nuit, surprenant les Blancs qui, deux fois inférieurs en nombre, doivent céder la ville à Westermann et ses Républicains. Ceux-ci, non contents de leur victoire, incendient les maisons et massacrent la population, ne laissant que ruines avant d’ordonner leur retraite. 

 

Combat de rue, guerre de Vendée © Wiikipedia

 

On ne sait pas si Jean fut blessé au printemps ou à l’automne, mais son dossier nous apprend qu’il en garda des séquelles toute sa vie. Toutefois, bien que considéré comme pauvre, il est classé dans la 3e catégorie des soldats demandant un secours viagers, c'est-à-dire ceux qui ont des infirmités ou des blessures moins graves que ceux des deux premières catégories. Sa demande de pension sera rejetée, au motif qu’il « n'aurait pas droit » (sans doute n’a-t-il pas été assez blessé). On notera qu’en 1793, Jean n’avait que 17 ans. 

 

Après l’écrasement de l’Armée Catholique et Royale, fin 1793, il est décidé de détruire les derniers foyers insurrectionnels de la Vendée militaire. Des colonnes incendiaires quadrillent le territoire afin d’exterminer tous les « brigands » ayant participé à la révolte, femmes et enfants inclus et de saisir les récoltes et les bestiaux, incendier les villages et les forêts. Ces atrocités coûtent la vie à des dizaines de milliers de personnes et valent aux colonnes incendiaires d'être surnommées « colonnes infernales ». 

Ces troupes qui sillonnent le pays en dévastant tout sur son passage ont marqué la commune de St Amand et notre famille à plusieurs reprises. À la mi-janvier 1794 ont lieu les événements dits du Pont-Mesnard, commémoré par une plaque du Souvenir Vendéen dans l’église de Saint-Amand-sur-Sèvre. La garnison de Mallièvre s’abat sur la paroisse à la recherche, selon la tradition orale, du camp des partisans de Charette. « Les habitants sont surpris au petit matin. S’ensuivent une rafle et un tribunal révolutionnaire. Sur la table est placée une statue censée représenter la Révolution. Les paroissiens devaient lui prêter allégeance. Ils ont été saisis d’horreur à l’idée d’honorer un faux Dieu. On les amène alors à leur supplice », selon l'historien J. Grassin. Quelques jours plus tard, les 24 et 25 janvier 1794, c’est la colonne infernale de Boucret marchant entre Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) et Les Épesses qui arrive à Saint-Amand-sur-Sèvre. Elle massacra 25 personnes en une seule journée. Les fermes et les maisons du bourg furent incendiées. Le même jour la colonne de Grignon marchant entre Cerizay et La Flocellière ravage l’ouest de la commune dans les parages de La Pommeraie, faisant de la localité peut-être la seule dans la Vendée à avoir subi deux colonnes le même jour. L’un de mes collatéraux, Pierre Le Boiteux y fut tué « pour cause de religion » et enterré entre la Pommeraie et Montravers. Selon les estimations, de 1790 à 1800, la population de la paroisse tomba de 1 220 à 767 habitants, du fait de la guerre ou des départs vers des régions moins troublées. 

 

Avec le soulèvement général de la Vendée à partir de mars 1793, et que le pays fut sillonné par les armées Républicaines, l'exercice de son ministère à Chambretaud devient impossible à Pierre Gabard. Dans le bourg, les Bleus ont établi un camp ; les chefs logent à la cure, et l'église sert d'écurie pour leurs chevaux. C'est grâce à cet état de choses que ni l'église ni la curie n'ont été incendiées, contrairement à ce qui se faisait partout ailleurs. La présence au chef-lieu paroissial de cette petite armée, dont les perquisitions et les battues sont incessantes aux alentours, ne permet au prêtre aucun séjour dans la paroisse. Force lui est de se retirer ailleurs. Il trouve une retraite dans la paroisse voisine de Saint-Malo-du-Bois ; son lieu de refuge est ordinairement la ferme du Pré Landais. Là on lui fait une petite retraite sous des fagots de bois, en face de la ferme ; il n'en sort que pour porter à ses paroissiens les secours et les consolations de son ministère de manière officieuse. 

Il court plusieurs fois de grands dangers dont il se tire toujours sain et sauf, grâce à sa présence d'esprit et à son courage. Un jour, surpris dans sa cure par une patrouille de Républicains, qui lui annoncent qu'ils vont le conduire à Nantes, il est sauvé par sa servante qui demande aux soldats de laisser au moins à son maître le temps de changer de linge. Elle les invite à visiter la cave et leur offre à boire si généreusement, qu'à la faveur des copieuses libations, elle peut faire échapper son maître, et s'échapper elle-même après lui. Quand les soldats sortent de la cave, ils sont ivres et déchargent leur rage anticléricale contre un vieux tronc de pommier du jardin que, dans leur vue trouble, ils prennent, peut-être, pour le curé qu'ils cherchent. 

