« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 26 novembre 2018

#ChallengeAZ : V comme Vosges

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Jean-François étant originaire de Haute-Savoie c’est sans doute naturellement qu’il est affecté dans un bataillon de Chasseurs Alpins (pour en savoir plus, voir les lettres A et B). Pendant une grande partie de la guerre, et notamment dès sa première affectation, il est envoyé dans les Vosges. Là, les combats font rage, sur des terrains accidentés, pentus, et dans des conditions météo parfois difficiles (froid, neige).

Le front des Vosges est constitué d’une zone montagneuse comprise entre le col du Bonhomme au nord et le Grand-Ballon au sud, avec des sommets boisés à plus ou moins 1000 mètres d’altitude. Il correspond à l'ancienne frontière du Reich de 1871. En effet, suite à la défaite française de 1871, l’Alsace et une partie de la Lorraine ont été annexées par l’empire allemand. Ces provinces « perdues » ont alimenté une riche littérature patriotique et nationaliste, magnifiant un fort sentiment de revanche, et ont été l’un des objectifs continus de la Première Guerre Mondiale.

Les Vosges représentent le seul secteur du front français de la Grande Guerre concerné par les combats en haute et moyenne montagne. Protégée par son écrin forestier, les fortifications s’adaptent habilement aux moindres anfractuosités de la roche de ces massifs de grès. La guerre de montagne est un type de conflit qui se distingue des combats de front de plaine. En effet, il a dû s’adapter aux spécificités du relief, aux rigueurs du climat, à l’accessibilité du front sur les deux versants (compliquant le ravitaillement en hommes, nourriture ou armes) et à la durée et l’âpreté exceptionnelles des affrontements qui s’y déroulèrent. 

Front des Vosges © Delcampe

Plusieurs points du front des Vosges sont devenus tristement célèbres :
- le Hartmannswillerkopf, (ou Vieil Armand), surnommé la montagne « mangeuse d’hommes ». Culminant à 956 mètres, c’est une position stratégique qui devient l'enjeu de furieuses batailles entre le 26 décembre 1914 et le 9 janvier 1916. Le Vieil Armand s’est distingué par de très lourdes pertes, estimées au total à environ 25 000 morts à lui seul [*].
-  la vallée de Munster, où a été envoyé Jean-François, a presque entièrement été détruite par les combats de 1915. Le musée du Linge, installé à la jonction des tranchées françaises et allemandes, distantes parfois de cinq mètres à peine, rappellent ces combats qui ont fait 17 000 morts [*] (pour en savoir plus, voir la lettre L). Au sein d’un réseau parfaitement conservé, le musée raconte les assauts français qui débutent le 20 juillet 1915 et s’achèvent à la fin octobre.
- De l'autre côté du val d'Orbey, la Tête des Faux, est un sommet culminant à 1220 mètres, occupé en 1914 par les Allemands. Les Chasseurs Alpins français l'enlèvent le 2 décembre. La nuit de Noël 1914, les Allemands contre-attaquent vigoureusement. La bataille, menée dans des conditions hivernales extrêmes, entre dans la légende. 600 hommes sont mis hors de combat en une seule nuit [*]. Les Allemands s’accrochent sous le sommet et construisent d'impressionnantes fortifications figeant la situation jusqu’à l'Armistice.

Et bien d’autres sites encore…

La région est considérée comme un théâtre d’opération secondaire car les Vosges forment une barrière naturelle à la défense et aux déplacements difficiles. Côté français, au-delà des Vosges il y a la barrière du Rhin, tandis que pour les Allemands, l’obstacle est renforcé par une série de fortifications de Belfort à Épinal.

