« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 26 novembre 2018

#ChallengeAZ : V comme Vosges

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Jean-François étant originaire de Haute-Savoie c’est sans doute naturellement qu’il est affecté dans un bataillon de Chasseurs Alpins (pour en savoir plus, voir les lettres A et B). Pendant une grande partie de la guerre, et notamment dès sa première affectation, il est envoyé dans les Vosges. Là, les combats font rage, sur des terrains accidentés, pentus, et dans des conditions météo parfois difficiles (froid, neige).

Le front des Vosges est constitué d’une zone montagneuse comprise entre le col du Bonhomme au nord et le Grand-Ballon au sud, avec des sommets boisés à plus ou moins 1000 mètres d’altitude. Il correspond à l'ancienne frontière du Reich de 1871. En effet, suite à la défaite française de 1871, l’Alsace et une partie de la Lorraine ont été annexées par l’empire allemand. Ces provinces « perdues » ont alimenté une riche littérature patriotique et nationaliste, magnifiant un fort sentiment de revanche, et ont été l’un des objectifs continus de la Première Guerre Mondiale.

Les Vosges représentent le seul secteur du front français de la Grande Guerre concerné par les combats en haute et moyenne montagne. Protégée par son écrin forestier, les fortifications s’adaptent habilement aux moindres anfractuosités de la roche de ces massifs de grès. La guerre de montagne est un type de conflit qui se distingue des combats de front de plaine. En effet, il a dû s’adapter aux spécificités du relief, aux rigueurs du climat, à l’accessibilité du front sur les deux versants (compliquant le ravitaillement en hommes, nourriture ou armes) et à la durée et l’âpreté exceptionnelles des affrontements qui s’y déroulèrent. 

Front des Vosges © Delcampe

Plusieurs points du front des Vosges sont devenus tristement célèbres :
- le Hartmannswillerkopf, (ou Vieil Armand), surnommé la montagne « mangeuse d’hommes ». Culminant à 956 mètres, c’est une position stratégique qui devient l'enjeu de furieuses batailles entre le 26 décembre 1914 et le 9 janvier 1916. Le Vieil Armand s’est distingué par de très lourdes pertes, estimées au total à environ 25 000 morts à lui seul [*].
-  la vallée de Munster, où a été envoyé Jean-François, a presque entièrement été détruite par les combats de 1915. Le musée du Linge, installé à la jonction des tranchées françaises et allemandes, distantes parfois de cinq mètres à peine, rappellent ces combats qui ont fait 17 000 morts [*] (pour en savoir plus, voir la lettre L). Au sein d’un réseau parfaitement conservé, le musée raconte les assauts français qui débutent le 20 juillet 1915 et s’achèvent à la fin octobre.
- De l'autre côté du val d'Orbey, la Tête des Faux, est un sommet culminant à 1220 mètres, occupé en 1914 par les Allemands. Les Chasseurs Alpins français l'enlèvent le 2 décembre. La nuit de Noël 1914, les Allemands contre-attaquent vigoureusement. La bataille, menée dans des conditions hivernales extrêmes, entre dans la légende. 600 hommes sont mis hors de combat en une seule nuit [*]. Les Allemands s’accrochent sous le sommet et construisent d'impressionnantes fortifications figeant la situation jusqu’à l'Armistice.

Et bien d’autres sites encore…

La région est considérée comme un théâtre d’opération secondaire car les Vosges forment une barrière naturelle à la défense et aux déplacements difficiles. Côté français, au-delà des Vosges il y a la barrière du Rhin, tandis que pour les Allemands, l’obstacle est renforcé par une série de fortifications de Belfort à Épinal.

Par contre pour la France, la libération de l’Alsace est un impératif psychologique essentiel (d’où les attaques initiales) tandis que les Allemands ne pouvaient pas laisser prendre impunément Mulhouse, la seule grande ville du Sud de l’Alsace. C'est ce qui explique les combats incessants pendant tout le conflit : ces majestueux sommets ont été bouleversés, dévastés par les obus, les gaz, les lance-flammes, les averses de fer et de feu. Mais malgré ces batailles permanentes, flux et reflux, il n’y aura jamais de victoire décisive d’un l’un ou de l’autre camp : le front s’est stabilisé lentement mais sûrement et s’est enlisé dans un réseau complexes de tranchées continues aboutissant à un statu quo long et meurtrier. 

De cette période et de ces combats particuliers, les soldats ont conservé un souvenir radicalement différent de ceux livrés dans la craie de Champagne ou dans la boue des Flandres : leurs journaux et correspondance l’attestent. Il existe bien un vécu spécifique de la guerre de montagne dans les Vosges.


[*] Chiffres à prendre avec précaution : tous les auteurs ne sont pas d'accord entre eux.


samedi 24 novembre 2018

#ChallengeAZ : U comme ultimes obligations

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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L’Armistice signé le 11 novembre 1918 est un soulagement pour tous : « la guerre est finie ! ». Cependant… elle n’est pas véritablement finie ! Si les combats ont cessé, cela ne signifie pas pour autant la fin de la guerre et le retour immédiat des hommes. Ce n’est pas encore le temps de la fin des épreuves. 


La dépêche © historyweb.fr

L’armée doit faire face à un immense chantier : rapatrier tous ses soldats, armes, véhicules, etc… disséminés à travers le monde. Cela représente entre 4 et 5 millions d’hommes ! Près de la moitié d’entre eux ont été blessés et beaucoup d’entre eux le sont encore, en convalescence dans des hôpitaux de fortune installés ici ou là. Et tous ne rentrent pas en France : il y a aussi tous les soldats des colonies qui doivent rentrer dans leurs pays respectifs, un peu partout à travers le monde.

Plusieurs solutions s’offrent alors : les Américains libèrent leurs soldats par unités, les Britanniques préfèrent donner la priorité aux besoins économiques, tandis que les Français et les Italiens choisissent la démobilisation à l’ancienneté : l’idée est donc de commencer par démobiliser les soldats des classes les plus anciennes. Or après 4 ans de conflit meurtrier, il n’existe plus de régiments homogènes constitués par une seule classe d’âge. La démobilisation entraîne donc une constante réorganisation des unités qu’il faut refondre, parfois pour quelques mois seulement, afin d’en libérer les soldats.