Une autre fois, le vaillant curé est découvert par les Bleus : c’est le 27 février 1794, jour du grand massacre de la Gaubretière. Quelques compagnies de la colonne infernale envahissent soudain Chambretaud. Les cris de mort éclatent avec la fusillade. M.Gabard était encore à son presbytère. Il s'empresse de fuir dans la campagne, poursuivi par les soldats qui hurlent « A mort ! A mort ! » En même temps, les balles sifflent à ses oreilles. Arrivé au pont de Fontaine-Vive, le curé se jette à l'eau, très froide en cette période, la tête seule hors de l'eau, sans avoir été aperçu, et reste là blotti sous le pont. Quelques instants après, les Bleus le traversent en courant et en blasphémant contre le prêtre fugitif dont ils ont perdu la piste. La tradition orale familiale raconte, qu’en sortant de l’eau, il fut pris d’un tremblement nerveux qu’il garda toute sa vie. 

Si l’on se fie aux registres paroissiaux, le curé ne s’éloigne du pays que durant huit mois (octobre 1793/juin 1794), période qui correspond au passage des Colonnes infernales. Selon certaines sources, avec un groupe important d’habitants de sa paroisse il dut suivre l’Armée vendéenne Outre-Loire (mais d’autres l’indiquent à Chambretaud en février, comme on l’a vu plus haut : difficile de retracer son parcours exact en ces temps troublés). 

 

En mars 1794, une autre colonne va entrer en foret de Vezins, où les Vendéens avaient établi leur quartier général. Louis Martineau, fusilier (soldat qui a pour arme un fusil) de l'Armée Royale de l'Ouest y est blessé. Il est âgé de 26 ans au moment des faits. Il a épousé l’une des sœurs de Jean Gabard, Marie, quelques années auparavant. Dès 1816 sa blessure le fait paraître dans les tableaux de secours alloués aux anciens combattants de l'arrondissement de Bressuire : il perçoit une aide annuelle 60 francs pendant plusieurs années. 

 

En juillet 1794, Mathurin Gabard (cousin de Jean) avait, selon la tradition familiale, quitté son oncle curé de Chambretaud pour rejoindre les rangs des insurgés. Il rejoint la ferme de son oncle et parrain au village du Poux, à Saint-Amand, avant de mourir de ses blessures. Il avait 21 ans.


La répression des colonnes infernales provoque une résurgence de la rébellion et, en décembre 1794, les Républicains engagent des négociations qui aboutissent entre février et mai 1795 à la signature de traités de paix avec les différents chefs vendéens, entraînant ainsi la fin de la « première guerre de Vendée ». Mais la situation n’est pas réglée. Une « deuxième guerre de Vendée » éclate peu après, en juin 1795. Le soulèvement s'essouffle cependant rapidement, et les derniers chefs vendéens se soumettent ou sont exécutés entre janvier et juillet 1796. La Vendée connait encore d'ultimes et brèves insurrections avec une « troisième guerre » en 1799. 

 

Pierre Gabard, un autre cousin de Jean, demanda lui aussi une pension, faisant valoir qu’il avait reçu un coup de sabre à « Champ Breteau » (sans doute Chambretaud) en 1799. Les Vendéens y ont attaqués par surprise par les Républicains qui lancèrent une charge à la baïonnette mettant en déroute les Blancs. Le jeune Pierre n’avait que 15 ans au moment des faits. Même si la blessure avait guérie en 1824 (date de la demande) elle le gênait encore pour marcher. Considéré « blessé grièvement et dans l'indigence » il reçu une pension de 100 francs. 

 

Le capitaine Pierre Mathurin Gabard (que nous avons vu plus haut blessé à La Chataigneraie) continue le combat. En novembre 1799 il est aux Aubiers. Les Vendéens assiègent la cité tenue par les Républicains, qui se sont réfugiés dans l’église. Grâce à des renforts venus de l’extérieur, ils tentent une sortie. Peu aguerris et mal équipés, les Vendéens paniquent et prennent la fuite. Les Républicains se lancent à leur poursuite et tuent un grand nombre de Vendéens avant que ces derniers ne parviennent à se réfugier dans les bois. Les pertes furent écrasantes pour les insurgés. « L’ardeur [de Mathurin] pour la légitimité l'ayant poussé à s'enfoncer dans les rangs ennemis, a ôté un drappeau aux troupes Républicaines à [cette] affaire qui eu lieu aux Aubiers » souligne son dossier. Lui aussi souhaite profiter des bienfaits de l'ordonnance royale du trois décembre et dépose une demande de pension. Son action d'éclat lui vaut d’être classé dans la 2e catégorie, c'est-à-dire ceux qui ont été blessés grièvement et un peu moins indigents que ceux de la 1ère catégorie. Compte tenu qu’il a servi dans l'Armée Royale de l'Ouest pendant toute la guerre, qu’il est infirme, journalier, indigent, et qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable, il est reconnu susceptible, par sa conduite, son indigence et son infirmité, d'obtenir du soulagement particulier : le secours annuel lui est accordé : il reçoit 100 francs. Régulièrement son cas est réexaminé : on s’attache notamment à vérifier « qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable ». A un moment donné on le soupçonne d’être père d'un réfractaire, mais en 1831 il est confirmé qu'il « n'a point fait partie des bandes et n'a point de fils réfractaire ». Il continue donc de percevoir sa pension. 