Par contre pour la France, la libération de l’Alsace est un impératif psychologique essentiel (d’où les attaques initiales) tandis que les Allemands ne pouvaient pas laisser prendre impunément Mulhouse, la seule grande ville du Sud de l’Alsace. C'est ce qui explique les combats incessants pendant tout le conflit : ces majestueux sommets ont été bouleversés, dévastés par les obus, les gaz, les lance-flammes, les averses de fer et de feu. Mais malgré ces batailles permanentes, flux et reflux, il n’y aura jamais de victoire décisive d’un l’un ou de l’autre camp : le front s’est stabilisé lentement mais sûrement et s’est enlisé dans un réseau complexes de tranchées continues aboutissant à un statu quo long et meurtrier. 

De cette période et de ces combats particuliers, les soldats ont conservé un souvenir radicalement différent de ceux livrés dans la craie de Champagne ou dans la boue des Flandres : leurs journaux et correspondance l’attestent. Il existe bien un vécu spécifique de la guerre de montagne dans les Vosges.


[*] Chiffres à prendre avec précaution : tous les auteurs ne sont pas d'accord entre eux.


samedi 24 novembre 2018

#ChallengeAZ : U comme ultimes obligations

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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L’Armistice signé le 11 novembre 1918 est un soulagement pour tous : « la guerre est finie ! ». Cependant… elle n’est pas véritablement finie ! Si les combats ont cessé, cela ne signifie pas pour autant la fin de la guerre et le retour immédiat des hommes. Ce n’est pas encore le temps de la fin des épreuves. 


La dépêche © historyweb.fr

L’armée doit faire face à un immense chantier : rapatrier tous ses soldats, armes, véhicules, etc… disséminés à travers le monde. Cela représente entre 4 et 5 millions d’hommes ! Près de la moitié d’entre eux ont été blessés et beaucoup d’entre eux le sont encore, en convalescence dans des hôpitaux de fortune installés ici ou là. Et tous ne rentrent pas en France : il y a aussi tous les soldats des colonies qui doivent rentrer dans leurs pays respectifs, un peu partout à travers le monde.

Plusieurs solutions s’offrent alors : les Américains libèrent leurs soldats par unités, les Britanniques préfèrent donner la priorité aux besoins économiques, tandis que les Français et les Italiens choisissent la démobilisation à l’ancienneté : l’idée est donc de commencer par démobiliser les soldats des classes les plus anciennes. Or après 4 ans de conflit meurtrier, il n’existe plus de régiments homogènes constitués par une seule classe d’âge. La démobilisation entraîne donc une constante réorganisation des unités qu’il faut refondre, parfois pour quelques mois seulement, afin d’en libérer les soldats.

Par ailleurs, il faut garder une certaine pression sur les Allemands, tant que le traité de Versailles, marquant la paix définitive, n’est pas signé officiellement (c'est-à-dire le 28 juin 1919).
Enfin, il ne faut pas oublier l’état déplorable dans lequel est la France et, d’une manière générale, les régions où l’on s’est battu : destruction des infrastructures, des ponts, des routes, des voies de chemin de fer…

Jean-François n’avait que 20 ans en 1914 : c’est une des classes mobilisées les plus jeunes. Le retour à l’ancienneté signifie que, pour lui, la démobilisation n’est pas prévue pour tout de suite.
D’ailleurs, sa fiche matricule le confirme. Il passe par différentes affectations avant d’être véritablement démobilisé :
- Le 11 novembre 1918 est toujours affecté au 81ème RAL (il l’est depuis septembre).
- Le 5 décembre 1918 il change de groupe, mais toujours au 81ème.
- Le 1er février 1919 idem.

Mais en avril 1919, des voix s’élèvent en Allemagne, les Allemands jugeant les conditions de leur reddition trop dures, et du côté des alliés on craint un regain belliqueux des vaincus : les armées restent sur le pied de guerre, prêtes à une nouvelle intervention militaire si nécessaire. Le processus de démobilisation s’interrompt pour tous les soldats de moins de 32 ans, soit environ 2,5 millions d’hommes. Il ne reprendra qu’à partir de juillet.

Finalement Jean-François reçoit son ordre de démobilisation le 13 septembre 1919, soit presque un an après la fin du conflit ! 