Par ailleurs, il faut garder une certaine pression sur les Allemands, tant que le traité de Versailles, marquant la paix définitive, n’est pas signé officiellement (c'est-à-dire le 28 juin 1919).
Enfin, il ne faut pas oublier l’état déplorable dans lequel est la France et, d’une manière générale, les régions où l’on s’est battu : destruction des infrastructures, des ponts, des routes, des voies de chemin de fer…

Jean-François n’avait que 20 ans en 1914 : c’est une des classes mobilisées les plus jeunes. Le retour à l’ancienneté signifie que, pour lui, la démobilisation n’est pas prévue pour tout de suite.
D’ailleurs, sa fiche matricule le confirme. Il passe par différentes affectations avant d’être véritablement démobilisé :
- Le 11 novembre 1918 est toujours affecté au 81ème RAL (il l’est depuis septembre).
- Le 5 décembre 1918 il change de groupe, mais toujours au 81ème.
- Le 1er février 1919 idem.

Mais en avril 1919, des voix s’élèvent en Allemagne, les Allemands jugeant les conditions de leur reddition trop dures, et du côté des alliés on craint un regain belliqueux des vaincus : les armées restent sur le pied de guerre, prêtes à une nouvelle intervention militaire si nécessaire. Le processus de démobilisation s’interrompt pour tous les soldats de moins de 32 ans, soit environ 2,5 millions d’hommes. Il ne reprendra qu’à partir de juillet.

Finalement Jean-François reçoit son ordre de démobilisation le 13 septembre 1919, soit presque un an après la fin du conflit ! 

L’attente et l’envie ont dû peser lourd durant ces longs mois. Le foyer, la famille, les amis (ceux qui sont encore en vie…), la ville ou le village : tout cela semble si proche et pourtant inaccessible. Sans compter qu’au fur et à mesure d’autres partent tandis que lui reste. Encore. Et pourtant il ne fait pas partie des derniers, qui ne rentreront chez eux qu’en juin 1920.

Pendant tout ce temps, on ne peut plus parler vraiment de « front ». Il reste néanmoins sous les drapeaux et a dû participer à l'occupation de la rive gauche du Rhin pour veiller au rapatriement du matériel et à la bonne « évacuation » de l’ennemi. Certains sont envoyés en caserne, à d’autres on fait faire de longues marches (il faut bien occuper les hommes).

Cependant Jean-François dû bénéficier d’au moins une permission car il est témoin au mariage de sa sœur qui a lieu le 2 août 1919 à Paris, 1er arrondissement ; il y est bien dit « aux armées », mais il est présent tout de même dans la capitale.

Enfin en septembre 1919 il lui reste quelques ultimes obligations à remplir : pour être libéré il doit se rendre au centre démobilisateur qui est le dépôt de son régiment le plus proche de son domicile (le 81ème RAL, donc) ; parcours parfois chaotique vu l’état des infrastructures, comme on l’a vu plus haut, souvent fait en train de marchandise. Il n'y reste que quelques heures voire quelques jours pour les formalités de démobilisation :
-  passer une visite médicale,
- faire la mise à jour de ses papiers militaires,
- recevoir un costume civil (ce qui est souvent un problème, vu la rareté du tissus : soit le soldat garde un uniforme militaire, soit il reçoit un habit militaire teint pour « faire civil » !)
- recevoir son indemnisation de démobilisation. Elle s’élève normalement à 490 francs par année dans une unité combattante (ce qui ne représente, en fait, que l’équivalent de deux mois de subsistance environ dans le civil).

Le retour au pays n’est pas toujours facile pour les soldats : les conditions de voyage du retour, la situation qu’ils trouvent en arrivant (fiancée mariée à un autre, boutique détruite, champs ravagés…). Sans parler des grands blessés de guerre qui ont beaucoup de mal à se faire une nouvelle situation dans la société du fait de leur handicap, ou des prisonniers de guerre sur qui pèsent parfois le soupçon de collaboration avec l’ennemi.

Enfin, en rentrant, les soldats survivant rapportent avec eux le souvenir des horreurs qu’ils ont vécues et parfois la honte de revenir alors que tant d’autres ont disparu : c’est un véritable traumatisme auquel ils doivent faire face. Mais cela est une autre histoire…


vendredi 23 novembre 2018

#ChallengeAZ : T comme tocsin

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Pendant de nombreux siècles, nos ancêtres ont vécu au rythme des cloches des églises. Elles sonnaient les heures du jour, les temps de l’année (fêtes liturgiques) ou les événements de la vie (et de la mort). Elles servaient aussi de moyens de communications, alertant les populations en cas d’incendie, d’inondation ou de catastrophes diverses.
De nos jours, on ne les entend guère plus. 

Les habitants des villes groupés autour de leur église paroissiale, comme ceux des villages et des bourgs dans les campagnes, suivaient les heures du jour, les temps de travail et de repos grâce aux cloches. On distingue trois catégories de sonneries, chacune ayant sa propre signification :
  • Le tintement : tintement des heures, angélus, tocsin, glas.
Le tintement des heures est le plus connus : il survit encore lorsque de proches voisins n’intentent pas de procès pour les faire taire !
L’angélus sonne trois fois trois coups avant le tintement horaire, en général à 7h00, 12h00 et 19h00 et rappelle l'importance de la dévotion mariale à qui il est originellement dédié.
Le glas : aujourd’hui il ne retentit que lors des enterrements. C’est une sonnerie lente par tintement de la cloche la plus grave, ou une alternance des deux plus graves. Le rythme approximatif est d’un tintement toutes les deux secondes.
  • Le carillon : carillonnement avec clavier manuel à bâton frappé (en anglais carillon), manuel par cordes (Russie, nord de l'Italie, Grèce) ou, de nos jours carillonnement électrique ou électronique automatisé.
Le carillon est une série de cloches disposées de manière à fournir une gamme plus ou moins étendue, se prêtant à l’exécution de mélodies complètes. Les premiers carillons selon cette définition dateraient du XIème siècle. Ceux du Nord de la France sont célèbres et leur tradition toujours vivante.
  • La volée : volée de messe, volée de mariage, volée d'utilisation civile (midi par exemple).
Lorsque l’on dit que les cloches sont mises en volée, cela signifie qu'elles sont propulsées en oscillation (par l'intermédiaire d'un moteur et d'une chaîne, ou de nos jours de moyens électriques plus modernes). La plus connue est celle qui précède la messe, appelée « la volée ordinaire ». Plus l’évènement est important, plus le nombre de cloches utilisé est élevé. Une volée fort connue est celle de Noël, qu'on appelle « la volée de minuit ». La volée de mariage ressemble à la volée ordinaire, mais elle compte un nombre élevé de cloches mises en oscillations (entre 3 et 8).