 

En 1797, le commissaire du Pouvoir exécutif au canton des Herbiers avait rappelé que « M. Gabard, curé de [Chambretaud], a étez deffendu de faire aucunes fonctions curialles, touchant son ministère, sous pênnes de punitions, de par la loi ». La situation du curé de Chambretaud est toujours délicate.

 

Enfin, après 1799, la pacification religieuse se fit peu à peu et M. Gabard reprit ostensiblement ses fonctions sans être inquiété. Il prononça finalement le serment de fidélité par écrit en 1803 en tant que desservant de Chambretaud. Au Concordat, il obtint une pension de 333 francs. Le saint et dévoué pasteur était resté l'objet de la vénération de tous ses paroissiens. Il s'éteignit pieusement dans sa cure de Chambretaud, le 21 août 1812. 

 

Dans les années 1825/1835 plusieurs Gabard ou apparentés apparaissent dans les sources concernant les anciens militaires de la guerre de Vendée

- Jacques Gabard, un des frères de Mathurin décédé en 1794 : « blessé très méritant, sans fortune, montant secours proposé : 100 fcs » 

- Jacques Gabard, frère du capitaine Mathurin (cousin des précédents) apparaît peut-être dans "Un canton du bocage Vendéen" de Françoise de Chabot : "Contrôle nominatif des Vendéens qui ont servi dans l'armée Royale entre 1793 et 1800 Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1780, s'est battu en 1799"

- Rémi Vignaud (beau frère de mon ancêtre Jean), ancien soldat infirme par suite des fatigues de la guerre, a lui aussi déposé un dossier de demande de pension, faisant valoir qu’il "a servi en tant que soldat dans l'armée royale vendéenne et que pour se soustraire à la poursuite de troupes Républicaine, il fut obligé de rester longtemps (pendant 24 heures) dans l'eau et qu'il lui est survenu un rhumatisme qui l'empêche de gagner sa vie [...] et avoir couché grand nombre de nuits dans les bois pour se soustraire aux recherches que les Républicains faisaient pour l'arrêter." Ayant besoin de faire constater l’époque de sa naissance, il fait témoigner pour lui 7 personnes (dont son beau frère Louis Martineau et 3 Gabard : Mathurin, Pierre et Jean) ; ils indiquent que Rémi est né dans le courant de février 1777 à la Petite Boissière (bon, à moins qu’il ai eu un frère homonyme, moi j’ai retrouvé son acte de naissance en 1780 dans la paroisse voisine du Pin). Son dossier n’indique pas à quel moment il a dû fuir les Républicains : si c’était en 1793 il avait 13 ans (ou 16, donc) ; si les faits se sont produit plutôt dans la seconde guerre de Vendée il aurait eu 19 ou 21 ans. Bref, il était tout de même très jeune. Quoi qu’il en soit, sa demande a été refusée car il n’a pas été blessé proprement dit (ce qui était exigé dans le cadre de l’ordonnance royale de 1823). Lui et sa femme Louise Gabard mourront sans biens, situation attestée par un certificat d’indigence

- François Guetté : capitaine, blessé par un cheval à la jambe gauche à l'affaire de Châtillon, sans fortune. Secours proposé : 200 francs. Dans un case "observations" il est dit ajourné et dans la case voisine « a bien servi dans l’infanterie ». Ces remarques semblent indiquer qu’une enquête plus complète a été menée à son sujet. Mais je ne l’ai pas retrouvé ensuite dans d’autre tableaux, ce qui indiquerait qu’il n’a pas obtenu son secours. Des investigations complémentaires mériteraient d’être entreprises car, s’il est dit sans fortune, il est aussi maire de la commune de Saint-Amand de 1804 à 1812. Or à cette période pour être nommé il fallait en général faire partie des plus imposés de la commune et lors de son décès il laisse à ses héritiers plus de 500 francs de mobilier et une borderie évaluée à 1300 francs; ce qui est contradictoire avec les secours alloués aux indigents.

 

Martyrologe installé dans l'église de Saint-Amand par le Souvenir vendéen
(6 de mes ancêtres/collatéraux y figurent)



* Alerte homonymes ! Dans cet échantillon d’une vingtaine de personnes appartenant à la famille Gabard je compte 4 Pierre, 5 Jacques, 3 Jean, 4 Mathurin (en 1er ou 2e prénom) !




samedi 25 mai 2024

#Généathème : mon double généalogique

 Y a-t-il un double généalogique parfait dans mon arbre ? Pour le savoir, lancez le diaporama et faites défilez les flèches !




mardi 30 avril 2024

#Généathème : les 11 ans du ChallengeAZ

Le 1er avril 2013 se tenait la première édition du ChallengeAZ. C’est en le découvrant que l’envie m’est venue de créer un blog de généalogie. Le temps de trouver un nom, une identité visuelle et quelques mois plus tard je publiais mon premier article. Depuis j’ai toujours été fidèle au ChallengeAZ, ne ratant aucune édition.