L’attente et l’envie ont dû peser lourd durant ces longs mois. Le foyer, la famille, les amis (ceux qui sont encore en vie…), la ville ou le village : tout cela semble si proche et pourtant inaccessible. Sans compter qu’au fur et à mesure d’autres partent tandis que lui reste. Encore. Et pourtant il ne fait pas partie des derniers, qui ne rentreront chez eux qu’en juin 1920.

Pendant tout ce temps, on ne peut plus parler vraiment de « front ». Il reste néanmoins sous les drapeaux et a dû participer à l'occupation de la rive gauche du Rhin pour veiller au rapatriement du matériel et à la bonne « évacuation » de l’ennemi. Certains sont envoyés en caserne, à d’autres on fait faire de longues marches (il faut bien occuper les hommes).

Cependant Jean-François dû bénéficier d’au moins une permission car il est témoin au mariage de sa sœur qui a lieu le 2 août 1919 à Paris, 1er arrondissement ; il y est bien dit « aux armées », mais il est présent tout de même dans la capitale.

Enfin en septembre 1919 il lui reste quelques ultimes obligations à remplir : pour être libéré il doit se rendre au centre démobilisateur qui est le dépôt de son régiment le plus proche de son domicile (le 81ème RAL, donc) ; parcours parfois chaotique vu l’état des infrastructures, comme on l’a vu plus haut, souvent fait en train de marchandise. Il n'y reste que quelques heures voire quelques jours pour les formalités de démobilisation :
-  passer une visite médicale,
- faire la mise à jour de ses papiers militaires,
- recevoir un costume civil (ce qui est souvent un problème, vu la rareté du tissus : soit le soldat garde un uniforme militaire, soit il reçoit un habit militaire teint pour « faire civil » !)
- recevoir son indemnisation de démobilisation. Elle s’élève normalement à 490 francs par année dans une unité combattante (ce qui ne représente, en fait, que l’équivalent de deux mois de subsistance environ dans le civil).

Le retour au pays n’est pas toujours facile pour les soldats : les conditions de voyage du retour, la situation qu’ils trouvent en arrivant (fiancée mariée à un autre, boutique détruite, champs ravagés…). Sans parler des grands blessés de guerre qui ont beaucoup de mal à se faire une nouvelle situation dans la société du fait de leur handicap, ou des prisonniers de guerre sur qui pèsent parfois le soupçon de collaboration avec l’ennemi.

Enfin, en rentrant, les soldats survivant rapportent avec eux le souvenir des horreurs qu’ils ont vécues et parfois la honte de revenir alors que tant d’autres ont disparu : c’est un véritable traumatisme auquel ils doivent faire face. Mais cela est une autre histoire…


vendredi 23 novembre 2018

#ChallengeAZ : T comme tocsin

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Pendant de nombreux siècles, nos ancêtres ont vécu au rythme des cloches des églises. Elles sonnaient les heures du jour, les temps de l’année (fêtes liturgiques) ou les événements de la vie (et de la mort). Elles servaient aussi de moyens de communications, alertant les populations en cas d’incendie, d’inondation ou de catastrophes diverses.
De nos jours, on ne les entend guère plus. 