Et en cas d’alarme, d’événement extraordinaire (un incendie, une émeute ou une guerre…), on faisait retentir une sonnerie particulière : le tocsin. Il fait partie de la première catégorie de sonnerie, le tintement. C’est une sonnerie répétée et prolongée. Ce terme semble provenir de la racine du mot tumulte. Les premières utilisations du tocsin sous la forme actuelle dateraient des environs de 1570. A l'époque médiévale, des tours de garde étaient institués, les guetteurs placés en hauteur, dans le clocher de certaines cathédrales par exemple. Ils avaient pour charge de prévenir s'ils voyaient un incendie démarrer. Le mot tocsin avec cette orthographe date de 1611. C’est une déformation de touquesain, mot qui date du XIVème siècle, dérivant lui-même du vieux provençal tocasenh. Littéralement, cela signifie tocar (toucher) et senh (la cloche). Le tocsin est sonné avec la cloche la plus aiguë, surtout la plus criarde et sonore, à un rythme d’un tintement par 0,5 seconde, durant environ une minute.

C’est ce qu’il s’est passé ce 1er août 1914 après-midi. Surprenant les paysans, les marchands, les notables… Tous ont dû se figer en entendant ces cloches qui n’en finissaient pas de tinter. Parce que les rumeurs de guerre étaient dans bien des conversations depuis un mois, tous ont dû comprendre ce que signifiait cette sonnerie. Confirmant les intuitions, les gardes champêtres ou les gendarmes parcouraient les campagnes pour annoncer la mobilisation générale. Ceux qui ne croyaient pas à la guerre devaient en être muets de stupéfaction, en particulier dans les campagnes où on était en pleine moisson et où on lisait moins la presse et ses prédictions belliqueuses. Ceux qui rêvaient d’en découdre, de prendre leur revanche, ont dû se réjouir… sans savoir ce qui les attendait.


Tocsin © Youtube

A ce sinistre tocsin, répond la volée joyeuse qui sonna, le 11 novembre 1918 au matin, marquant la fin officielle du conflit. Si la tristesse du tocsin avait plongé les populations dans la stupeur, les volées de cloches, se répercutant de clochers en clochers, sont, cette fois, destinées à les entraîner dans une communion nationale d’allégresse. Elles mettent fin au temps des combats annoncé par le tocsin lugubre au moment de la mobilisation générale. Les seuls à ne pas les avoir entendus, peut-être, sont les soldats en premières lignes car là où ils étaient, il n’y avait plus de clochers pour les faire sonner. Mais pour les autres, la volée de cloches, associée aux drapeaux tricolores, a participé à l’union patriotique des foules, dans les villes et les villages, symbolisant l’euphorie de la victoire. 

Commencé au son des cloches. Terminé au son des cloches.



jeudi 22 novembre 2018

#ChallengeAZ : S comme Samoëns

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Samoëns est la ville d’origine de Jean-François. Elle est située en Haute-Savoie. Son nom aurait une origine médiévale signifiant "les sept monts" (de sat, "sept", et de moens, "monts ou alpages"), rappelant les 7 sommets qui entouraient le village ; C'est pourquoi ses habitants se nomment les septimontains et les septimontaines.

Samoëns dominé par le Criou © Delcampe

Au cœur historique de Samoëns, l’église, les anciennes halles du marché datant du XVIème  siècle, dites "la Halle de la Grenette", et le Gros Tilleul. Celui-ci, arbre emblématique de la ville, a été planté en 1438 pour célébrer un jugement rendu par le Duc Amédée VIII de Savoie, confirmant aux habitants de Samoëns la possession de plusieurs alpages situés dans une vallée voisine. Arbre remarquable, par son âge et par son envergure, le Gros Tilleul constitue un véritable repère et un lieu de rencontre et de convivialité incontournables de la vie locale.

L'église est une ancienne collégiale dépendante du diocèse de Genève. L’édifice actuel a été construit sur les ruines de l'ancien, détruit en 1476 lors de l'invasion des Bernois. Plusieurs réfections se sont succédé au cours des siècles, œuvre des maçons de Samoëns, tailleurs de pierre réputés en Savoie et en France. En effet, la tradition de la pierre a marqué la vallée du Haut-Giffre qui regorge de carrières de calcaire. Pour compléter leurs revenus issus de l'activité agricole, les hommes de la région travaillaient la pierre. 

En 1659, les frahans (nom donné aux tailleurs de pierre) étaient si nombreux à Samoëns et leur savoir-faire si réputé, qu'ils se sont regroupés au sein d'une confrérie très célèbre. Celle-ci menait des actions philanthropiques, prenait soin des malades, formait de jeunes apprentis et avait sa propre école de dessin qui abritait une importante bibliothèque. Les membres de la confrérie des maçons et des tailleurs de pierre de Samoëns étaient si réputés qu’ils furent appelés sur les plus grands chantiers : par Vauban pour ses fortifications, puis par Bonaparte pour les canaux de Saint Quentin, et même jusqu’en Pologne ou en Louisiane. Pour communiquer et pour ne pas se faire comprendre des autres, ils utilisaient un dialecte bien à eux : "le mourmé". Des témoignages de leur talent subsistent partout sur l'architecture du village.

La figure locale la plus célèbre de Samoëns est sans conteste Marie ­Louise Jaÿ (dont nous partageons un ancêtre commun... à la 12ème génération !). Née en 1838, à 15 ans, la jeune fille part tenter sa chance à Paris comme vendeuse au "Bon Marché". C'est dans la capitale qu'elle rencontre Ernest Cognacq, qu'elle épousera par la suite (devenant les fameux "Cognacq-Jay"). Ensemble, ils fondent le grand magasin "La Samaritaine". Le succès est immédiat. A la tête d'une immense fortune, sans enfant, Marie ­Louise et Ernest consacrèrent la fin de leur vie aux bonnes œuvres et n'oublièrent jamais son village natal à elle. Ainsi en 1906 Marie Louise créa le jardin botanique "la Jaÿsinia" et en 1917 subventionna la rénovation de l'intérieur de l'église.