 

Avec ou sans fil rouge, photographique ou romancé, consacré à une personne, un lieu ou des objets… : 10 façons de réinventer l’alphabet généalogique ! Vous pouvez retrouver toutes les éditions grâce à l’onglet dédié de menu de ce blog.

Généathème fêtons les 11 ans du ChallangeAZ

Pour fêter les 11 ans du ChallengeAZ, je revisite certaines de mes participations… de façon auditive :

Vous pouvez écouter 3 éditions en cliquant sur les liens ci-dessous.

Si vous préférez, vous pouvez les retrouver sur Spotify, Deezer ou Castbox - ainsi que d’autres podcasts (voir ici).

 

Édition 2020 : Polar généalogique 

Partie 1 : lettres A à H
 

 
Partie 2 : lettres G à M
 

 
Partie 3 : lettres N à S
 


Partie 4 : lettres T à Z
 


Bonus : le mystère enfin résolu

 

Édition 2018 : Centenaire de la Première Guerre Mondiale

Partie 1 : lettres A à I
 

 
Partie 2 : lettres J à Q
 

 
Partie 3 : lettres R à Z
 

 

Édition 2015 : Des sources pour une vie, Jules Assumel-Lurdin

Partie 1 : lettres A à M
 

 
Partie 1 : lettres N à Z
 

 

jeudi 11 avril 2024

Les livres généalogiques

Vu de l’extérieur, faire de la généalogie c’est accumuler des dates, gâcher son temps devant un obscur tableau de matrice cadastrale ou s’enthousiasmer par la mort (surtout quand on trouve un acte mentionnant la cause particulière du décès). Bref, c’est bizarre.

Expliquer ses découvertes, transmettre ses recherches généalogiques à des personnes qui n’y entendent rien, ce n’est pas toujours évident.

Pour ne pas rebuter les profanes, il faut savoir adapter son vocabulaire, trouver un point d’intérêt, utiliser un outil de médiation accessible à tous.

 

Dans ce but, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de faire des livres généalogiques.

 

Dans le cadre d’une cousinade, j’ai utilisé le carnet pré-imprimé de la Revue Française de Généalogie « Mon carnet – toute une vie à transmettre ». Ce carnet est destiné à raconter sa propre vie, y inscrire ses relations, lieux de vie, souvenirs, coups de cœur… et ainsi laisser un véritable témoignage pour les générations futures. Bref, raconter la vie du généalogiste et pas celles de ses aïeux, pour une fois !

Cependant j’ai détourné l’usage premier de ce carnet et j’y ai décrit la vie de mes arrière-grands-parents maternels Joseph Gabard et Flora Roy.

L’avantage de cet ouvrage est d’y trouver des rubriques qui aident à raconter le déroulé d’une vie. Le carnet est graphique et agréable à feuilleter. Mais la médaille a aussi son revers : toutes les rubriques ne sont pas forcément utiles pour la personne concernée. Il y  a donc des pages laissées vides.

Comme j’ai rempli le carnet pour un couple et non pour une personne seule, je me suis adaptée et j’ai doublé certaines pages (lieu de naissance, ma famille, etc…). Je me suis amusée à ajouter des papiers à soulever, à dérouler, à ouvrir… J’ai collé des photos, des reproductions de documents, des dessins. 

Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
 

Bref, je l’ai modifié à mon goût.

"Mon carnet" de Joseph et Flora


Ludique, l’objet a été très apprécié lors de cette cousinade réunissant les descendants du couple formé par Joseph et Flora.

 

En 2020 j’ai inventé un polar généalogique (à lire ici). Écrit dans le cadre du défi d’écriture du ChallengeAZ, chaque chapitre correspond à une lettre de l’alphabet, comme le veut l’usage de ce défi d’écriture généalogique. Il se base sur des faits réels et des personnes ayant véritablement existé. Seule l’intrigue policière a été créée de toute pièce.

Chaque article aborde une source permettant d’établir la généalogie d’une personne et de donner corps à sa vie, son environnement, depuis l’état civil jusqu’à la gastronomie locale, en passant par le récit des recherches menées.

La fiction permet de faire de la généalogie sans le savoir.

A l’origine destiné à être publié seulement sur le blog, ma mère m’a fait la surprise d’éditer quelques exemplaires physiques de ce polar. Pour cela, elle n’a repris que les textes du ChallengeAZ (« dans un polar, il n’y a pas d’image ! »). Elle est passée par CoolLibri, un site en site d’auto-édition. Elle a pu y choisir la reliure, le format, le papier, etc…

Couverture du polar généalogique "Les racines du crime"
Polar généalogique "Les racines du crime"


J’ai aussi fait imprimer deux autres livres, qui laissent une grande place aux visuels. Ils ont été offerts en cadeau à mon père.