Les habitants des villes groupés autour de leur église paroissiale, comme ceux des villages et des bourgs dans les campagnes, suivaient les heures du jour, les temps de travail et de repos grâce aux cloches. On distingue trois catégories de sonneries, chacune ayant sa propre signification :
  • Le tintement : tintement des heures, angélus, tocsin, glas.
Le tintement des heures est le plus connus : il survit encore lorsque de proches voisins n’intentent pas de procès pour les faire taire !
L’angélus sonne trois fois trois coups avant le tintement horaire, en général à 7h00, 12h00 et 19h00 et rappelle l'importance de la dévotion mariale à qui il est originellement dédié.
Le glas : aujourd’hui il ne retentit que lors des enterrements. C’est une sonnerie lente par tintement de la cloche la plus grave, ou une alternance des deux plus graves. Le rythme approximatif est d’un tintement toutes les deux secondes.
  • Le carillon : carillonnement avec clavier manuel à bâton frappé (en anglais carillon), manuel par cordes (Russie, nord de l'Italie, Grèce) ou, de nos jours carillonnement électrique ou électronique automatisé.
Le carillon est une série de cloches disposées de manière à fournir une gamme plus ou moins étendue, se prêtant à l’exécution de mélodies complètes. Les premiers carillons selon cette définition dateraient du XIème siècle. Ceux du Nord de la France sont célèbres et leur tradition toujours vivante.
  • La volée : volée de messe, volée de mariage, volée d'utilisation civile (midi par exemple).
Lorsque l’on dit que les cloches sont mises en volée, cela signifie qu'elles sont propulsées en oscillation (par l'intermédiaire d'un moteur et d'une chaîne, ou de nos jours de moyens électriques plus modernes). La plus connue est celle qui précède la messe, appelée « la volée ordinaire ». Plus l’évènement est important, plus le nombre de cloches utilisé est élevé. Une volée fort connue est celle de Noël, qu'on appelle « la volée de minuit ». La volée de mariage ressemble à la volée ordinaire, mais elle compte un nombre élevé de cloches mises en oscillations (entre 3 et 8).

Et en cas d’alarme, d’événement extraordinaire (un incendie, une émeute ou une guerre…), on faisait retentir une sonnerie particulière : le tocsin. Il fait partie de la première catégorie de sonnerie, le tintement. C’est une sonnerie répétée et prolongée. Ce terme semble provenir de la racine du mot tumulte. Les premières utilisations du tocsin sous la forme actuelle dateraient des environs de 1570. A l'époque médiévale, des tours de garde étaient institués, les guetteurs placés en hauteur, dans le clocher de certaines cathédrales par exemple. Ils avaient pour charge de prévenir s'ils voyaient un incendie démarrer. Le mot tocsin avec cette orthographe date de 1611. C’est une déformation de touquesain, mot qui date du XIVème siècle, dérivant lui-même du vieux provençal tocasenh. Littéralement, cela signifie tocar (toucher) et senh (la cloche). Le tocsin est sonné avec la cloche la plus aiguë, surtout la plus criarde et sonore, à un rythme d’un tintement par 0,5 seconde, durant environ une minute.

C’est ce qu’il s’est passé ce 1er août 1914 après-midi. Surprenant les paysans, les marchands, les notables… Tous ont dû se figer en entendant ces cloches qui n’en finissaient pas de tinter. Parce que les rumeurs de guerre étaient dans bien des conversations depuis un mois, tous ont dû comprendre ce que signifiait cette sonnerie. Confirmant les intuitions, les gardes champêtres ou les gendarmes parcouraient les campagnes pour annoncer la mobilisation générale. Ceux qui ne croyaient pas à la guerre devaient en être muets de stupéfaction, en particulier dans les campagnes où on était en pleine moisson et où on lisait moins la presse et ses prédictions belliqueuses. Ceux qui rêvaient d’en découdre, de prendre leur revanche, ont dû se réjouir… sans savoir ce qui les attendait.


Tocsin © Youtube

A ce sinistre tocsin, répond la volée joyeuse qui sonna, le 11 novembre 1918 au matin, marquant la fin officielle du conflit. Si la tristesse du tocsin avait plongé les populations dans la stupeur, les volées de cloches, se répercutant de clochers en clochers, sont, cette fois, destinées à les entraîner dans une communion nationale d’allégresse. Elles mettent fin au temps des combats annoncé par le tocsin lugubre au moment de la mobilisation générale. Les seuls à ne pas les avoir entendus, peut-être, sont les soldats en premières lignes car là où ils étaient, il n’y avait plus de clochers pour les faire sonner. Mais pour les autres, la volée de cloches, associée aux drapeaux tricolores, a participé à l’union patriotique des foules, dans les villes et les villages, symbolisant l’euphorie de la victoire. 

Commencé au son des cloches. Terminé au son des cloches.