Samoëns, dont l’altitude oscille entre 670 et 2 700 m (chef-lieu est situé à 703 mètres d'altitude), jouxte la frontière suisse. La famille maternelle de Jean-François, les Jay (tiens, tiens…) sont une vieille famille locale. Son père en revanche, est né en Suisse et a passé la frontière avant d’épouser Adélaïde. La ville est dominée par l'Aiguille du Criou, sommet pointu qui culmine à 2 207 mètres d'altitude.

En 1911, la ville compte 2 220 habitants. Si les parents de Jean-François demeurent toujours à Samoëns en 1914, lui-même est momentanément en résidence en région parisienne où il est garçon de café. Cependant son domicile officiel reste Samoëns, et c’est pourquoi il est mobilisé par l’armée en Haute-Savoie.

Le monument aux morts de Samoëns compte une soixantaine de noms, pour le conflit de la Première Guerre Mondiale. Parmi eux, ceux des jumeaux Jay, Joseph et Alphonse. Ils ne sont que des parents très éloignés de Jean-François (il faut remonter 7 générations pour leur trouver des ancêtres communs, au XVIème siècle), mais sont nés la même année et ont sans doute fréquenté les mêmes bancs d’écoles ou se sont retrouvés sous le Gros Tilleul. Cependant, ils ont connus des destins différents : si Jean-François a survécu à la guerre, Joseph a succombé à une bronchite dès 1915 (une de celles qui a touché Jean-François en Italie mais qui l’a épargné); Alphonse, quand à lui, est tombé dans la Somme en 1916.

Après guerre, Jean-François ne reviendra pas dans la ville d’origine, demeurant désormais à Eaubonne (Val d’Oise) avec son épouse et son fils unique... Épouse originaire de Seine et Marne, où il fut lui-même souvent cantonné lors de la guerre !


mercredi 21 novembre 2018

#ChallengeAZ : R comme registre matricule

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C’est le document de base qui renseigne sur le parcours militaire d’un homme, qu’il soit soldat ou ajourné.

Le document comporte plusieurs cases, variant au cours de l’histoire. Nous prendrons l’exemple ici de la fiche de Jean-François, datée de 1914


Fiche registre matricule Jean-François Borrat-Michaud © AD74

Certaines parties se passent de commentaire, d’autres font l’objet d’une explication si nécessaire. Les catégories sont les suivantes :

- l'identité

- le numéro matricule

- l'état civil

- le signalement physique

- le degré d’instruction :
0. pour le jeune homme qui ne sait ni lire ni écrire ;
1. pour le jeune homme qui sait lire ;
2. pour le jeune homme qui sait lire et écrire ;
3. pour le jeune homme qui sait lire, écrire et compter ;
4. pour celui qui à obtenu le brevet de l'enseignement primaire ;
5. pour les bacheliers, licenciés, etc...
X pour le jeune homme auquel aucun renseignement sur le degré d'instruction n'aura pu être obtenu.

- la décision du conseil de révision et ses motifs. Cette partie comprend le numéro d’inscription dans la liste cantonale du conseil de révision : Le recensement est la toute première étape des devoirs militaires qu'avaient les jeunes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il s'agit de dénombrer tous les hommes appartenant à une classe donnée. Le recensement est effectué en décembre ce qui permet d'avoir une image précise du nombre de jeunes hommes au 1er janvier de l'année où ils vont rejoindre les casernes. Une fois le recensement effectué, jusqu'en 1905, l'administration peut organiser le tirage au sort puis la "révision" de ces hommes pour voir s'ils sont aptes à faire le service militaire. Après 1905, seul subsiste le conseil de révision, le tirage au sort étant supprimé. La dernière étape, moins d'un an après le recensement, étant l'appel sous les drapeaux. Lors du recensement, une fiche complète était établie avant d'être transmise à la préfecture (indépendante de la fiche de registre matricule). On retrouve la plupart de ces informations dans le registre matricule. Elles étaient probablement envoyées ensuite au bureau de recrutement de la subdivision. Le conseil de révision est composé d’élus et de membres de l’armée. Les jeunes gens sont appelés dans l'ordre du tableau de recensement (numéro que l’on retrouve sur la fiche matricule). A partir de 1905, le conseil de révision juge les aptitudes physiques des recrues suivant 4 catégories :
1. bon pour le service armé ;
2. bon pour le service militaire en raison d’une infirmité relative ou d’une constitution douteuse ;
3. constitution physique trop faible nécessitant un ajournement ;
4. infirmité qui entraîne une exemption de tout service militaire.
On notera le cas particulier du « bon absent » : Les jeunes qui ne se présentaient pas au conseil de révision étaient automatiquement inscrits "Bon absent". Un nouvel examen de leur situation se faisait lors de leur appel sous les drapeaux. S’il s’avère que leur omission a un caractère frauduleux, en plus de leur passage devant la justice, l'homme est envoyé dans les troupes coloniales d'office. C’est ainsi que Jean-François a été déclaré bon absent car résidant probablement encore à Paris lors de ces premières obligations militaires (voir la lettre E).

- le corps d’affectation : résumé des différentes affectations dans l’armée active, de réserve et territoriale.

- le détail des services et mutation diverses : ici le parcours du soldat est détaillé.

- les localités successives habitées : tant que le soldat est susceptible de retourner sous les drapeaux, il est suivi attentivement et ses adresses successives notées afin de pouvoir le rappeler ; ce qui est bien utile pour ceux qui déménagent souvent et dont on ignore la nouvelle adresse.

- les antécédents judiciaires et condamnations : pratique si votre ancêtre est un vaurien et que vous l’ignoriez ; cela peut donner d’intéressantes pistes de recherches ou expliquer de curieuses affectations militaires (par exemple un de mes collatéraux « bagarreur » a été affecté dans un bataillon d’Afrique « en représailles »).

- les campagnes : ici sont détaillées les campagnes auxquelles a participé le soldat. Pour Jean-François cette partie est particulièrement bien remplie (merci à ce militaire rédacteur consciencieux) avec le détail des dates et périodes « à l’intérieur » (à l’arrière : formation ou hospitalisation) et « aux armées » (premières lignes et zone arrière de 100 km considérées comme faisant partie du front) ainsi que les abréviations c.s. et c.d. signifiant campagne simple et campagne double (une campagne double, au front, étant considérée comme plus dangereuse elle va compter davantage pour la future pension du soldat).