 

Le premier livre raconte les généalogies paternelles et maternelles de mon père. C’est un sujet assez large puisqu’il s’étend sur neuf générations. Au fur et à mesure des pages, on remonte le temps. Je me suis concentrée sur les hommes, ce que l’on appelle une généalogie agnatique.  

Couverture du livre "Une famille, une histoire"
Livre "Une famille, une histoire"
 

J’ai établi une double page par génération : sur le feuillet de gauche figure le nom et dates de l’ancêtre, accompagné de sa photo ou sa signature (ou son nom seul à défaut) ; sur celui de droite, j’ai rédigé un texte présentant une synthèse des recherches, émaillé d’anecdotes familiales et ornés de photos et de documents (copies d’état civil et d’actes notariés, cartes postales anciennes, illustrations de costumes ou d’outils…). Des arbres complètent l’ouvrage, ainsi que des planches spécifiquement dédiées aux lieux habités par nos ancêtres et aux photos familiales. Une bande de couleur rouge sombre fait le lien entre les différentes pages. 

Exemple d'une double page intérieure
Exemple d'une double page intérieure
 

Le format choisi est un A4 paysage (horizontal), avec une couverture rigide. Il comporte 24 pages (48 vues).

 

Le second livre est plus graphique : il reprend les codes du scrapbooking (une page, un décor). 

Couverture du livre "Cécile et Augustin Astié"
Livre "Cécile et Augustin Astié"


Cet ouvrage est centré sur un seul couple, Augustin Astié et Cécile Rols, les arrière-grands-parents de mon père. Le choix n’a pas été facile à faire car j’avais aussi envie de raconter aussi la génération précédente mais pour ne pas alourdir l’ouvrage, je me suis restreinte (peut-être un livre futur ?). J’y explore les différents aspects de la vie de ce couple : parents et fratrie (pour l’un, puis l’autre), rencontre, mariage, enfants, métiers, décès, etc... Une page est consacrée à chaque thème.

La plupart du temps le travail généalogique avait été fait en amont, mais parfois la chronologie des découvertes a été inversée : l’idée d’une page-thème a été le moteur de recherches complémentaires.

Réalisé dix ans après le premier livre, ma pratique généalogique a évolué : j’ai pu inclure dans ce second ouvrage des sources que je n’explorais pas dans le précédent (cadastre, presse ancienne, dossier de carrière, etc…).

Le décor prend la majorité de la place, réduisant la taille du texte disponible. Cette contrainte d’espace dédié à l’écrit m’a obligé (permis) de faire une synthèse des recherches et de rendre abordable les sujets traités. De cette façon le lecteur n’est pas noyé dans des détails inutiles ou du vocabulaire abscons. Et permet une transmission plus facile.

Exemples de pages intérieures
Exemples de pages intérieures
 

Cette fois, pour changer, j’ai choisi un format carré, avec une couverture souple. Il comporte 19 pages (38 vues).

 

Ces deux ouvrages restent des objets visuels. L’écrit n’y tient pas la place principale. Ce n’est pas une étude complète. Je n’ai donc pas rédigé d’introduction ou de conclusion, développé le contexte historique ou la vie quotidienne locale. Je me suis concentrée sur de courtes biographies ou des thèmes particuliers.

Pour ces deux livres, j’ai utilisé les services d’éditeurs en ligne de livres photos (MonAlbumPhoto et PhotoBox). Ils sont faciles d’utilisation : il suffit de télécharger des photos et les placer comme on le souhaite sur la page ou de copier-coller des blocs de textes. Ces sites laissent le choix de la reliure, du format, de la qualité du papier, etc... Pas besoin de rentrer dans les relations parfois complexes avec un imprimeur. Le rendu très satisfaisant, c’est une solution pratique pour fabriquer ce type d’ouvrage.

A noter : ce sont des ouvrages à destination familiale. Si j’en ai fait imprimer plusieurs exemplaires (pour les membres de ma famille qui ont souhaité en posséder une copie), ils ne sont pas destinés à être vendus. Dans ce cas, les contraintes sont différentes, notamment pour les illustrations tirées d’un site d’archive soumises à la réutilisation à titre gratuit des informations publiques (à garder en mémoire, au cas où).

 

Ce sont de beaux objets, plaisants à feuilleter et tout à fait accessibles à tous.

 




vendredi 15 mars 2024

L'épicerie de la rue de la Roë

Article disponible en podcast !


 

Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction. 

Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
 

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.

 

Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :

  • Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier,  au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
  • Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
  • Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
  • Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
  • Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !

Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.

 

Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.

 

Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers (avec une loupe ajoutée par mes soins)
Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers
(avec une loupe ajoutée par mes soins)


Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.

 

L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).

 

Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers
Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers

Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).

Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.

Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).

Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.

 

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica

 

Existe aussi en version enfantine :

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
 

Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).

Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.

Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).

 

Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).

 

Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.

Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !

 

L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).

Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.

 

Les cartes postales de l’époque nous donnent une  idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.

 

Carte postale ancienne Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
 

Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.

 

D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.

 

Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !

 

Article "une fillette sauvagement assassinée" Ami du peuple, 1933 © Gallica
Ami du peuple, 1933 © Gallica

 

En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne. 

Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.

 

Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?

 

 

 

* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).

** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.

 

vendredi 16 février 2024

Droit de banc

La veille de Noël 1759 plusieurs notables de la paroisse de Villevêque (49) s’assemblent dans la maison presbytérale, « en présence et avec le consentement de René Riffault prêtre curé dudit Villevêque et de Me Nepveu, notaire royal à Angers et Baugé résidant à Villevêque ». Ils sont là afin d’enregistrer officiellement une vente un peu particulière. Parmi les protagonistes principaux on compte :
  •  Jacques Collin, Maître tisserand, est né en 1713 à Corzé (paroisse voisine), installé à Villevêque après son mariage en 1738 (il est apparenté à ma famille par sa mère, Françoise Rattier : je descends de plusieurs oncles, tantes et cousins de cette famille très « implexée » ; et de la famille de son épouse dont les ascendants sont juchés bien haut dans mon arbre).
  •  Symphorien Lysambard, Marchand fermier dont la fille vient d’épouser le neveu de Jacques Collin, est issu d’une vieille famille de Villevêque. S’il ne sait pas signer, il tient un rôle non négligeable dans la paroisse : il est le marguillier de la fabrique. 
La fabrique d’une paroisse est composée d’un groupe de clercs et de laïcs qui gèrent tout ce qui appartient à l’église, depuis les luminaires jusqu’aux fonds affectés à son entretien. En général, c'est à l'issue de la messe, le dimanche, que les habitants se réunissent en assemblée pour y discuter de toutes les questions matérielles de la paroisse et administrer ses affaires. Tout homme possédant quelques biens (c'est-à-dire ceux qui sont imposables, les propriétaires) fait partie de cette assemblée. Les procureurs de fabrique, ou marguilliers (ils sont deux) sont élus par cette assemblée pour un an afin d'appliquer les décisions prises par elle et agir au nom de la collectivité. Les fabriciens (membres de la fabrique) pouvaient avoir un siège réservé dans l'église.
  •  Laurent Vaugoyau est aussi un marchand fermier, alors âgé de 40 ans, demeurant au lieu de la Métairie aux Clercs en ladite paroisse. Lui aussi est issu d’une vieille famille de la paroisse (et un de mes lointains cousins). Il est l’acheteur dans cette affaire.

Sont présents également, les témoins :

  • Maitre Mathurin René Chauvigné et Christophe Davy prêtres et chapelains de la paroisse,
  • le sieur Vincent Gillet marchand fermier, parrain de la fille de Laurent Vaugoyau,
  • le sieur Gabriel Rataud sieur Du Plais maitre chirurgien,
  • Mathurin Allaire maréchal ferrant,
  • Urbain Peltier marchand.

 

Bref, cette noble assemblée est présente pour concéder et accorder audit Vaugoyau, « sous le bon plaisir de Mr le curé dudit lieux, un emplacement de bancelle en ladite église »

 

Banc d'église © Ministère de la culture
© Ministère de la culture

La bancelle est un type de banc, étroit et long. En effet, autrefois il n’y avait que peu de siège dans les églises et ceux-ci étaient très étroitement réglementés. Le droit de banc est un droit honorifique qui permet à ceux qui en jouissent, généralement les seigneurs, d'avoir des places réservées dans une église, une chapelle ou une abbaye, à un emplacement privilégié (au premier rang de la nef ou souvent dans le chœur même).

Aucun canon ne défend expressément aux laïcs d’avoir des bancs dans les églises, mais c’en était l’usage très ancien. Puis cette discipline s’est relâchée pour permettre l’entrée du chœur (on ne pouvait alors y entrer que pour recevoir la Sainte Communion), d’abord accordée aux rois, princes puis patrons et fondateurs d’églises (en général le seigneur du lieu). Une fois l’entrée du chœur permise aux patrons, ils se firent attribuer le droit d’y avoir un banc.

 

L’usage des bancs s’est ensuite généralisé, accordé à trois sortes de personnes :

- le patron ou fondateur d’une église : celui qui a fondé, doté ou bâti une église (droit de banc à droite dans le chœur). Ils ont la prééminence sur les tous les autres.

- les seigneurs haut justicier (à gauche dans le chœur).

- les particuliers et paroissiens (dans la nef) : quiconque veut avoir un banc dans une église doit se procurer un titre, concession faite par le marguillier (ou le conseil de fabrique) qui se fait avec l’avis du curé en échange d’une rétribution en faveur de la fabrique. Rétributions qui doivent être destinées aux réparations de la nef, entretien du pavé ou vitrage. L’usage est de faire passer trois criées, ou publications, et il est libre à chacun de former une opposition. La concession accordée est toujours révocable, personnelle, non transmissible et non vendable. La plupart du temps, les veuves et héritiers sont préférés, après le décès du concessionnaire, à tous autres demandeurs, mais le transfert n’est pas automatique. De même, le droit de banc ne « suit » pas le paroissien s’il change de domicile : il faut alors reprendre une nouvelle concession.