- les blessures, citations, décorations, etc.

- les périodes d’exercices.

- les époque à laquelle l’homme doit changer de catégories d’armée.

- la date de libération du service militaire.

Toutes les cases ne sont pas forcément remplies. Mais parfois elles sont trop petites, en particulier lorsque le soldat, comme Jean-François a fait toute la guerre : dans ce cas on rajoute des petits papiers pour noter les informations supplémentaires. On les appelle des retombes. Lorsque les archives numérisent les fiches matricules, elles ont obligées de faire plusieurs numérisations pour bénéficier de toutes les informations : ainsi, au lieu d’une seule vue, la fiche de Jean-François en comporte 5 !


mardi 20 novembre 2018

#ChallengeAZ : Q comme querelle

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Est-ce une simple querelle qui a provoqué la Première Guerre Mondiale ? Sûrement pas. Si, au moment des faits, la situation pouvait apparaître simple (l’assassinat de l’archiduc austro-hongrois par un nationaliste serbe), elle est en fait beaucoup plus complexe.

Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire de l’Autriche-Hongrie, est assassiné lors d'une visite dans la ville de Sarajevo. Les réactions sont diverses, allant du soulagement côté hongrois car ils ne l’aimaient guère, à la tristesse pour ses partisans ou la joie pour les Serbes durement éprouvés par le gouvernement austro-hongrois. 

Le Petit Journal, 12 juillet 1914 © Wikipedia

Rapidement cet assassinat n’apparaît pas comme un acte localisé, les Autrichiens souhaitant « régler le problème serbe » notamment grâce au soutient du Reich. En Allemagne, certaines voix se font entendre, pour un règlement définitif de la dispute entre ses voisins. En effet, ils pensent que les autres nations ne réagiront probablement pas : la France est préoccupée par des questions de politique intérieure et la Grande-Bretagne doit gérer ses problèmes avec l’Irlande ; seule la Russie pourrait être tentée d’intervenir, mais elle ne semble pas en mesure de soutenir une guerre contre les puissances centrales européennes. 

L’Autriche-Hongrie envoie donc un texte rédigé de telle façon que c’est plutôt un ultimatum que reçoit le gouvernement de Belgrade. Et son refus entraînerait, de facto, une intervention contre la Serbie. Ce texte n'accuse pas la Serbie d'être responsable de l'attentat, mais simplement d'avoir rompu les accords de 1909, qui l'obligeaient à « des rapports de bon voisinage » avec son voisin septentrional, en laissant se développer sur son territoire des courants nationalistes. Par ailleurs le texte exige que des policiers austro-hongrois doivent pouvoir mener des investigations sur le territoire serbe pour enquêter sur le meurtre, ce qui représente une négation du gouvernement et des pouvoirs serbes. Cet ultimatum est adressé le 22 juillet 1914, avec une réponse attendue dans les 48 heures. Si la plupart des revendications austro-hongroises peuvent être acceptées, ce dernier point est refusé catégoriquement par Belgrade. Les relations diplomatiques sont alors rompues.

Certains veulent toujours croire à un différend local et les grandes nations européennes tentent même une conciliation dans les jours qui suivent. Mais d’autres au contraire veulent s’engager dans ce conflit : la crise locale, puis balkanique devient alors européenne, notamment avec la mobilisation décrétée en Russie le 30 juillet, entraînant en réaction celle de l’Allemagne. 

Cette dernière déclare officiellement la guerre le 1er août à la Russie, le 2 au royaume de Belgique et le 3 à la France. Les mobilisations générales se déclarent en cascade dans tous ces pays. Face à l’invasion du Luxembourg et de la Belgique, le 4 août c’est la Grande-Bretagne qui déclare la guerre au Reich, comme elle s’y était engagée si celui-ci intervenait de façon directe dans le conflit.

Cependant, l’assassinat du 28 juin ne semble être qu’une goutte d’eau dans la poudrière européenne. En effet, depuis le début du XXème siècle plusieurs nations étaient engagées dans une course aux armements (Russie, Allemagne, Grande-Bretagne…). Par ailleurs, de veilles querelles non réglées ont tendance à refaire surface régulièrement : la question de l’Alsace-Lorraine entre la France et l’Allemagne, la péninsule balkanique qui a perdu sa souveraineté au milieu du XIXème siècle (guerre de Crimée), la Serbie annexée  par l’Autriche, les appétits russes sur les petits états balkaniques, etc… Ces querelles s’étendent à l’échelle mondiale par l’intermédiaire des empires coloniaux que les nations européennes se sont taillés, notamment en Afrique, au Moyen-Orient ou en Inde.

La montée des nationalismes entraînent des rivalités nationales exacerbées. A cela s’ajoutent des facteurs économiques (financiers, commerciaux) qui tendent les relations internationales. Pour beaucoup d’intellectuels, le conflit n’est pas une surprise, mais ils considèrent cette guerre comme juste car défensive.

C’est ainsi qu’une querelle, d’apparence locale, est rapidement devenue mondiale. Et a fait plus de 18 millions de morts et 20 millions de blessés.


lundi 19 novembre 2018

#ChallengeAZ : P comme photo

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Je possède une seule photo de Jean-François datant de cette période de guerre. Très abîmée, je l’ai restaurée comme j’ai pu.

Jean-François Borrat-Michaud entouré de sa famille © Coll. personnelle

Il figure entouré de sa famille : 
- sa demi-sœur Félicie, seule rescapée de deux paires de jumelles nées en 1881 et 1889 de père(s) inconnu(s) ; 
- son autre sœur Marie-Louise née un an avant le mariage de ses parents (toutes deux légitimées lors dudit mariage) ; 
- ses parents Joseph et Adélaïde ; 
- et un petit garçon, probablement Armand, mais qui reste entouré de mystère – frère ou neveu ? - (qui fera très certainement l’objet d’un billet un jour prochain). 

Quand aux deux sœurs, je ne sais pas laquelle est laquelle mais je dirais que Félicie est à droite sur la photo et Marie-Louise à gauche : mes retouches ne sont pas parfaites mais je pense que celle de gauche ressemble davantage à Jean-François.

Jean-François est au centre, en haut de la photo. Il est habillé en costume de Chasseur alpin (pour en savoir plus, voir la lettre C) : il porte la "tarte" sur la tête, la vareuse dont le col est marqué du corps de chasse, symbole des chasseurs, et son numéro de bataillon, le 51ème. Le reste du costume n’est pas identifiable compte tenu de sa position au milieu de sa fratrie et des couleurs assez sombres du cliché.

Cette photo n’est pas datée, mais en la regardant attentivement, et notamment le col de sa vareuse, on peut émettre certaines hypothèses. En effet, celui-ci est  frappé du cor de chasse et du numéro de bataillon auquel il appartient, le tout surmonté de pattes losangées ornées de deux soutaches (galon étroit et plat, à deux côtes).

Grâce à ce numéro 51, marquant son affectation au 51ème Bataillon de Chasseurs Alpins, on peut émettre une fourchette de temps pendant laquelle cette photo a dû être prise ; c'est-à-dire entre le 9 septembre 1916 et le 10 juillet 1918. Le fait qu’il soit entouré de sa famille signifie sans doute qu’il a eu une permission durant cette période, qu’il soit retourné dans son foyer et pris le cliché à cette occasion. C’est quasiment la seule preuve tangible qu’il a bien eu une permission pendant la guerre (même si on peut supposer qu’il en ait eu plusieurs) car je n’en ai nulle trace par ailleurs - hormis une mention "post conflit" en août 1919 (car à cette époque il est toujours sous les drapeaux : pour en savoir plus à ce sujet voir la lettre U). 

On ne voit pas ses bras, sur lesquels devraient être cousues des brisques [*] : un chevron sur le bras gauche pour un an au front (les 6 mois suivant ne sont pas comptabilisés car il les a passés à l’arrière en hospitalisation), puis 4 autres pour les 2 ans passés aux armées (la 5ème  devrait logiquement lui être donnée en septembre 1918, époque postérieure à la photo puisqu’il aura alors changé de bataillon). Et une autre brisque sur le bras droit pour blessure de guerre.

Enfin, on remarque qu’il arbore la croix de guerre à son revers; distinction lui qui a été attribuée par ordre général n°167 signé du 18 août 1917. Le petit éclat plus clair sur le ruban correspond à l’étoile de bronze qui lui a été accordée en même temps (voir la lettre M pour en savoir plus). La photo est donc forcément postérieure au mois d'août 1917 et antérieure à juillet 1918.

Enfin, est-ce qu’il porte, à côté de la croix de guerre, une barrette dixmude [*] ? Hélas la photo est trop sombre pour pouvoir le dire.

Néanmoins je ne peux pas préciser davantage la date de la photo : j’ignore combien de temps s’est écoulé entre la signature de l’ordre lui attribuant la croix de guerre (le 18 août 1917 donc) et quand il l’a reçue réellement, physiquement. D’autant plus qu’entre novembre 1917 et avril 1918 il était en Italie (voir la lettre I) : a-t-il eu une permission depuis le front italien ?

J’ai tenté de me baser sur les vêtements, pour avoir au moins une idée de la saison, mais autant les robes des filles peuvent paraître légère (pour la Haute-Savoie), autant les manteaux des parents semblent plus chauds. Quand au vêtement du jeune homme, difficile de trancher : on dirait une vague « copie » de vareuse militaire… ou peut-être était-ce le genre de vêtement qu’on portait à l’époque, tout simplement. C'est, par ailleurs, la seule photo de la famille que je possède et la seule de Jean-François en uniforme militaire.


[*] Pour en savoir plus sur la définition de ce mot, rendez-vous sur la page du lexique de généalogie sur ce blog.


samedi 17 novembre 2018

#ChallengeAZ : O comme ordres

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Après avoir suivi pas à pas mon arrière-grand-père pendant toute la guerre, après avoir compulsé tous ces documents donnant un aperçu de ce que cela pouvait être (et un sans doute un faible aperçu), je me pose souvent la question suivante : comment ces hommes pouvaient-ils obéir aux ordres 

Lorsqu’on est monté une fois au front, baïonnette au canon, traversant le no man’s land dans un déluge de feu, de flamme, de terre, sous le vacarme des bombardements, les corps déchiquetés des camarades, pour des charges totalement inutiles ; comment pouvaient-ils y retourner ?

Bien sûr il y a la hiérarchie militaire : les ordres sont les ordres. Mais quelques mois auparavant ces hommes, à peine sortis de l’enfance pour certains, n’étaient que de simple paysans, artisans ou ouvriers. Ce n’étaient pas des militaires de carrière. Et s’ils croyaient à la défense de la Patrie lorsqu’ils ont été appelés, qu’en était-il au bout de quatre ans de tueries où chaque mètre carré de terrain pris un jour tombait le lendemain, au prix d’une terrible boucherie ?

Sous les drapeaux, toute désobéissance est soumise au code de justice militaire. Celui-ci, daté de 1857 (et amendé en 1875) définit les délits et peines encourus. La justice militaire est alors indépendante de la justice civile. La procédure des conseils de guerre est simplifiée par rapport à ceux tenus en temps de paix : seulement cinq juges et les accusés peuvent être traduits devant les conseils de guerre dans un délai de vingt-quatre heures et sans instruction préalable. 

Mais la nature particulière du conflit entraîne toutefois rapidement un durcissement des modalités d’action de la justice militaire : les sentences de mort peuvent être appliquées sans attendre l’avis du Président de la République, puis des conseils de guerre spéciaux à trois juges sont institués pour juger, suivant une procédure simplifiée et sans possibilité de recours, les auteurs de crimes pris en flagrant délit.


Conseil de guerre © guerre1418.org

Es-ce que les voix pacifistes, comme celle de Romain Rolland dénonçant l'absurdité de toutes les guerre qui emporte la jeunesse (dans le texte "Au-dessus de la mêlée"), ont eu un écho jusque dans les tranchées ? L'exceptionnelle trêve de Noël 1914 n'aura pas de seconde chance. D'autant plus que le choix est terrible : se mutiner, refuser de retourner se faire massacrer aux tranchées, c'est laisser les Allemands avancer et prendre le pays. Par ailleurs, à une époque où parler de paix était synonyme de défaitisme et de trahison, ne pas obéir aux ordres c'est la mort.