Les bancs sont partiellement et progressivement remplacés par les chaises apportées par chaque particulier. Mais cette pratique a entraîné une lutte pour obtenir les meilleures places, si bien qu'a été mis en place le bail des bancs et chaises (géré par les fabriques qui s’assurent ainsi une bonne partie de leurs ressources financières). Cette coutume se codifie au milieu du XVIIIe siècle et se généralise tant et si bien qu’au XIXe siècle c’est devenu un bien de consommation commun. Finalement le mobilier a été mis progressivement à disposition gratuitement. Mais l'usage pour les notables de la paroisse d'être propriétaire dans les premiers rangs de leurs chaises avec prie-Dieu, sur lesquels ils font graver leurs noms sur des plaques de métal (souvent en cuivre, parfois émaillées) vissées au dossier des chaises, perdure jusqu’au concile Vatican II (dans les années 1960).

 

Le banc concédé à Laurent Vaugoyau pouvait « contenir trois personnes » et était situé « derrière le banc immédiatement appartenant au seigneur Rouillon* au lieu et place de celui du sieur Jean Toupelin ancien notaire royal », le précédent concessionnaire.

Ledit Laurent Vaugoyau « a la charge […] de faire placer ladite bancelle à ses frais ».

Ledit Vaugoyau accepte cette concession tant pour lui que pour ses hoirs (héritiers) et ayants causes (alors que le droit n’est normalement pas transmissible, comme on l’a vu plus haut). Il achète ladite concession « au procureur alors en charge de ladite fabrique [pour] la somme de trente sols [par] an » (l’équivalent de 16,91 €). Le premier payement devant se faire immédiatement et ainsi « d’année en année ». Mais « au cas que ledit Vaugoyau ou ses hoirs et ayants cause ne payent pas exactement chaque année, ladite somme de trente sols il sera loisible au procureur alors en charge de disposer dudit emplacement au profit de ladite fabrique » et de le concéder à autrui.

Le document ne précise pas les raisons qui autorisent Laurent Vaugoyau à acquérir ce droit de banc. Était-il fabricien ? En tout cas il était suffisamment fortuné pour y prétendre.

Il a vécu jusqu'en 1786. A-t-il conservé son droit de banc jusqu'à sa mort ? L'histoire ne le dit pas. Il a été inhumé dans le cimetière, non dans l'église. Ce droit réservé, à l'origine, au haut clergé, fut ensuite accordé aux nobles et fondateurs, puis aux paroissiens, bienfaiteurs de l'église - selon un procédé bien similaire à celui du droit de banc. En 1776 il est interdit pour des questions de salubrité, mais l'édit royal mettra assez longtemps à être correctement appliqué. En tout cas, si Laurent Vaugoyau n'a pas pu être inhumé dans l'église de Villevêque, au moins aura-t-il pu s'y assoir...

 

* Rouillon : Ancien fief et seigneurie avec manoir noble, relevant de l’évêque d'Angers, seigneur baron de Villevêque.

 

mercredi 7 février 2024

#Généathème : mémo archives

Tu n’es jamais allé faire des recherches généalogiques aux archives car elles t’intimident un peu ? Pas de panique ! Voici un court mémo pour t’expliquer comment on fait et te donner envie d’y aller (si ce n’était pas le cas). Selon les départements (ou municipalités) il peut y avoir quelques variantes à la marge, mais dans les grandes lignes le fonctionnement est identique partout. 

 

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse au premier plan, les inventaires © coll. personnelle

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse
au premier plan, les inventaires © coll. personnelle


D’abord l’inscription : c’est gratuit, il suffit d’une pièce d’identité. C’est le/la président(e) de salle (celui/celle qui est derrière le comptoir) qui l'enregistre. Tous les ans il faudra la renouveler, tout aussi simplement.

Tu t’installe à une table (ou bien c’est le président qui te désigne une place, selon l'usage local). Chaque place a un numéro : il te servira pour obtenir les documents.

Ensuite tu déposes une demande de cote (soit par papier soit sur un terminal informatique, ça dépend des départements) : tu indiques ton numéro de carte, celui de la place et la cote. Une cote = un document. Un document ça peut être un registre, une liasse de notaire, un plan, etc…. Chaque document est classé selon une série (exemple : la série E regroupe les actes concernant les familles, les notaires, l'état civil), éventuellement un numéro de sous série qui le précède (exemple 3 E pour les archives notariales) et un numéro d'article qui l’identifie (exemple 407, qui désigne un notaire et une date particulière). Le tout forme la cote (exemple : 3 E 407). Cette façon de classer les documents est appelé le cadre de classement.

En général, les archives fonctionnent par levée : la levée c’est quand le magasinier récupère toutes les demandes. Ensuite il va dans le magasin, cherche le carton ou le registre qui correspond. Puis il redescend en salle de lecture et là tu peux avoir accès à ton document. La levée peut avoir lieu toute les demi-heures ou 45 min ou… là aussi ça dépend des départements.