Pourtant certains soldats se sont quand même rebellés. Mais ils ont été fusillés pour l’exemple aussitôt ; de peur que la rébellion se propage sans doute. Mais l’exemple a-t-il servi ? Jean-François a été témoin, au cours de sa première année de combat, d’un événement de ce type : le soldat Marsaleix, ayant abandonné son poste le 21 octobre 1915 au matin, une compagnie s’est lancée à ses trousses, le soupçonnant de vouloir passer à l’ennemi. Était-ce véritablement son intention ? Surpris par une des sentinelles du bataillon, il l’a tuée à bout portant de deux coups de fusil. Réflexe ? Peur ? Intention de donner la mort ? Finalement pris en fin d’après-midi un conseil de guerre se réuni à 23h et le condamne à mort : il est exécuté à 7h30 le lendemain matin. Ayant devancé l’appel, il n’avait pas encore fêté ses 19 ans. Sans doute était-il simplement terrorisé. 


Extrait dossier et fiche du soldat Marsaleix © Mémoire des Hommes

Sans parler d’acte aussi terribles, j’ai « vu » mon arrière-grand-père faire de longues marches, voire des déplacements motorisés de plus d’une centaine de kilomètres, être au repos deux jours et revenir à son point de départ. Quel est le but de ce type d’ordre ? Bien sûr il me manque sans doute des éléments pour comprendre de telles décisions, mais quel est l’intérêt ?

Et je ne parle pas de ceux qui étaient rétifs à tout ordre ou discipline dans la vie civile : pour eux, l’ordre militaire est compliqué à subir et absences, ivresses, bagarres sont courantes… et les punitions leurs lots quotidiens.

Je ne suis pas militaire et n’ai pas connu de conflit armé, mais mes lectures sur la Grande Guerre ont renforcé, s’il en était besoin, le profond respect et le courage qu’ont eu ces hommes d’obéir aux ordres qu’on leur donnait… quels qu’ils soient.


vendredi 16 novembre 2018

#ChallengeAZ : N comme numéros

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Dans le parcours de Jean-François on trouve beaucoup de numéros (ou pas) :
  • Sur sa fiche matricule :
- le numéro matricule du recrutement : le n°1822

Extrait fiche matricule © AD74

- l'année de naissance : 1894.
- le numéro d’inscription dans la liste cantonale du conseil de révision (pour en savoir plus, voir la lettre R) : Jean-François Borrat-Michaud est inscrit sous le n°3 de la liste du canton de Samoëns (depuis 1905 le recensement est basé sur l’ordre alphabétique des conscrits : avec un patronyme commençant par B il est logique que son numéro soit proche du 1), puis classé dans la 1ère partie de la liste en 1914 (donc classé bon pour le service armé).
- le degré d’instruction : il est théoriquement évalué lors du recensement ou peut être renseigné par le maire ou le représentant de l'homme. Mais cette case n’est pas toujours renseignée : cela dépend à la fois de la rigueur du secrétaire et de la présence de la recrue. En l’occurrence, ici elle ne l’est pas.
- le poids et la taille : même remarque que ci-dessus. On peut supposer que les détails non renseignés sur la fiche de Jean-François le sont car il est classé « Bon absent » (pour en savoir plus, voir lettre R), c'est-à-dire non présent au conseil de révision ; ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il réside à Paris alors qu’il est recensé militairement selon son domicile en Haute-Savoie (pour en savoir plus, voir la lettre E).
- les corps d’affectation : les numéros des bataillons sont inscrits au fur et à mesure de ses affectations (pour en savoir plus, voir la lettre B) : 97, 23, 51, 54, 81, 84, 154, 114, 27.
- 10% : c’est la proposition du taux de pension temporaire proposé par la commission de réforme en 1936 pour Jean-François, en raison de la blessure reçue en 1916 (pour en savoir plus, voir la lettre K). On notera que la décision de ladite commission n’est pas inscrite.
- les dates de ses différents domiciles : en 1919, 1928, 1935.
- les dates de ses citations et blessures : 1917, 1916.
- les dates détaillées de sa campagne contre l’Allemagne, de 1914 à 1919.
- les dates des grandes batailles auxquelles il a participé, bien sûr.
- les 7 dates des rencontres avec les grands hommes (militaires et civiles) de son temps :
Le 11 février 1915, en tenue de campagne complète, son bataillon est réuni dans la cour de l’usine de Wesserling où il est en cantonnement pour être passé en revue par le Président de la République, M. Poincaré, le Ministre de la Guerre, M. Millerand et plusieurs hauts gradés, dont le Général de Division.
Le 1er mars 1917 le bataillon défile devant le Général Deveney commandant de la VIIème Armée.
Le 20 juin 1917 visite du Général Pellé commandant le Vème Corps d’Armée.
Le 19 août 1917 le Général Pétain et le Général Pershing, commandant les troupes américaines en France, passent en revue les chasseurs alpins de la 47e DI.
Le 25 octobre 1917 la compagnie de Jean-François représente le 51ème Bataillon lors de la revue passée par le Général Gouraud près de Somme-Suippe.
Le 6 novembre 1917, le bataillon défile devant le général Dillemann à Peschiera en Italie, derrière lequel il a fait son entrée en ville.
Le 19 janvier 1918 le Général Fayolle, commandant supérieur des Forces Françaises en Italie, passe en revue le bataillon, à Cartigliano. Il donne lecture de la citation à l’ordre de l’armée du 51ème et décore son fanion.

Il a raté la visite du Roi d’Angleterre sur le front français en 1915, mais on a lu à son bataillon le message qu’il a adressé aux armées à cette occasion (Ordre général n°44 du 30 octobre 1915). De même que le roi d’Italie, qui passe en revue le Bataillon le 10 mars 1918, suite à la victoire du Monte Tomba, puisqu’il est alors hospitalisé.


jeudi 15 novembre 2018

#ChallengeAZ : M comme médaille et citations

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La bravoure et le courage des Chasseurs Alpins ont été reconnues et récompensées à plusieurs reprises pendant toute la durée du conflit ; que ce soit à titre personnel ou pour distinguer l’ensemble du Bataillon. Au fur et à mesure des affectations de Jean-François, voici les principales récompenses, félicitations et citations :

  • Croix de guerre :
Sur sa fiche matricule, comme sur son acte de mariage, il est mentionné que Jean-François a reçu la croix de guerre. La « croix de guerre est une décoration militaire attribuée pour récompenser l'octroi d'une citation par le commandement militaire pour conduite exceptionnelle » au cours du conflit. Celle de Jean-François fait suite à la citation n°167 d’août 1917 figurant sur la fiche de matricule militaire (cf. plus bas).
La croix de guerre vient renforcer, physiquement si l’on peut dire, les citations à l’ordre du jour qui existaient déjà, mais qui n’étaient que des mentions administratives, une ligne sur un papier. En 1915, la création de la croix de guerre est instituée officiellement. Elle est composée d’une croix de bronze clair, à quatre branches, due au sculpteur Paul-Albert Bartholomé, de 37 mm, et deux épées croisées. Le centre représente une tête de République au bonnet phrygien ornée d'une couronne de lauriers avec en exergue « République française ». Elle est suspendue à un ruban vert (couleur de l’espérance) et de fines rayures rouges (évoquant le sang versé). Elle vise « à récompenser les belles actions » commises durant le conflit.
La fiche matricule précise : « croix de guerre, étoile de bronze ». En effet, le ruban peut comporter une ou plusieurs étoiles et/ou palmes, en fonction du nombre de citations et de son degré d’importance (régiment, division, armée). Sa « couleur » (bronze, argent, vermeil) désigne le degré de la citation : l’étoile de bronze reçue par Jean-François est le symbole d’une citation à l'ordre du régiment ou de la brigade.


Croix de guerre © militaria-medailles.fr

  • Citations et félicitations :
Les JMO (pour en savoir plus, voir la lettre J) sont émaillés d’ordres de bataillon, faisant état de citations ou de félicitations mettant en valeur « le courage, les actions héroïques et la belle attitude au feu des Chasseurs ». En voici quelques exemples :

- 6/9 mars 1915 – 23ème BCA – Attaque du Reichakerkopf :
En trois jours de combats (victorieux), le Bataillon perd plus de la moitié de son effectif, dont presque tout ses gradés et en particulier son commandant.
Ordre de Bataillon n°9 : félicitations.
« Vous avez répondu admirablement à l’appel que vous faisait votre chef de Bataillon le 21 février 1915 […].
Le magnifique élan de votre assaut, la résistance opiniâtre que vous avez opposée, sur la position conquise, aux efforts puissants et sans cesse renouvelés de l’ennemi, sont des faits glorieux dont le Bataillon a le droit de s’enorgueillir.
Je  fais des vœux pour le rétablissement de tous ceux qui ont été blessés en faisant bravement leur devoir […].
Gardons pieusement à cœur, avec le désir de les venger, le souvenir de tous nos camarades tombés dans cette gloire.
N’oublions pas que demain exigera encore de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices ; que la victoire est faite non seulement des assauts brillamment emportés, mais de l’effort patient, rude, ininterrompu, pour surmonter les fatigues, les privations et les dangers journaliers, et qu’elle restera en définitive à celui qui aura tout supporté résolument avec le plus d’endurance, d’énergie et de cœur.
Au Gaschney le 9 mars 1915, le Capitaine Commandant provisoirement le Bataillon, signé : Vergez »

- Juin 1915 – 23ème BCA – Bataille de Metzeral :
Ordre de bataillon n°57 : félicitations.
«  Tous les disparus du 15 juin ont été retrouvés morts à leur poste d’honneur, prouvant une fois de plus qu’au 23ème on ne se rend jamais !
On sait faire son devoir jusqu’au bout. […]
Soyez fiers de votre succès.
 Tous vos chefs sont fiers de vous et la Patrie sera contente ! […]
Signé le Chef de Bataillon Rosset. »

Ordre général n°32 de la VIIème Armée du 9 juillet 1915 : est cité le 23ème Bataillon de Chasseurs car il « a fait preuve d’une vaillance et d’une énergie au-dessus de tout éloge, en enlevant une position très solidement organisée dans laquelle l’ennemi se considérait comme inexpugnable, d’après les déclarations mêmes des officiers prisonniers, lui a fait subir des pertes considérables et malgré un bombardement des plus violents, n’a cessé de progresser pendant plusieurs journées consécutives pour élargir sa conquête. »

Ordre spécial 23ème BCA, 1915 © alpins.fr

- le 18 août 1917 :
Citation à l’ordre de bataillon n°167 : pour la première fois Jean-François est nommé lors d’une citation en tant que « bon chasseur, brave et courageux, a été blessé à Metzeral le 28 janvier 1916 en faisant bravement son devoir. » (pour en savoir plus sur cette blessure, voir la lettre K).
Cette citation apparaît sur sa fiche de matricule militaire ainsi que dans le JMO du Bataillon (bien que celui-ci ne détaille pas l’ordre de citation).

- le 30 décembre 1917 – 51ème BCA – Monte Tomba/Italie :
Comme le 23ème BCA, le 51ème reçoit l’une des distinctions les plus importantes, sans doute, reçues lors du conflit : la citation à l’ordre de l’armée. Celle-ci fait suite aux violents combats qui ont abouti à la prise du Monte Tomba en Italie le 30 décembre 1917. La Citation elle-même est datée du 18 janvier 1918 et lecture en est faite au Bataillon le 1er février.
Ordre de la Xe Armée n°325. « Le Général commandant la Xe Armée cite à l’ordre de l’armée le 51e Bataillon de Chasseurs : après être venus s’installer en face de l’ennemi sur une position difficile qu’il a dû organiser sous un bombardement violent et continu, s’est élancé brillamment à l’attaque sous les ordres du Commandant de Fabry Fabrègues, le 30 décembre 1917. A enlevé tous ses objectifs, faisant 550 prisonniers, prenant 2 canons, 4 mortiers, 16 mitrailleuses et un matériel important. QG, le 18 janvier 1918, le Général commandant la Xe Armée,  signé Maistre »

Citation à l’ordre de la Xème Armée © Coll. personnelle

Dans les archives familiales, c’est le seul document militaire que nous avons pu conserver. Outre la citation ci-dessus, il y est attesté que Jean-François comptait bien à l’effectif au moment de ces attaques.

 - le 30 septembre 1918 – 54ème BCA – Somme :
Le 54ème BCA de Jean-François reçoit une citation à l’ordre de l’Armée (Ordre de la Ière Armée n°137) : les trois bataillons de Chasseurs auxquels Jean-François a été affecté durant la guerre ont donc tous reçu cette distinction.