Donc, après la levée il faut attendre un peu que le magasinier ait tout récupéré et soit redescendu. Ensuite, soit tu viens chercher ton document, soit on l’apporte à la place ; là aussi ça dépend des dépôts d’archives.

Tu peux enfin consulter ton document.

Dans la plupart des archives, tu peux demander plusieurs cotes à chaque levée (ex : maximum 5 documents par levée) mais on ne te laisse regarder les documents sur ta table que un par un.

 

Cas n°1 : tu ne connais pas tes cotes à l’avance

Quand tu arrives en salle, il te faut regarder les inventaires. Ce sont de gros classeurs (ou un ordinateur) qui contiennent toutes les cotes (c'est-à-dire tous les documents conservés aux archives). En général on les repère assez facilement parce que l’ensemble prend du volume ; sinon le président de salle t’indiquera leur emplacement. Disons que tu cherches une liste de tirage au sort militaire : c’est la sous série 1R. Il y a plusieurs bureaux (par exemple un par canton). Tu identifie le canton qui t’intéresse et la date (dans ce cas : année de naissance de l’ancêtre + 20). Cela te donne les chiffres de fin de la cote : par exemple 128. La cote complète est donc 1R128. Il ne te reste plus qu’à reporter le numéro de la cote sur ta demande de document.

 

Cas n°2 : tu connais tes cotes avant de venir

Tu as fait un repérage sur le site internet des archives et tu as trouvé les inventaires (nommés "inventaires" mais peut-être aussi "états des fonds" ou "répertoires"). Ils sont organisés de la même façon qu’en salle, donc tu as identifié la série et la date qui t’intéresse. Tu as fait une liste des cotes que tu souhaites chercher. En arrivant aux archives, il te suffit de les indiquer sur tes demandes.

 

Cas n°3 : tu sais ce que tu cherches

Tu as trouvé ta cote (avant de venir ou sur place). Une fois que tu as récupéré ton document tu peux photographier la page qui t’intéresse (ou noter les infos sur un papier, chacun sa méthode) et passer au suivant. Ça va assez vite, finalement.

 

Cas n°4 : tu pars à l’aveugle

Par exemple, tu as beaucoup d’ancêtres dans un village. Il y a donc un maximum de chance pour que tu les trouve chez le notaire du coin (nos ancêtres passaient leur vie dans les études notariales, pour toutes sortes de raisons). Donc, tu repères la cote du notaire selon son lieu de domicile, la fourchette d’années où tes ancêtres ont vécu. Tu vas recevoir une liasse de notaire. Une liasse, c’est un tas d’actes (en général non reliés). Selon le mode de classement, la liasse peut contenir plusieurs années d’actes notariés ou juste quelques mois, ça dépend du volume : s’il y a peu d’actes, la liasse peut faire plusieurs années, et inversement. Disons que tu reçois l'année 1747 : tu peux alors passer en revue tous les actes voir si le nom de tes ancêtres apparaît (la plupart du temps le notaire a noté le nom des protagonistes et le type d’acte dans la marge, ça permet de les identifier plus aisément). La rechercher est plus longue que dans le cas précédent, mais cela laisse la place à la surprise. On y ait souvent de belles découvertes (inattendues, forcément).

 

En bref, c’est pas si compliqué que ça les archives, c’est juste une question d’habitude et si tu es perdu(e), le/la président(e) de salle est là pour d’aiguiller.

Si tu as l’occasion, je te conseille vraiment d’y aller. On y fait des découvertes très intéressantes et originales (puisque ces documents ne sont pas en ligne).

 

Mais qu’est-ce qu’on peut y trouver, aux archives ? Je dirais tout ce qui n’est pas en ligne ! Pour ma part, j’ai été chercher les fiches militaires de mes ancêtres avant les années 1860 (assez peu publiées en ligne pour cette période). C’est ainsi que j’ai découvert par hasard l’insoumission de Louis.

Je suis une grande adepte des actes notariés qui détaillent les vies de nos aïeux, leurs possessions (voir ici par exemple) ou la vie de leur paroisse (comme l’achat d’un droit de banc dans l’église) ; mais aussi les successions ou le cadastre pour retracer les possessions ancestrales.

En effet, le cadastre est un document réalisé à la base pour payer les impôts. Il est composé de deux éléments : les plans (qui peuvent être en ligne) et les états des sections (qui le sont moins souvent). Les plans c’est joli, mais ça ne te dit pas qui est propriétaire de quelle parcelle. C’est l’état des sections qui détaille le propriétaire, la nature de la parcelle (bois, pré, maison) et, pour les bâtiments, s’il y a plusieurs portes/fenêtres (car les impôts se payaient sur les ouvertures). Si tu veux savoir quelles terres/maisons avaient tes ancêtres, tu dois passer obligatoirement par les états des sections (qui sont, à mon avis, presque plus importants que les plans). Or bien souvent ils ne sont pas en ligne. Avec les plans seuls tu ne peux rien faire. Voir ici quelques exemples d’usage du cadastre en généalogie.

 

Pour finir, je n’ai qu’un seul conseil à te donner : va aux archives et fais-toi plaisir !